Images
Images

« En suivant le chemin qui s’appelle plus tard
on arrive à la place qui s’appelle jamais. »
Sénèque

« Il ne nous reste plus beaucoup de temps pour prouver
que nous ne sommes pas les produits d’une mutation létale. »
Luke O’NEIL

« L’histoire a montré que l’improbable est possible
quand la contrainte est imparable. »
Edgar MORIN

« La fatalité veut qu’on prenne toujours
les bonnes résolutions trop tard. »
Oscar WILDE

À Marc Atallah
Gardien d’utopies

GEORGES

Georges n’aime rien, dénigre tout.

De ses dix-huit ans il n’attend que la liberté de cultiver son indifférence. Grassouillet, englué dans un reste de gangue pubertaire, ce noiraud, pâle et moite des mains, s’habille de noir, car sa sympathie va aux postures nihilistes et désenchantées des gothiques. Son goût pour le gothisme n’est que le reflet de sa passivité. Bien trop indolent pour s’intéresser à des pratiques sataniques ou à des conciliabules nocturnes dans les cimetières, il est si ambivalent qu’il ne s’est jamais décidé au moindre tatouage ou piercing.

Georges est le petit dernier de la famille d’Elorac. Aimé par Paul, son père, qui s’évertue à le stimuler, il est révéré par sa mère Madeleine qui ne voit, pour ce fils d’exception, qu’un avenir grandiose, hors du commun.

Lui n’a que mépris pour l’avenir, ne se prépare à rien, ne souhaite rien. Il se limite à blaguer avec ses potes gothiques, sans faire l’effort de les voir, se satisfaisant, sous un pseudonyme, d’une communication sur son blog. Solitaire, il s’abstrait du monde en se réfugiant dans les bulles des auteurs. Ses préférés sont Lautréamont, Baudelaire, Nietzsche, même s’il ne comprend pas toujours, Christine Angot, et tant mieux si elle le dégoûte, ou Thomas Bernhard, et tant pis s’il lui fait un peu peur. Georges est un mou, à force de scepticisme et d’indécision. Taiseux, il neutralise ses pulsions en les théorisant, en les décortiquant pour les anéantir. Que peut donc bien contenir un bonnet de soutien-gorge ? Y-a-t-il réellement un intérêt à convoiter la vue ou le toucher d’une glande ? Sans compter l’effort de séduction à consentir pour y parvenir. Fuyant les contraintes de la réalité, il s’adonne à la navigation sur la toile. À journées faites, même par beau temps, il y recherche, comme autant de miroirs à son indécision, mille raisons le confortant dans son scepticisme. Georges se refuse à produire quoi que ce soit, ne serait-ce pour son plaisir qu’il considère comme superflu, voire incongru, sans sujet ni objet. Il déteste les séries télé. Les Revenants ou Game of Thrones le font gerber, comme il dit. L’alcool ? Certainement pas. Le mysticisme ? Non merci, trop abstrait pour ne pas consommer une énergie qu’il ne saurait où trouver. Idem pour le sexe. Il faudrait trop s’impliquer. Mieux vaut oublier, se débrouiller ou s’en tenir à ses pollutions nocturnes. Au sport il préfère le démontage et le remontage d’un mécanisme d’horloge, de pompe ou de moto. Il déconstruit. Comme si c’était encore à la mode. Pour refaire ensuite à l’identique et s’assurer ainsi que rien ne change.

Pourtant, bien des changements se sont succédé autour de lui. Son père Paul voyage de plus en plus depuis qu’il fait partie du GIERC1 au titre d’expert en énergies renouvelables. Rarement chez lui, il demeure en contact avec les siens par e-mail. Madeleine, la mère de famille, a repris son métier d’infirmière, maintenant que ses deux aînés, Judith et Julien, ont quitté la maison. Compulsivement disciplinée, levée chaque matin la première, se voulant irréprochable, allant au-devant des besoins de chacun, elle a choisi, dans une sorte d’élan expiatoire, l’éprouvante tâche de s’occuper des mourants dans une unité de soins palliatifs.

