Le père louis auffret ferma la porte du presbytère et descendit les marches du perron pour emprunter la rue des prêtres Saint-Séverin. Il longea le jardin et entra dans l’église. Il lui restait une quinzaine de minutes avant la messe de dix-neuf heures.
Le lieu saint était maintenant presque vide. Un peu plus tôt, vers dix-sept heures, deux artistes avaient interprété une version pour orgue et violoncelle des Quatre saisons. Les soirées rallongeaient en ce mois de mai, et les touristes qui se pressaient dans le quartier étaient venus en nombre, attirés par les tracts distribués rue Saint-Séverin et par les affiches apposées à l’entrée. Il y aurait sûrement moins d’affluence à l’office de semaine…
Le jeune prêtre se signa à l’entrée et contempla le spectacle qui s’offrait au visiteur. L’architecture gothique et les vitraux de cette église, la plus ancienne de la rive gauche, incitaient au recueillement.
Le père Auffret ne s’attarda pas. L’heure avançait. Il rejoignit la sacristie et revêtit ses habits liturgiques. Quelques fidèles se pressaient déjà autour de l’autel lorsqu’il pénétra dans la chapelle du Saint Sacrement, à droite de la nef.
Avec sa ferveur habituelle, Louis prononça les phrases rituelles. Sa foi était ancrée au plus profond de son être. Il aimait l’atmosphère de cette paroisse et il remerciait Dieu tous les jours de lui avoir permis d’intégrer l’équipe paroissiale de Saint-Séverin. Certes, il aurait servi le Seigneur n’importe où, mais après son enfance tourmentée, il vivait son ministère dans cette splendide église comme un apaisement.
Cependant, il savait que, malgré ses prières, il n’atteindrait jamais la sérénité absolue. Il ne pouvait tout empêcher, et cela le tourmentait continuellement.
Le religieux venait de distribuer les hosties consacrées lorsqu’il ressentit une terrible douleur dans le flanc : un véritable coup de poignard. Instantanément, il ruissela de sueur et fut pris de nausées. « Non ! Ça n’allait pas recommencer ! »
Il réussit à terminer l’office, affrontant l’expression d’étonnement des paroissiens lorsque, plié en deux par la souffrance, il bénit l’assistance clairsemée d’une voix chevrotante. Pendant qu’il faisait le large signe de croix, il s’agitait, sautillant d’une jambe sur l’autre, sans trouver une posture qui puisse soulager sa douleur.
Puis il rejoignit la sacristie aussi vite qu’il put. La porte à peine fermée, il vomit tripes et boyaux.
Il allait encore devoir faire appel au professeur Banari, qui, comme d’habitude, écarterait l’hypothèse avancée par le malade. « Mon Père, lui répéterait-il avec son bon sourire, les coliques néphrétiques ne sont pas d’origine psychique. Je suis le premier à reconnaître que les phénomènes psychologiques interviennent dans beaucoup de maladies, mais dans les calculs rénaux, franchement, non ! ». Il dirait tout cela sans mépris ni ironie. C’était un médecin comme on n’en faisait plus, et le père Auffret voyait approcher avec angoisse la retraite de Banari – le professeur aurait bientôt soixante-huit ans –, et il ne pourrait plus prolonger son activité hospitalière au-delà de cet âge. Continuerait-il à recevoir des patients ailleurs ? Et sinon, qui pourrait le remplacer ? Il lui inspirait une confiance absolue, et sa disponibilité restait entière après tant d’années d’une pratique médicale particulièrement astreignante dans un service de réanimation.
N’empêche que sur ce point-là, Louis en était convaincu, le docteur se trompait. Depuis le temps, l’homme de Dieu avait appris à analyser les réactions de son corps et les signaux qu’il lui transmettait.
Son frère, Charles, avait certainement récidivé.
Le commissaire principal Victor Maupas rejoignit son bureau d’un pas lourd. L’enterrement d’un collègue est toujours une épreuve pénible. Cette fois, il ne s’agissait pas d’une mort violente en service commandé, ni d’un suicide, trop fréquent au sein de la police. Le commandant Fabrice Zarkas, chef de groupe à la Crim’ et ami de Maupas, venait de succomber au cancer des os qui le rongeait depuis deux ans. Endurant les chimiothérapies et les rayons avec courage, il s’était résigné à interrompre son activité l’an dernier, rattrapé par la progression du mal. En l’absence de remplaçant, c’est Maupas lui-même qui avait assuré son rôle auprès de deux de ses subordonnés, Pivert et Robin1.. Seule consolation dans ces circonstances, car le travail de terrain lui manquait.
Grand, presque chauve, à l’exception d’une bande de cheveux poivre et sel de chaque côté du crâne, les yeux bleu clair, le commissaire principal inspirait respect et confiance à ses interlocuteurs. Volontiers habillé de façon décontractée, Il portait ce jour-là veston sombre, chemise blanche et cravate.
