Œuvres de Ponson du Terrail - 8
collection dirigée par Alfu
Ponson du Terrail
Les Héros de la vie privée
1868
AARP — Centre Rocambole
Encrage édition
© 2011
ISBN 978-2-36058-925-8
Salbris est un joli village qui a des airs de petite ville.
On y trouve jusqu’à trois rues bien alignées, et des maisons blanches et coquettes.
Tout à l’entour s’étend une plaine sablonneuse ; mais au-delà commence la sapinière, cette forêt moderne qui a remplacé les marécages couverts d’ajoncs, et d’où la fièvre s’exhalait aux rayons du soleil.
Un quart d’heure après son départ de la station, le char à bancs courait sur une route tracée à travers les sapins et impénétrable aux rayons du soleil.
M. Léon de Courtenay, tout en prenant une mine consternée pour être fidèle à sa promesse de se montrer convenable, accablait Germain Maubert de mille questions.
Le pays était-il giboyeux ? Y rencontrait-on du cerf ou du chevreuil ? La perdrix rouge était-elle abondante ? Valait-il mieux employer l’épagneul ou le braque comme chien d’arrêt ?
Maubert répondait avec distraction.
Evidemment la douleur du vieux garde était profonde et sincère.
Notre héros, le baron Paul Morgan, ne soufflait mot.
Il avait pris les rênes des mains de Maubert, et il conduisait.
Chose bizarre ! à mesure qu’on avançait et que la distance qui le séparait du château s’amoindrissait, le baron se souvenait des paroles de son ami Léon de Courtenay qui lui avait dit : « Ton bon oncle, que tu pleures si consciencieusement, te savait ruiné, mais il n’a point songé à t’envoyer cent mille écus. »
Et Paul Morgan se répétait ces paroles et cherchait vainement le secret de la conduite de son oncle.
Or, en interrogeant ses souvenirs, le baron se rappelait que son oncle n’avait jamais été avare ; qu’autrefois même, il lui avait toujours ouvert sa bourse en lui disant : « Prends tout ce que tu voudras. »
Il se rappelait encore que sept ou huit mois auparavant il avait écrit à son oncle pour lui demander une vingtaine de mille francs dont il avait un pressant besoin.
Son oncle lui avait répondu qu’il avait la goutte et ne pouvait aller à Orléans où il avait des fonds à recouvrer, et il n’avait pas envoyé les vingt mille francs.
Et plus le char à bancs approchait du château, plus le baron se sentait assailli par ces souvenirs, et se disait que peut-être, après tout, son bon oncle ne méritait pas tant de regrets.
Enfin l’allée forestière qu’ils suivaient fit un coude et le château de Crisenon se montra à deux portées de fusil.
La Sologne, quoique plate, quoique fabuleusement pauvre et dépeuplée jadis, est une terre historique. Elle a eu Chambord pour capitale, et François Ier se plaisait à y courir le cerf tout l’automne.
Aussi les vieux manoirs en briques rouges, assis au bord d’un étang putride, n’y sont-ils pas rares.
Crisenon était une construction de la renaissance. Confisqué, après la Saint-Barthélemy, sur une famille protestante, il avait été donné par le roi Charles IX à un courtisan du nom de Saulieu.
Ce Saulieu avait fait souche de gentilshommes.
Lorsque 1789 arriva, le marquis Louis de Saulieu était un haut et puissant seigneur dont les terres s’étendaient depuis Romorantin jusqu’à la Loire.
La nation prit les terres et le château. Deux ans après, un étranger, un méridional, le citoyen Morgan, qui avait entrepris les fournitures de l’armée du Rhin, passa par là, trouva le château de son goût et l’acheta pour quelques milliers de livres en assignats. Vingt ans plus tard, le citoyen Morgan était devenu le baron de Morgan et menait grand train dans ce château dont le dernier maître était mort sans postérité sur l’échafaud révolutionnaire.
Comme le baron était fort riche, il restaura le château, le meubla avec goût, défricha les terres qui l’environnaient, dessécha les étangs du voisinage et mourut entouré de la vénération et de l’estime publique, laissant deux fils.
Le premier, le père de Paul, alla vivre à Paris.
Le second ne quitta pas Crisenon, et tandis que son neveu dissipait sa fortune, il accrut considérablement la sienne.
Or donc, le char à bancs roulait maintenant en vue du château, et bientôt il passa sur le pont-levis restauré par le premier des Morgan. Au bruit, un homme accourut, descendant quatre à quatre les marches du perron.
Cet homme qui était vêtu de noir comme un monsieur, Paul le reconnut sur-le-champ.
C’était le Dr Rousselle, la célébrité médicale de Saint-Florentin.
— M. le baron, dit le docteur d’une voix émue, je ne crois pas beaucoup aux miracles et, comme médecin, je suis toujours tenté d’expliquer les phénomènes selon la raison. Mais je vous avoue, aujourd’hui, que je ne comprends rien à ce qui arrive.