Judith, grande, mince et belle comme son père, auquel elle demeure attachée par son amour de petite fille, a fini par quitter le foyer familial qu’elle sentait envahi par une oppressante présence de non-dits. Elle a obtenu, avec félicitations, son brevet de pilote d’hélicoptère et s’est vu recrutée dans le corps des sapeurs-pompiers secouristes. Les horaires contraignants, les imprévus de l’urgence et les risques de missions périlleuses la confortent dans son choix du célibat, et sont, à ses yeux, largement compensés par le plaisir de voler, la conscience d’être utile et l’attrait de l’aventure. Georges admire sa sœur.

Julien, né à peine deux ans après Judith, est parti le premier. Convaincu de perdre sa vie s’il ne la donne pas à autrui, il a rejoint une congrégation de franciscains. Il y est novice et très heureux de s’occuper de SDF. Georges ne comprend pas son frère.

Quant à lui, que dix ans séparent de Judith et huit de Julien, il vient de passer son bac, mollement, par concession aux attentes de ses parents, mais sans trop savoir quelle porte ouvrir avec ce sésame. Car, pour cela, il faudrait choisir. Or choisir c’est dépenser l’énergie de renoncer. Ici encore, mieux vaut s’abstenir.

Irrésistiblement irrésolu, ce garçon trouvera pourtant sa voie lorsqu’il aura été happé par une cause embrassée comme l’antidote à son désarroi.


1. Groupe International d’Études du Réchauffement Climatique.

LE BLOG DE GEORGES, ALIAS GAIBAZAR

Gaibazar

4 avril 2019, 12h00

Wouaahhhh… la gamelle que je me suis ramassée hier ! À vélo, sur un petit chemin bétonné du bord du lac. Jamais j’aurais pensé atterrir si rapidement, cognant le sol du temporal ! Le nez râpé et le bord de la narine fendu, pissant à grosses gouttes sur le gris du béton : la vie fluide et rouge vif sur la fatalité dure et terne. Un Miró signé Gaibazar. Je me relève en dégageant mes jambes entravées dans le vélo. Curieusement mon premier souci est de ne pas saigner sur ma chemise. En allant chercher un mouchoir dans ma poche, je ressens une douleur dans le poignet, le gauche. Je suis donc conscient, la douleur m’indique que je suis en vie. Debout et parfaitement en mesure de repartir à vélo dans la lumière bleue et l’air frais de cet avant-printemps.

Ce matin, ça va très-mieux. Le poignet enflé est moins sensible : probablement rien de cassé.

Allez ciao les blogueurs ! Et pensez-y pour les coups qui menacent ou touchent votre carcasse ou votre âme : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »

Nuisettenoire

4 avril 2019, 12h35

Pauvre lapin ! Alors on s’est pris ses longues oreilles dans la chaîne de son vélo ? ! Mais qu’est-ce que tu pouvais bien glander à vélo ? Et, j’en suis sûre, sans casque : trop libre, trop fortiche le mec pour enfermer sa belle chevelure ! La sécurité c’est pour les cons, ceux qui pensent qu’ils méritent de durer, pas vrai ? Je parie que tu n’avais même pas une meuf dans la prunelle. Pas le moindre rencard. Pas même la plus petite idée de rouler pelle sur pelle à une nana avec l’obsession de t’y fourrer. Même pas la moindre envie de te faire astiquer. Non !… Monsieur se veut au point mort… Monseigneur s’est mis en roue libre. Le voilà branché no sex. Quelle triste débilité ! Et le pire, c’est que ça se passe que dans ta tête. Moi qui t’ai senti dur contre mon ventre, quand j’ai dansé un slow avec toi l’autre soir – tu te souviens ? – moi, je le sais que c’est dans ta tête obscure de sombre égoïste que ça tourne court. En serais-tu à penser avec ce vieil Arthur que la femme n’est qu’« un animal à cheveux longs et aux idée courtes » ?

Allez ciao ! Baiser violet… Et pour les ecchymoses regarde du côté de l’arnica.

Poildanslamain

5 avril 2019, 18h55

Oh là, Nuisettenoire ! Du calme, t’es pas sa mélodie, voilà tout. Accepte que, pour une fois, c’est pas la femme qui dispose, mais l’homme qui ne propose pas. Laisse-le récupérer de sa chute et fais un effort pour capter : y’en a qui n’ont pas rencontré leur propre existence, leur destinée les ignore encore. Tu vois un peu le trou noir de leur angoisse. C’est pas le sexe qui peut la calmer, au contraire.