Par une coïncidence déplaisante, le nouveau chef de groupe – la machine administrative fonctionnait lentement, mais fonctionnait tout de même ! – prenait ses fonctions le jour des obsèques de Zarkas… Et Claude Chaudron n’aurait pas le temps de s’ennuyer : on venait de lui confier l’enquête sur un homicide. Au moins Maupas aurait-il une bonne excuse pour suivre l’affaire de près, histoire d’apprécier les capacités du nouveau.
Le commissaire venait à peine de s’asseoir lorsqu’il entendit deux coups légers à sa porte. Il n’avait pourtant rencontré personne dans le couloir.
– Entrez ! dit-il d’une voix lasse.
La porte s’ouvrit sur une jeune femme de taille moyenne, plutôt élégante, vêtue d’un tailleur-pantalon. Ses cheveux clairs, coupés court, encadraient un visage allongé aux lèvres minces et aux yeux bleus, ce qui lui donnait un air d’Elsa Zylberstein en blonde. Elle le regardait avec assurance.
– Commissaire principal Maupas ?
– Oui. Qui êtes-vous ? Vous aviez rendez-vous ? Qui vous a laissé entrer ? répliqua-t-il d’un ton rogue, craignant l’intrusion inopinée d’une journaliste en quête d’informations.
– Commandant Claude Chaudron. Je suis désolée, on m’a dit de vous attendre dans le bureau voisin.
– Je vous prie de m’excuser, bafouilla Maupas en tentant de dissimuler sa surprise.
Il aurait dû prendre connaissance de son dossier avant son arrivée. Bien sûr, la féminisation gagnait aussi la police ! Le prénom l’avait induit en erreur.
– Vous n’avez sans doute pas l’habitude de voir une femme nommée chef de groupe… J’espère que cela ne vous pose pas de problème, ajouta-t-elle d’un ton ironique.
– Pas le moins du monde, répondit-il précipitamment. Maupas n’éprouvait aucune réticence à travailler avec une femme – seule la compétence entrait en ligne de compte pour lui, mais il pensait déjà aux calembours machistes et sûrement vaseux que Pivert ne manquerait pas d’inventer sur le nom de famille du commandant.
– J’ai bien conscience que je prends mes fonctions à un moment difficile pour l’équipe, reprit-elle, mais j’ai l’intention de tout faire pour que ça se passe le mieux possible.
– Je suis sûr que tout ira bien, je vous aiderai du mieux que je peux. Je reste toujours disponible et prêt à aller sur le terrain si nécessaire. Mais prenez place. Nous avons beaucoup de choses à voir.
La jeune femme s’assit bien droite dans un des fauteuils, et Maupas en profita pour récupérer la chemise cartonnée contenant le dossier du nouveau chef de groupe, le premier sur la pile de son bureau. Seuls le nom, le prénom et le grade de l’intéressée apparaissaient sur la couverture. Et c’est tout ce qu’il avait regardé jusqu’à présent. Décidément, la disparition de Zarkas l’avait affecté au point de lui faire perdre son professionnalisme.
Sans chercher à masquer davantage son ignorance, il ouvrit le dossier et parcourut les documents.
– Voyons voir… Diplôme de criminologie, Ensop2. à Cannes-Écluse, SRPJ à Nice puis Lyon, passage à la Brigade de Répression du Proxénétisme, excellentes appréciations… Belle carrière ! Je comprends maintenant pourquoi on vous a nommée chef de groupe.
– On fait ce qu’on peut, Commissaire. Surtout quand on est blonde.
– Mon commentaire était spontané et dénué de toute ironie, précisa Maupas, agacé par l’acidité de la réplique.
Claude Chaudron sembla se détendre un peu.
– Pardonnez-moi. Ce n’est pas toujours facile d’évoluer dans un milieu majoritairement masculin. Mais il y a des précédents… Cette maison fut dirigée un temps par une femme3..
– Qui, vous devez le savoir, a été très appréciée ici. Je vous le répète, en ce qui me concerne, cela ne pose aucun problème (il se morigéna intérieurement car cette formulation pouvait laisser entendre que ce ne serait pas le cas pour tout le monde). Bon, au travail ! Laissez-moi vous dire quelques mots à propos des membres de votre groupe. Votre adjoint sera le capitaine Maurice Pivert, récemment promu à ce grade. Vous verrez, c’est un excellent policier, pas toujours très diplomate, mais efficace et fiable. Vos 3e et 4e de groupe sont les lieutenants Ange Robin et Sami Helal. Les 5e et 6e les lieutenants Nathalie Machaut et Alain Versoni. Vous allez les rencontrer dès maintenant car nous avons un homicide sur les bras. Et l’enquête s’annonce délicate car il s’agit d’un producteur connu de films pornographiques. Pour ne rien vous cacher, lorsque vous êtes entrée, je vous ai prise pour une journaliste. Je suis un peu perturbé aujourd’hui, ajouta-t-il avec franchise. Nous venons d’assister à l’enterrement de votre prédécesseur.
