CE LIVRE EST UN ROMAN
Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.
La totalité des droits d’auteur des titres de Firmin Le Bourhis est versée à l’action concernant les trois principales maladies neuro-dégénératives que sont Alzheimer, Parkinson et la Sclérose en Plaques et autres maladies auto-immunes.
Les ouvrages de Firmin Le Bourhis, ainsi que ceux d’autres auteurs des Éditions du Palémon (enquêtes de Mary Lester signées Jean Failler notamment), sont disponibles à la Bibliothèque Sonore du Finistère.
Comme pour chaque enquête, le texte intègre différents ingrédients que j’ai rassemblés ici, la majorité des personnages de cette histoire ayant existé, dit et fait ce que j’ai relaté. Souvent la réalité dépasse la fiction, et je laisse aux lecteurs le soin de deviner ce qui relève de ma seule imagination…
À mes deux fidèles officiers de police judiciaire, Pascal Vacher et François Lange.
À Aurélie Fontaine, médecin légiste qui m’apporte toujours de précieuses indications.
À l’Office de Tourisme de Fouesnant pour m’avoir fourni une documentation qui m’a été très utile.
À Josée et Gérard Bonnec pour leurs suggestions.
À mon épouse, toujours fidèle au poste pour apporter ses corrections à mes ouvrages.
À tous ceux qui, à divers titres, m’ont apporté leur contribution ou fourni certains renseignements.
La vérité existe. On n’invente que le mensonge.
Pensées sur l’Art. Georges Braque
L’homme est toujours la proie de ses vérités.
Une fois qu’il les a admises,
il ne peut plus s’en libérer.
Actuelles. Albert Camus
Mardi 25 avril 2017, au commissariat de Quimper.
Deux jours après le premier tour des présidentielles, les commentaires ne manquaient pas sur les résultats des votes, commune par commune, dans les deux quotidiens régionaux… Les candidats du second tour étaient désormais connus : ce serait Marine Le Pen contre Emmanuel Macron. Les arrangements de tous bords et les pressions en tous genres de chacun des neuf candidats éliminés allaient bon train, tandis que s’activaient les vieux caciques, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre. La population commençait à être saturée d’avoir été abreuvée pendant de longs mois de programmes parfois utopiques sur le plan économique car impossibles à mettre en place, étant donné la situation d’endettement de la France. Mais en réalité, parmi les électeurs, qui se souciait de ces incohérences notoires ? Visiblement, ce n’était pas sur ces sujets, pourtant importants pour l’avenir de chacun, que se fondait le débat du deuxième tour des présidentielles. Malheureusement, car nous étions entrés dans une période où tout valait tout et où la passion l’emportait sur la raison.
On gavait l’électeur de promesses dépendant d’enjeux qui les rendaient largement inapplicables… Au diable le souci de la vérité, il fallait gommer ce qui fâchait et, souvent, oublier le passé. On voyait même apparaître certains tribuns qui cachaient leur médiocrité sous l’étendard du gaullisme – ni un parti et encore moins un front – et qui s’en prévalaient alors qu’ils l’avaient toujours combattu…
Quant au lieutenant Phil Bozzi et au capitaine François Le Duigou, après cette terrible enquête qu’ils venaient de mener avec succès à Nantes et qui les avait particulièrement marqués car, comme tout un chacun, ils croyaient l’esclavage domestique et familial révolu, mais parfois certains maux de notre société ont la vie dure, ils étaient heureux de retrouver leur bureau, leurs collègues et leur patron, le commissaire Yann Le Godarec, qui ne souhaitait vraiment pas les voir repartir de sitôt !
