Merci à la Direction de Monoprix et à Dominique Dardelle pour leurs précieux renseignements, à toute l’équipe du Grwych Preservation Trust pour leur accueil chaleureux, au commandant Jean-Paul Copetti, à Jean-Pierre Allali, ainsi qu’à celles et ceux qui m’ont soutenu pendant l’écriture de ce roman. Un merci particulier à David Roberts pour sa superbe photographie de couverture, à mon fidèle complice Moïse Fournier pour la photo de 4e de couverture, et aussi à Emmanuel Pierrat, dont je n’ai jamais oublié l’efficace « recadrage » de mon premier manuscrit. Et comme toujours, un grand merci à Éric, Rodica et Aurélie pour leur confiance, leur amitié et la qualité de notre travail en équipe !
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LÉO AURAIT ÉTÉ INCAPABLE DE DIRE POURQUOI, mais il l’avait tout de suite mal senti, cet échange. Peut-être à cause de ce chat noir qui s’était faufilé entre ses jambes au moment où il pénétrait dans l’immeuble décrépit. Car Léo Hernàndez, dit Le Mexicain (surnom donné par ses copains en souvenir des Tontons flingueurs), était cruel, vicieux, sans scrupule, bref, doué de toutes les qualités pour faire un bon truand, mais affreusement superstitieux.
La suite lui donna raison. À peine Léo et son pote José eurent-ils troqué la valise pleine de billets contre les précieux sacs de poudre et laissé partir leurs fournisseurs que des coups violents retentirent à la porte. « Police, ouvrez ! » Le Mexicain n’eut que le temps de balancer la came dans les chiottes avant que le commandant Piron et ses hommes enfoncent la porte et fassent irruption dans l’appartement miteux qui leur servait de planque. Cette fois-là, ils avaient été à deux doigts de se faire prendre en flag’ par les Stups. Et les autres s’étaient déjà barrés oavec le pognon ! Léo aurait donné cher pour savoir qui les avait balancés. Il l’aurait plombé vite fait. Un instant, il se demanda si ce n’était pas les fournisseurs eux-mêmes, mais il avait du mal à le croire : ils travaillaient avec eux depuis des années.
Sans pièces à conviction, la garde à vue n’aboutit à rien, mais Léo ne fut pas rassuré pour autant. Ils allaient être placés sous surveillance renforcée. Le commandant Piron n’était pas dupe, et c’était un teigneux : il voulait démanteler cette filière qui sévissait depuis des années dans le 93. Et ce n’était pas le plus ennuyeux. Léo avait l’habitude et savait comment déjouer une filature. Non, le plus grave, c’était la disparition de la came. Ça risquait de lui coûter très cher : Marchand, son chef, lui avait rappelé encore récemment que le Patron ne tolérait pas les échecs. Léo ne connaissait pas le Patron : l’organisation était très compartimentée. Il savait juste que c’était quelqu’un d’important, de bien protégé – et un homme sans pitié.
Le lendemain après-midi, Le Mexicain reçut un appel de Marchand.
– Faut qu’on se voie.
– Jeannot, je ne comprends pas pourquoi ça a merdé, quelqu’un a dû…
– Ta gueule, boxon ! On se retrouve à dix-neuf heures.
– À l’endroit habituel ? Léo venait de comprendre qu’il ne devait donner aucune information au téléphone.
– Oui. Et prends tes précautions.
Ça voulait dire : attention aux filatures. C’est pour ça que Marchand lui laissait un bon délai.
Léo attendit un moment avant de raccrocher. Un discret clic lui confirma qu’il était bien sur écoute. Les keufs n’avaient pas traîné ! Et le ton sec de Marchand n’annonçait rien de bon. Le Mexicain n’était pas rassuré. Il aurait bien aimé appeler José, son partenaire dans cette opération malheureuse, mais ce n’était pas une bonne idée : lui aussi devait être surveillé.