– Je suis au courant, Commissaire, et croyez bien que je mesure le choc pour vous et les membres du groupe. Vous pouvez compter sur moi pour procéder en douceur. Et je n’hésiterai pas à vous demander conseil.
Son sourire se faisait avenant. La glace était-elle déjà rompue ? Restait à voir comment Claude Chaudron serait accueillie.
– J’appelle votre équipe, dit-il en décrochant son téléphone. Réunion dans un quart d’heure. En attendant, je vous montre votre bureau.
*
Maupas fit mine d’ignorer l’air renfrogné de Pivert devant celle dont il serait désormais l’adjoint. Une fois les présentations faites, il alla droit à l’essentiel :
– Pivert, faites-nous la synthèse des éléments dont nous disposons.
Malgré son mauvais caractère, le capitaine était avant tout un professionnel, attaché aux missions qu’on lui confiait. Il ouvrit son carnet noir et lut :
– Maxime Laurent a été découvert hier matin vers neuf heures à son domicile, avenue Mozart, par la femme de ménage. Il avait été ligoté dans son lit puis poignardé, ses organes génitaux ont été sectionnés et placés dans sa bouche. Son corps baignait dans une mare de sang impressionnante. La pauvre femme a eu du mal à se remettre du spectacle.
Le détail sinistre rappela à Maupas les photos trouvées une dizaine d’années plus tôt dans le bureau d’un tueur en série4..
– Le décès remonte à la veille au soir, aux alentours de vingt heures trente, ajouta Pivert. M. Laurent a été mutilé avant d’être tué.
Ce détail abominable fut accueilli par un silence pesant.
– Un ou plusieurs coups de couteau ? s’enquit le commissaire.
– Quatre, en pleine poitrine, assénés avec une grande violence : le couteau plongé jusqu’à la garde a perforé le cœur et le poumon gauche. L’arme du crime est sans doute un poignard à lame de dix-sept centimètres, de type commando. On en trouve partout…
Maupas éprouvait la désagréable impression de revivre son enquête sur les meurtres de la Goutte d’Or. Pourtant, leurs auteurs n’étaient plus de ce monde depuis dix ans !
– Aucune trace d’effraction ni de lutte. Laurent connaissait peut-être son assassin. De nombreuses empreintes à analyser. Pour l’instant, on a identifié les siennes et celles de la femme de ménage. Il vivait seul. Je précise qu’une cache secrète, très bien dissimulée entre deux lattes de parquet, a été trouvée ouverte… et vide.
– Donc, si je comprends bien, résuma le commissaire, le meurtrier s’est acharné sur sa victime. Et il a laissé un message : la castration.
– On peut dire ça. L’autopsie n’a rien apporté de plus. On va éplucher son carnet de rendez-vous, ses appels téléphoniques… On ne pouvait pas s’y mettre ce matin, rappela Pivert en jetant un regard indéfinissable à son nouveau chef de groupe, restée silencieuse pendant son exposé.
– Bien sûr. Vous ferez le point dès que possible avec le commandant Chaudron. Il se tourna vers cette dernière, impatient de la voir prendre la direction de l’enquête. Commandant, avez-vous des remarques ?
Consciente de l’atmosphère un peu tendue, elle se lança :
– Étant donné sa profession, sait-on si la victime a fait l’objet de menaces ? Maxime Laurent vivait seul, mais je suppose qu’il recevait du monde. Peut-être des candidates avides d’une carrière cinématographique, on va dire un peu particulière ?
– Bien vu, Chef, répondit Pivert. Maupas nota avec satisfaction le titre : le capitaine jouait le jeu. On n’a pas encore eu le temps de tout éplucher, mais on sait déjà qu’il aimait sélectionner lui-même les futures vedettes de ses films, si vous voyez ce que je veux dire… Son salon ressemble – passez-moi l’expression – à une chambre de bordel. Il y a tout ce qu’il faut : grand canapé recouvert de fourrure synthétique, lecteur de DVD et système de projection perfectionné genre home cinéma, éclairage tamisé.
– Du travail de fourmi en perspective du côté des maris et des compagnons des actrices, conclut Claude Chaudron.
*
Quelques minutes après la fin de la réunion, Pivert s’annonça à nouveau dans le bureau du commissaire principal.
– Patron, je voulais vous dire…
Cette fois, Maupas riait sous cape. Lorsqu’il avait remplacé son ami Zarkas, il avait eu droit à « Chef ». Désormais, c’était « Patron ». Tout se remettait en place.
– Oui, capitaine ?
– Euh… Vous croyez que c’est une bonne idée d’avoir comme chef de groupe une femme ? En plus, elle n’est pas mal roulée, ça va faire des histoires…
– Écoutez Pivert, il faut vivre avec son temps ! Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans la police, et je m’en réjouis. En outre, d’après son dossier, nous récupérons une personne de grande qualité. Alors, comme d’habitude, je peux compter sur vous, n’est-ce pas ?