Lorsqu’ils arrivèrent pour prendre leur service, l’agitation matinale était déjà perceptible dans le hall du commissariat. À l’étage, ils rejoignirent avec un immense plaisir le lieutenant Joël Le Traon devant la machine à café, lequel avait comme toujours quelque chose à raconter, quelques bons mots et blagues pour distraire chacun. Il était en vive discussion. Il était vrai que l’actualité offrait des sujets intarissables entre la politique en France et en Allemagne, le récent Brexit de la perfide Albion sous l’égide d’une Theresa May pressée de quitter l’Union européenne pour s’acoquiner avec Donald Trump, ou encore les tribulations de ce dernier avec ses décrets à répétition qui brouillaient les cartes mondiales dans tous les domaines, ce qui lui était indifférent. Ainsi il venait d’annoncer la construction d’un mur à la frontière sud du pays et son paiement par le Mexique, alors que le président de cet État criait haut et fort qu’il n’était pas question qu’il paie quoi que ce soit ! Peu importait au président américain, il continuait à finaliser les engagements qu’il avait pris lors de sa campagne, malgré l’opposition du Congrès parfois.
En France, les élections présidentielles, lors du premier tour, s’étaient déroulées dans un désordre absolu. Depuis la fin de l’année précédente déjà, les Français découvraient régulièrement avec surprise les scandales que les médias se délectaient à étaler sur la place publique, et rien ne semblait vouloir les arrêter alors qu’ils auraient dû se faire l’écho de débats fondamentaux sur l’avenir des Français et surtout celui des nouvelles générations.
Les conséquences des querelles de ces individus à l’ego surdimensionné et surtout motivés par leur intérêt personnel étaient dramatiques ; en effet, pendant ce temps-là, elles empêchaient le pays de progresser, contrairement à ceux de l’Union européenne, car on n’y effectuait pas les réformes nécessaires, ce qui ne favorisait pas la récession du chômage, la reprise économique, pourtant en marche chez nos voisins, ni l’apurement de la situation d’endettement, la plus mauvaise des six pays les plus importants de l’Europe, pas plus que celui des déficits commerciaux. Et cela tandis que l’Allemagne annonçait un excédent commercial record et un taux de chômage au plus bas… De nombreux Français s’inquiétaient d’ailleurs, sachant que, les élections présidentielles terminées, quel que soit le nouveau président, il était évident que celui-ci arguerait de cet héritage catastrophique, les taux repartant de plus à la hausse, pour ne pas réaliser ce qu’il avait annoncé.
Combien de temps de telles mascarades dureraient-elles encore avant que le peuple ne se rebiffe pour de bon et exige une réelle transparence dans tous les domaines, imposant une véritable loi de moralisation qui passerait par l’interdiction du cumul des mandats et des emplois fictifs, et la suppression progressive de la corruption larvée qui sévissait dans tant de domaines, notamment politique – mesures d’ailleurs proposées par le candidat affrontant au deuxième tour Marine Le Pen ?
Autres sujets de conversation habituels autour de la machine à café, les faits divers qui se déroulaient dans la région – et l’on avait été servi avec la sordide affaire d’Orvault – mais aussi les résultats sportifs. François évoquait d’ailleurs de temps en temps, car cela l’intéressait, moins que son bateau et un bon coefficient de marée bien sûr, le beau parcours de l’USC, son équipe de football fétiche de Concarneau, récemment passée en nationale et qui, pendant de nombreux mois, avait flirté en permanence avec le haut du tableau.
Phil, lui, échangeait davantage sur les voitures anciennes avec un collègue qui partageait avec lui cette passion.
Mais dans l’immédiat, les retrouvailles avec leur milieu professionnel étaient trop importantes pour qu’ils se laissent distraire par des discussions forcément stériles car, dans la plupart des cas, personne n’y pouvait rien.
Lors de la réunion matinale habituelle avec le patron, ils firent le point des affaires en cours : beaucoup de petits dossiers, mais rien de bien attractif, de la routine avant la période estivale qui s’annonçait prometteuse…
Phil et François se virent ainsi confier, pour l’instant, les affaires courantes.
Mais voilà qu’à l’accueil, au rez-de-chaussée, un homme venait de se présenter, demandant à rencontrer un officier de police judiciaire, il fut donc dirigé vers les plus disponibles du moment : Phil et François…
Au bureau des OPJ, huit heures quinze.
L’homme était grand, mince, il avait une belle tignasse grise, presque blanche, remarquablement coiffée, un regard bleu acier, les traits fins et la peau bronzée de ceux qui s’entretiennent à longueur d’année. D’apparence virile, il était difficile de lui donner un âge précis, la quarantaine épanouie peut-être… Il faisait penser à cet ancien premier ministre de Jacques Chirac, Dominique de Villepin.