Il prit Paul Morgan par le bras et continua, en le faisant entrer sous le vestibule :
— Votre oncle devrait être mort depuis hier soir, cependant il vit encore. Pourquoi ? comment ? C’est pour moi, l’homme de science, un problème.
« — Docteur, m’a-t-il dit ce matin, combien d’heures me reste-t-il à vivre ?
« Je ne répondais pas, car je m’attendais depuis la veille à lui voir rendre le dernier soupir d’une minute à l’autre.
« Mais il me dit avec un sourire :
« — Je vivrai jusqu’à ce que mon neveu soit ici.
« Et, en effet, M. le baron, il vit encore et toute sa vie paraît s’être réfugiée dans son regard.
« Il ne veut pas mourir avant de vous avoir vu.
M. Léon de Courtenay, qui avait suivi Paul Morgan, entendit ces paroles et dit au docteur :
— Monsieur, je suis le meilleur ami de Paul, et c’est à ce titre que je l’ai accompagné dans ce pénible voyage ; mais pensez-vous qu’il soit convenable que j’entre dans la chambre du mourant ?
— Je crois, monsieur, répondit le docteur, que M. Paul doit pénétrer seul auprès de son oncle.
M. de Courtenay fit un signe d’assentiment, et, voyant la porte de la salle à manger ouverte, il y entra.
Alors Paul suivit le docteur.
Celui-ci le conduisit au premier étage, et Paul, les larmes aux yeux, se précipita vers le lit du moribond.
Le vieillard était couché dans une grande chambre tendue de tapisserie de haute lisse et garnie de vieux meubles en noyer et en chêne.
Il s’était fait adosser à une pile d’oreillers, sans doute pour respirer plus librement ; et Paul Morgan fut frappé de la sérénité majestueuse qui planait sur ce visage déjà voilé des ombres de la mort.
Le regard, en effet, avait conservé toute son énergie ; et ce regard, après avoir remercié Paul Morgan, s’arrêta sur le docteur.
Cela voulait dire :
— Laissez-moi seul avec mon neveu.
Et le docteur sortit, fermant la porte derrière lui.
Alors le vieillard fit un effort suprême et étendit la main vers son neveu :
— Paul, dit-il, j’ai supplié Dieu de me laisser vivre jusqu’à ton arrivée, et Dieu m’a exaucé.
— Mon oncle…
— J’ai un secret terrible à te confier, mon enfant, dit encore le vieillard d’une voix faible, mais qui contenait une volonté énergique et tenace.
Et le baron Paul Morgan regarda le mourant et se demanda si les paroles qu’il entendait n’étaient point le résultat du délire qui s’empare de ceux qui vont quitter ce monde…
Le vieillard était calme.
Cette auréole de majesté que Dieu met au front des mourants éclatait autour de son visage transfiguré.
Il fallut bien que le baron Paul Morgan comprît que son oncle ne délirait pas, et qu’il s’était cramponné à la vie assez pour avoir le temps de lui faire quelque solennelle confidence.
— Parlez, mon oncle, dit-il en lui prenant la main, je vous écoute religieusement.
— Mon enfant, dit le mourant, tu as gaspillé ta fortune, et, je le sais, depuis près de deux années tu luttes contre la mauvaise fortune, tu vois ta ruine se consommer peu à peu ; je le savais, et je ne suis point venu à ton aide.
« Peut-être, mon enfant, m’as-tu accusé d’égoïsme, peut-être as-tu méconnu mon cœur.
« Il n’en est rien, cependant, et je ne t’ai jamais plus tendrement aimé.
« Mais il est des devoirs auxquels l’honnête homme sait sacrifier son cœur, et je n’ai pas voulu mourir avant d’avoir accompli ce devoir en ce qui me touche, et t’avoir légué la part qui te revient à toi-même de ce devoir dont je parle.
« A l’heure où je parle, tu es pauvre, continua le mourant d’une voix faible, mais parfaitement distincte. Dans une heure je serai mort, laissant près de trois millions de fortune, et tu seras pauvre encore, et cependant tu es mon unique héritier.
Le baron regardait son oncle avec une sorte d’effarement.
— Mon enfant, poursuivit celui-ci, dans le premier tiroir de ce secrétaire tu trouveras une lettre à ton adresse. Ce n’est pas mon testament, je n’avais nul besoin d’en faire, puisque tu es le seul rejeton de ma famille et que la loi te fait mon héritier.
« Mais cette lettre te prescrit ton devoir, et je compte sur ta loyauté.
« Tu dois te souvenir de ton enfance, mon ami, tu dois voir encore, à travers les souvenirs de ta première jeunesse, ce grand vieillard taciturne et songeur qui était mon père et ton aïeul.
« Il est mort dans ce lit où je suis, baigné de nos larmes, entouré de vénération et de respect.