– Bien sûr, Patron. C’est vous qui savez. Moi, ce que j’en disais…
*
Nous sommes cachés sous le lit. Je sais, on n’a pas le droit d’être là, mais on s’est fait surprendre par le retour imprévu de notre mère. Ça fait longtemps qu’on a trouvé le truc pour entrer dans cette chambre interdite et au décor bizarre, mais c’est la première fois qu’on y est piégés. Maman ramène habituellement ses amis bien plus tard, après nous avoir couchés. Qu’est-ce qu’on va prendre si elle nous trouve ici ! Charles tremble de peur. Je lui serre le bras pour l’aider à se tenir tranquille. Dès qu’ils seront partis , on essaiera de sortir de là et de quitter la chambre sans se faire voir.
On ne dirait pas que c’est un ami. Il n’a pas du tout l’air gentil avec maman. Il lui parle mal, on entend des insultes. Charles est terrorisé.
D’un coup, le matelas heurte notre dos. Je retiens un cri. Ils ont dû se laisser tomber sur le lit. Mais qu’est-ce qu’ils font ? Les éclats de voix sont plus proches. Je ne comprends pas ce que le monsieur lui dit, ça doit être des gros mots.
Un bruit sourd suivi d’un gargouillis affreux. Maman, qu’est-ce qui se passe ? Bientôt, j’entends un plic-plic sur le sol. Devant moi, un liquide rouge s’écoule. Du sang ! Il a fait du mal à maman ! Je ne sais pas pourquoi, mon instinct me souffle de ne pas faire un bruit. Sinon, j’en suis sûr, il va s’en prendre à nous aussi. Charles est sur le point de hurler. Je lui couvre la bouche de ma main.
Maintenant, un bruissement nous parvient. Horrifié, j’aperçois des intestins qui dégoulinent avec le sang. Je ne sais par quel miracle nous parvenons à rester silencieux.
Des bruits de pas précipités, la porte claque. Le silence. Maman ne dit plus rien. Je suis sûr qu’elle est morte.
Il a tué maman.
*
Le père Auffret guettait le retour du professeur Banari dans la salle d’attente. Comme d’habitude, celui-ci avait répondu lui-même au téléphone et avait proposé un rendez-vous d’urgence. La consultation se tenait dans le nouveau bâtiment de l’hôpital Tenon, à l’architecture de paquebot ; examen d’urines sur place, puis échographie des reins. Maintenant, le médecin téléphonait au labo pour avoir le résultat de l’examen bactériologique, car il persistait un doute sur une infection urinaire, complication fréquente des calculs rénaux. Avec lui, ça ne traînait pas ! Et son enthousiasme, aussi vif qu’au premier jour, montrait à ceux qui en douteraient qu’il existe encore des médecins passionnés par leur métier. Sa silhouette était restée celle d’un homme jeune, athlétique et mince. Seuls ses cheveux cendrés trahissaient son âge.
Le père Auffret avait rencontré le professeur Banari un soir, à l’église, après la messe de dix-neuf heures. Celui-ci s’était attardé pour bavarder avec le prêtre, avouant qu’il ne pratiquait pas souvent, mais qu’il lui arrivait, comme ce soir-là, d’entrer dans une église pour assister à la messe ou pour dire une prière. Il aimait Saint-Séverin, et il avait la chance d’habiter à proximité. Les deux hommes sympathisèrent, et Banari revint voir le père à plusieurs reprises. Heureux en ménage, le professeur avait trois filles, dont l’aînée, Hélène, venait de fêter ses trente-cinq ans5.. Il respirait une telle bonté que le père Auffret n’éprouvait aucune crainte pour le salut de cet homme… Apprenant au cours d’une conversation ses problèmes de coliques néphrétiques à répétition, le médecin lui proposa de venir consulter à l’hôpital, où il le recevait depuis, à tout moment, malgré ses multiples occupations, en oubliant une fois sur deux de le faire passer à la caisse des soins externes…
L’ecclésiastique reconnut le pas énergique de Banari, dont la haute silhouette apparut à l’extrémité du couloir des consultations.
– Venez, Mon Père.
Il le suivit dans son bureau. La table de travail était encombrée de documents, parmi lesquels une photo encadrée où on le voyait rayonnant, entouré de sa femme et de ses trois filles.
– Rien de grave. Il n’y a pas d’infection, juste un peu de sang dans les urines, ce qui peut correspondre au passage d’un petit calcul. On ne voit rien sur les radios, je pense donc qu’il a été éliminé. Vous n’avez rien senti en urinant ?
– Non, Professeur, je n’ai rien remarqué.
– Et vous n’avez plus mal ce matin ?
– La douleur est passée.
– Alors, c’est sûrement un petit calcul qui a provoqué cette nouvelle crise, et il est parti tout seul. Comme je vous l’ai déjà dit, c’est fréquent avec cette maladie de Cacchi et Ricci que nous avons diagnostiquée chez vous6.. Êtes-vous certain que vous buvez suffisamment ? Attention au vin de messe7. ! ajouta-t-il avec un sourire malicieux.