François l’invita à prendre place, les présentations faites. En s’asseyant, il leur lança un regard furtif et perçant, où l’on devinait très nettement l’inquiétude qui le tenaillait.
— Pourquoi demandez-vous à nous rencontrer ? s’enquit François.
Phil, pour l’instant, attendait de connaître l’objet de cette visite pour savoir s’il devait, lui aussi, entrer en scène ou, au contraire, continuer à vaquer à ses occupations.
L’homme hésitait. Il s’écoula quelques longues secondes pendant lesquelles il examina le dos de ses mains qu’il avait posées sur ses cuisses, avant qu’il ne se décide à parler :
— C’est ma femme…
Il releva la tête pour regarder François, les larmes aux yeux.
— Ma femme…
L’émotion était trop forte, il ne pouvait s’exprimer. Il se saisit d’un mouchoir, s’essuya les yeux et se moucha discrètement. Un silence de cathédrale flottait dans la pièce, les deux OPJ attendaient avec concentration la suite de ses propos, devinant que quelque chose de grave venait de se produire.
— Que lui est-il arrivé ? demanda François sur le ton de la compassion et en s’efforçant de faire preuve de tact.
— Elle a été kidnappée et j’ai reçu un appel, ce matin, me demandant de payer une rançon mais, surtout, de ne pas prévenir la police…
François le regarda, atterré.
— C’est sérieux, très sérieux… commenta-t-il.
L’homme avait beau tenter de se ressaisir, il n’y parvenait pas, visiblement effondré et comme plongé dans une torpeur profonde. Il affichait un visage fatigué et des traits creusés. Phil et François étaient les témoins impuissants de sa souffrance.
— Nous allons prendre les choses dans l’ordre, si vous le voulez bien… Commençons par votre état civil et celui de votre épouse, puis vous nous expliquerez ensuite les circonstances de ce rapt… Mon collègue, le lieutenant Philippe Bozzi, procédera au fur et à mesure à l’enregistrement de votre déclaration.
Il sortit sa carte d’identité et répondit aussitôt à toutes leurs questions sans se perdre dans les détails, leur rappelant cependant, à plusieurs reprises, que la discrétion de la police était impérative car les ravisseurs avaient été formels : il ne fallait pas prévenir celle-ci. François le rassura.
L’homme, nommé Rémi Hasparren, âgé de cinquante-quatre ans, était né à Ciboure dans les Pyrénées-Atlantiques, au Pays Basque. Son âge les surprit, cet homme svelte devait sans doute passer du temps en salle de sport ou dans un centre de remise en forme… Il leur confia que suite à la séparation de ses parents, il avait partagé sa vie entre la Bretagne et sa région natale. Il avait été, de ce fait, en partie élevé, jusqu’à sa majorité, par sa grand-mère, à Rennes, ville où il avait fait des études universitaires et rencontré celle qui était devenue son épouse, Martine Lanroz, originaire de Quimper, âgée de cinquante-quatre ans également.
— Lanroz… du groupe agroalimentaire Lanroz ? demanda François.
— Oui, tout à fait, diversifié dans la biscuiterie, la salaison et autres activités agroalimentaires, et qui possède de nombreuses unités de fabrication dans le grand ouest de la France, au sein de la société holding “Lanroz et compagnie”, constituée de deux grandes branches et dont le siège social est situé à Quimper. Mais nous résidons dans une grande villa, Pointe de Beg-Meil sur la commune de Fouesnant, qui se nomme Ty Lanroz et se trouve à peu près entre la cale et la Plage des Oiseaux, si vous connaissez un peu les lieux…
— Nous voyons très bien. Avez-vous des enfants ?
— Oui, un fils, Yannick. Celui-ci travaille actuellement à Londres mais devrait rejoindre prochainement le siège de la société pour s’occuper de l’export, car il parle et écrit couramment l’anglais et a fait des études d’économie dans cet objectif. Mais il est confronté à de profonds troubles… disons comportementaux, et mon épouse souhaite le voir revenir auprès d’elle.
