Les Oubliés

Intégrale

Plume
ISBN : 979-10-94786-37-6
ISSN : 2430-4387
Les Oubliés, Intégrale
Copyright © 2017 Éditions Plume Blanche
Copyright © Illustration couverture, Cendre
Tous droits réservés

Léna Jomahé


Les Oubliés

Tome 1

Derniers Jours

(Roman)




 « Au contraire de l’utopie, la dystopie relate une histoire ayant lieu dans une société imaginaire difficile ou impossible à vivre, pleine de défauts, et dont le modèle ne doit pas être imité ». L’INTERNAUTE

Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le bonheur de tous les hommes, 
c’est celui de chacun.

BORIS VIAN
PROLOGUE

Assise dans l’arbre, j’arrache un nouveau fruit en riant. Au-dessus de moi, Simon et Aurore m’imitent. Je croque dans la pêche, le goût doux et sucré coule dans ma gorge et le long de mon menton.
— Tu es vraiment sale ! s’exclame Aurore en me jetant son noyau sur la tête. Tu ne pourrais pas manger proprement !
Je lui souris de toutes mes dents avant de mordre à nouveau dans la chair tendre et savoureuse. 
J’adore accompagner mes parents sur leur lieu de travail, je le fais depuis que je suis toute petite. Au début, cela ne posait pas de problème à Monsieur Gabe, le propriétaire de la Plantation Gabe. Nous grimpions dans les arbres, nous courions dans les rangs de fruits et légumes, parfois même son fils se joignait à nous. Mais depuis quelques années Simon, Aurore et moi sommes obligés de nous cacher pour ne pas créer de problème à ma famille et ledit fils ne nous jette plus que des regards hautains lorsque nous le croisons lors de sorties scolaires. 
Je regarde autour de moi. Dans le verger, les végétaux s’étendent à perte de vue. C’est d’ailleurs le seul moment de l’année où mes parents acceptent que nous venions, mes amis et moi : lors de la cueillette des pêches. Installés tout au fond de la plantation, dans un arbre à l’abri des regards de leur patron, nous nous goinfrons tous les matins avant de rejoindre nos camarades de classe au lac pour plusieurs heures de baignade. 
Cependant aujourd’hui est un jour particulier. Nous sommes le 20 juin, les vacances scolaires ont débuté hier et à l’occasion des évènements de demain, mes parents ne vont pas travailler cet après-midi. Je sais que je ne devrais pas réagir comme cela, mais je n’ai pas envie de passer ces quelques heures à la maison. Tout le monde va faire comme si de rien n’était, mais l’ambiance va être lourde et pesante. Le regard de Simon accroche le mien. Il me sourit tendrement avant de faire la moue. Son deuxième frère a le même âge qu’Anaïs, ma sœur, ils sont donc tous les deux des participants à la Rafle de cette année. 
La Rafle. 
À cette évocation mon poing se serre sur le fruit que je tiens encore dans ma main, mes doigts faisant craquer la peau pour s’enfoncer dans la chair. Je n’arrive toujours pas à comprendre ce système de Rafle. Pourquoi est-ce que nous ne pourrions pas nous même choisir ce que nous voulons faire ? Comme dans l’Ancien Monde. 
D’après nos leçons, à l’époque, les enfants allaient à l’école, suivaient les études qu’ils désiraient, et ensuite pratiquaient un métier qui leur convenait à eux. Mais aujourd’hui, tout est différent. 
Le regard perdu sur mes parents qui travaillent au ramassage des fruits, je me demande si c’est ce qu’ils auraient choisi s’ils en avaient eu la possibilité. N’auraient-ils pas préféré une autre profession ? Vivre dans une autre ville ? Je secoue la tête au moment où Aurore pose sa main sur mon bras.
— Je sais à quoi tu penses ma chérie, mais tu sais que nous n’avons pas le choix. Il faut que tu arrêtes de te torturer avec tout ça.
Je hausse les épaules. Je déteste entendre ce genre de raisonnement. Aurore a beau être ma meilleure amie, je ne peux tolérer un tel discours. Pourquoi accepter les Rafles sans mots dire ? La réponse s’impose à moi : par peur de l’exclusion. Je me prends à haïr cet Ancien Monde qui a tout détruit et qui nous a menés là. Si seulement les choses s’étaient passées autrement.