– Peut-être devrais-je boire davantage, en effet. J’essaie de me forcer, pourtant. Mais vous savez, Professeur, je suis sûr que c’est un signe…
Banari leva les deux mains en signe de protestation amicale, sans cesser de sourire.
– Ne m’entraînez pas sur ce terrain-là, Mon Père. Vous connaissez ma position sur le sujet ! À ce propos, dit-il, redevenant sérieux, vous n’avez toujours aucune nouvelle de votre frère ?
Au fur et à mesure de leurs entretiens, le prêtre, convaincu de la discrétion de son interlocuteur, s’était laissé aller à livrer quelques secrets d’enfance.
– Je crains bien d’en avoir eu hier soir, soupira-t-il.
1 Voir Homicide par précaution, Éditions Glyphe, 2010.
2 École nationale supérieure de police.
3 Martine Monteil a été la première femme à occuper le poste de chef de la brigade de répression du banditisme de Paris en 1994, puis de la brigade criminelle en 1996, avant d’être nommée à la tête de la DRPJ (Direction régionale de la police judiciaire) en 2002.
4 Voir Meurtre pour de bonnes raisons, Éditions Glyphe, 2009.
5 Voir Meurtre avec prémédication, Éditions Glyphe, 2007.
6 Maladie congénitale bénigne, caractérisée par une dilatation des petits canaux collecteurs conduisant l’urine aux calices rénaux (« rein en éponge ») ; elle est souvent révélée par des coliques néphrétiques liées à la formation de petits calculs.
7 Le vin de messe utilisé aujourd’hui est presque toujours du vin blanc, qui a la réputation de favoriser les calculs urinaires.
– Alors, où en sommes-nous ? demanda le commandant Chaudron. Tous les membres du groupe étaient réunis dans son bureau.
– Ça s’avère plus difficile que prévu, Chef, attaqua Pivert, toujours impeccable dans son costume noir, les cheveux bruns coupé court. Pour commencer, l’ordinateur de Laurent a disparu. Or, il utilisait beaucoup sa messagerie électronique.
– Sa secrétaire n’a pas un double de son agenda ?
– Une partie seulement. Pour ses petits rendez-vous de « sélection », Monsieur préférait opérer seul.
Claude Chaudron appréciait peu les commentaires personnels grinçants au sujet des victimes, mais s’abstint de relever.
– Donc, on sait presque à coup sûr comment le meurtrier est entré en contact avec lui, mais on n’est pas plus avancés. Il faut trouver son adresse ou au moins son serveur de messagerie, ensuite obtenir une commission rogatoire pour réclamer au serveur l’historique et le contenu de ses mails récents. Et du côté des empreintes ?
– Il y en a énormément, mais rien n’est sorti jusqu’à présent. Trois actrices porno fichées pour usage de stupéfiants, mais elles ont un alibi solide. De plus, on voit mal une femme se livrer à ce genre de carnage, avec la force qu’il faut en plus… Enfin, vous voyez ce que je veux dire, Chef, termina Pivert, un peu gêné.
– Merci, Pivert, je prends cette réserve comme un compliment, sourit le commandant.
– Et aucune des trois n’avait de Jules attitré, susceptible de se livrer à un acte de jalousie aussi violent, ajouta Robin.
– Il y avait deux verres et une bouteille de whisky sur la table du salon, soigneusement essuyés. Aucune empreinte, reprit Pivert.
– Dites-moi, ce n’est pas un amateur, votre assassin.
– On a peut-être un indice, quand même…
– Ah ! Quoi donc ?
– Des cheveux blonds dans le lit, sur l’oreiller. La victime était brune… On les a prélevés et on va interroger le FNAEG8..
– Espérons que ça donnera un résultat. En ce qui concerne d’éventuelles lettres de menace ?
– C’est Nathalie qui travaille là-dessus. Elle prendra aussi en charge la recherche des mails.
L’intéressée, une jeune femme de taille moyenne, à la peau mate et aux longs cheveux bruns bouclés, prit aussitôt le relais. Son beau visage oriental et son allure énergique inspiraient la sympathie.
– D’après sa secrétaire, Maxime Laurent recevait assez régulièrement des lettres d’injures, mais aucune menace de mort. Je n’ai pas pu les lire car elle les jetait systématiquement à la poubelle.
– Et du côté des amis, des relations ? Je crois me rappeler qu’il n’avait pas de famille proche.
– Non, effectivement, intervint Sami Helal, il était fils unique. Ses parents sont morts depuis longtemps. Son ex-femme vit à Nice, elle prend des bains de soleil en ce moment au Club Med à Djerba. On a pu la prévenir. Elle n’avait plus aucun contact avec lui depuis plusieurs années, mais ça lui a quand même fait un choc. Quant aux amis, il s’agit plutôt de relations de travail. Maxime Laurent semblait apprécié par son entourage, mais il faut qu’on fouille un peu plus.
