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© ELS Belgium s.a., 2018
Éditions Bruylant
Rue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles
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ISBN : 9782802760931
Directeur de la collection : Fabrice Picod
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit et contentieux de l’Union européenne, directeur du Centre de droit européen et du master 2 Droit et contentieux de l’Union européenne, président honoraire de la Commission pour l’étude des Communautés européennes (CEDECE).
La collection Droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne. Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels, de traités et de monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité, des grands arrêts de la Cour de justice et des grands textes commentés.
Précédemment parus dans la collection :
1. Statut de la fonction publique de l’Union européenne. Commentaire article par article, sous la direction de Ezillo Perillo et de Valérie Giacobbo Peyronnel, 2017.
Antoine Bailleux, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, Avocat.
Dirk Baugard, Professeur à l’Université Paris 8.
Marie-Aude Beernaert, Professeure à l’Université catholique de Louvain.
Diane Bernard, Professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Nicolas Bernard, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Philippe Blacher, Professeur à l’Université Lyon 3.
Claude Blumann, Professeur émérite de l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Serge Bodart, Conseiller d’État, Chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles.
Michel Borgetto, Professeur à l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Estelle Brosset, Professeure à l’Université d’Aix-Marseille.
Emmanuelle Bribosia, Professeure à l’Université libre de Bruxelles.
Nicolas Cariat, Avocat, Professeur invité à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, Chargé de cours invité à l’Université catholique de Louvain.
Jean-Yves Carlier, Professeur à l’Université catholique de Louvain et à l’Université de Liège.
Charles-Éric Clesse, Auditeur du Travail, Chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles.
Olivier Costa, Directeur de recherche au CNRS, Professeur au Collège d’Europe.
Pierre-Olivier de Broux, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, Professeur invité à l’Université catholique de Louvain.
Vanessa De Greef, Chercheuse post-doctorale à l’Université libre de Bruxelles.
Nicolas de Sadeleer, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Xavier Delgrange, Premier auditeur Chef de Section au Conseil d’état, Chargé d’enseignement à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Élise Dermine, Professeure à l’Université libre de Bruxelles.
Luc Detroux, Conseiller d’état, Chargé d’enseignement à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Peggy Ducoulombier, Professeur à l’Université de Strasbourg.
Daniel Dumont, Professeur à l’Université libre de Bruxelles.
Hugues Dumont, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Marie-Claire Foblets, Max Planck Institute for Social Anthropology.
Jean-Christophe Galloux, Professeur à l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Gérard Gonzalez, Professeur à l’Université de Montpellier.
Adeline Gouttenoire, Professeur à l’Université de Bordeaux.
Christine Guillain, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Isabelle Hachez, Professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Julien Hislaire, Avocat, Assistant chargé d’exercices à l’Université libre de Bruxelles.
Jean Jacqmain, Professeur invité à l’Université libre de Bruxelles.
Jacques Jaumotte, Président du Conseil d’État de Belgique, Chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles.
Frédéric Krenc, Avocat, Maître de conférence invité à l’Université catholique de Louvain.
Robert Lafore, Professeur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux.
Thierry Léonard, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, Avocat.
Jean-Pierre Maguénaud, Professeur à l’Université de Limoges.
Arnaud Martinon, Professeur à l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Francesco Martucci, Professeur à l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Delphine Misonne, Chercheur qualifiée du F.N.R.S. – Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Jean Mouly, Professeur émérite de l’Université de Limoges.
Fabrice Picod, Professeur à l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Jérôme Porta, Professeur à l’Université de Bordeaux.
Didier Rebut, Professeur à l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
David Ribant, Avocat, Assistant à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Cecilia Rizcallah, Aspirante du F.N.R.S., Université Saint-Louis – Bruxelles et Université libre de Bruxelles.
Sophie Robin-Olivier, Professeur à l’Université Paris 1.
Pierre Rodière, Professeur émérite de l’Université Paris 1.
Isabelle Rorive, Professeure à l’Université libre de Bruxelles.
Julie Salteur, Assistante à l’Université Saint-Louis Bruxelles, Avocate.
William Schabas, Professeur à Middlesex University, London et à l’Université de Leiden.
