Né le 21 juin 1905 dans le 16e arrondissement de Paris, Jean-Paul Charles Aymard Sartre est aujourd’hui encore considéré comme l’un des plus grands intellectuels de son temps. Pourtant, certains le voient au contraire comme un imposteur. Véritable vedette de l’après-guerre, Sartre est tantôt adulé, tantôt conspué pour ses positions philosophiques et politiques.
Ainsi, il pourrait être comparé aux philosophes et écrivains d’aujourd’hui qui écument les plateaux télévisés et les émissions radio. Le parodique Jean-Sol Partre, inventé dans L’Écume des jours (1947) de Boris Vian (écrivain et artiste français, 1920-1959), témoigne de cette effervescence presque médiatique. Que ce soit pour ses écrits littéraires et philosophiques, ses positions politiques, ses relations mondaines dans le Saint-Germain-des-Prés des Trente Glorieuses (1946-1975), sa relation avec Simone de Beauvoir (femme de lettres française, 1908-1986), son amitié brisée avec Albert Camus (écrivain français, 1913-1960), ou son immense postérité, Sartre est rentré dans l’histoire intellectuelle de la France et de l’Europe, voire du monde.
Il ne faut pas sous-estimer l’influence des philosophes dans une époque où l’Europe devait se reconstruire économiquement et politiquement après l’horreur de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) ainsi qu’intellectuellement et philosophiquement après la découverte de la Shoah. En effet, la découverte de la solution finale a été un tel traumatisme qu’elle a signé la fin des philosophies humanistes ; il n’était plus possible d’avoir foi en l’humain.
De nombreux auteurs, de Sartre à la célèbre Hannah Arendt (philosophe américaine, 1906-1975), ont essayé de redéfinir l’homme et l’Humanité, ainsi que leur responsabilité. Ainsi, dans Rapport de la banalité du mal, qu’elle rédige lors du procès d’Adolf Eichmann (criminel de guerre nazi allemand, 1906-1962) à Jérusalem en 1961, Arendt interroge la responsabilité des hommes dans les actes perpétrés durant la Seconde Guerre mondiale. D’une façon similaire, Sartre interroge la responsabilité des hommes (par exemple d’un déserteur) à travers la notion de mauvaise foi.
Après la Seconde Guerre mondiale, les écrivains et les intellectuels français ont joué un rôle non négligeable dans la politique de leur pays et dans la lutte qui opposait les communistes au reste du monde. Aussi la période de succès de Sartre correspond-elle à une époque de grands changements : guerre froide (1947-1991), guerre d’Algérie (1954-1962), guerre d’Indochine (1956-1975).
Sa philosophie prétendait pouvoir servir de morale et de ligne de conduite à l’homme en tant qu’individu et, d’une certaine manière, à une Humanité en plein changement, frappée par de multiples désillusions (atrocités des nombreuses guerres, problèmes raciaux et coloniaux, révélation des ignominies du régime communiste, etc.). Jean-Paul Sartre, parce qu’il a été un acteur décisif dans cette époque troublée en recherche de compréhension, est un être complexe aux positions parfois contradictoires.
Cet être aux identités multiples (professeur de philosophie, écrivain, soldat météorologue, intellectuel, compagnon de route du parti communiste), fondateur de l’école existentialiste française, adoré ou détesté pour son irrévérence et ses engagements, est décédé le 15 avril 1980 dans le 14e arrondissement après un dernier coup d’éclat (voir le chapitre La vie de Jean-Paul Sartre).
Huis clos, initialement intitulé Les autres, a été rédigé durant les années de guerre et d’emprisonnement de Jean-Paul Sartre. Jouée le 27 mai 1944 au théâtre du Vieux-Colombier (Paris), la pièce a rencontré un franc succès et suscité de nombreuses polémiques et critiques.
Huis clos met en scène trois morts qui se retrouvent dans ce qu’ils décrivent comme l’enfer : ils sont condamnés à rester ensemble pour l’éternité dans une pièce dont ils ne peuvent s’échapper. Si la situation leur semble être un supplice, il n’y a pourtant aucun bourreau ni aucune torture physique. Les trois condamnés se cachent, se mentent mutuellement autant qu’ils se mentent à eux-mêmes.
Ils n’osent pas avouer les crimes pour lesquels ils ont été envoyés en enfer ni s’avouer ce qu’ils sont. Ils se trouvent des justifications, racontent leur vie aux autres en espérant qu’ils comprendront, qu’ils les rassureront… Ils cherchent désespérément le pardon ou l’approbation de leurs camarades. Le regard des autres les renvoie inexorablement à leur crime, dans une perpétuelle torture psychologique. Les trois morts sont tour à tour victime et bourreau.
L’existentialisme est une clé de compréhension pour la pièce, ou plutôt Huis clos est une explication littéraire et théâtrale de la philosophie existentialiste. À l’image de la philosophie sartrienne, la pièce est considérée, à tort si l’on en croit son auteur, comme austère, dramatique et pessimiste. Sartre expliquera pourtant dans son opuscule L’Existentialisme est un humanisme que sa philosophie est au contraire optimiste, mais d’un optimisme rude. Une lecture attentive et une analyse critique de Huis clos permettent de comprendre le cœur de cet optimisme, de la philosophie dont il découle et de l’énigmatique réplique de Garcin : « L’enfer c’est les autres. » (p. 92)