– Bon, continuez les investigations. J’attends avec impatience l’analyse des courriers électroniques. La solution se trouve là. Ce n’est pas un hasard si l’ordinateur a été emporté.
– Je fais au plus vite, Chef, dit Nathalie Machaut.
Pivert referma son carnet noir et remit l’élastique en place. Claude Chaudron lui jeta un regard malicieux.
– Dites-moi, Pivert, vous avez un bien joli carnet, il est tout neuf ?
– Oui, répondit le capitaine en se rengorgeant. C’est un carnet Moleskine. Très pratique pour prendre des notes au cours des enquêtes. Et élégant en plus !
– Ça, c’est vrai. Pour la petite histoire, savez-vous comment est née cette marque illustre ?
– Euh, nnnon…
– En fait, le terme de « carnet moleskine » est apparu pour la première fois en 1987 dans un roman de l’écrivain anglais Chatwin. Hemingway, Picasso, Céline et d’autres utilisaient des carnets similaires, provenant de fabricants divers, avec des couvertures en cuir ou en tissu huilé. Moleskine vient de mole skin (« peau de taupe ») et désigne un coton vernis qu’on utilisait autrefois pour recouvrir des banquettes. Mais la marque Moleskine n’a été créée et déposée officiellement qu’en 1997 ou 1998, je crois, par l’entreprise italienne Modo et Modo ; qui a ainsi redonné une nouvelle vie à ces fameux accessoires avec le succès que l’on sait. Bah, c’était juste histoire de détendre l’atmosphère et de changer de sujet, conclut-elle avec un sourire.
Un peu vexé, Pivert ne put cacher son ébahissement devant l’érudition de son chef de groupe.
– Faut vraiment être une femme pour aller chercher tout ça, grommela-t-il pour s’en sortir.
*
Après l’assassinat de notre mère, le juge pour enfants ordonna notre placement dans une maison d’accueil. Aucune famille ne pouvait nous accueillir. Notre père, alcoolique invétéré, avait quitté le domicile conjugal après la naissance de Charles, laissant maman sans ressources. Deux ans plus tard, la police l’avertit du décès de son mari survenu lors d’une rixe. Charles avait trois ans et moi quatre. Notre mère se démena pour trouver de quoi vivre et nous éduquer, mais elle finit par se livrer à la prostitution occasionnelle, qu’elle pratiquait à la maison, pendant nos heures de classe. Jusqu’à ce jour où nous sommes rentrés trop tôt et où elle fut sauvagement tuée sous nos yeux, par un client, ou par un proxénète mécontent, comment savoir ?
Nous eûmes la chance d’être accueillis ensemble aux Orphelins Apprentis d’Auteuil, successivement dans la maison du Saint-Esprit puis dans la maison Jean XXIII à Orly. Nous suivîmes l’enseignement à l’école primaire Poullart des Places, puis au collège privé du même nom. Ma relation avec Charles, renforcée par la scène atroce à laquelle nous avions assisté, devint bientôt fusionnelle. Bien que je fusse placé dans une classe différente, j’éprouvais des réactions très particulières chaque fois qu’il lui arrivait quelque chose. Il suffisait que le professeur lui fasse une réprimande et que Charles se mette à pleurer pour que je ressente une violente douleur à l’estomac. Ça surprenait toujours les enseignants. Mais j’ai lu plus tard que des interactions analogues avaient déjà été observées chez des vrais jumeaux.
*
– Chef ?
– Oui, Nathalie ?
– Je voulais vous tenir au courant pour les recherches informatiques.
– Entrez, venez me raconter ça.
La jeune femme s’installa dans le fauteuil, libérant les effluves d’un parfum poudré fort agréable, et ouvrit un cahier d’écolier à spirales, plus modeste que le fameux carnet Moleskine de Pivert.
– Ça se révèle assez compliqué, en fait. La secrétaire de Maxime Laurent connaissait son mail personnel, mais pas le mot de passe de la messagerie. Il utilisait une autre adresse pour communiquer avec elle.
– Secret, ce monsieur…
– J’ai obtenu de son administrateur-système l’historique des mails du mois dernier. Beaucoup de courriels proviennent d’actrices du milieu X. J’ai retrouvé les trois qui ont laissé leurs empreintes chez lui, plus quelques autres qu’on est en train de contacter. Il y a aussi des échanges « professionnels », mais a priori rien de méchant de ce côté-là. En revanche…
– Ah, ça devient intéressant ! Claude Chaudron se pencha en avant pour mieux entendre.
– J’ai noté plusieurs mails énigmatiques d’une certaine eva@hotmail.fr. Elle parle du « site où nous avons fait connaissance » sans en citer le nom, et propose de le rencontrer pour « lui donner de plus amples détails ». Il lui répond en lui fixant rendez-vous le jour du meurtre…
– Excellent !
– Non, Chef, parce que les renseignements du compte hotmail fournis par la dénommée « Eva » sont bien sûr faux.
– Mais on a pu localiser l’ordinateur émetteur ?