Les Rafles ont vu le jour après la IVème Guerre mondiale, qui a eu lieu en l’an 2048 de l’ancienne ère. À l’époque, l’économie mondiale était au bord du précipice. Les différends entre les pays avaient dégénéré et la guerre était devenue inévitable. Elle ne dura que quelques semaines, mais fut dévastatrice. Les armes nucléaires ravagèrent la planète et firent des milliards de morts. Quand il n’y eut plus personne pour combattre, et plus d’économie à redresser, la guerre cessa, laissant derrière elle d’énormes cicatrices. Les survivants du monde entier s’unirent pour former le Nouvel Ordre Mondial (le N.O.M.). Ils se regroupèrent sous des coupoles les protégeant de la pollution extérieure. Afin de marquer la rupture avec l’Ancien Monde, nos dirigeants décidèrent de repartir de zéro, et donc, l’année qui suivit la fin de la guerre fut considérée comme l’an 1. Nos livres d’histoire appellent la période d’après-guerre « Le Chaos ». Le monde manquait cruellement d’adultes, la plupart étant morts au combat. Pour se procurer de la main-d’œuvre et des têtes pensantes, les plus influents mirent en place les Rafles. Pendant une dizaine d’années, des adolescents furent enlevés afin de passer des tests pour ensuite d’être dirigés vers un métier ou une formation. Par la suite, le N.O.M. légalisa les Rafles, rendant obligatoires les tests pour tous les adolescents de seize ans. Le terme de Rafle est resté, bien qu’il n’y ait plus d’enlèvements à proprement parler. 
Les plus qualifiés se rendent dans des instituts pour être formés, deviennent la nouvelle élite ou de nouveaux patrons ; ils sont les Grands. Les moins qualifiés, les Ouvriers, se voient imposer un métier en fonction de leurs aptitudes et sont envoyés dans la ville correspondant au travail qu’ils vont exercer toute leur vie. La troisième catégorie, les Oubliés, est plus récente, à peine une vingtaine d’années… nous ne savons rien d’eux. Ils disparaissent à la fin des tests et leurs familles n’ont plus jamais de leurs nouvelles. Selon certains bruits, ils seraient également placés dans des instituts sous haute protection et n’en sortiraient jamais. 
Ma mère nous interpelle, me tirant de mes pensées.
— On rentre les enfants. Faites le tour par les champs puis la forêt. On se rejoint à la maison.
Je lève la tête vers le ciel. Le soleil est déjà haut. Il ne doit pas être loin de midi. Simon et Aurore descendent en premier, puis Simon tend les bras pour m’aider. Je grogne en acceptant son concours. Si seulement la nature se décidait à me faire grandir un peu. Il me pose au sol, face à ma mère qui me lance un petit sourire forcé. Ses traits sont tirés. Tout dans sa façon de se tenir, de nous regarder, crie sa tristesse face aux évènements de demain. Un peu en retrait derrière elle, je vois que mon père n’est pas mieux. Ils font bonne figure devant ma sœur depuis plusieurs semaines, mais ne se rendent pas compte à quel point ils laissent transparaître leur désarroi le reste du temps. Je lui rends son sourire, essayant d’enfouir mes sentiments au plus profond de mon cœur. Entre mes parents qui sont tristes de laisser partir Anaïs, et elle qui a peur du résultat des tests, cela fait bientôt deux mois que je passe mon temps à rassurer les uns et les autres tout en cachant mes propres peurs et angoisses.
— À tout à l’heure, maman. On se dépêche. Promis.
Elle acquiesce avant de me tourner le dos et de partir en compagnie de mon père vers l’entrée de la plantation pour recevoir son bon de travail. Ce bon, distribué à chaque jour travaillé, sert à se nourrir, se vêtir et à acquérir tout ce dont une famille d’Ouvrier peut avoir besoin. C’est-à-dire pas grand-chose.
La seule chose que j’aimerais vraiment avoir c’est une navette. Pour pouvoir nous déplacer et, pourquoi pas, partir visiter d’autres villes du Nouveau Monde. Mais il faudrait que mes parents économisent, au bas mot, un an de bons de travail avant de pouvoir envisager de s’en offrir une d’occasion. 