Alain Strowel, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et à l’Université catholique de Louvain.
Frédéric Sudre, Professeur à l’Université de Montpellier.
Bernard Teyssié, Professeur émerite de l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Romain Tinière, Professeur à l’Université de Grenoble – Alpes.
Sébastien Touzé, Professeur à l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
François Tulkens, Avocat, Chargé d’enseignement à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Françoise Tulkens, Professeure émérite à l’Université catholique de Louvain, Ancienne vice-Présidente de la Cour européenne des droits de l’homme.
Nathan Tulkens, Avocat, Assistant à l’Université Saint-Louis – Bruxelles.
Sébastien Van Drooghenbroeck, Professeur à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, Assesseur au Conseil d’État de Belgique.
Frédéric Vanneste, Docteur en droit (KULeuven), Auditeur au Conseil d’État de Belgique.
Jan Velaers, Professeur à l’Université d’Anvers, Assesseur au Conseil d’État de Belgique.
Claire Vial, Professeur à l’Université de Montpellier.
Patrick Wachsmann, Professeur à l’Université de Strasbourg.
Geoffrey Willems, Professeur à l’Université catholique de Louvain.
Liste des auteurs
Introduction
Préambule
Antoine Bailleux
Article 1. – Dignité humaine
Claire Vial
Article 2. – Droit à la vie
Françoise Tulkens
Article 3. – Droit à l’intégrité de la personne
Frédéric Vanneste
Article 4. – Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
William Schabas
Article 5. – Interdiction de l’esclavage et du travail forcé
Charles-Éric Clesse
Article 6. – Droit à la liberté et à la sûreté
Christine Guillain et David Ribant
Article 7. – Respect de la vie privée et familiale
Nicolas Cariat
Article 8. – Protection des données à caractère personnel
Romain Tinière
Article 9. – Droit de se marier et de fonder une famille
Geoffrey Willems
Article 10. – Liberté de pensée, de conscience et de religion
Gérard Gonzalez
Article 11. – Liberté d’expression et d’information
Patrick Wachsmann
Article 12. – Liberté de réunion et d’association
Peggy Ducoulombier
Article 13. – Liberté des arts et des sciences
Jean-Christophe Galloux
Article 14. – Droit à l’éducation
Xavier Delgrange et Luc Detroux
Article 15. – Liberté professionnelle et droit de travailler
Élise Dermine
Article 16. – Liberté d’entreprise
Thierry Leonard et Julie Salteur
Article 17-1. – Droit de propriété
Nicolas Bernard
Article 17-2. – Propriété intellectuelle
Alain Strowel
Article 18. – Droit d’asile
Serge Bodart
Article 19. – Protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition
Jacques Jaumotte
Article 20. – Égalité en droit
Emmanuelle Bribosia, Isabelle Rorive et Julien Hislaire
Article 21. – Non-discrimination
Emmanuelle Bribosia, Isabelle Rorive et Julien Hislaire
Article 22. – Diversité culturelle, religieuse et linguistique
Marie-Claire Foblets et Jan Velaers
Article 23. – Égalité entre femmes et hommes
Jean Jacqmain
Article 24. – Droits de l’enfant
Adeline Gouttenoire
Article 25. – Droits des personnes âgées
Michel Borgetto et Robert Lafore
Article 26. – Intégration des personnes handicapées
Isabelle Hachez
Article 27. – Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise
Bernard Teyssié
Article 28. – Droit de négociation et d’actions collectives
Pierre Rodière
Article 29. – Droit d’accès aux services de placement
Dirk Baugard
Article 30. – Protection en cas de licenciement injustifié
Arnaud Martinon
Article 31. – Conditions de travail justes et équitables
Sophie Robin-Olivier
Article 32. – Interdiction du travail des enfants et protection de jeunes au travail
Vanessa De Greef et Jérôme Porta
Article 33. – Vie familiale et vie professionnelle
Jean-Pierre Marguenaud et Jean Mouly
Article 34. – Sécurité sociale et aide sociale
Daniel Dumont
Article 35. – Protection de la santé
Estelle Brosset
Article 36. – Accès aux services d’intérêt économique général
Pierre-Olivier de Broux
Article 37. – Protection de l’environnement
Delphine Misonne et Nicolas de Sadeleer
Article 38. – Protection des consommateurs
Fabrice Picod
Article 39. – Droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen
