BULLE

 

 

Claire Chave

Science Fiction

Art en Mots 

 

Illustration : © Tinkerbell Design 

 

 

PROLOGUE

Jour 1, Mois 24, Année 4086, Premier Rapport par Bulle-243.

La pluie d’astéroïdes d’hier n’a pas touché la Bulle, mais nous avons dû larguer cinquante-trois mini-bulles pour garder notre trajectoire initiale. Les niveaux de l’eau et de l’air sont de nouveau stables, nous avons pu réparer la fuite qu’a créé le dernier Choc. Ce qui est rassurant, vu le nombre de décès que cela avait provoqué. La nourriture est de nouveau abondante donc nous avons pu remplir les stocks pour la prochaine Glacière. La température est maintenue et le mécanisme de création des saisons est en réparation. L’Expédition est prévue pour le Jour 15 de ce mois et déjà sept pilotes ont signé. Nous n’avons toujours pas pu établir un contact, que ça soit radio ou aérien, avec aucune autre Bulle. Personne ne sait ce qu’il est advenu d’elles. Terminé. 

 

Je presse une touche de mon clavier et mon message s’enregistre automatiquement, s’envoyant vers l’ordinateur de notre Leader. Ma main pâle passe dans mes cheveux rouge flamboyant tandis que l’écran désormais éteint me renvoie une image de mes yeux bleus fatigués. Je me lève, étirant chacun de mes muscles. Chaque matin, c’est la même chose : je dois enregistrer un message et l’envoyer à notre leader, comme tous les pilotes choisis pour l’Expédition. J’ai été la première à signer pour ce voyage, désireuse de trouver une nouvelle maison pour mon petit frère de huit mois, Bulle-2541. Un soupir s’échappe de ma bouche tandis que je me lève pour rejoindre ma famille, dans la salle commune de notre maison. La voix robotique de B-1, l’intelligence artificielle qui gère la maison, me salue avant d’éteindre la lumière de la pièce. Je jette un dernier coup d’œil à ce qui me sert de bureau : une simple table en verre, une chaise en plastique et un ordinateur. Le tout éclairé par une ampoule au plafond, contrôlée par B-1.

– Dépêche-toi 243, tu vas encore être en retard, m’appelle poliment ma génitrice.

Ses cheveux blonds sont impeccablement coiffés en une queue-de-cheval haute, comme demandé par son travail. Elle s’occupe de la gestion des Stocks, qui nous permettent de nourrir la ville lors des périodes de Gel. C’est-à-dire à chaque fois que l’on s’éloigne du Soleil ou d’une Planète. Le dernier Gel date d’un millénaire, quand notre Bulle s’est rapprochée de Pluton. La moitié de la ville a été prisonnière sous la glace, tuant des milliers de personnes. Depuis, des tunnels furent creusés sous les maisons et lient toutes les maisons entre elles. Il n’est donc pas rare que d’autres habitants entrent dans notre maison lors de périodes sombres. Je souris à ma mère avant d’attraper ma veste de pilote. Une veste noire, créée dans un tissu spécial qui moule le corps de son propriétaire à la perfection. Je ferme la fermeture éclair et termine en enfilant mes bottes qui m’arrivent juste au-dessous des genoux. J’attache mes cheveux en une tresse presque parfaite et glisse mon casque dans un sac en bandoulière, dans lequel ma mère a précédemment mis un déjeuner et une bouteille d’eau minérale. Elle avait prévu mon retard, ce qui la fait sourire. Puis elle me pousse en dehors de la maison au moment où mon frère se met à pleurer.

J’avance donc à grandes enjambées vers la plateforme aérienne. Partout autour de moi, les habitants sortent de chez eux et partent travailler. Ici, pas de soucis de température ou de pluie, tout est créé artificiellement pour que l’on se sente « comme sur Terre ». C’est l’expression la plus courante, utilisée par le Gouvernement. Sauf que la Terre, personne ici ne s’en souvient, à l’exception du Senior. La dernière personne qui peut actuellement nous dire à quoi ressemble une forêt et ce que cela fait de sentir le vent frais sur nos visages. Dans notre ville, Naji, il n’y a pas de végétations. Seulement du verre, du métal et du plastique, qui composent notre ville. Je grimpe quatre à quatre les marches qui me séparent du plus beau des bâtiments : la base Aérienne. Avec son toit ouvert sur le ciel et ses murs en verre opaque, nous cachant du monde extérieur, c’est l’endroit que je préfère. À peine entrée, je suis accueillie par ma meilleure amie, la petite brune surexcitée de l’équipe et la cinquième pilote à m’accompagner dans l’Expédition.

– Bah alors 243, on traîne la patte ? On part dans quinze jours, pas dans un an, me reproche-t-elle, les yeux pétillants.

Je fais mine de la frapper avant de ranger mon sac dans mon casier, n’en sortant que mon casque que je glisse sur ma tête. Je sais que son reproche, dissimulé sous un ton enjoué et désinvolte, cache une certaine angoisse. Je fronce les sourcils, ce qu’elle ne peut voir vu que mon casque s’arrête juste sous les sourcils. Je n’ai pas mis la visière non plus, car je ne vais pas monter dans un vaisseau aujourd’hui.

– On y va 441 on tu veux me mettre vraiment en retard ? Tu sais à quelle vitesse s’énerve 629, je soupire.

441 explose de rire et me frappe l’arrière de crâne, protégé par mon casque. Je grimace et la suis vers la salle d’entraînement. Depuis plusieurs semaines, nous subissons des tests qui détermineront si nous sommes aptes ou non à partir. Je suis la chef des opérations avec 629, qui est mon Coéquipier depuis mes débuts. Il m’adore, mais supporte assez mal mes retours, qui selon lui, « entachent son professionnalisme ». Évidemment, il ne peut pas m’en vouloir plus de dix minutes, mais j’essaye du mieux que je peux d’être à l’heure. J’entre dans la salle avec 441 et remarque aussitôt tous les regards se tourner vers moi. Pour la discrétion, c’est raté. Je vois également que trois membres du Gouvernement sont présents et mon stress augmente. Je formule des excuses assez plates avant que 629 ne me prenne à l’écart. J’admire encore une fois le soin apporté à sa coiffure : ses cheveux tout aussi rouges que les miens sont totalement ébouriffés. Alors que je m’apprête à lui lancer une pique à ce sujet, il coupe court à toute discussion :

– Ce matin, les Observateurs ont remarqué que notre Bulle se détériorait plus vite que prévu. Le Conseil a avancé l’Expédition, m’explique-t-il, le souffle court.

Je lis la tension dans ses yeux. Je sais qu’il joue gros dans tout cela, il se doit de protéger ses trois petits frères et sœurs, comme le voulaient leurs parents, morts un an auparavant. Je pose ma main sur son bras musclé par des années d’entraînements.

– Quelle date nous ont-ils donnée ?

Il jette un coup d’œil derrière nous, vers le Conseil qui débatte avec notre Superviseur. Je ne peux pas les entendre d’ici, mais cela ne présage rien de bon.

– Nous partons demain 243, murmure mon Coéquipier.

 

CHAPITRE 1

Lancement