Simon et moi prenons la route du retour en traînant les pieds. Aurore, comme à son habitude, tente de nous divertir. Elle déteste nous voir tristes, mais aujourd’hui, toutes ses blagues tombent à plat. Finalement, elle soupire et se tait. Nous traversons le bois qui mène au lac, en silence. Alors que nous ne l’avons pas encore atteint, les premiers cris des adolescents qui s’ébrouent dans l’eau nous parviennent. Je les envie d’être là aujourd’hui. J’aurais également aimé terminer la journée ainsi ; à m’amuser avec mes amis et à nager longuement sous la chaleur du soleil. Aurore me saisit la main alors que nous débouchons sur le rivage. Je sais qu’elle voudrait la même chose que moi, mais je sais aussi qu’elle ne viendrait pas sans nous : sa moitié blonde et sa moitié brune. Simon se tourne vers nous.
— Promettez-moi que dans deux ans nous viendrons passer notre 20 juin ici. Je n’ai pas envie de passer la veille de ma Rafle à la maison à attendre et à voir mes parents se morfondre.
Aurore applaudit ses paroles.
— Quelle bonne idée ! Faire comme si de rien n’était jusqu’au bout.
Elle me reprend la main en sautillant.
— Allez Eléa, dis que tu es d’accord ! Si nous ne sommes pas tous les trois pour ce dernier jour, ce ne sera pas pareil !
Je leur souris en les regardant tour à tour.
— C’est un pacte alors ?
Ils acquiescent en cœur, dans l’attente de ma réponse.
— Génial. Je suis cent pour cent d’accord. C’est une super idée. Faire comme si de rien n’était jusqu’au bout. 
— Paroles d’inséparables ? demande Simon
— Paroles d’inséparables ! nous esclaffons-nous.
Le cœur un peu plus léger, nous reprenons notre route en direction de la rue des Orangers.
Lorsque j’arrive chez moi, je croise Lana qui en repart les yeux rouges et boursouflés. Lana est la meilleure amie d’Anaïs. Elles se connaissent depuis bientôt dix ans et passent beaucoup de temps ensemble. Je la serre dans mes bras.
— Tu vas voir, je suis certaine que tout va bien se passer, tenté-je pour la rassurer.
Elle pince les lèvres en acquiesçant, puis me tourne le dos pour continuer sa route sans ajouter un mot.
Dans la maison, le rez-de-chaussée est vide. Mes parents ne sont pas encore rentrés et apparemment, Anaïs s’est retranchée à l’étage. Je grimpe les marches deux par deux et me laisse guider par les sanglots. Je la trouve assise par terre, dans la salle de bain, une trousse de toilette entre les mains. Je m’accroupis à ses côtés, lui enlève délicatement la trousse et la prends dans mes bras.
— Chuuuuuut…, soufflé-je. Allez, calme-toi.
Elle renifle contre mon épaule et son corps se remet à trembler sous l’assaut  d’une nouvelle crise de larmes. Je lui caresse les cheveux, comme je l’ai fait de si nombreuses fois ces derniers jours, tout en la berçant tendrement.
— Anaïs… calme-toi s’il te plaît. Tu vas finir par me faire pleurer aussi.
Durant de longues minutes, je la laisse décharger sa tristesse sans rien ajouter de plus. Mon cœur est en miette et je dois serrer les dents à plusieurs reprises pour ne pas m’effondrer à mon tour. Je ne peux pas craquer, pas maintenant, nous verrons demain, une fois qu’elle sera montée dans la navette et qu’elle aura disparu au coin de la rue. Petit à petit, ses hoquets s’espacent et les larmes finissent par se tarir. Je me redresse doucement pour imbiber un gant d’eau glacée et le lui poser sur les yeux.
— Les parents ne vont pas tarder et ils sont suffisamment mal en point de leur côté pour te voir dans cet état.
Elle acquiesce, renifle et déglutit difficilement.
— J’ai tellement peur, soupire-t-elle.
— Anaïs… nous avons déjà eu cette conversation mille fois, grogné-je. De quoi as-tu peur sérieusement ? Tu es forte et intelligente. Le N.O.M serait bien bête de t’affecter à autre chose qu’à un institut de Grands !
Elle hausse les épaules en pressant le gant contre ses yeux pour les masser.
— Je ne sais pas, Eléa. Quel niveau d’intelligence est nécessaire pour entrer dans un institut de Grands ? Nous n’en savons rien !
Je soupire et m’assois à mon tour contre la baignoire.
— Anaïs. Tu en as vu des tas d’autres partir avant toi. Tu en connais qui sont en ce moment même en institut. Tu es plus intelligente que la plupart d’entre eux !
Je tais le point important des Oubliés. Elle comme moi l’avons quoi qu’il arrive en mémoire. Elle se frotte une dernière fois le visage avant de baisser les mains et de jeter le gant dans l’évier. Ses yeux sont encore un peu rouges, mais au moins ils ne sont pas enflés. De toute façon, nous ne pourrons pas faire mieux.