« Eh bien, mon ami, cet homme qui est mort riche et considéré avait commencé sa vie par un crime ; il avait dépouillé une famille de sa fortune, et cet or dont nous avons joui si longtemps sans remords, il l’avait volé…
Paul Morgan jeta un cri.
— Le temps presse, mon ami, continua le moribond. La mort est là ; je n’ai point le temps de te raconter cette lugubre histoire, mais je l’ai écrite pour toi et tu la trouveras tout au long dans cette lettre avec les indications nécessaires pour restituer à qui de droit ce qui ne nous a jamais appartenu.
La voix du vieillard s’affaiblissait par degrés.
Paul Morgan avait pris sa main et la couvrait de ses larmes.
— Il y a deux ans, dit encore le moribond, en brûlant de vieux papiers, j’ai trouvé une lettre qui fut pour moi toute une révélation… Une lettre qui me foudroya, car elle m’apprenait la source impure de notre fortune et la faute de celui dont je vénérais la mémoire. Cette lettre, tu la trouveras annexée à celle que je t’écris. Adieu, mon enfant… adieu. Sois honnête… tu es jeune, intelligent… tu seras courageux, n’est-ce pas ?
— Oui, mon oncle, murmura Paul d’une voix entrecoupée par les sanglots.
Alors, comme s’il n’eût attendu que cette promesse pour quitter ce monde, le vieillard se souleva brusquement, poussa un grand cri et rendit l’âme…
Deux minutes après, le médecin rentra ; le vieillard était inanimé sur son lit, et Paul Morgan, étendu à terre, paraissait en proie à une sorte d’hébétement.
Il pleurait et riait tout à la fois, et il avait le délire.
M. de Courtenay, prévenu, arriva en toute hâte.
Il prit son ami dans ses bras, il lui parla, l’appela par son nom.
Paul ne le reconnut pas.
— Parole d’honneur, pensa le viveur, je ne croyais pas si bien dire hier en affirmant qu’il était imprudent de le laisser partir seul.
« Ce garçon est fou.
— Rassurez-vous, lui dit le docteur, cette folie n’est que momentanée ; mais il va falloir l’emporter hors d’ici ; il faut l’éloigner du cadavre de son oncle et prendre les plus grands ménagements.
Quarante-huit heures après, le délire durait encore chez Paul Morgan.
Les funérailles de son oncle avaient eu lieu ; M. Léon de Courtenay avait conduit le deuil, et il s’était montré fort convenable, selon sa promesse.
Deux autres jours s’écoulèrent.
On avait d’abord redouté une fièvre chaude chez le malade ; mais sa jeunesse et sa robuste constitution triomphèrent.
Enfin, le soir du cinquième jour, la raison lui revint.
Léon de Courtenay était assis à son chevet et le regardait avec la sollicitude d’un ami dévoué.
Paul lui tendit la main et lui dit :
— J’ai été fou, n’est-ce pas ?
— Non, répondit M. de Courtenay, mais tu as éprouvé une si violente émotion, qu’elle a amené chez toi le délire.
— Maintenant, dit le baron avec tristesse, je me souviens de tout. Mon oncle est mort…
— Hélas ! mon ami.
— Depuis combien de temps ?
— Depuis cinq jours.
— Alors il est enterré ?…
— Oui, mon ami ; le docteur et moi nous l’avons conduit à sa dernière demeure.
Une larme roula sur la joue du baron.
— Mon Dieu ! mon cher bon, dit M. Léon de Courtenay, il faut pourtant te faire une raison.
— Ah ! mon ami…
— Songe à ta fiancée, à cette rayonnante et belle Pauline de Valserres.
Il y eut dans les yeux noyés de pleurs du baron comme un rayon de joie.
Mais ce rayon s’éteignit bientôt.
— Mon ami, dit-il, veux-tu me rendre un service ?
— Parle.
— Va-t’en dans la chambre où est mort mon oncle.
— Bien.
— Ouvre son secrétaire, la clef doit être après. Tu trouveras, dans le premier tiroir, une lettre à mon adresse.
— Un testament sans doute ?
— Non, dit le baron, une lettre qui me trace mon devoir.
— Que veux-tu dire ?
— Mon ami, je suis plus pauvre que, jamais.
— Ah ! mon Dieu, s’écria M. de Courtenay, voici le délire qui le reprend ! Docteur… docteur !…
Heureusement le Dr Rousselle n’était pas dans la pièce voisine.
— Tais-toi, dit vivement Paul Morgan, je n’ai pas le délire mon ami, tu vas bien le voir.
— Alors tu as cent cinquante mille livres de rente ?
— Non, pas une obole.
— Ton oncle t’a donc déshérité ?
— Non.
— Docteur, à moi ! cria de nouveau M. de Courtenay.
Mais Paul Morgan lui prit vivement la main.
— Tais-toi donc, dit-il, et écoute-moi !…
Au bout de cinq jours de délire et de prostration, le baron Paul Morgan croyait encore entendre la voix de son oncle lui parlant de probité et d’honneur et l’engageant à restituer une fortune dont l’origine était souillée.
