Je m’appelle Hugues. Et mon meilleur ami, c’est Thomas. Mes parents disent qu’il a une mauvaise influence sur moi. C’est vrai qu’on rigole bien, surtout à l’école, et puis les mercredis. Le week-end, un peu moins : le père de Thomas est toujours sur son dos et il n’aime pas qu’on se voie. Il dit que j’ai une mauvaise influence sur lui.
Thomas habite quelques ruelles après la mienne et ce qu’on préfère, c’est faire des blagues idiotes. Genre remplir les boîtes aux lettres de gros mots ou sonner aux portes et partir en courant.
À l’école, c’est plus difficile. Le directeur nous connaît et nous surveille sans arrêt. Dès qu’il nous croise, il fronce les sourcils :
– Quelle bêtise allez-vous préparer aujourd’hui ?
On lui répondrait bien qu’il ne va pas tarder à le savoir, mais on préfère se taire, car il a la punition facile.
Alors, on se fait tout petits et on monte sans rien dire dans notre classe. Le maître est sympa cette année, même s’il ne veut pas qu’on soit assis l’un à côté de l’autre.
Il nous répète toujours :
– Si vous êtes séparés, j’arrive à gérer.
Ce matin, avant même qu’on ait sorti nos cahiers du jour, il nous annonce d’un air mystérieux :
– Demain, il y aura quelqu’un de plus dans cette salle.
Aussitôt Thomas lève le doigt et demande sans attendre :
– Un garçon ? Dites-nous que c’est un garçon, s’il vous plaît !
Dans notre classe, on est quatre garçons et dix-sept filles et on ne peut pas dire qu’on s’entende super bien avec elles. Elles discutent toujours dans leur coin en chuchotant et éclatent de rire quand on passe devant elles. Ça nous énerve… Et puis en sport, pas moyen de faire une équipe de foot correcte.
Je me retourne : les copains ont tous joint leurs mains et ferment les yeux, comme s’ils priaient. Les filles pouffent.
Le maître fait un grand sourire à Thomas :
– Son prénom, c’est Camille. C’est un prénom mixte, mais il y a plus de filles que de garçons qui le portent !
Thomas fait semblant de s’écrouler, comme touché en plein cœur. Toute la classe éclate de rire.
À la récré, avec Thomas, on imagine déjà les tours qu’on va jouer au nouveau si c’est une nouvelle. On va lui faire comprendre dès le début qu’on n’aime pas trop les filles, que l’encre rose dans les stylos-plume, c’est très moche, et qu’on déteste celles qui ont toujours des bonnes notes.
Katia passe devant nous et hausse les épaules :
– Vous voulez dégoûter le nouveau de notre classe dès le premier jour ?
Thomas ricane :
– Seulement si c’est une fille.
À 16h30, on enfourche nos vélos pour rentrer. À l’intersection, je demande à Thomas :
– Tu viens goûter chez moi ?
Thomas secoue la tête :
– Non, mon père est en congé, il veut que je rentre directement. Il me fait un signe de la main et prend à droite. Ma maison est dans la rue à gauche. Quand j’arrive, un gros camion barre la rue, je dois me contorsionner pour passer avec mon vélo.
Maman m’attend devant la maison, les bras croisés et un grand sourire sur les lèvres :
– Regarde ! Il y a enfin une famille qui emménage dans la maison de la vieille Madame Gromel. J’ai aperçu une fille. J’ai l’impression qu’elle a le même âge que toi…
Oh non ! Il fallait que ça tombe sur moi. Le nouveau est non seulement une fille, mais en plus elle va habiter ici, à deux pas, et maman va m’obliger à partir à l’école avec elle le matin pour ne pas qu’elle se sente perdue…
Les copains vont bien rire…
Je monte dans ma chambre et soulève un tout petit peu le rideau. Le père est occupé à transporter les cartons en chantant très fort. Je le vois faire un petit signe à maman qui répond en criant presque :
– Bienvenue dans notre rue !
C’est ridicule.
Pas de trace de la mère…
Et la fille ? Je lève les yeux vers les fenêtres.
Horreur ! Les volets s’ouvrent et claquent si fort que je sursaute.
Vite ! Je m’accroupis…
J’ai juste eu le temps de voir des cheveux châtains…