— Je n’ai pas envie de devenir Ouvrière et de partir loin de la maison. Pour être une Grande, oui… je peux accepter de vivre loin de vous, mais pour être Ouvrière…
Elle ne termine pas sa phrase et je vois ses yeux s’emplir à nouveau de larmes. Je me relève, la saisis par la main et la tire vers moi pour l’obliger à se mettre debout.
— Bon allez, ça suffit. Viens !
Je la traîne derrière moi jusque dans sa chambre. Il y a des vêtements partout : sur le lit, sur son bureau, par terre, on dirait qu’une tempête a soufflé dans la pièce dévastant tout sur son passage. Bien entendu, son armoire, elle, est vide. Je me tourne vers ma sœur en fronçant les sourcils.
— Qu’est-ce que tu as voulu faire au juste ?
Elle me lance un petit sourire triste.
— Ma valise.
Je lève les bras au ciel.
— Tu as l’intention de prendre tout ça ?
Je saisis son sac vide d’une main, pousse une des piles de vêtements du lit pour pouvoir le poser dessus. J’inspecte les habits d’un regard vide avant de me tourner vers elle en soupirant.
— Tu as une idée de ce que tu dois emmener ?
Elle secoue la tête et se laisse tomber à côté du sac.
— Non… aucune idée. Je comptais le faire avec maman.
Je m’installe à côté d’elle en croisant les bras.
— J’ai rencontré Lana en arrivant, finis-je par dire.
Elle se mordille un instant les lèvres avant d’opiner.
— Elle n’avait pas l’air en meilleur état que toi.
Elle hausse les épaules.
— Vous vous retrouvez ici pour le départ ?
Elle secoue la tête.
— Non. Elle veut rester avec ses parents.
Au rez-de-chaussée la porte d’entrée claque. Un bruit de pas se fait entendre dans les escaliers, ma mère apparaît sur le seuil de la chambre. Elle a les yeux aussi rouges que ceux de ma sœur, mais toutes les deux font comme si elles ne voyaient rien. Son regard se pose sur nous, sur le sac, puis sur les tas de vêtements et pour finir un sourire se dessine sur ses lèvres.
— Tu essaies de faire ta valise ?
Ma sœur opine en faisant la moue. Ma mère, dont le sourire s’élargit, fixe les habits qui recouvrent le sol de la chambre. Soudain, elle part d’un rire nerveux et incontrôlable. Mes lèvres s’étirent également et je me retrouve bientôt à rire sans raison. Ma sœur, qui nous examine d’abord comme si nous étions devenues folles, finit par rendre les armes et son rire rejoint les nôtres.
— Tout va bien là haut ? s’exclame mon père depuis le bas des escaliers.
Loin de nous calmer, sa question fait redoubler notre hilarité, et nous sommes incapables de lui répondre. Mes yeux pleurent, mon ventre me fait mal, mais je n’arrive plus à m’arrêter. Mon père passe la tête dans l’embrasure de la porte, le regard inquiet, surpris et enfin confus.
— Ok, je vais vous laisser.
Sa tirade nous fait repartir de plus belle et il nous faut de longues minutes pour arriver à nous maîtriser. Petit à petit, les rires de ma mère et de ma sœur se transforment, stoppant tout net les miens. Lorsque je sors de la chambre pour les laisser tranquilles, elles sont dans les bras l’une de l’autre, en larmes. 
Ce soir-là, le repas se fait quasiment en silence. Les seuls mots qui s’échangent sont entre mes parents et concernent essentiellement le travail et la belle récolte de pêches que la Plantation Gabe fera cette année.
— À condition que les inséparables ne mangent pas tout, lance mon père à mon attention.
Je souris pour la forme, mais le cœur n’y est pas. Ma mère essaie à son tour :
— Peut-être que grâce à la belle production de cette année, Monsieur Gabe nous fournira des bons de travail bonus comme il le fait habituellement. Nous les mettrons de côté pour que tu puisses rendre visite à ta sœur si elle n’est pas trop loin.
Anaïs renifle et sa lèvre inférieure tremble. Nous savons toutes les deux que la seule chance que nous avons de nous revoir dans les deux ans qui arrivent, serait qu’elle soit Ouvrière à la Nouvelle Paris. Toutes les autres destinations nous condamneront à devoir attendre qu’elle ait fini sa formation, ou qu’elle ait, ou moi d’ailleurs, suffisamment de bons de travail pour pouvoir obtenir un ticket sur une des navettes de voyages entre coupoles. 
Je lui prends la main sous la table et la lui presse tendrement. Elle respire un grand coup puis reprend une fourchette de purée noyée sous un jus de viande et de marrons. 