Il se rappela donc avec une netteté parfaite les paroles du défunt et il dit à son ami M. Léon de Courtenay dont la stupeur allait croissant :
— Ecoute-moi, tu vas voir que je n’ai pas le délire.
Et il lui répéta mot pour mot tout ce que le vieillard lui avait dit avant de mourir.
M. de Courtenay l’écouta jusqu’au bout sans l’interrompre
Mais un sourire glissait sur ses lèvres.
— Mon ami, dit-il enfin, tout cela est absurde.
— Absurde ! exclama le baron.
— Sans doute.
— Ce n’est plus moi qui suis fou, c’est toi, dit encore Paul Morgan.
— Oh ! tu crois ?
— Je te dis que la fortune que mon oncle me laisse est une fortune volée.
— Soit.
— Et tu me trouves absurde de vouloir la restituer ?
— Parfaitement.
— Mais tu es un homme d’honneur, pourtant, et je ne comprends pas…
— Je suis un homme d’honneur et un homme de bon sens, dit M. de Courtenay avec calme.
— Oh !
— Et si tu veux bien mettre à m’écouter la patience dont je viens de te donner l’exemple, je te le prouverai aussi clairement que deux et deux font quatre.
Paul Morgan regardait son interlocuteur avec une sorte d’effarement.
— Parle, dit-il enfin.
— Voyons, mon ami, reprit M. de Courtenay, le meilleur moyen de voir clair, c’est de récapituler les événements et de procéder par ordre.
« Je n’ai pas lu la lettre de ton oncle que nous n’avons pas ouverte encore, mais je puis te réciter ce qu’elle contient.
— Ah ! fit le baron de plus en plus stupéfait.
— Sans doute. Suis bien mon raisonnement. Ton père était un honnête homme, ton oncle un honnête homme, toi aussi ; mais ton grand-père était un gredin. Passons. Le gredin en question a volé une fortune, je te l’accorde. Comment ? Cela m’est tout à fait indifférent. Lui a-t-on confié de l’argent qu’il n’a pas rendu ? Peut-être. A-t-il assassiné quelque pauvre diable qui avait sur lui un portefeuille gonflé de billets de caisse ? Rien ne s’y oppose.
« Cependant, avant cette précieuse confidence que ton brave homme d’oncle t’a faite avant sa mort, il était de notoriété publique que ton grand-père avait gagné un ou deux millions dans les fournitures des armées.
— Je te l’accorde, dit le baron qui ne savait réellement pas où son ami en voulait venir. M. de Courtenay continua :
— A la gredinerie près, l’histoire de ton grand-père est celle d’un juif devenu un banquier célèbre. La Révolution éclate ; un émigré qui fuit la guillotine lui confie cent mille francs. Suis-tu mon raisonnement ?
— Parfaitement.
— Le juif fait ses affaires ; il est laborieux, intelligent, il est honnête. Avec les cent mille francs de l’émigré, il gagne un million, puis deux, puis trois. L’émigré revient et réclame son argent :
« — Voilà quinze cent mille francs, dit le juif.
« — Non, répond l’émigré, je vous ai prêté cent mille francs seulement ; rendez-les-moi, nous sommes quittes.
« Et l’émigré avait raison.
— Mais que prouve cette histoire ? demanda le baron Paul Morgan.
— Ceci : ton grand-père était un gredin, soit ; il a volé cent mille francs, très bien ; mais il a gagné trois millions. Donne cent mille francs aux pauvres, double et triplé cette somme si bon te semble, mais ne va pas plus loin.
Le baron secoua la tête.
— Ton raisonnement, dit-il, est spécieux, et il satisferait même certaines consciences indépendantes, mais la mienne le repousse.
— Tu es fou !
— Soit ; mais mon oncle m’a ordonné, en mourant, de restituer ; je ne garderai pas un sou de cette fortune.
— Alors, mon cher, dit M. de Courtenay, il faut être logique jusqu’au bout.
— Plaît-il ?
— La fortune que tu as mangée avait la même source.
— Hélas ! oui.
— Et tu as un créancier inconnu auquel, si tu es un honnête homme, tu rendras ce qui te reste, c’est-à-dire tes six mille livres de rente.
— Je le ferai, dit simplement le baron.
— En outre, tu devras, pour être logique, travailler toute ta vie pour reconstituer cet héritage évanoui et le restituer pareillement tôt ou tard.
— Mon beau-père futur m’associera à ses affaires, répliqua Paul Morgan.
— Si tu n’étais idiot, tu serais sublime, dit alors M. de Courtenay avec un accent d’ironie. Voyons maintenant à qui tu dois cette restitution.
— Je l’ignore.
— Mais la lettre de ton bon oncle te l’indiquera.
— Oui.
— Eh bien, je vais la chercher, nous verrons bien.