— Merci pour toutes ces précisions… Venons-en aux faits à présent…
— Mon épouse, Martine, est partie de l’aéroport de Quimper-Cornouaille de Pluguffan, près de Quimper, hier lundi, dans le but de visiter quelques centrales d’achat à Paris et dans les environs, notamment à Issy-les-Moulineaux et Ivry-sur-Seine. Elle devait y retrouver notre fils, venu spécialement de Londres. Il devait l’accompagner pour quelques-uns de ses rendez-vous. Yannick me l’a confirmé et m’a rapporté que tout s’était très bien déroulé. Ces rencontres avaient été programmées depuis le SIAL1 qui s’était tenu en octobre dernier à Paris. Celui-ci a lieu tous les deux ans et le prochain aura lieu à Villepinte en 2018. Pour nous, c’est incontournable. Après ces entretiens, notre fils est reparti à Londres, le soir même.
— Et vous n’accompagnez pas votre épouse ?
— Pas toujours, pas cette fois en tout cas. Je me devais d’être présent dans l’une de nos unités où nous changions de chaîne de production. Voici l’adresse de cette usine… Nos équipes travaillent continuellement à moderniser, voire à automatiser la fabrication de nos produits, notre ambition étant d’être toujours vraiment compétitifs en anticipant en permanence…
— Je comprends…
— Mon épouse est rentrée hier soir par le dernier vol, ce que m’a confirmé l’aéroport et le SMS qu’elle m’a adressé, elle m’indiquait qu’elle se rendait chez sa mère, comme prévu avant son départ. Cette dernière a quatre-vingt-deux ans et occupe un grand appartement au centre de Quimper. À cette occasion, mon épouse devait évoquer la cession de ses parts et de celles de son père décédé. Sa mère se porte encore bien et a toutes ses facultés mentales mais est devenue très fragile physiquement, aussi Martine s’assure-t-elle toujours que tout va bien pour elle, depuis que cette dernière a perdu son époux à la fin de l’année passée. Depuis, ma belle-mère a tendance à déprimer un peu. Elle éprouve quelques difficultés à marcher et sort de moins en moins, ce qui inquiète mon épouse qui a toujours peur qu’elle tombe et se casse de col du fémur ou se blesse, et qu’elle ne puisse la prévenir, mais comme elle ne veut pas quitter son appartement, ce n’est pas toujours très simple. Martine m’avait précisé qu’elle resterait dormir chez elle, ce qui se produit assez fréquemment depuis quelques mois, car cela réconforte sa mère. Depuis, plus rien…
— Quelle voiture a-t-elle ?
— Un coupé sport Mercedes GLC 250d, 4MATIC, noir. Quand elle va chez sa mère, elle le gare sur le petit parking réservé aux résidants, au pied de l’immeuble et bordant la rue. Cet espace est toujours libre désormais car ma belle-mère ne conduit pas et n’a plus de voiture depuis qu’elle est seule ; idem pour sa voisine de l’étage en dessous. Ce parking n’est pas fermé par des sabots avec clef ni clos, et n’importe qui peut s’y ranger car elle laisse toujours le système de protection au sol, mais le quartier est tranquille et tout se passe bien ainsi.
Phil notait avec précision tous les détails. François interrompit les échanges, le temps de demander à une patrouille de ville de vérifier si le véhicule s’y trouvait. Puis il lui demanda :
— Et vous, où étiez-vous à cette heure ?
Rémi Hasparren répondit :
— Quand je me suis assuré que tout fonctionnait parfaitement dans l’usine après la prise en main par l’équipe de nuit, j’ai regagné mon domicile, assez tardivement, vers minuit. Ce matin, il était convenu que nous fassions le point de nos activités, soit à la maison soit au siège. Elle, sur ses rendez-vous et moi, sur la mise en route de la nouvelle chaîne. Ne la voyant pas arriver, je m’apprêtais à l’appeler sur son portable pour savoir si elle passait à la maison avant de se rendre à l’entreprise, quand le téléphone a sonné ; je croyais que c’était elle… et c’est là…
Une nouvelle crise d’angoisse le saisit et ses yeux se brouillèrent à nouveau ; l’homme semblait débordé par l’émotion. François lui proposa :
— Voulez-vous un verre d’eau, Monsieur ?