Après le repas nous passons au salon. Lorsque vingt heures sonnent, la télévision se met en marche sur les informations du N.O.M. Les vingt minutes de l’émission sont essentiellement consacrées à la Rafle. Le gouvernement nous rappelle pourquoi elle est nécessaire tout en pointant du doigt l’histoire de l’Ancien Monde. Je connais le laïus par cœur. À force de l’entendre à l’école, au journal télévisé, à la maison, je pourrais réciter tout cela de mémoire. 
Le Grand Gouverneur s’exprime à son tour, pour apporter son soutien et souhaiter bon courage aux adolescents concernés. Pour la première fois depuis que je suis en âge de regarder le journal, son fils l’accompagne le soir de la déclaration de la Rafle. Contrairement à son père, nous ne le voyons pas souvent, mais, à chaque fois que c’est le cas, sa beauté me sidère. Il a des yeux et un regard qui vous transperce de part en part. Je suis certaine que toutes les filles de son école lui courent après et qu’il s’en donne à cœur joie. Je rougis de penser à des choses pareilles, tout en serrant les dents devant ce garçon qui fixe la caméra d’un air tellement assuré.
— Oh, mais c’est vrai que le fils du Grand Gouverneur a ton âge, Anaïs ! s’exclame maman. Lui aussi va devoir dire au revoir à ses parents demain.
Je lève les yeux au ciel. Comme si son père allait le laisser partir loin de lui ! Le journal se termine sur la traditionnelle devise du N.O.M : Ordre, Obéissance, Sécurité. Trois mots qui m’horripilent. 
La télé s’éteint et nous restons encore une petite heure à discuter, ou à nous taire, avant de regagner nos chambres. Alors que je suis sur le point de me mettre au lit, on frappe à ma porte. Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle s’entrouvre.
— Eléa, je peux dormir avec toi ?
Anaïs se tient sur le palier en chemise de nuit. J’acquiesce en souriant.
— Allez, viens là. Qui sait quand nous aurons l’occasion de dormir à nouveau ensemble !
Nous nous couchons chacune d’un côté du lit et tentons d’attraper un sommeil bien difficile à trouver.
Après une nuit très compliquée, maman vient nous réveiller sur les coups de neuf heures trente. C’est exceptionnel de sa part, elle qui déteste que l’on fasse la grasse matinée ! En regardant l’heure sur mon réveil je me fais également la réflexion que cela doit faire un moment que ça la travaille de venir nous bouger. Il ne reste qu’une heure trente avant que la navette passe chercher ma sœur. 
Nous descendons rapidement pour le petit-déjeuner. Mes parents ont le visage fermé et j’ai moi-même bien du mal à avaler quoi que ce soit. Anaïs tourne et retourne sa cuillère dans son thé sans en prendre une seule gorgée. Mon père passe derrière elle et lui pose les mains sur les épaules.
— Tout va bien se passer ma grande. Et rappelle-toi que quoiqu’il advienne, nous serons fiers de toi.
Elle opine en baissant la tête. Sa main gauche posée sur son genou tremble. 
— Mais oui…, lance maman d’un ton faussement enjoué. Regarde ton père et moi ! Nous sommes ravis de notre Rafle et du choix qui a été fait pour nous. Si nous n’avions pas tous les deux atterri ici, nous ne nous serions jamais rencontrés.
Ma mère a grandi à la Nouvelle New York tandis que mon père est originaire de la Nouvelle Paris, qu’il n’aura finalement jamais quittée. 
— Et vous ne seriez jamais venues au monde toutes les deux, conclut mon père en déposant un baiser sur la tête de ma sœur.
Je grimace et repousse mon bol et mon assiette, j’ai définitivement perdu l’appétit.
Je monte ensuite aider Anaïs à descendre ses affaires puis nous nous installons tous ensemble dans le salon en attendant l’heure. Chaque minute qui s’écoule semble s’enfoncer un peu plus dans mon estomac. Les larmes que je me suis promis de ne pas laisser couler sont sur le point de s’échapper. Ma sœur. Ma grande sœur va nous quitter. Ma sœur à qui je ressemble tant que tout le monde nous prend pour des jumelles. 
Lorsque ma tablette émait un bip pour m’avertir de l’arrivée d’un nouveau message, je suis tellement soulagée que quelque chose me distrait momentanément, que je me jette littéralement dessus. C’est un message d’Aurore.