Léo commença à préparer son itinéraire pour contrer la surveillance. Pas question de rater son coup une deuxième fois. Et il devait aussi trouver le temps d’ouvrir une autre ligne de portable sous un faux nom. Donc utiliser sa collection de papiers trafiqués. Il fallait faire vite s’il voulait arriver à l’heure à la convocation de Marchand !
DÈS QU’IL SORTIT DE SON IMMEUBLE du XXe arrondissement, Léo remarqua la Clio banalisée qui stationnait quelques mètres plus loin, dans la rue de Lagny. Il prit un air aussi naturel que possible et se dirigea de l’autre côté, refoulant son envie d’envoyer un pavé dans le pare-brise du véhicule. Il y avait justement un petit monticule de ces projectiles potentiels à proximité : des travaux de voirie commençaient dans sa rue.
Il entra d’un pas décidé dans le Printemps Nation et se fraya un chemin au milieu de la foule. Un policier en civil lui avait sûrement emboîté le pas et il fallait le distancer très vite. Une autre entrée donnait sur le cours de Vincennes, qui lui assurerait une bonne avance avant qu’ils s’en aperçoivent.
Le stratagème réussit. Par sécurité, Léo effectua encore une fausse entrée dans le métro Nation, ressortant par un autre accès. Un peu plus tard, il fit mine de monter dans une rame, puis sauta sur le quai juste avant la fermeture des portes. Après quelques autres manœuvres, certain d’avoir semé son ou ses poursuivants, il se rendit chez un vendeur du boulevard Voltaire, acheta un téléphone portable et ouvrit une nouvelle ligne avec carte prépayée, sous une fausse identité.
Lorsqu’il ressortit, il était déjà dix-huit heures trente. Il avait juste le temps de rejoindre Marchand, après d’ultimes précautions.
« L’endroit habituel » où se retrouvaient les malfaiteurs était le drugstore des Champs-Élysées, un lieu très fréquenté le soir et lui aussi pourvu de deux entrées, ce qui facilitait les fuites. Léo se posta à l’accès rue Verrier. À peine fut-il arrivé qu’une imposante Mercedes noire aux vitres teintées longea le trottoir en silence et s’arrêta à sa hauteur. La vitre côté passager s’abaissa dans un chuintement.
– Monte à l’arrière ! Vite ! lui lança Marchand d’une voix sèche.
Le Mexicain s’exécuta et se laissa tomber sur la banquette en cuir. L’intérieur puait le tabac froid. Un homme qu’il ne connaissait pas était assis à sa gauche. Un gros balèze au crâne rasé et au cou de taureau débordant de son col trop serré, qui ne le salua même pas. Lucien, le chauffeur, continuait à regarder droit devant lui.
– Tu es sûr que tu n’as pas été suivi ? aboya Marchand.
– Certain, Jeannot, mais…
– Ta gueule !
Ça devenait une habitude. Marchand ne brillait pas par son amabilité, mais là il était carrément désagréable. Léo se sentait de moins en moins rassuré.
– Enfile ça, on t’emmène chez le Patron.
Sans prononcer un mot, le gorille assis à sa gauche lui tendit une capuche en tissu noir. Léo l’enfila, et sentit aussitôt un lien lui enserrer le cou. Imaginant ce que devait éprouver un condamné à la potence dans ses derniers instants, il lutta contre la panique : chaque inspiration trop forte lui collait le tissu contre le visage et lui donnait l’impression d’asphyxier. Il sentit un filet de sueur couler le long de son dos malgré la température fraîche du mois d’octobre. Le Patron voulait le voir… C’était la fin.
La voiture s’était déjà arrachée du trottoir et entama un trajet qu’il fut rapidement incapable d’identifier. Il osa une question timide :
– José ne vient pas ?
Sa propre voix lui parut méconnaissable, étouffée par la capuche.
– José ne viendra pas, non. Il a eu un petit empêchement, répondit Marchand.