— Non, merci.
— Continuez…
— Une voix masculine m’a indiqué que, si je voulais revoir mon épouse, je devais préparer trois cent mille euros en petites coupures usagées et ne pas prévenir la police, puis elle m’a informé qu’on me contacterait rapidement pour les modalités de l’échange, mais qu’il m’appartenait dès à présent de rassembler la somme, puis l’homme a raccroché. Je n’ai pas eu le temps de lui dire un mot. Sous le choc, incrédule, je suis resté l’appareil en main, la tonalité indiquait que la ligne avait été coupée. Au bout de quelques secondes, j’ai eu le réflexe de composer le numéro du portable de mon épouse car ce que je venais d’entendre me semblait être un cauchemar, mais la communication n’aboutissait pas, comme si l’appareil avait été éteint.
— Vous a-t-il appelé sur votre portable ?
— Sur le fixe de la maison ; voici tous nos numéros…
Phil les saisit aussitôt et sortit du bureau pour demander que soient relevés le lieu d’appel et le numéro de cet interlocuteur.
La patrouille missionnée quelques minutes plus tôt pour se rendre sur le parking habituel du véhicule appela à cet instant : pas de présence du véhicule désigné sur le parking de la résidence ni dans les environs immédiats.
— Pouvez-vous me donner l’immatriculation de sa voiture ? Comme il s’agit d’un modèle haut de gamme, savez-vous si elle est équipée d’un traqueur ?
— Je l’ignore, car lorsque nous achetons une voiture, nous ne nous attardons pas sur les équipements nouveaux qu’on y installe désormais, et je n’ai pas assisté à cet achat, aussi suis-je incapable de vous répondre. Le concessionnaire de Quimper qui nous l’a vendue devrait, lui, pouvoir vous le dire…
— Nous allons voir immédiatement.
François appela le lieutenant Joël Le Traon et l’en chargea.
— Votre épouse vous avait-elle fait part de quelque inquiétude ? Se sentait-elle suivie ?
— Non, pas que je sache.
— Et vous-même ?
— Non plus.
— Il nous faudrait les coordonnées de votre fils ainsi que celles de votre belle-mère, les deux dernières personnes à l’avoir vue.
— Oui, les voici… mais je vous demande la plus grande prudence dans vos propos, que ce soit auprès de ma belle-mère qui, je vous le rappelle, est plutôt fragile depuis la disparition de son époux, ou de mon fils qui souffre de problèmes psychologiques et, de ce fait, entretient une relation fusionnelle avec sa mère. Ils sont tout, l’un pour l’autre. Il a suivi de brillantes études, mais mon épouse continue à le cajoler comme s’il était incapable de prendre sa destinée en main, ce qui est vrai quand il est confronté à certaines contrariétés ou à un choc émotionnel.
— Nous y veillerons, bien entendu.
— Dois-je le prévenir ?
— Il vaut mieux, mais montrez-vous rassurant. Pour votre belle-mère, vous pourriez lui parler de la disparition de la voiture dans un premier temps, pour éviter de l’affoler…
— D’accord, c’est ce que je vais faire.
Il ne devait pas être dans ses habitudes de donner prise à des émotions qu’il ne contrôlait pas, car c’était avant tout un chef d’entreprise aguerri, néanmoins, il semblait peiner à faire face.
Phil revint à cet instant.
— Il fallait s’en douter, l’appel vient de la cabine téléphonique publique du centre de Fouesnant ; il n’y en a plus qu’une seule par ville, désormais. J’ai demandé que des prélèvements y soient effectués. Nous allons aussi procéder à une enquête de voisinage : quelqu’un a peut-être aperçu la personne qui a utilisé cette cabine à l’heure de cet appel… C’est la police municipale de Fouesnant, installée à proximité, qui va s’en charger immédiatement. Je viens aussi de demander une géolocalisation du portable de votre épouse, sans me faire trop d’illusions, elle pourrait nous permettre de découvrir la direction qui a été prise par les ravisseurs…
Un silence s’installa à nouveau. L’homme réfléchissait, le visage tourné vers le sol. Phil reprit place devant son ordinateur.