AURORE : Coucou ma moitié brune !
Simon est avec moi, nous voudrions passer dire au revoir à ta sœur, 
mais je ne sais pas si ça pose un problème ou pas ?
Le 21 juin 248 à 10 h 41

Anaïs qui lit par-dessus mon épaule sourit.
— Dis-leur de passer. Ça me fera plaisir de voir les inséparables une ultime fois avant de partir.
Elle s’étrangle sur les derniers mots et détourne la tête. Ma mère me regarde, interrogative.
— Simon et Aurore demandent à passer pour dire au revoir à Anaïs.
— C’est bien ce que j’avais compris. 
Elle me fait un pâle sourire.
— Dis-leur de venir. Ce n’est pas comme s’ils ne faisaient pas partie de la famille depuis quatorze ans.
Je la remercie du regard avant de répondre à Aurore.

ELEA : Mes parents et Anaïs sont d’accord. Venez vite, c’est étouffant ici !
Le 21 juin 248 à 10 h 44

J’ai à peine appuyé sur « envoi » que l’on frappe à la porte. Je glisse ma tablette dans la poche arrière de mon short et me rue à l’entrée pour ouvrir à mes amis. Aurore me prend immédiatement dans ses bras.
— Comment ça va ? murmure-t-elle
Je hausse les épaules.
— C’est dur. Je ne voulais pas pleurer, mais juste avant ton message je n’en étais pas loin. Encore une fois tu me connais tellement bien que tu savais que j’aurais besoin de vous.
Elle me regarde d’un air entendu avant de s’avancer dans la maison pour saluer mes parents. Simon me presse à son tour contre son cœur puis nous suivons Aurore. Entre les effusions des bonjours et des au revoir, le temps passe vite. Et rapidement, trop rapidement, mon père interpelle tout ce petit monde.
— Anaïs, il est l’heure ma chérie.
Je lève la tête sur l’horloge. Dix heures cinquante-six. La navette arrive dans quatre minutes. Une boule née au fond de ma gorge et dans mon ventre. Des taches noires dansent devant mes yeux. Ma sœur va partir. 
Mon père attrape le sac, je saisis Anaïs par un bras, ma mère la prend de l’autre côté, et nous sortons dans l’allée. La navette est déjà au début de la rue. Elle glisse lentement à cinquante centimètres du sol. 
Nous nous avançons jusqu’au trottoir. D’autres familles sont sur le bord à attendre. Tout le monde s’embrasse, se serre dans les bras. Nous entendons des sanglots, des soupirs. Sur le pas de leur porte, les parents d’Aurore nous interpellent et nous font un petit signe. Caroline, sa mère, a les yeux rouges et se les tamponne avec un mouchoir. La navette arrive à notre hauteur. Elle s’arrête, se pose, la porte s’ouvre. Un agent en descend un listing à la main.
— Qui part aujourd’hui ? nous interroge-t-il.
Ma sœur lève une main tremblante.
— Bien. Approchez. Votre nom, prénom et date de naissance, s’il vous plaît.
Elle fait quelque pas dans sa direction.
— Anaïs…
Sa voix se casse, elle se racle la gorge avant de recommencer.
— Anaïs Gilban, je suis née le 17 janvier 232.
L’agent cherche dans sa liste avant de s’arrêter sur le nom de ma sœur et de cocher la case en face de son nom.
— Bien, dites au revoir, prenez vos affaires et grimpez.
Je le trouve froid, cruel, indifférent. Il pose sur nous un regard dénué de toute émotion. Comme si tout cela n’était rien. Anaïs s’approche de moi et m’étreint.
— Je t’envoie un Com’ ce soir pour te dire où je suis, souffle-t-elle.
La gorge serrée, j’acquiesce. Elle me pose une main sur la joue.
— Fais attention à toi, et surtout, amuse-toi, conclut-elle.
Je lui souris. Elle fait un pas en arrière, mais je ne veux pas la laisser partir. Je la rattrape par la main pour la serrer à nouveau contre moi.
— Je t’aime Anaïs, murmuré-je dans un sanglot.
Elle pince ses lèvres tremblantes avant de répondre.
— Je t’aime aussi, petite sœur.
Je ne peux pas tenir ma promesse plus longtemps, j’explose en larmes et Anaïs me laisse dans les bras d’Aurore pour s’approcher de mes parents. Mon père la serre longuement contre lui. Il a les traits tirés, mais il reste digne. Ma mère fond en larmes dès que ma sœur se tourne vers elle. Elles restent accrochées l’une à l’autre, le corps secoué de sanglots, durant de longues secondes. Trop longues apparemment au goût de l’agent.
— Il faut y aller maintenant, Mademoiselle Gilban. Vous n’êtes pas la seule à partir aujourd’hui.
Ma sœur s’arrache à l’étreinte de ma mère, elle acquiesce en reniflant et en s’essuyant les yeux. Elle dépose un dernier baiser sur la joue de maman, attrape son sac et grimpe dans la navette.
Les portes se ferment, la navette décolle du sol, mes larmes coulent. Anaïs, une main posée contre la fenêtre, nous fait un signe d’adieu. Puis la navette avance, trop vite, pour finir par disparaître à l’angle de la rue.

***

CLARA
LA NOUVELLE NEW YORK le 20 juin 248

GABRIEL : Coucou ma Clara. Ce soir, je ne peux que penser à toi. J’aurais tant aimé passer te dire au revoir aujourd’hui. Malheureusement, cela n’a pas été possible. 
Je pars demain pour ma Rafle. J’appréhende un peu, j’espère que tout se passera bien. 
Tu vas tellement me manquer. Je sais que tu le sais déjà, mais je voulais te le redire : je t’aime. J’espère pouvoir rentrer durant ces deux ans pour te faire une visite surprise. Prends soin de toi, sois sage. Bisous.
Le 20 juin 248 à 20 h 30
J’arrête ma tablette, les larmes aux yeux. Gabriel part demain. Mon cœur saigne. J’aurais aimé lui dire au revoir de vive voix. Par écrit les mots ne veulent pas sortir. 
Demain… demain c’est promis, quand ils auront de nouveau un sens, je lui enverrai un message.
Lorsque j’éteins la lumière ce soir-là, je ne trouve pas le sommeil. Je pleure durant de longues heures, la tête enfouie dans mon oreiller pour ne pas que ma mère m’entende. 
Comment vais-je faire pour survivre pendant deux ans sans lui ?
CHAPITRE 1