Quand je lis tes jérémiades, j’ai envie de me fringuer tout noir, de me mettre à l’unisson avec les goths, ceux qui font leur credo de la futilité de la vie et de la stupidité de tant de leurs définitivement non-semblables.

Change de trottoir, va donc balader ailleurs tes instincts et tes bas morceaux. Laisse-nous à la mélancolie dans laquelle stagnent nos vies que chaque jour fait glisser vers la mort.

Fucktheworld

5 avril 2019, 20h35

Il a raison le poilu de la main : « Faut-il qu’un homme soit tombé bien bas pour se croire heureux ? » Paraît qu’la vie c’est une comédie pour les-bien-à-l’aise. Ils la traversent sans cette douleur qui étrangle, sans cette angoisse qui te bouffe les entrailles. Pour les sensibles, la comédie devient plus aigre, plus grinçante. Mais si t’as perdu l’anesthésie de l’insouciance, si la chance t’a laissé sur le trottoir, la vie est une tragédie dans laquelle « c’est le diable qui tient les fils qui nous remuent ». Alors la souffrance est au quotidien, option désespoir comprise. Une érection pendant un slow n’y change rien.

Gaibazar

6 avril 2009, 14h45

Celui qui tient tes fils, mec, c’est d’abord celui à qui tu les donnes.

Moi, c’est mon père qui me tanne. Je sais, c’est banal, mais ça me gonfle : il me saoule grave avec ses obsessions de bon Samaritain. Toujours à vouloir sauver la planète. Toujours à savoir ce qu’il faut faire. Toujours à me faire comprendre que je devrais faire comme lui. Toujours à chercher. Toujours à penser avoir trouvé de quoi faire encore et encore. Toujours à se plaindre qu’on-et-ils ne décident rien. Qu’après ce sera trop tard. Toujours à tirer sur les politiques. À les dire tout juste capables de pédaler par ambition sans voir qu’ils vont droit dans le mur. Ferait mieux d’en faire un peu moins, mon cher père. Devrait penser à être plutôt qu’à faire !

Eh bien, non. Même pas capable de s’occuper de la météo pourrie et de la pollution urémique que ses reins bousillés imposent à son organisme. Infoutu de se décider pour une greffe : pas le temps qu’il dit. Ridicule ! À se demander ce que cache ce faux-fuyant, ce que signifie ce refus de considérer ses propres besoins pour ne voir que les sacro-saintes urgences de la planète. Il sait parfaitement ce qu’il faut faire. La décision ne dépend que de lui. Et pourtant, il la prend pas ! Il tergiverse, procrastine, préfère perdre son temps à confier son sang, pour nettoyage, à une machine de dialyse. Trois fois par semaine !

Quand je pense qu’il veut redresser le climat ! Transformer les humains, changer les idées, pire : les habitudes, du genre je veux/j’achète de tous ceux qui pensent – sans vraiment y penser – qu’une solution surviendra bien un jour et que de toute manière on s’en est à chaque fois sorti, sinon on ne serait pas là. Pas vrai ? Changer les hommes ! Là, d’un coup. Les faire se donner la main tout autour de la planète, comme dit la chanson ! En dépit de leurs préjugés, de l’égoïsme de chacun et du fameux libre-arbitre dont ils sont si fiers ? ! Illusoire tant qu’ils sont dans le coton de leur confort et de leur bon droit. Loin de se priver, refusant de partager.

Et lui, mon père, il croit possible d’imposer une greffe de solidarité aux humains, alors qu’il est même pas capable de se prendre le temps pour une greffe de rein !

Callinoir

6 avril 2019, 18h00

Salut Gaibazzar !

Tu sais pas la chance que t’as avec ton vieux. T’as qu’à t’en foutre de ses idées pour sauver la planète. Laisse tomber et écoute-moi bien. Tu réalises qu’il te parle, ton père, il t’écoute, te répond et te raconte ce qui le branche. Tu connais pas ton privilège, mec ! Arrête, stop, dis plus qu’il te tanne, te bassine, te rase ou te barbe. Jamais.

Regarde ! Moi, mon père, il s’est crashé en bagnole une nuit d’hiver avant même que je naisse avec le printemps. Jamais vu. Passé zéro, avenir que dalle. Et au présent, un grand trou, comme un volcan éteint, en plein dans le cœur.