— Disposez-vous de photos de votre épouse ? lui demanda François.
— Oui, bien sûr… En voici quelques-unes, dont certaines prises avec notre fils…
Rémi Hasparren les sortit de son portefeuille, elles étaient un peu écornées mais parfaitement nettes. Il les regarda avec tristesse et les glissa sur le bureau devant François, l’air bouleversé.
Sur celles-ci, Martine Hasparren était vêtue avec classe. Ses cheveux châtains encadraient un visage doux au regard cerné. Elle fixait l’objectif avec assurance, comme elle devait avoir l’habitude de le faire avec ses interlocuteurs.
— Porte-t-elle toujours un sac à main ?
— Oui, comme toutes les femmes, j’imagine ; ne me demandez pas de le décrire car elle en a plusieurs.
— Savez-vous ce qu’il contenait, en gros ?
— Un chéquier, sa carte bancaire personnelle et celle de la société, ses papiers d’identité, entre cent et deux cents euros en espèces, pas plus – mais on pourra demander à la banque quel est son dernier retrait au distributeur – du rouge à lèvres, un parfum… les clefs du bureau, celles de notre domicile, les papiers de sa voiture… J’en oublie sans doute, mais voilà pour l’essentiel.
— Très bien, nous l’avons noté. Quelles relations entretenez-vous avec votre épouse ?
La question le surprit, mais son aplomb naturel lui permit de répondre instantanément :
— Nos rapports sont très bons. Nous nous sommes connus à l’université et il n’y a jamais eu la moindre ombre entre nous. Nous nous aimons et mettons tous nos projets en commun.
— Avez-vous engagé des tractations pour racheter une nouvelle entreprise par l’intermédiaire de votre société ? Un groupe plus important s’intéresse-t-il à votre affaire ?
— Non, nous tenons à rester une affaire familiale à taille humaine et ne visons pas une extension démesurée… Nous cherchons juste à rentabiliser au mieux les sites que nous exploitons. Cependant, mon épouse entretient en permanence quelques contacts avec un éventuel repreneur, sans pour autant prendre de décision.
— Votre épouse détient-elle des procédés de fabrication brevetés, qui pourraient attirer les convoitises ?
— Non… Elle aime son entreprise, son travail et elle y réussit à merveille, voilà tout. Comme toutes les femmes de sa trempe, à la tête de ce genre de société.
— Bien. Voyez-vous une information supplémentaire à nous apporter ? Nous allons mettre vos téléphones sur écoute et surveiller ce qui va se passer. Ne changez rien à vos habitudes, faites comme si de rien n’était. Nous allons mettre en place un plan de surveillance autour de vous, en toute discrétion. Si les ravisseurs vous réclament à nouveau une rançon, vous leur cédez, mais en tentant de gagner du temps, en prétextant que la somme est difficile à rassembler ; dites-leur que vous vous y employez et que la transaction est imminente, mais que vous voulez des garanties, être sûr qu’ils la détiennent et qu’elle est vivante, et que vous suivrez alors leurs instructions… Essayez de passer le plus de temps possible au téléphone avec votre interlocuteur.
— Mais comment allez-vous vous y prendre pour les intercepter ?
Rémi Hasparren semblait incrédule ; cette situation paraissait engendrer en lui des sentiments contradictoires : incompréhension, inquiétude et même une sorte d’amertume.
— Nous allons immédiatement aviser notre patron, le commissaire Yann Le Godarec, qui va solliciter le procureur pour obtenir l’aide du SRPJ de Rennes et sans doute même celle du GIR de Bretagne, car nous devrons mettre beaucoup de monde sur le terrain.
Cette fois, Rémi Hasparren parut rassuré et précisa, le ton suppliant :
— Ce n’est pas la rançon qui m’inquiète, même si on la perd, on s’en remettra, mais je ne veux pas qu’on touche à un seul cheveu de mon épouse…
— Bien sûr, nous allons tout faire pour la retrouver, arrêter les malfaiteurs et récupérer la rançon. Vous pouvez nous faire confiance, mais de votre côté, ne commettez aucune imprudence !