– Un empêchement… définitif, ricana King-Kong, qui ouvrait la bouche pour la première fois.
Léo sentit la terreur le submerger.
– Mais… pourquoi ? balbutia-t-il.
– Il semble que ce cher José n’ait pas été étranger à la descente de police, expliqua Marchand. Les mecs des Stups l’avaient recruté comme indic.
– On avait quelques soupçons. Il a fini par nous avouer ça après un interrogatoire un peu… approfondi, précisa le gorille de sa voix grasseyante. Et ensuite, on lui a présenté l’addition, conclut-il avec un gros rire.
Léo était atterré. Il n’arrivait pas à y croire. José… Une balance ? Il le connaissait depuis longtemps et travaillait avec lui en toute confiance. Il pensa avec tristesse à la compagne que son ami laissait derrière lui, bien qu’il ne l’eût jamais rencontrée. Maintenant, c’était son tour. Allait-on l’interroger, lui aussi, pour lui faire avouer qu’il était dans le coup ? Et ensuite l’exécuter comme José ?
Il n’eut pas le loisir de ruminer bien longtemps. La Mercedes ralentit et franchit le bateau d’une porte cochère, puis elle s’immobilisa. Son voisin ouvrit la portière et le fit sortir de la voiture en le tenant fermement par un bras. Après quelques mètres, il entendit une porte s’ouvrir et il pénétra dans un bâtiment. Sans doute une maison particulière – il aurait été peu discret de le trimballer avec sa capuche dans une cour d’immeuble. Toujours guidé par le gorille, il marcha encore un moment, puis sentit une pression sur ses épaules qui le fit asseoir. Son postérieur entra en contact avec ce qui lui sembla être un fauteuil Chesterfield.
Il demeura ainsi un long moment dans un silence complet, et dans le noir. Il respirait avec difficulté, dégoulinant de sueur et de trouille.
Une voix douce le fit sursauter.
– Eh bien, Monsieur Hernàndez, je suis désolé pour cet accoutrement inconfortable, mais sécurité oblige.
Le Patron était donc là et le laissait mijoter depuis plusieurs minutes…
– Vous savez que j’ai horreur des échecs, Monsieur Hernàndez, reprit la voix suave et menaçante.
La gorge nouée, Léo fut incapable d’articuler un mot.
– Je reconnais que vous n’étiez pas responsable de ce fiasco, et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé de vous donner une chance.
Le soulagement du gangster fut de courte durée.
– Vous m’avez fait perdre une somme d’argent importante en vous débarrassant de la… livraison.
– Mais Patron, la police arrivait…
– Ttt, Ttt, ne m’interrompez pas. Je vais donc vous charger d’une double mission. Premièrement, vous vous procurerez par tout moyen que vous jugerez approprié la somme que vous nous avez fait perdre, cinquante mille euros. Et sans vous faire remarquer par la police. Deuxièmement, vous allez prendre livraison de la marchandise correspondante. Mais la transaction se fera à l’étranger. Plus précisément, en Angleterre. Ici, vous êtes trop surveillé. Nous vous donnerons les instructions pour cet échange avec des partenaires sûrs. À vous de passer au travers des mailles du filet. Entre l’Angleterre et la France, c’est plus facile. Et cette fois, pas de raté ! Sinon, vous quittez l’équipe, et je ne sais pas ce que vous deviendrez…
Léo était de plus en plus inquiet. Ce qu’on lui annonçait devenait « mission impossible ». Et, dans la bouche du Patron, rester dans l’équipe signifiait rester en vie…
– Marchand vous donnera toutes les indications pour vos rendez-vous là-bas, conclut l’homme à la voix doucereuse. Les dates sont déjà fixées. Vous avez une quinzaine de jours pour trouver les fonds. Soyez prudent… et efficace !
Godzilla lui saisit à nouveau le bras d’une poigne de fer et le fit lever. L’entretien était terminé.