Avec ça, « Deviens ce que tu es », c’est franchement plus difficile. En tout cas au démarrage. Allez ciao et penses-y…

Elvira

6 avril 22h10

Bravo à Callinoir ! Bien dit. En voilà un qui sait les racines de la mélancolie, un qui connaît la douleur à écorcher le cœur, l’opacité gelée de la solitude, comme dit la chanson.

Moi, y a personne qui m’comprend, j’suis seule à voir la futilité d’la vie et la bêtise de presque tous, tout autour de moi. J’me nourris d’ma détresse. Ma tristesse est noire, j’les fuck tous et j’m’habille goth. J’écris sinistre, j’écoute de la zik triste, j’lis le spleen de Charles, la mélancolie me ravage l’âme. Alors j’aime les cimetières, la nuit, où y a des fois des goths durs, de ceux qui égorgent des lapins à la lueur de bougies noires, en r’gardant la pleine lune s’glisser sous les nuages.

Mais toi Gaibazar, i’faut que j’te dise, tu t’trompes grave de cible : le casse-tête de ton père c’est pas c’qu’il a envie de faire – et puis laisse-le, ça l’fait vivre puisque « c’est ce qui nous manque qui donne la raison d’être », parole de Lao-Tseu. Non, son problème à ton vieux, c’est juste le truc qu’il a pas envie de faire. P’t-être bien pasque ça lui fait trop peur, même s’il reconnaît q’c’est la solution et qu’il devrait s’y coller, pour sa santé, pour sa liberté, pour sa survie : oser s’faire greffer, prendre ce temps-là pour lui. Faire pour être, comme tu dis. Pas le temps, qu’il répète ? Alors aide-le, fils ! Bouge-toi un peu pour lui, apporte-lui une solution. Aménage une piste, trouve une astuce. Tiens, prends exemple sur le manchot qui s’échine à trouver le plus joli caillou possible à offrir à sa belle. Il doit bien y avoir des galets en forme de rein…

Smiledark

7 avril 13h35

Hou… Là, les goths, vous êtes préoccupés sérieux !

Bon, j’vais vous raconter comment on s’est marré hier soir : ça éclaircira votre satanée mélanconnerie.

Vous savez c’que c’est un dîner où t’as pas envie d’aller. Là, c’en était un trop pire : un de ces raouts dégoulinants de satisfaction, bienséance et bienfaisance. Je me traînais, infoutu de faire l’mondain, parmi ces vrais bourgeois, tous ces true faux-culs, as we say in English. Comble de bol, je tombe sur Géhennon, vous voyez, le gars qui s’est fait tatouer l’enfer sur tout le thorax, devant-derrière, avec Satan qui lui mord le cœur. I’me balance à l’oreille : démerde-toi pour que toi et moi on soit assis à la même table et, surtout, face à face. Je m’étonne. Et alors ? On pourra même pas se parler vu le tohu si bohu de ces tables pour dix pingouins avec leur perruches. À peine si tu entends tes voisines, alors ton vis-à-vis, t’oublies… Il revient à mon oreille : ben justement, mec, fais exactement comme moi, et tu verras, on va s’éclater grand angle.

Je m’suis démerdé pour.

On est face à face.