Joël Le Traon apparut alors à la porte du bureau.
— Je viens d’avoir le concessionnaire, la voiture est bien équipée d’un traqueur et nous venons de déclencher le système, il suffit de faire le 0825. TRAQUE et taper 1. On m’a expliqué que c’est très facile à retenir car le numéro est le 0825 872 783, ce qui sur le clavier du téléphone, correspond à chaque lettre d’une touche : T=8 ; R=7 ; A=2 ; Q=7 ; U=8 et E=3.
— D’accord, compris, répondit Phil, et alors ?
— On devrait très rapidement la géolocaliser. Dès que ce sera fait, la police ou la gendarmerie locale interviendra, répondit le lieutenant.
— Vous voyez, dit François à Rémi Hasparren, nous n’allons pas perdre de temps et devrions en savoir plus assez rapidement. Bien entendu, nous vous tiendrons informé au fur et à mesure de nos investigations, essayez de laisser votre portable le plus disponible possible pour que nous puissions vous joindre sans difficulté.
Rémi Hasparren paraissait soulagé, même s’il restait très inquiet, lorsqu’il se leva pour quitter le bureau. Des centaines de questions devaient cependant continuer à lui harceler inlassablement l’esprit.
Phil, François et Joël se rendirent aussitôt au bureau du patron, Yann Le Godarec.
Alors que tout semblait calme jusque-là, voilà que le ciel venait brusquement de s’assombrir avec cette affaire sans doute complexe.
Après le compte rendu de François, il avertit aussitôt le procureur pour qu’il déclenche le plan qu’on met en place pour les disparitions inquiétantes, sans l’aide des médias car il fallait travailler dans la plus totale discrétion à la fois avec la police et la gendarmerie.
Il distribua les missions immédiates. Phil et François rencontreraient la belle-mère et mèneraient une enquête de voisinage pour tenter de savoir si quelqu’un avait remarqué quelque chose d’anormal dans le quartier et pouvait fournir un renseignement utile…
Joël assurerait le lien avec tous ceux que concernerait cette affaire…
1. Salon International de l’Alimentation.
Quimper, au courant de la matinée.
Le quartier était particulièrement calme et la petite résidence, sur trois niveaux, affichait un réel standing. Phil et François se présentèrent à la porte vitrée et appelèrent Amandine Lanroz à l’interphone.
Une petite voix grésilla, interrogeant les visiteurs ; son gendre avait informé la vieille dame, aussi déclencha-t-elle l’ouverture de la porte d’entrée.
Le hall ressemblait à une cabine de bateau ancien avec ses bois précieux, ses cordages et ses cuivres. À droite étaient disposées des plantes vertes luxuriantes et sur le mur d’en face, recouvert d’acajou, s’alignaient les boîtes aux lettres. Un vaste ascenseur permettant l’accès aux personnes à mobilité réduite les conduisit au troisième étage en silence et sans la moindre secousse. Le palier ne desservait apparemment que le logement d’Amandine Lanroz.
Au moment où ils allaient sonner, la porte s’ouvrit, laissant apparaître une fine tête aux cheveux argentés, mi-longs, bien coiffés, avec des ondulations descendant jusqu’aux épaules. Elle portait une paire de boucles d’oreilles aussi brillantes que coûteuses. Ses lèvres étaient minces. Elle esquissa un sourire qui anima son regard minéral, et invita d’une voix faible les deux OPJ à la suivre en les priant de fermer la porte derrière eux.
De taille moyenne, mesurant tout juste un mètre soixante, plutôt maigre, elle marchait difficilement en s’aidant d’une canne et paraissait fragile sur ses jambes frêles ; elle était chaussée de gros chaussons rembourrés de peau de mouton.
Ils s’installèrent dans un salon où un siège de cuir blanc, de la longueur d’un bus, faisait face à plusieurs fauteuils disposés autour d’une table basse en verre.
De grandes baies vitrées donnaient sur l’arrière de la résidence, s’ouvrant sur un large balcon orné de pots de fleurs et qui dominait un parc dont un immense cèdre dressait à quelques mètres du balcon sa ramure où pigeons et tourterelles semblaient se chamailler. Le lieu dégageait une atmosphère paisible.