Olivier Costa
Article 40. – Droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales
Philippe Blacher
Article 41. – Droit à une bonne administration
François Tulkens
Article 42. – Droit d’accès aux documents
Francesco Martucci
Article 43. – Médiateur européen
Claude Blumann
Article 44. – Droit de pétition
Hugues Dumont et Nathan Tulkens
Article 45. – Liberté de circulation et de séjour
Jean-Yves Carlier
Article 46. – Protection diplomatique et consulaire
Sébastien Touze
Article 47. – Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial
Frédéric Krenc
Article 48. – Présomption d’innocence et droits de la défense
Marie-Aude Beernaert
Article 49. – Principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines
Didier Rebut
Article 50. – Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction
Diane Bernard
Article 51. – Champ d’application
Fabrice Picod
Article 52-1. – Limitations aux droits garantis
Sébastien Van Drooghenbroeck et Cecilia Rizcallah
Article 52-2. – Portée et interprétation des droits et principes
Antoine Bailleux
Article 53. – Niveau de protection
Nicolas Cariat
Article 54. – Interdiction de l’abus de droit
Frédéric Sudre
Bibliographie générale
Annexe – La Charte des droits fondamentaux et ses explications publiées le 14 décembre 2007
Table des décisions
Table des matières
Le 1er décembre 2009, le traité de Lisbonne entrait en vigueur. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne acquérait, par ce biais, une valeur juridiquement contraignante et équivalente à celle des traités constitutifs. Non certes avec la solennité qui avait été initialement envisagée par les rédacteurs de feu le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe ; la Charte n’est en effet pas formellement intégrée dans le corps-même des traités, ni même incluse dans l’un des protocoles annexés à ceux-ci.
Ce « chipotage » formel – sur lequel il y aurait sans doute beaucoup à écrire – n’entame cependant en rien la force normative que l’on pouvait en attendre (1). L’article 6, paragraphe 1er, du traité sur l’Union européenne fait référence à la Charte au titre des fondements sur lesquels repose la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne et ajoute qu’« elle a même valeur que les traités ». Pour toute sûreté, la déclaration n° 1 annexée au traité de Lisbonne énonce que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est « juridiquement contraignante ».
La date du 1er décembre 2009 marqua ainsi, incontestablement, une étape importante. On ne saurait cependant écrire qu’il s’y joua une véritable révolution juridique. Proclamée solennellement le 7 décembre 2000 à Nice par le Parlement européen, la Conseil et la Commission, la Charte s’était certes vu initialement cantonnée au statut formel de déclaration politique, faute que les résistances britanniques et danoise aient pu, à l’époque, être vaincues. Ce « droit mou » avait cependant rapidement gagné en dureté et en crédibilité par la référence qu’y avaient faite plusieurs juridictions constitutionnelles, la Cour européenne des droits de l’Homme (2) et ce qui était à l’époque le Tribunal de première instance des Communautés européennes (3). La Cour de justice, non sans avoir préalablement observé quelques années un prudent silence, s’était finalement laissée convaincre de convoquer cette Charte dans ses propres raisonnements. L’arrêt Parlement c. Conseil du 27 juin 2006 s’en justifia en mettant en avant, notamment, la dimension « codificatoire » de cet instrument (4). Selon la formule consacrée, il rendait « visible » ce qui, anno 1999-2000, était encore « invisible », ou en tous cas, trop peu visible pour la communauté juridique, et, en premier lieu, les titulaires des droits eux-mêmes.
Cette dimension « codificatoire » de la Charte est rappelée par son Préambule. « La présente Charte », énonce celui-ci, « réaffirme, dans le respect des compétences et des tâches de l’Union, ainsi que du principe de subsidiarité, les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, des Chartes sociales adoptées par l’Union et par le Conseil de l’Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’Homme ».