Je sors de l’eau et secoue la tête pour décoller les boucles brunes plaquées sur mes joues. Derrière moi, noyés au milieu des cris des autres adolescents qui s’amusent, j’entends Aurore et Simon qui s’éclaboussent en riant. Nous sommes le 20 juin de l’an 250, c’est le premier jour des vacances et, comme tous les ans, nous avons tenu à fêter cela en pique-niquant au bord du lac. La journée touche à sa fin, le soleil baisse à l’horizon, l’endroit est magnifique. Le lac est tellement immense que je n’en distingue pas l’autre rive. Il est bordé d’arbres luxuriants, le tapis d’herbes qui l’entoure est parsemé de fleurs de toutes les couleurs. J’ai un pincement au cœur en me disant que, dans le passé, de nombreux animaux devaient vivre en liberté ici. Aujourd’hui, il n’y en a plus un seul.
Je m’allonge sur ma serviette et regarde le ciel azur au-dessus de moi : nous sommes le 20 juin et j’ai seize ans, tout comme mes amis. Je repense à ce même jour de l’année dernière, nous avions alors quinze ans, et tout était différent. Même si nous savions qu’un décompte commençait pour nous, la journée avait été magnifique et les vacances qui avaient suivi, magiques. Comme si c’étaient les dernières… C’étaient les dernières !
Je ferme les yeux et songe de nouveau à toutes ces années, toutes ces vacances que nous avons passées ici. Les fous rires, les parties de cache-cache dans les bois, les promenades en vélo sur les berges du lac, les batailles d’eau : du plus loin que je me souvienne, Aurore et Simon ont toujours été là, avec moi. Ma gorge se serre et je me redresse en secouant la tête. Je regarde autour de moi, nous sommes les seuls de notre âge. Tous les autres adolescents présents ont quinze ans ou moins. Depuis ce matin que nous sommes arrivés, ils nous jettent de petits regards en coin. Si les autres ont préféré rester en famille, Simon, Aurore et moi nous étions promis de faire comme d’habitude… jusqu’au dernier moment.
— Eléa, qu’est-ce que tu fais ? me crie Aurore en me tirant de ma rêverie.
— Je prends le soleil avant qu’il ne se couche !
Elle sort de l’eau avec Simon et ils me rejoignent sur leurs serviettes.
Aurore est ma meilleure amie, nous nous connaissons depuis notre naissance, nous avons seulement quelques jours d’écart et nos parents sont voisins, nous avons donc pratiquement grandi ensemble. C’est la plus belle et la plus intelligente des filles que j’ai jamais rencontrée. Elle est grande, élancée, ses cheveux couleur de feu donnent de la profondeur à son regard d’émeraude, et sa peau laiteuse est parfaite, sans tâche ni cicatrice. Il faut dire qu’elle y fait très attention, et s’enduit régulièrement le corps de crème à base d’aloès, que sa mère prépare elle-même, afin de la protéger du soleil. Notre seule rivalité était sur le plan scolaire, mais elle finissait toujours par gagner.
Mes yeux glissent sur Simon, mon meilleur ami. Aurore et moi l’avons rencontré dès nos premières années d’école et nous l’avons tout de suite adopté. Il est grand, blond, les yeux marron, et, ces derniers temps, une certaine musculature commence à apparaître sur son corps, plus tout à fait enfantin. Il était loin d’être le plus bête en classe, même si, bien souvent, il se contentait d’en faire un minimum.
Nos copains ont pris l’habitude de nous appeler les trois inséparables, Aurore la rousse, Simon le blond, et moi, Eléa, la brune aux yeux bleu nuit. Nous avons toujours été dans la même classe, nous avons passé toutes nos récréations et toutes nos vacances ensemble. Nous avons toujours tout partagé ; les joies comme les peines et les doutes. Ce sont mes moitiés.
Sur le plan physique pourtant, nous sommes très différents. Je suis plus petite qu’Aurore et plus maigrichonne aussi. Là où ma meilleure amie commence à avoir des formes féminines, moi, je ressemble encore à une enfant de quatorze ans. Mais je ne me plains pas. Plutôt sportive, ma taille et mon poids sont un avantage certain dans bien des situations.
Simon soupire et nous regarde.
— Que faisons-nous ? Vous voulez rentrer ?
— Attends encore un peu ! répond Aurore. Le soleil commence à peine à baisser, nous avons le temps !
— Oui, mais mes parents organisent une soirée avec toute la famille pour l’occasion, je ne voudrais pas faire attendre tout le monde.
— Pareil pour moi, dis-je, même Anaïs a fait le déplacement !
Aurore se retourne vers moi.
— Quoi ? Ta sœur est là et tu ne m’as rien dit !
Je soupire.
— Elle me manque tellement depuis qu’elle est partie que je n’aime pas spécialement partager nos conversations, et puis, ce n’est pas comme si j’allais pouvoir la cacher, tu aurais fini par la croiser. Elle devait arriver ce matin, je pensais qu’elle viendrait nous rejoindre pour se baigner.
Anaïs… la dernière fois que je l’ai vue, c’était il y a deux ans, l’année de ses seize ans. Le 21 juin. Penser à elle me ramène à demain, à notre 21 juin, et je vois dans les yeux de mes amis que leurs pensées ont suivi le même cheminement. 