Elle interrogea ses visiteurs sur l’objet de leur venue, François prétexta immédiatement la disparition de la voiture de sa fille. Un détail attira particulièrement l’attention des deux OPJ : la rangée de petites dents blanches, alignées comme des grains de maïs sur leur épi.
— Pouvez-vous nous dire à quelle heure votre fille est arrivée chez vous, hier soir ?
— En général, elle revient par le vol au départ d’Orly à vingt heures quarante pour un débarquement à Pluguffan à vingt-deux heures cinq, disons qu’il devait être aux environs de vingt-trois heures. Mais je n’ai pas regardé l’heure. Nous avons grignoté tout en parlant d’un peu de tout et nous nous sommes couchées entre minuit et demi et une heure peut-être…
— Vous a-t-elle paru inquiète ?
— Non, absolument pas, pourquoi ?
— De quoi avez-vous parlé ?
— De ses rendez-vous à Paris et aussi de la cession de nos parts, à moi et à mon époux hélas décédé. Il est vrai que cela ne veut plus rien dire pour moi, désormais.
— Comment s’est déroulé son départ ce matin ?
— Nous nous levons habituellement vers six heures. Je suis personnellement réveillée bien avant. Elle s’est douchée et préparée pendant que je m’occupais du petit-déjeuner que nous avons pris ensemble vers six heures trente…
— A-t-elle appelé ou reçu un appel, hier soir ou ce matin ?
— Non, pas que je sache, on n’appelle pas à cette heure !
— En effet. À quelle heure a-t-elle quitté votre domicile ?
— Vers sept heures…
— L’avez-vous accompagnée jusqu’à sa voiture ?
Son regard se perdit un instant dans le vide. Elle contempla la fenêtre, puis répondit :
— Non, je suis restée ici car notre balcon donne sur le parc et sa voiture stationnait côté rue.
— D’accord, vous ne l’avez donc ni vue ni entendue s’en aller en voiture…
— Non.
Amandine Lanroz réfléchit et s’enquit, préoccupée :
— Elle devait être assurée pour sa voiture ?
— Oui, oui, ne vous inquiétez pas ! De plus, celle-ci est équipée d’un système qui va nous permettre de la localiser assez rapidement.
— C’est bien ce que je pensais.
Cette réflexion indiquait qu’elle était parfaitement lucide et s’interrogeait sur ce vol qui ne la perturbait pas vraiment. L’échange dura encore quelques instants mais n’apporta aucune précision utile à l’enquête.
Quand Phil et François eurent pris congé, ils en profitèrent pour mener leur enquête de voisinage. Mais les autres résidants étaient plus jeunes et en activité, il leur faudrait donc revenir en soirée pour les interroger.
En face de la résidence, une maison, en retrait d’une dizaine de mètres dans un grand jardin, donnait sur le parking. Le pavillon était occupé par un couple de retraités, la soixantaine juste entamée. C’est l’homme qui se présenta au portail où François venait de sonner, tandis que son épouse était restée à la porte d’entrée.
François fit les présentations et demanda :
— Connaissez-vous madame Martine Hasparren qui vient de temps en temps voir sa mère habitant juste en face ?
— Oui, bien sûr, une femme charmante qui vient de plus en plus souvent depuis que… son père est parti…
— C’est exact. Auriez-vous vu sa voiture, un coupé Mercedes noir, sur le parking, hier soir ?
— Oui. J’avais assisté en ville, à la réunion habituelle du club auquel j’appartiens ; en principe, nous terminons à vingt-trois heures, mais vous savez ce que c’est, on traîne toujours un peu et quand je suis rentré vers minuit, elle était bien là…
Il désigna vaguement du doigt sa place de parking.
— Et ce matin ?
— Je suis abonné à un quotidien régional que je reçois très tôt dans ma boîte aux lettres, alors quand je me lève, en général vers sept heures, je viens le chercher et le lis avec plaisir en prenant mon petit-déjeuner. Cependant, de ma cuisine, je ne vois pas la rue puisque cette pièce donne de l’autre côté de la maison, sur mon jardin.