La Charte s’affiche ainsi comme un « intertexte », relié à d’autres « textes » passés, mais également à venir. Du côté du passé, les Explications attenantes à la Charte s’emploient à en recenser les inspirations, les sources, qui seront autant de réservoirs du sens qu’il conviendra de lui donner. Du côté de l’avenir, les auteurs de la Charte en lient l’interprétation aux évolutions futures de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme dédiée aux dispositions homologues de la Convention éponyme (5).
Loin s’en faut toutefois que la Charte n’ait qu’un rôle de caisse de résonance, servile et peu innovante, d’un Droit des droits de l’Homme qui s’est écrit ou s’écrira en d’autres sphères, et fasse ainsi figure d’appendice somptuaire des moyens qu’un plaideur érudit peut mobiliser à l’encontre d’une méconnaissance, active ou passive, de droits ou libertés.
L’originalité de cet instrument est en effet incontestable. Elle réside, entre autres, dans le champ d’application strictement « sectoriel » qui est le sien. Les bornes de son applicabilité – quelque peu contre-intuitives dans un discours du Droit des droits de l’Homme qui tend généralement à l’universel, et s’accommode mal des « hors champ » – sont fixées par l’article 6 du traité sur l’Union européenne et par l’article 51 de la Charte des droits fondamentaux elle-même. Cette Charte n’étend pas la compétence des institutions de l’Union au-delà de ce que les traités eux-mêmes ont prévu et ne s’applique aux États membres que « lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ».
Une seconde spécificité de la Charte tient à son insertion dans un projet « politique » – au sens le plus large du terme – qui ne se résume pas à la protection des droits de l’Homme, et qu’elle n’est donc pas censée pouvoir tenir en échec. Historiquement, le développement de la protection des droits de l’Homme par les Communautés européennes puis l’Union européenne fut aiguilloné par le souci de consolider la primauté que son droit revendique vis-à-vis des droits nationaux, en ce compris des Constitutions des États membres. Logiquement, la Charte dédiée à la protection de ces droits ne pourrait armer le plaidoyer affirmant la primauté inverse. C’est très exactement ce que rappela la Cour de justice dans l’affaire Melloni : « Certes, l’article 53 de la Charte confirme que, lorsqu’un acte du droit de l’Union appelle des mesures nationales de mise en œuvre, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union » (6). Il y va donc d’une conception de la « subsidiarité » de la protection supranationale des droits de l’Homme notablement distincte de celle à laquelle ont habitué les instruments internationaux et régionaux dédiés à la matière.
Le contenu de la Charte est, enfin, porteur de nouveautés. On y aperçoit une tentative – certes modeste – de dépassement de la division des droits de l’Homme en générations, et la consécration délibérée de droits et libertés originaux dans leur formulation et/ou leur amplitude. Un exemple parmi d’autres : l’article 47 de la Charte étend à toute cause quelconque – en ce compris celles qui se situent dans le noyau dur du droit public – les garanties du procès équitable dont l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme confine l’applicabilité aux seules « contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil » et « accusations en matière pénale ». Au-delà cependant des textes, l’application jurisprudentielle de ceux-ci est, dans la matière des droits de l’Homme plus que dans toute autre, un espace de créativité. Passé un certain stade, le droit « vivant » – celui des juges – débordera toujours ce qu’en dit l’« intertexte » et les textes qui lui sont reliés.
Ce droit « vivant » de la Charte est, aujourd’hui, bien fourni. Certes, toutes ses dispositions n’ont pas donné lieu à de remarquables applications jurisprudentielles, en qualité et/ou en quantité. La discrétion de certaines d’entre elles n’est au demeurant pas imputable à l’absence d’imagination des plaideurs ou au manque d’audace de la Cour de justice, mais tout simplement aux faibles connexions qui existent entre les droits et libertés qu’elles consacrent et les matières couvertes par les traités constitutifs de l’Union européenne. Il n’empêche : la production prétorienne dédiée à la Charte est aujourd’hui suffisamment abondante pour que la nécessité s’impose de la rendre davantage « visible », non seulement à l’égard des universitaires et des chercheurs, mais aussi, et peut-être même surtout, à l’égard des plaideurs et des juges. Pareil exercice de synthèse a été réalisé récemment en anglais (7), en allemand (8) ou encore, en italien (9) ; les pages qui suivent s’y emploient à présent en langue française.