M. de Courtenay fit deux pas vers la porte ; mais au moment d’en franchir le seuil, il se retourna :
— Encore une question, cher ami, dit-il.
— Voyons.
— Nous avons supposé que ton grand-père avait simplement volé une somme plus ou moins importante qui était l’origine de sa fortune.
— Oui.
— Mais rien ne nous empêche de penser qu’il a, pour se procurer cet argent, assassiné un monsieur.
— Eh bien ? fit le baron en baissant la tête.
— Supposons alors que le monsieur n’ait pas eu d’enfant et qu’il n’ait laissé aucun héritier.
— Après ?
— C’est donc à l’Etat, qui est au besoin l’héritier de tout le monde, que tu restitueras.
— Oui.
— Ma foi, mon ami, dit M. de Courtenay, Bayard n’était qu’un homme de tiède vertu auprès de toi, et je t’admire.
Sur ces mots, M. de Courtenay partit d’un éclat de rire et se dirigea vers la chambre du défunt.
Les indications données par le vieillard à son neveu étaient exactes.
M. de Courtenay trouva tout de suite la fameuse lettre. Elle était volumineuse et enfermée dans une large enveloppe grise qui portait cette suscription :
« A mon neveu, Paul Morgan, avec prière d’ouvrir cette lettre quinze jours après ma mort. »
— Donc, dit M. de Courtenay en souriant, mon ami Paul est plus riche qu’il ne croit. Il a quinze jours devant lui, et quand on a quinze jours de réflexion, on ne renonce pas à cent cinquante mille livres de rente, surtout quand je suis là, moi !…
Quarante-huit heures après, à quatre heures du matin, l’express de Limoges à Paris entrait en gare avec M. le baron Paul Morgan et son ami Léon de Courtenay.
Le coupé de ce dernier les attendait.
— Mon bon ami, dit le viveur, jusqu’à présent j’ai un peu prêché dans le désert et je ne t’ai pas convaincu ; mais j’espère que les huit jours qui nous restent te donneront le temps de réfléchir encore.
Le baron ne répondit pas.
— Sais-tu, poursuivit M. de Courtenay, que j’ai fait une singulière réflexion ?
— Laquelle ?
— Ton oncle s’est défié de toi et de lui.
— Comment cela ?
— Il aurait fort bien pu écrire sur cette fameuse lettre : « A ouvrir aussitôt après ma mort. » Il ne l’a pas fait, il a voulu que tu eusses le temps de la réflexion. Il a pensé que la probité était peut-être par trop chevaleresque, et peut-être a-t-il pensé comme moi, qu’en restituant simplement la somme volée, tu aurais largement accompli ton devoir.
— Ce n’est pas mon opinion, dit froidement le baron qui, depuis deux, jours, résistait aux paroles tentatrices de son ami.
— Voyons, cher, poursuivit M. de Courtenay, réfléchis à une chose encore.
— Laquelle ?
— Nous vivons dans le siècle le plus positif, et, comme je te l’ai dit, l’amour sans argent est à peu près impraticable.
— Pauline est riche.
— Oui, mais son père qui est un brave homme de bourgeois ne s’est pas mis à pleurer, j’en suis sûr, en apprenant que tu partais pour enterrer ton oncle et recueillir trois millions.
— M. de Valserres est un honnête homme, dit le baron, et il pensera comme moi.
— Ou comme moi, dit Léon de Courtenay. Et puis, mon cher baron, songe que tu as huit jours devant toi ; par conséquent, ne pensons plus à cette lettre jusqu’au moment où tu devras l’ouvrir.
— Soit, dit le baron.
— En outre, veux-tu un bon conseil ?
— Parle.
— Attends huit jours pour dire un mot de tout cela, soit à ta fiancée, soit à son père.
— Pourquoi ?
— Mais parce que, mon ami, il est toujours temps d’apprendre aux gens qui nous croient riche qu’on est pauvre.
Et comme M. Léon de Courtenay disait cela, son coupé qui était traîné par un trotteur très vite s’arrêta à la porte de la maison que le baron Morgan habitait rue du Helder.
— J’ai ta parole, n’est-ce pas ? dit-il en tendant la main.
— De ne rien dire à Pauline et à son père ?
— Oui. Me la donnes-tu ?
— Soit, répondit le baron.
Et il mit pied à terre et sonna, prenant à la main sa petite valise de voyage.
— Au revoir, dit M. de Courtenay ; je viendrai te demander à déjeuner demain.
Et le coupé repartit.
Le baron monta chez lui.
Le vieil Antoine, qui attendait son maître depuis plusieurs jours, ne dormait que d’un œil, et il accourut à sa rencontre.
Paul Morgan était triste ; mais sa douleur n’était plus bruyante comme au premier jour.
— Mon ami, dit-il à Antoine, je voudrais causer sérieusement avec toi.
Le vieillard, un peu étonné, suivit son jeune maître dans sa chambre à coucher, disant :
— Est-ce que M. le baron ne va pas se mettre au lit ?