Ce n’est que lorsque Marchand lui remit un document comportant les fameuses indications (ultraconfidentielles, insista-t-il) que Léo comprit à quel point l’épreuve allait être difficile. Il avait l’impression de jouer un remake des chasses du comte Zaroff ! Le premier rendez-vous, remise de l’argent, était prévu le jour de la fête d’Halloween dans un château en ruines (et sûrement hanté) du pays de Galles nord, près de Liverpool. L’autre, pour la réception de la came, quelques jours plus tard dans le vieux cimetière de Highgate, à Londres – bien entendu dans la partie ouest, interdite au public en dehors des visites guidées. Et le rendez-vous était fixé en pleine nuit ! Léo, qui était fasciné autant que terrifié par les fantômes et autres créatures de l’au-delà, possédait une grande culture sur le sujet. Il se rappelait très bien une histoire de vampire qui aurait sévi dans ce cimetière dans les années soixante-dix. Une affaire qui avait fait grand bruit : des promeneurs avaient signalé des apparitions, des cadavres d’animaux vidés de leur sang. Pendant deux heures, sur la chaîne ITV, deux férus d’occultisme, David Farrant et Sean Manchester, s’affrontèrent, chacun prétendant pouvoir régler son compte au vampire en question. Enfin, des chasseurs de vampires amateurs firent une descente dans le cimetière. La police s’en était mêlée… On ne pouvait imaginer cela qu’en Angleterre !
N’empêche que de nombreuses vidéos continuaient à circuler sur le net, et Léo ne demandait qu’à y croire. Sa superstition maladive n’était un secret pour personne. Le Patron lui laissait aujourd’hui la vie sauve, mais lui tendait un piège dont il risquait de ne pas sortir vivant. Un jeu cruel…
De retour chez lui, Le Mexicain se mit au travail. Il n’avait guère de temps à perdre pour sa « collecte de fonds ». Avec en prime la police à ses basques…
DEUX JOURS S’ÉTAIENT DÉJÀ ÉCOULÉS et Léo ne trouvait pas de solution pour réunir la somme exigée par le Patron… Attaquer un fourgon de transport de fonds nécessitait une organisation complexe. Et les billets étaient souvent marqués ou piégés. Cambrioler de petits commerces ou des particuliers réclamait de multiples opérations, toutes aussi risquées les unes que les autres. De plus, il devait semer la police, qui le surveillait toujours. Cela ne posait pas trop de difficulté : il pouvait sortir de son immeuble de l’autre côté, dans la rue de la Plaine. Et le Monoprix voisin disposait également de deux accès dont l’un sur le boulevard de Charonne. Mais le seul fait d’esquiver quotidiennement leur filature pouvait leur indiquer qu’il préparait quelque chose. Il lui fallait donc se laisser suivre assez souvent au cours de déplacements anodins, pour endormir leur méfiance. Léo commençait à se dire qu’il n’arriverait même pas à réaliser la première partie du plan tordu qu’on lui imposait. Ah, si seulement José avait été là pour l’aider !
C’est en pensant à José qu’il entrevit une solution.
Un soir qu’ils partaient en tournée des bars, José avait dit en plaisantant : « Faut que j’passe à ma banque retirer d’la fraîche ! » Il avait demandé à Léo de l’attendre sur le trottoir d’en face, puis était entré en catimini dans la courette du petit pavillon miteux qu’il occupait à Pantin. Il en était ressorti quelques minutes plus tard, la poche déformée par une liasse de billets. Léo se rappelait très bien qu’il ne l’avait pas entendu entrer dans la maison et s’était fait la réflexion : Il doit planquer son magot quelque part dans sa cour, comme Gary Oldman dans « Romeo is bleeding » (dès qu’il avait un moment, Léo regardait des films policiers et des films de gangsters…). La compagne de José n’était sans doute pas au courant de leurs activités. Qui sait ? Il gardait peut-être un gros paquet d’argent. Un jour, il avait avoué à son partenaire qu’il voulait quitter le pays avec sa dulcinée, dès qu’il aurait mis assez d’argent de côté.