Question de faire ronronner la conversation, je réponds à la curiosité de mes voisines en dégoisant des trucs imaginés au fur et à mesure que je les débite – du genre que je serais un étudiant en médecine passionné par le tiers-monde. Elles roucoulent combien elles admirent et comme quoi y’a malgré tout des jeunes formidables et que c’est si rassurant à une époque où… C’est là qu’on apporte le pavé de saumon sur son lit d’épinards riz sauvage et sauce à l’oseille. Vous aimez ? Oh oui, Madame, tout simplement délicieux, tout à fait succulent… De quoi te faire croire que le monde tourne rond… Et voilà que le Géhennon accroche mon regard, insiste, le lâche plus, se penche un peu en avant et, toujours en me fixant pour capter mon attention, se met à parler en exagérant son articulation ; il gesticule des lèvres comme s’il était aphone. Malgré un regard en coin de sa voisine qui s’est aperçue de son manège, il insiste et se met à soulever le menton et les sourcils pour m’apostropher ou décrocher mon approbation. Puis il fait une pause avec un hochement latéral de la tête et un soulèvement d’épaules comme pour me dire quelle couche t’en tiens, mec, décidément tu comprends rien. Moi, c’est là que je pige. S’il avait réellement parlé au lieu de faire ces mimiques, j’aurais entendu sa voix, malgré le brouhaha environnant. Bon, à moi. Et je fais comme lui. Et il répond, toujours aphone, mais en articulant des lèvres. On a l’air d’avoir une discussion très animée, mais il manque le son, comme si t’avais mis la télé sur mute. Tu penses si ça intrigue nos voisines. La curiosité ça les rend illico muettes, elles voudraient savoir. La contagion de la curiosité gagne chacun autour de la table : silence… Nous éclatons de rire : en voilà une blague qu’elle est bonne ! Ha ha, très drôle votre combine, qu’ils disent tous, sauf une face de lune à nœud pap qui bémolise en disant qu’il a vu le truc dans un film des Bronzés. OK, ça n’empêche pas qu’ils s’y voient déjà, se racontent l’effet bœuf que ça ferait chez belle-maman, se promettent d’essayer chez ce cul-pincé de Bertrand… Suit un temps mort à faire passer un ange, comme ils disent. Et là, je vois mon Géhennon se pencher sur sa gauche et se soulever un brin de son siège. On croirait que c’est pour libérer un pli de son pantalon. Mais non, le salaud, il craque l’amas de décibels d’une impétueuse louise ! Puis, se tournant tout sourire et rassurant vers sa voisine de droite, il lui balance, magnanime : ne vous inquiétez donc pas, Madame, je dirai que c’est moi. Et de préciser, sous les invectives, qu’elle est de Sacha Guitry, et qu’il l’a lue sous la plume d’un brillant auteur de la maison Gallimard. Le Géhennon et moi on s’est mutuellement resservi un verre de Meursault, avant de prendre congé avec un grand sourire au bout d’une courbette.

Bahamut

7 avril 2019 17h45

Moi chui pas goth même si j’fantasme idem les sataniques sur les Beaudelère, Nitche ou autre Chopenoère. Chui pas goth passque j’veux m’marrer. C’est tout. La mélancolie, le sang, les conneries à Satan et la zik trop toujours que triste des true goths, ça m’fait gerber. Leur tristesse intérieure, comme i’disent, et la mélancolie j’veux les niquer en m’gondolant. Le rire c’est c’qui a d’plus rebellissime. L’humour, c’est la manière la moins douloureuse de dire son désespoir.

Alors Merci à Smiledark pour le bon tuyau. Viv’ment qu’jessaie l’coup. Faut juste oser. En famille ça va : gamin, j’adorais l’vélo, et pour faire rire mes sœurs, je m’filais avec la pompe ce qu’i’fallait d’air dans le pot d’échappement pour leur servir de monstrueux et interminables pets. Allez ciao… et si t’es copain avec Satan, fais-lui un brin de démo… !

Gaibazar

7 avril 23h50

Comme tu dis si bien, Bahamut : « Faut juste oser ». Sauf qu’à mon avis c’est encore plus difficile d’oser en famille. Tiens, un exemple : moi je sais bien que j’ai pas envie d’y aller à cette sacro-sainte fête de famille fixée à jamais au jour de Pâques, que mon père y tient mordicus. J’aurais qu’à dire non. Pour une fois, oser dire non, mais j’en suis pas capable. Tu vois un peu ? Pâques en famille ! Comme si Noël suffisait pas ! À Pâques, c’est à cause que depuis que le tombeau a été soi-disant trouvé vide, tout ira mieux pour tous ceux qui feront comme Il a dit. Alors, à Pâques, il faut se réunir, être ensemble pour fêter l’espoir, le privilège d’avoir une chance d’être pardonnés et sauvés. Moi j’en suis encore à me demander ce qu’on a bien à se faire pardonner. Et toi, t’as une idée de quoi tu dois être sauvé, vu qu’à part deux ou trois bricoles explicables donc excusables t’as rien fait de mal et rien demandé ? Surtout pas d’être là, à ne rien comprendre à rien, sinon qu’il faut réunir la famille pour s’entendre répondre, comme chaque fois que je pose ces putains de questions, que c’est symbolique et que je comprendrai plus tard, quand j’aurai moi-même une famille. À croire pour finir que c’est à cause qu’en famille on a quelque chose à se faire pardonner. Que ce serait fait exprès pour ça les fêtes de familles. Allez savoir… Et pourquoi qu’on fêterait pas les solstices, les éclipses de lune, le passage d’une comète, la perfection des équinoxes ou la montée de la sève au printemps, juste pour admirer le fonctionnement de l’univers ? Manière de tirer un coup de chapeau à toutes les forces de ce grand bordel de chaos.