— Allez, dis-je en tapant dans mes mains, rangeons nos affaires et rentrons chez nous. Aurore, si tu veux, passe à la maison un moment, tu pourras voir Anaïs et l’abrutir de questions sur sa vie dans la Nouvelle Tokyo !
— Je pourrais aussi lui poser des questions sur…
— Non, tu sais qu’ils n’en parlent pas, l’interrompis-je. Que personne n’en parle jamais. Aujourd’hui encore moins que d’habitude.
— Et puis, pour dire quoi ? ajoute Simon. Anaïs fait partie des Grands maintenant, et tout ce qu’elle a vécu pendant deux ans est classé confidentiel. Elle en a fait le serment.
— Je sais bien, répond Aurore en faisant la moue. Mais j’ai tellement envie d’en apprendre plus. J’ai horreur de cet inconnu qui plane sur nous !
Je lui prends la main avec tendresse.
— Nous en sommes tous au même point, Aurore ! Nous avons tous peur !
Simon passe son bras autour de ses épaules.
— Oui et puis, nous serons ensemble : le trio inséparable. Rien ne pourra nous arriver. À nous trois, nous sommes invincibles ! Rappelle-toi toutes ces batailles gagnées dans la cour de récré !
Aurore le regarde et un petit sourire se dessine sur son visage. Elle se dresse sur la pointe des pieds et lui plante un bisou sur la joue. Puis elle se penche vers moi et me prend dans ses bras.
— Vous avez raison, mes moitiés, nous sommes inséparables et rien ne peut nous arriver. Allons-y. Il est temps que j’aille affronter la peine de mes parents.
Chacun de nous finit de ranger ses affaires en silence, puis nous enfourchons nos vélos. Le retour se fait dans le calme, nous sommes perdus dans nos pensées. J’en profite pour laisser mon regard se perdre sur notre quartier ; l’endroit que je connais le mieux, celui où j’ai grandi, où mes amis et moi avons passé tellement de bons moments. 
La Nouvelle Paris. La ville n’est pas tout à fait située à l’emplacement du Paris du passé, mais plutôt à sa périphérie et elle est totalement différente de l’ancienne. De taille modeste, elle se compose exclusivement de maisons. Les bâtiments plus imposants appartiennent au Gouvernement ou aux propriétaires de plantations. Tous les quartiers sont arborés et fleuris. Les rues sont propres. Rien ne dépasse.
Nous posons un pied à terre devant la maison de Simon, première bâtisse de la rue des Orangers. Plusieurs navettes sont garées devant. Ses parents ont effectivement convié toute la famille. À peine nous sommes-nous arrêtés que sa mère ouvre la porte d’entrée.
— Simon ! Te voilà enfin, ça fait déjà une heure que tout le monde est arrivé !
Ses yeux sont rouges et elle tient un mouchoir en papier à la main. La soirée ne va pas être facile ! Aurore et moi embrassons Simon, chacune sur une joue, puis je le prends dans mes bras un petit moment en murmurant :
— À demain, Simon, salue tes parents pour moi, et dis-leur que j’espère les revoir bientôt. Dis à ta mère que ses biscuits vont terriblement me manquer !
Quand je recule, j’ai les larmes aux yeux et Simon aussi. Lorsque Aurore s’approche de lui à son tour, les siens brillent aussi plus qu’à l’accoutumée. Nous nous étions promis de ne pas pleurer et d’être forts… Nous n’allons donc pas commencer maintenant !
Je prends une profonde respiration et remonte sur mon vélo. Aurore fait de même et Simon se retourne vers nous une dernière fois.
— À demain, mes moitiés, à demain pour notre grand jour !
Aurore et moi continuons en silence jusqu’aux numéros 43 et 44 de la rue des Orangers. Je jette mon vélo sur la pelouse devant chez moi et me précipite dans les bras de mon amie. 
— À demain, Aurore ! Promets-moi d’être forte ce soir ! Promets-moi de ne pas craquer !
— C’est promis, Eléa. De toute façon, je ne peux pas craquer devant eux.
J’entends sa voix qui se casse sur ses dernières paroles. Puis elle reprend :
— Je suis leur fille unique ! Ça va être horrible !
— Je sais ma belle, dis-je en lui caressant les cheveux, je sais, mais tout va bien se passer, tu vas voir ! Tu es belle et tu es intelligente, tout ne peut que bien se passer !
Elle respire un grand coup, recule et me serre les mains.
— Et toi, ça va aller ?
Je fais un geste évasif pour balayer ses inquiétudes.
— Pff ! Tu sais, je suis persuadée que les conversations de la soirée vont tourner autour de la vie d’Anaïs. Anaïs la nouvelle Grande, Anaïs la première Grande de la famille, Anaïs envoyée dans la Nouvelle Tokyo pour y travailler sur les nanotechnologies ! Je ne vais même pas avoir le temps de penser à tout ça !
— Eléa, regarde-moi !
Je lève la tête vers mon amie et mon regard accroche le sien.
— Tu n’es pas plus bête que ta sœur ! Il n’y a aucune raison que ton avenir soit différent ! Bientôt, tes parents auront deux fois plus de motifs d’être fiers !
Je la serre une dernière fois dans mes bras puis je recule d’un pas décidé.
— Merci, Aurore, merci d’être mon amie, merci d’être ma moitié ! À demain pour notre grand jour !
Elle m’embrasse sur la joue et quand elle se redresse elle lance :
— À demain pour La Rafle !
Demain le 21 juin.
Journée mondiale de La Rafle.