– Justement. Ça vient d’une petite enseigne, Cybercube, rue Mignon, près de l’Odéon. Je vais y faire un saut, mais vu le passage qu’il y a dans ces endroits, c’est pas gagné.
– Allez-y, Nathalie. Il faut quand même essayer, c’est jusqu’à présent la seule piste que nous ayons. En tout cas, bravo ! Vous avez fait vite.
La jeune femme s’éclipsa.
*
La rue Mignon, coincée entre le boulevard Saint-Germain et la rue Danton, n’était qu’à cinq minutes du 36 Quai des orfèvres. Nathalie Machaut repéra tout de suite la façade du Cybercube. Difficile de la rater car elle était de couleur orange ! La pancarte annonçait : L’informatique en libre-service.
Nathalie poussa la porte vitrée et entra dans la salle remplie d’ordinateurs. Cinq ou six personnes étaient installées devant des écrans disposés le long des murs. Un jeune Noir, assis derrière le comptoir, l’accueillit avec une affabilité désuète.
– Bonjour, puis-je vous être utile ?
Nathalie montra discrètement sa carte et vit aussitôt la peur figer le visage du jeune homme. Craignait-il l’intrusion de la police dans son établissement ? Était-il en situation irrégulière ? De toute façon, elle ne voulait pas le savoir. La mère de Nathalie était d’origine marocaine, et la jeune policière désapprouvait les expulsions d’immigrés clandestins qui avaient un emploi et dont les enfants allaient à l’école… Elle était heureuse d’appartenir à la Crim’ et de ne pas être directement confrontée à ces problèmes souvent dramatiques. Elle afficha son sourire le plus rassurant.
– Ne vous inquiétez pas, je voudrais juste vous demander quelques renseignements sur certains de vos clients. Vous travaillez ici tous les jours ?
– Oui, en principe toute la semaine de dix heures à dix-sept heures, et parfois le samedi ou le dimanche. Une autre employée me relaie jusqu’à vingt-deux heures, et quand je suis en RTT.
Elle sortit son cahier à spirales.
– Étiez-vous présent mardi dernier vers seize heures, et la semaine précédente, le lundi à onze heures et le mercredi à midi ?
– Il faut que je regarde le planning. Il sortit un classeur et le feuilleta. Ses mains tremblaient légèrement.
– Oui, j’étais bien là mardi et aussi le mercredi précédent, mais j’étais de repos le lundi d’avant. J’avais travaillé le week-end, ajouta-t-il comme pour s’excuser.
– Pas grave, je verrai avec votre collègue pour le lundi. Mais pouvez-vous me dire si vous vous rappelez des personnes qui sont venues aux heures que je vous ai indiquées, le mercredi à midi et la semaine dernière, le mardi à seize heures ?
Il dut s’interrompre pour renseigner un client. Nathalie remarqua que la petite pièce se vidait peu à peu. Sa présence indisposait les utilisateurs qui avaient deviné sa profession…
– Oh là là, il y a tant de monde qui passe, je ne peux pas me souvenir.
Le jeune homme semblait catastrophé, comme s’il craignait d’être tenu pour responsable de son incapacité à fournir les renseignements demandés.
– Oui, je m’en doute bien, mais, voyons, je suppose que vous notez quelque part le temps passé par chaque client sur l’ordinateur et les sommes encaissées ? Nathalie cherchait à aller plus loin sans déclencher la panique chez son interlocuteur.
– Oui, mais pas dans le détail… Il montra l’écran. La durée de la connexion de chaque ordinateur s’affiche ici, elle permet de calculer le montant dû. Mais une fois que le client a payé, ça s’efface. On ne garde en mémoire que le total de la journée. Je pense que ce n’est pas possible de retrouver des données plus précises.
– Et aucun client ne vous a paru inquiétant ? Il s’agit d’une affaire criminelle, le moindre élément pourrait nous aider.
– Impossible de me souvenir, Madame, je suis vraiment désolé. Il y a trop de passage ici. Bien sûr, certains sont des habitués, mais là, non, je me rappelle pas…
– Et les autres jours ? Aux heures indiquées, vous n’avez pas repéré une tête inconnue ?
– Non, je m’excuse, Madame. Je vais faire très attention à partir de maintenant, si vous voulez.
Nathalie s’abstint de lui dire qu’il était trop tard. Elle sentait le découragement la gagner. Évidemment, ça ne pouvait pas marcher. La fameuse Eva avait pu rester cinq minutes comme une demi-heure au Cybercube, écrire à plusieurs personnes, modifier son apparence d’une fois sur l’autre. Elle nota les horaires de l’autre employée pour revenir la questionner, par acquit de conscience, mais sans grand espoir.
Elle aurait pourtant bien aimé apporter des résultats à son nouveau chef de groupe. Elle la trouvait géniale, cette femme.