De toute façon, moi, j’ai rien à dire : je suis le petit dernier. Dix ans se sont posés entre moi et les deux grands : Judith l’aînée, et Julien, débarqué moins de deux après elle. Tous deux sont persuadés d’être utiles aux autres, certains de ne pas vivre pour rien. Tous deux dégustent le joli alibi par lequel ils se rassurent : Judith dans son hélicoptère de sauvetage et Julien dans ses fonctions d’homme d’Église pour le bien de son prochain.

Maintenant Judith et Julien ont quitté la maison. Mes parents fuient, chacun dans son boulot, le GIERC pour mon père, les soins palliatifs pour ma mère. Tous les deux ne font que se croiser, furtivement, ne se parlent que pour se demander le sel, le journal ou pour commenter la météo. Et moi j’écope de la solitude. Alors quoi ? Un dîner à Noël et à Pâques ou aux anniversaires ça suffirait pour remettre ensemble les morceaux de ma famille ?

Sans vouloir tout comprendre, je sens qu’il faudrait faire quelque chose comme installer à l’intérieur de la famille ce que chacun accomplit à l’extérieur. Je veux dire faire entre nous quelque chose les uns pour les autres.

Moi qui suis le dernier de la famille, moi l’inattendu, moi l’indolent qui ne sait pas ce qu’il se veut, moi l’inactif dont on pense qu’il n’a d’intérêt pour rien, moi, je crois que j’ai ma petite idée.

Elvira

8 avril 2019, 04h00

Bravo, Gaibazar, tu as tout compris ! Continue… et fais le pas. Tu as de la chance. Moi j’y arrive pas. Ma mère me comprend pas. Mon père est nase, à la dérive, comme les bouchons de son pinard. De toute façon, il veut rien savoir. C’est pour ça que je suis goth et me fringue en noir : pour faire chier mes vieux, pasque le noir y z’aiment pas. À croire que ça leur fait peur, comme du sale, de l’inconnu. Alors je rajoute une couche et je me fous des bijoux avec des pics et des clous et des piercings et des tatoooooouuuuu ! ! ! Jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’il faut faire quelque chose de sincère les uns pour les autres. C’est tout. Sinon on est trop mal ensemble.

Bahamut

8 avril 2019, 08h45

Gaibazar, y a vraiment d’tout sur ton putain de blog, de la nympho au péto, du bourge au goth very true ! De la tristesse au rire, du désespoir à l’espérance, de l’angoisse à la générosité.

Moi, ça me plaît.

Je vous aime bien. Tous.

Allez Ciao et souviens-toi : « Vouloir trop tard, c’est ne pas vouloir. »

PAUL

De : georges.d’elorac@basta.planète

Envoyé : 9 avril 2019, 09:33

À : paul.d’elorac@encore.planète

Sujet : L’avis de Nietzsche


Salut P’pa,

Trouvé ce paragraphe de Nietzsche sur mon blog. L’ai copié, pour toi. Si tu veux, j’ai la référence. Fais-moi plaisir, lis ! Deux fois.

« Il y eut une fois dans un recoin éloigné de l’univers répandu en d’innombrables systèmes solaires un astre sur lequel des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la plus orgueilleuse et la plus mensongère minute de l’histoire universelle : une seule minute en effet. La nature respira encore un peu et puis l’astre se figea dans la glace. Les animaux intelligents durent mourir.

Une fable de ce genre, quelqu’un pourrait l’inventer, mais cette illustration resterait bien en dessous du fantôme misérable, éphémère, insensé et fortuit que l’intellect humain figure au sein de la nature.

Des éternités durant, il n’a pas existé ; et lorsque c’en sera fini de lui, il ne se sera rien passé de plus. Car ce fameux intellect ne remplit aucune mission au-delà de l’humaine vie. Il n’est qu’humain, et seul son possesseur et producteur le considère avec pathos, comme s’il renfermait le pivot du monde. Or, si nous pouvions comprendre la mouche, nous saurions qu’elle aussi nage à travers l’air avec ce pathos et ressent en soi le centre du monde. »

Plus gothique que ça tu te mets à parler aux bourrins2 !