Léo résolut d’explorer cette piste le soir même.
La rue où habitait feu José était déserte. Léo se sentait un peu coupable d’essayer de s’approprier un butin qui aurait dû revenir à la famille de son ami, mais c’était pour lui une question de vie ou de mort.
Il enfila des gants, escalada en silence le mur et atterrit souplement dans la courette. Le petit pavillon était plongé dans l’obscurité. À deux heures du matin, la fille devait dormir. Était-elle au courant de la mort de José ? Elle l’imaginait peut-être dans une de ses innombrables et mystérieuses missions ? Léo chassa de son esprit ces pensées inopportunes. Pas question de se laisser distraire.
La cour mesurait à peine dix mètres carrés. Quelques dalles, envahies par les mauvaises herbes, menaient à la maison. Léo remarqua l’appentis dans un coin et se dit que la cache devait se trouver là. Il ouvrit avec précaution la porte vermoulue, priant pour qu’elle ne grince pas trop. Mais il déchanta rapidement : la remise ne contenait que deux fauteuils pliants et quelques accessoires de jardin. Pas de placard, pas de boîte à outils, pas de trou creusé dans le sol. Par acquit de conscience, il examina les dalles, mais il savait qu’il ne trouverait rien. La cachette n’aurait pas été assez sûre.
Léo céda au découragement. L’argent avait sans doute été découvert. Il se trouvait ramené au point de départ, sans solution à l’horizon.
C’est en revenant vers le portillon qu’il buta sur une plaque en fonte, à moitié dissimulée par le lierre qui courait le long du mur. Il s’agissait sûrement du compteur d’eau enterré ! Le Mexicain souleva la lourde plaque sans faire de bruit et alluma sa lampe de poche en la masquant d’une main afin d’en dissimuler le faisceau. Il aperçut au fond le tuyau d’alimentation et le compteur.
Rien d’autre, à part le lierre qui tapissait une des parois de la cavité, et des araignées grouillant au milieu de billes de polystyrène.
Le lierre… Pris d’une intuition, Léo passa sa main le long des feuilles et sentit un creux à mi-hauteur. Bingo ! Un trou avait été creusé dans la paroi et dissimulé par les feuilles. Surmontant sa répugnance, il mit les pieds dans les billes de polystyrène, essayant de ne pas penser aux araignées, et enfonça sa main dans la cavité. Ses doigts heurtèrent bientôt une housse en plastique.
Il alluma brièvement sa lampe, entrouvrit la fermeture éclair. La housse était remplie de liasses de billets ! Il avait trouvé ! Restait à savoir quelle somme représentait ce trésor de guerre. Il compterait plus tard. Il fallait d’abord se tirer d’ici.
Le contact froid d’un canon de pistolet contre sa nuque le fit sursauter.
– Bouge pas, salopard ! Lève les mains bien haut ! cria une voix de femme.
Léo lâcha la housse et se retourna lentement, les mains en l’air, le cœur battant. Dans l’obscurité, il distingua une petite blonde emmitouflée dans une robe de chambre en polaire. Elle le braquait avec un flingue. Concentré sur ses explorations, il ne l’avait même pas entendue venir.
– Ne vous énervez pas ! Je suis un ami de José.
– Un ami ? Tiens donc ! Un ami qui s’introduit chez lui en pleine nuit. C’est quoi ton nom, déjà ?
– Léo. Le Mexicain, c’est mon surnom.
– Ah oui, il m’a parlé de toi. Et ça te donne le droit de venir fouiner en pleine nuit chez nous, alors que José a disparu depuis plusieurs jours ?
Cette fille semblait bien plus au courant que José le disait. Mais elle ne savait pas qu’il était mort. Léo essaya de l’amadouer.