— Non, j’ai dormi en chemin de fer et je n’ai plus sommeil.
Antoine demeurait debout devant son maître et n’osait lui parler de son oncle défunt.
— Antoine, reprit le baron, depuis combien d’années es-tu au service de ma famille ?
— Ma foi, monsieur, répondit le vieillard, j’ai soixante-dix ans bientôt et j’en avais quinze à peine lorsque votre grand-père me prit comme groom. Ça ne s’appelait pas comme ça, il est vrai, mais le métier était le même : je montais derrière le cabriolet, j’accompagnais M. le baron quand il sortait à cheval.
— Et mon grand père était riche alors ?
— Oui, monsieur.
— Très riche ?
— Oh ! non pas comme il l’est devenu depuis.
— Vraiment !
— C’est surtout en 1814 que M. le baron a doublé sa fortune en échangeant des terrains considérables qu’il avait aux Champs-Elysées contre des maisons toutes bâties sur le boulevard de Gand.
— Mais enfin, quel chiffre de fortune pouvait-il avoir auparavant ?
— Mon Dieu, M. le baron, dit Antoine, aujourd’hui on parle de cent mille francs de rente comme d’une aisance honnête ; mais alors un homme qu’on qualifiait de millionnaire ne l’était pas toujours. Je suis bien sûr que M. le baron votre grand-père n’avait pas plus de sept ou huit cent mille francs quand 1814 arriva.
— C’est bien, Antoine, dit le baron ; je te remercie. Va te coucher, mon ami. As-tu des lettres pour moi ?
— Une seule, arrivée hier par la poste.
Antoine sortit et revint une minute après, un plateau à la main.
Le baron tressaillit en prenant la lettre qui se trouvait dessus. Il avait reconnu une mignonne écriture un peu allongée et qui trahissait une main de femme.
Antoine se retira discrètement, et le baron ouvrit la lettre avec empressement.
Quelle autre femme que Pauline de Valserres aurait pu lui écrire ?
C’était elle, en effet ; mais, dès les premières lignes, l’émotion joyeuse du baron fit place à un froncement de sourcils et à une légère pâleur.
Pauline écrivait :
« Mon ami,
M. Léon de Courtenay s’est chargé de nous apprendre la mort de votre excellent oncle et je partage toute votre douleur.
Mais j’espère que vous allez revenir à Paris, et je vous écris en hâte, en quelques mots, d’une main fiévreuse et tremblante, car votre Pauline est tourmentée depuis trois jours et livrée aux plus affreuses inquiétudes.
Mon père est parti précipitamment pour Londres lundi soir.
Nous étions à table, dans le jardin, causant de vous et de notre bonheur futur. Mon père paraissait être le plus heureux des hommes. Tout à coup on sonne ; un domestique court à la grille et revient avec un homme que je reconnais pour l’employé du télégraphe.
Vous pensez bien qu’aujourd’hui que le télégramme est passé dans nos mœurs, la vue d’une dépêche ne saurait produire une grande émotion.
Eh bien, cependant, j’ai eu froid au cœur, et un pressentiment s’est emparé de moi.
La dépêche venait de Londres. Mon père a pâli en la lisant.
— Mon enfant, m’a-t-il dit, il faut que je parte ce soir ; il y va de sommes considérables. J’apprends que mes correspondants de Liverpool et de Dublin viennent de suspendre leurs payements.
J’ai vu mon père livrer souvent ce qu’il appelle des batailles financières et jouer ces parties hasardeuses avec un calme inouï.
Cette fois, il a paru comme terrassé. Voici trois jours qu’il est parti et je suis sans nouvelles.
Paul, mon ami, mon mari bientôt, aussitôt que vous serez arrivé, venez, je suis à demi folle de terreur et je me meurs d’inquiétude.
Votre Pauline désolée. »
Cette lettre échappa aux mains du baron, et une fois encore la figure grimaçante de Simon le mendiant traversa son cerveau épouvanté.
La lettre de Pauline de Valserres n’exagérait rien.
M. de Valserres était, en effet, parti pour Londres, en proie à une vive agitation. Ainsi qu’il l’avait dit à son gendre futur, le banquier jouait le jeu des millions avec une grande hardiesse.
Les tranquilles opérations de la banque classique n’allaient point à sa nature fougueuse, et la guerre d’Amérique lui avait fourni l’occasion d’entreprendre, de concert avec deux grandes maisons de banque anglaises, de vastes opérations qui, si elles réussissaient, devaient quintupler sa fortune. Ces deux maisons, dont l’une était à Liverpool, l’autre à Dublin, avaient à Paris, auprès de M. de Valserres, un représentant unique, de même que le banquier en avait un auprès d’elles. Or, le matin même de ce jour, le banquier avait reçu un télégramme qui lui annonçait qu’une traite considérable lui serait présentée par le représentant de ses correspondants anglais.