Pile-poil pour toi ! Tout juste ce que je cherchais. Pour que tu comprennes : ta frénésie pour sauver la planète, c’est du pipeau. Tu dis « Pour que les humains survivent à leurs erreurs ! » Et s’ils avaient fait leur temps, les humains ? Tout simple. Non ? On disparaît comme des mégamilliers d’autres espèces ont déjà disparu. Et alors ? L’évolution ça vaut pour tout ce qui vit. Pas vrai ? Les humains qui gerbent dans la soupe, préfèrent l’obésité au partage, chient dans leur lit, et même dans celui des autres, c’est qu’ils ne sont plus à l’heure de la planète. Comme des oiseaux noirs sur la banquise. Mais voilà, le problème avec les bipèdes intelligents, c’est que le mutant aussi adapté que l’oiseau blanc sur la banquise ça n’existe pas. Alors pour toi, qu’est-ce qu’il doit faire l’oiseaunoir ? Il doit se déguiser en oiseau-blanc-qui-nettoie-tout ? Mais tu rêves ! ! C’est leur nature à ces bouffons d’humains d’avoir dans leur cervelle tout pour tout foutre en l’air. Rien à voir avec la bonne ou la mauvaise volonté : ils sont comme ça. Au point qu’ils vont se rendre inadaptables à tout ce qu’ils auront encrassé et eux-mêmes détruit. Et tu veux que je te dise ? Le pire, c’est qu’ils le savent. Ils savent même que le jour où ils accepteront d’écouter des sages, des visionnaires, des précurseurs comme toi, ça sera déjà trop tard. Déjà foutu, râpé, plié ! ! ! Comprends bien, j’leur en veux pas : leur fameux logiciel de liberté et de perfectibilité (j’suis pas savant, c’est juste le papa d’Émile qui l’a dit) les a mis hors nature. Ils sont pas programmés pour respecter la nature, comme le sont tous les animaux qu’ont juste le programme qu’y faut pour survivre. Eux, les bipèdes intelligents, ils veulent vivre. Pas avec la nature, mais à ses dépens, quitte à la piller, à la combattre. Alors moi je doute qu’on puisse les reprogrammer rien qu’avec de la bonne volonté, et j’me dis que les bonnes idées des uns sont que des emplâtres sur la jambe de bois des autres. Alors, P’pa, fais-moi plaisir. Reste pas la tête dans le guidon de tes recherches pour sauver les hommes de leur condition. Et la planète se démerdera très bien toute seule, comme elle l’a toujours fait. Si les humains lui donnent trop de démangeaisons, elle se grattera. Elle se secouera, s’ébrouera. Que tu le veuilles ou non, elle se débarrassera de cette engeance aussi prétentieuse que destructrice. Et, tant que le soleil ne se sera pas éteint, elle poursuivra son existence avec les formes de vie qui ne la menacent pas et la rendent si belle.

J’espère sincèrement que ce texte de Nietzsche que j’ai choisi pour toi te calmera et te donnera un peu de distance, te fera envisager de renoncer un peu à faire pour préférer être, t’engagera à te préoccuper de toi, de ta santé, et surtout à te faire greffer pour la retrouver.

P’pa, s’il te plaît, ça m’intéresse plus que la planète.

Tu me reproches d’être désabusé et mélancolique ?

Comprends : je suis juste sage, en attendant.

Ton fils Georges.

De : paul.d’elorac@encore.planète

Envoyé : 10 avril 2019, 00:18

À : georges.d’elorac@basta.planète

Sujet : RE : De l’avis de Nietzsche


Mon cher Georges,

J’ai lu ton texte choisi, et je comprends qu’il te séduise ne serait-ce que par sa décapante radicalité. Tu penses probablement y trouver quelque justification à ta mélancolie – presque un nom de fleur –, à ce désarroi qui t’empêche de faire des projets, de mordre à la vie, et d’en prendre ta part en découvrant le monde. Sache, mon cher Georges, que la mélancolie qui t’envahit pourrait n’être qu’une passion triste, comme la qualifiait Spinoza. Tu vois que, tout comme toi, je me plais à conforter ma pensée en convoquant les esprits reconnus de tous.