*
Charles donnait de plus en plus de fil à retordre aux professeurs. Il n’était pas mauvais élève, mais il devenait de plus en plus indiscipliné. Autant dire que mes crises douloureuses se multipliaient, évoluant au même rythme que ses punitions. De temps en temps, j’éliminais de petits graviers dans les urines. Je ne savais pas encore qu’il s’agissait de coliques néphrétiques. Je n’osais parler de ce lien évident, ni à mes maîtres ni à mes camarades, de peur d’être pris pour un fou, mais je savais bien de quoi il retournait. De mon côté, je suivais avec assiduité l’enseignement religieux proposé par l’orphelinat. Je trouvais un grand réconfort dans la prière et ma vocation s’affermissait. Dès l’âge de quinze ans, j’avais décidé que je serais prêtre. Lorsque j’en parlai à Charles, il ricana. Je sentais la rage l’habiter et cela me désolait. J’essayais de lui faire comprendre que rien ne ferait revenir notre mère et qu’il fallait tenter de nous tourner vers l’avenir, que dans notre malheur nous avions la chance immense d’être accueillis dans cet orphelinat, qu’il nous fallait saisir l’occasion pour apprendre un métier et tenter de vivre comme les autres. Rien n’y faisait.
Après le baccalauréat, je pus enfin rencontrer un responsable des vocations du diocèse de Paris, et j’eus la joie d’être accepté en année de « propédeutique » à la Maison Saint-Augustin, puis au Séminaire de Paris pendant six ans. C’est au cours de ces longues années de préparation au ministère que j’eus la chance de découvrir Saint-Séverin, puis d’être intégré à son équipe sacerdotale.
Pendant ce temps, Charles avait été orienté vers un bac technique et suivait une formation en électrotechnique à Meudon. Je le voyais beaucoup moins souvent, mais je sentais toujours ce lien quasi télépathique entre nous. Malheureusement, je ne pouvais même plus en parler avec lui. Il m’aurait ri au nez. J’espérais qu’il arriverait à s’en sortir. Je me trompais.
La police n’avait pas eu de grandes difficultés pour identifier et appréhender l’assassin de maman, un petit proxénète qui tentait depuis des mois de la mettre sous sa coupe. Exaspéré par sa résistance, il s’était laissé aller à un accès de violence incontrôlée. Son avocat souligna habilement la fragilité psychologique de l’accusé, afin d’atténuer sa responsabilité. Albert Briffard ne fut condamné qu’à quinze ans de réclusion criminelle, malgré ses lourds antécédents judiciaires. Mais il purgea sa peine intégralement, car son comportement pendant sa détention ne lui laissa aucun espoir de remise de peine. Et, à peine sorti, il reprit ses coupables activités.
Je n’étais pas au courant de sa libération, ayant tourné la page depuis longtemps, même si la vision d’horreur de ma mère assassinée me hantait toujours. Je ne savais pas que Charles, lui, suivait l’affaire de près.
Un matin, la police est venue me chercher à Saint-Séverin. J’étais déjà diacre et rattaché officiellement à cette paroisse. La veille, on avait trouvé le proxénète éventré dans une petite rue près de Pigalle. Les enquêteurs n’avaient pas tardé à nous rechercher ; l’un d’entre eux se rappelait fort bien notre histoire.
Au début, ça se passa mal pour moi. Épuisé par une crise brutale de colique néphrétique (je fis tout de suite le rapprochement), je ne pouvais fournir aucun alibi, et l’imminence de mon ordination n’impressionnait nullement les policiers : ils en avaient vu d’autres ! Je fus mis en garde à vue et j’eus droit à un prélèvement d’ADN. Le fichier des empreintes génétiques venait d’être élargi aux crimes et délits de droit commun. Mais l’autre suspect privilégié, mon frère Charles, fut ramené au Quai des Orfèvres avec un peu de retard : il était censé effectuer un stage en province, où il n’avait jamais mis les pieds. Il ne fit aucune difficulté pour passer aux aveux.
Mon bref séjour dans les locaux de la PJ n’eut aucune conséquence fâcheuse pour mon ministère, au contraire. Les prêtres de Saint-Séverin connaissaient notre triste histoire et m’entourèrent du mieux qu’ils purent. Mais cette fois, j’étais brisé ; mon petit frère, un assassin !
L’avocat de Charles, commis d’office, s’avéra talentueux. Il réussit à obtenir des circonstances atténuantes et à limiter la peine à huit ans de prison, en dépit de la préméditation évidente. Entre-temps, je fus ordonné prêtre. J’allais régulièrement voir Charles au parloir de La Santé, mais il avait beau se comporter en détenu modèle, ce n’était plus le même homme et je n’arrivais plus à communiquer avec lui.
Il obtint une libération conditionnelle au bout de cinq ans et disparut dans la nature sans me faire le moindre signe.
8 Fichier national automatisé des empreintes génétiques, mis en place en 1998 après l’arrestation du fameux tueur en série Guy Georges. Destiné à traquer les délinquants sexuels, il a été depuis élargi aux crimes et aux délits de droit commun. Fin 2009, il comportait plus de un million deux cent mille profils génétiques (contre deux mille cent en 2002).