A midi, le fondé de pouvoirs avait demandé et reçu neuf cent mille francs.
A six heures du soir le banquier apprenait la faillite de ses associés.
Il était donc parti avec l’espérance de rejoindre le misérable qui avait ainsi dégarni sa caisse.
L’avait-il retrouvé ?
C’était peu probable. Depuis quatre jours qu’il était parti, M. de Valserres n’avait pas écrit un seul mot à sa fille.
Comme on le pense bien, le baron Paul Morgan, en recevant la lettre de sa fiancée, n’avait pas perdu une minute, et bien qu’il fût à peine six heures du matin, il envoya chercher une voiture et dit au cocher :
— Mène-moi à Auteuil ; cent sous de pourboire, si tu marches bien.
Le cocher crut avoir affaire à un prince indien et il le mena un train d’enfer.
Il y avait longtemps que Pauline, après une nuit sans sommeil, avait ouvert sa fenêtre, quand il arriva.
— Mon ami, lui dit-elle, il est arrivé malheur à mon père, cela est certain ; peut-être est-il malade… peut-être…
Elle s’arrêta frissonnante, n’osant achever.
— Voulez-vous que je parte pour Londres ? dit vivement le baron.
— Vous feriez cela ? s’écria la jeune fille.
— Enfant, répondit-il, votre père n’est-il pas le mien à présent ?
Cependant le baron ne partit pas tout de suite. Il passa la matinée tout entière auprès de Pauline.
Ils attendaient le courrier de Londres qui arrive ordinairement à midi ; et Pauline qui, parfois, se reprenait à respirer, disait :
— Mon père arrivera peut-être aujourd’hui. Il n’aura pas eu le temps de m’écrire.
— Point de nouvelles, bonnes nouvelles, disait Paul qui ne pensait pas, hélas ! un mot de ce proverbe et que de sombres pressentiments continuaient à assaillir.
Midi arriva ; le facteur n’apporta aucune lettre ; on ne vit point venir l’homme du télégraphe ; et Pauline se sentit reprise par le désespoir.
Elle était si triste et si touchante en sa douleur, qu’auprès d’elle le baron avait tout oublié, même le serment qu’il avait fait à son oncle mourant.
— Mon ami, disait Mlle de Valserres, partez, je vous en supplie… ramenez-moi mon père.
Le caissier de M. de Valserres, qui avait la signature de la maison, était venu tous les jours deux fois, et pas plus que Pauline, il n’avait reçu la moindre nouvelle du banquier.
Le baron quitta la jeune fille en lui disant :
— Je prendrai l’express de sept heures ; demain matin je serai à Londres et je vous enverrai sur-le-champ une dépêche.
Pauline se jeta à son cou :
— Ah ! dit-elle avec un élan d’enthousiasme et d’affection, vous êtes bien l’homme que j’avais rêvé.
Le baron partit.
Il ne s’agissait plus pour lui d’aller à pied par les petits sentiers qui grimpent de la rue de la Source à la rue de l’Assomption, de cheminer lentement en caressant son rêve d’amour. Il s’agissait de regagner Paris au plus vite, de faire à la hâte quelques préparatifs et de partir sur-le-champ.
Ni le baron, ni Pauline n’avaient songé à faire atteler, ce qui eût été fort simple, car il y avait cinq chevaux dans les écuries de la villa.
Paul, en franchissant la grille, songea à descendre à la rue de la Fontaine où on trouve des voitures de place.
Pour cela, au lieu de suivre son chemin habituel, il fallait qu’il se dirigeât tout d’abord vers la rue de la Croix.
Il prit donc machinalement ce chemin, ne se souvenant plus ou plutôt ne songeant pas qu’il allait passer devant cette maisonnette à l’intérieur de laquelle, un soir, il avait aperçu Simon pleurant agenouillé au pied du lit de sa fille.
Ce ne fut que lorsqu’il fut à dix pas de distance qu’il reconnut le pauvre logis et s’arrêta brusquement.
La maisonnette, à demi cachée par la haie sur laquelle retombaient des grappes de lilas blanc et de chèvrefeuille, était silencieuse.
Le baron fut tenté tout d’abord de rebrousser chemin, et il serra convulsivement dans ses doigts une corne en corail qui pendait aux breloques de sa montre.
Oserait-il donc passer devant la maison du jettatore, dont il ne pouvait plus nier la funeste puissance, car depuis le jour où il l’avait vu pour la première fois, les malheurs semblaient s’entasser pour lui ?
Et cependant le baron ne prit pas la fuite.
Un autre sentiment que celui de la peur s’était tout à coup emparé de lui.
Un sentiment de curiosité triste et poignante ; et ce ne fut plus le visage sarcastique et douloureusement grimaçant de Simon le mendiant qui passa devant lui, mais bien cette figure pâle et touchante de la jeune fille à l’agonie.