Fabrice Picod
Sébastien Van Drooghenbroeck
(1) Il convient de rappeler que, selon l’article 1er du protocole n° 30 annexé au traité de Lisbonne, « 1. La Charte n’étend pas la faculté de la Cour de justice de l’Union européenne, ou de toute juridiction de la Pologne ou du Royaume-Uni, d’estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou action administratives de la Pologne ou du Royaume-Uni sont incompatibles avec les droits, les libertés et les principes fondamentaux qu’elle réaffirme. 2. En particulier, et pour dissiper tout doute, rien dans le titre IV de la Charte ne crée des droits justiciables applicables à la Pologne ou au Royaume-Uni, sauf dans la mesure où la Pologne ou le Royaume-Uni a prévu de tels droits dans sa législation nationale ». La jurisprudence de la Cour de justice a cependant « neutralisé » l’effet utile de ce dispositif, ou, à tout le moins, d’une partie de celui-ci. Voy. CJUE, 21 décembre 2011, N.S., aff. C-410/10, ECLI:EU:C:2011:865, points 119-120 : « Il ressort du libellé de cette disposition que (…) le protocole n° 30 ne remet pas en question l’applicabilité de la charte au Royaume-Uni ou en Pologne, ce qui est conforté par les considérants dudit protocole. Ainsi, selon le troisième considérant du protocole (n° 30), l’article 6 TUE dispose que la charte doit être appliquée et interprétée par les juridictions de la République de Pologne et du Royaume-Uni en stricte conformité avec les explications visées à cet article. Par ailleurs, selon le sixième considérant dudit protocole, la charte réaffirme les droits, les libertés et les principes reconnus dans l’Union et les rend plus visibles, sans toutefois créer de nouveaux droits ou principes. Dans ces conditions, l’article 1er, paragraphe 1, du protocole (n° 30) explicite l’article 51 de la charte, relatif au champ d’application de cette dernière, et n’a pas pour objet d’exonérer la République de Pologne et le Royaume-Uni de l’obligation de respecter les dispositions de la charte, ni d’empêcher une juridiction de l’un de ces États membres de veiller au respect de ces dispositions ».
(2) Voy. en effet, parmi d’autres, Cour EDH, arrêt du 11 juillet 2002, Christine Goodwin c. Royaume-Uni, req. n° 28957/95, § 100.
(3) Voy. en effet, parmi d’autres, TPICE, 3 mai 2002, Jego-Quéré et Cie c. Commission, aff. T-177/01, ECLI:EU:T:2002:112, point 47.
(4) CJCE, 27 juin 2006, Parlement c. Conseil, aff. C-540/03, ECLI:EU:C:2006:429, point 38.
(5) Voy. en effet l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, tel que commenté par ses Explications : « La référence à la CEDH vise à la fois la Convention et ses protocoles. Le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de ces instruments, mais aussi par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de justice de l’Union européenne. La dernière phrase du paragraphe vise à permettre à l’Union d’assurer une protection plus étendue. En tout état de cause, le niveau de protection offert par la Charte ne peut jamais être inférieur à celui qui est garanti par la CEDH ».
(6) CJUE, 26 février 2013, Stefano Melloni c. Ministerio Fiscal, aff. C-399/11, ECLI:EU:C:2013:107, point 60.
(7) St. Peers, T. Hervey, J. Kenner et A. Ward (eds), The EU Charter of Fundamental Rights: a commentary, München/Oxford/Baden-Baden, Beck, Hart, Nomos, 2014.
(8) C. Calliess et M. Ruffert, Das Verfassungsrecht der Europäischen Union mit Europäischer Grundrechtencharta, C.H. Beck, 5 Aufl. 2016 ; J. Meyer (dir.), Charta der Grundrechte der Europäischen Union, 4. Auflage 2014, Baden-Baden, Nomos, 2014.
(9) R. Mastroianni, S. Allegrezza, O. Razzolini, O. Pollicino et F. Pappalardo, Carta dei diritti fondamentali dell’Unione Europea, Milan, Giuffré, 2017.