Il lui sembla qu’il entendait encore cette voix si douce et si résignée qui disait :
— Ne pleure pas, père ; ne pleure pas !…
La maison était silencieuse, le jardinet aussi ; la fenêtre, ouverte l’autre jour, était fermée…
Le baron sentit son cœur se serrer.
Depuis huit jours qu’il avait passé là, Dieu n’avait-il pas fait un ange du ciel de la pauvre poitrinaire ?
Et Paul Morgan, au lieu de rebrousser chemin, s’avança, et, se dressant sur la pointe du pied, il regarda par-dessus la haie.
Alors tout son sang afflua à son cœur.
La jeune fille n’était pas morte.
Elle était dans le jardinet, assise sur un banc, exposée à un chaud rayon de soleil. Elle était toujours pâle, toujours souffrante ; mais il semblait qu’un peu de force lui fût revenu et que la jeunesse se cramponnait à la vie avec une vague espérance de triomphe.
M. Paul Morgan, caché derrière la haie, silencieux, immobile, retenant son haleine, se prit à contempler la pauvre enfant dont le mal semblait avoir respecté la beauté angélique.
Simon n’y était pas.
Si la fenêtre était formée, la porte était ouverte, et il était facile de voir qu’il n’y avait personne à l’intérieur. Que se passa-t-il alors dans l’esprit et le cœur du baron ?
Peut-être n’aurait-il pu le dire lui-même. Mais il chercha la porte du jardinet qui était perdue dans la haie, mit la main sur le loquet et entra.
A sa vue, la jeune fille eut un mouvement d’effroi et se leva vivement.
— Ne craignez rien, mademoiselle, dit le baron d’une voix émue ; ne craignez rien de moi… je suis un ami…
Et sa voix était empreinte d’une douceur caressante, et il y avait, répandu sur tout son visage, un tel rayonnement de bonté compatissante, que la poitrinaire se sentit rassurée et qu’elle regarda ce brave jeune homme, qu’elle voyait pour la première fois, comme on regarde un ami.
En entrant ainsi dans le jardinet, le baron Paul Morgan avait plutôt obéi à un instinct irréfléchi qu’à un raisonnement quelconque.
Il était entré, parce qu’il avait vu la jeune fille mourante, huit jours auparavant, levée et presque convalescente ; parce qu’une curiosité ardente l’avait mordu au cœur, curiosité sympathique et qui se nuançait d’un sentiment bizarre et presque impossible à expliquer.
Simon était un jettatore, Simon portait malheur ; le baron était payé pour le savoir.
Eh bien, il lui semblait qu’en allant au-devant de cette jettature il la dominerait, et que, en outre, si le père avait une influence fatale, la fille devait, au contraire, porter bonheur.
Si bon, si parfait que soit un homme, il aura toujours un grain d’égoïsme.
Donc, Paul Morgan était entré dans le jardinet, et la jeune fille avait levé sur lui ses grands yeux mélancoliques, un peu effarés, et dont les bords rougis trahissaient des larmes récentes et de longues heures d’insomnie,
Mais ce n’était pas le tout d’entrer, il fallait encore expliquer sa visite d’une façon plus ou moins plausible.
Heureusement il savait le nom du père.
— Mademoiselle, dit-il, c’est bien ici chez M. Simon ?
— Oui, monsieur, répondit-elle.
— Est-il chez lui ?
— Non, monsieur, mon père est sorti…
— Pensez-vous qu’il revienne bientôt ?
— Oh ! monsieur, fit-elle toujours mélancolique, mais achevant de se rassurer, mon père est allé à Paris… et il y a loin quand on va à pied…
— J’aurais pourtant voulu le voir, murmura le baron qui n’en pensait pas un mot et respira plus librement en apprenant que Simon était loin.
Elle le regarda avec une expression de naïf étonnement.
Jamais peut-être une créature quelconque n’avait manifesté le désir de voir son père.
Simon n’avait sans doute jamais affaire à personne.
Le baron ajouta :
— Je suis un de ses amis.
Mais la jeune fille secoua la tête.
— Mon père n’a pas d’amis, monsieur, dit-elle, nous sommes trop pauvres et trop malheureux pour cela.
Elle dit cela sans amertume, naturellement, avec une tristesse résignée, exempte de reproche.
— Pardonnez-moi, mademoiselle, dit le baron, votre père a… des amis… ou plutôt des gens qui s’intéressent à lui… et à vous…
Une légère rougeur empourpra les joues pâles de la jeune fille.
— Vous paraissez bon, monsieur, dit-elle, et je ne vois pas quel intérêt vous auriez à vous railler de moi.
— Oh ! mademoiselle, fit Paul avec chaleur, une telle pensée…
— Vrai, reprit-elle, il se pourrait que quelqu’un s’intéressât à mon père…
— Moi, mademoiselle, et à vous aussi…
— Oh ! moi, fit-elle toujours avec cet accent de douleur résignée, je n’aurai bientôt plus besoin ni de soins ni d’amitié.