– Vous… Vous savez où il est ?
– Si quelqu’un devait le savoir, ce serait toi. Les flics m’ont dit que vous étiez dans le même business… Ils sont passés il y a deux jours. Ils se demandaient où il était. Pousse-toi, ajouta-t-elle en lui enfonçant le canon du pistolet dans les côtes. Qu’est-ce que c’est que ce paquet ? C’est ça que tu étais venu chercher, hein ?
Léo rageait. Cette petite conne allait faire rater toute son opération ! Sans réfléchir davantage, il asséna une manchette brutale sur le bras qui brandissait l’arme et envoya de l’autre main un direct au menton. La jeune femme poussa un gémissement et s’écroula. Sa tête heurta violemment la plaque de fonte du compteur d’eau. Léo entendit un craquement, puis plus rien.
Merde, merde, merde !
Il s’accroupit et éclaira le corps étendu à ses pieds. Il avait déjà compris qu’elle était morte. Sa tête faisait un angle bizarre avec le cou, les yeux grand ouverts et fixes.
– Pardon, José, pardon.
Il éprouvait des remords, mais vis-à-vis de son expartenaire ! Cette fille avait eu le tort de se mettre en travers de sa route à un moment crucial, et il lui en voulait encore. Après tout, elle n’avait récolté que ce qu’elle méritait !
Il fallait partir au plus vite, en espérant que personne n’ait entendu le bruit de leur brève lutte et que la maison ne soit pas sous surveillance. Léo attrapa à nouveau la housse remplie de billets. Il devait quand même vérifier rapidement qu’il n’y avait pas de témoin dans le pavillon. Il récupéra le pistolet. S’il trouvait quelqu’un, la situation deviendrait très compliquée.
Merde, merde !
Il n’y avait personne. Léo était perplexe. Comment la compagne de José, soi-disant blanche comme neige (c’est le cas de le dire, ricana-t-il), se trouvait-elle en possession d’une arme à feu ? Il examina le flingue de plus près et s’aperçut qu’il s’agissait d’un pistolet d’alarme, une réplique parfaite d’un Glock 9 mm… Quelle idiote, cette nana ! Elle croyait se protéger et voilà le résultat : elle n’avait qu’à s’en prendre à elle-même. Il continuait à pester intérieurement et à éprouver plus de ressentiment que de regrets envers cette perturbatrice.
Le Mexicain se félicita d’avoir gardé ses gants pour ne pas laisser d’empreintes. Il jeta le pseudo-Glock près du cadavre, escalada de nouveau le mur et regarda attentivement alentour. Personne en vue. Il sauta dans la rue et s’enfuit avec son butin.
SOIXANTE-SEPT MILLE EUROS ! Il y avait soixante-sept mille euros dans cette housse. Plus qu’il n’en fallait. Léo était sauvé. Il pouvait maintenant passer à l’étape suivante, sans perdre un instant. Quand le corps de la femme serait découvert, la police allait s’agiter. Il n’y avait aucune raison qu’on soupçonne Léo, on incriminerait plus volontiers ceux qui avaient fait disparaître son ami. Mais on pourrait avoir envie de recueillir son témoignage, ce qui lui ferait perdre un temps précieux. Il n’avait aucune idée du sursis dont il disposait avant que le bazar commence.
Léo prépara son matériel pour se rendre chez l’expert en faux papiers. Un orfèvre qui travaillait vite et bien. Auparavant, il passa chez le coiffeur pour changer sa coupe de cheveux. Précaution sans doute superflue car il bénéficiait d’un physique banal qui lui permettait de ne pas attirer l’attention et de passer les contrôles aisément. Il avait les cheveux et les yeux bruns, mais il n’était pas typé. Aucun trait de son visage, aucune caractéristique physique n’attirait l’attention. Les témoins ne se souvenaient jamais de lui. Taille et corpulence moyennes, teint plutôt clair, regard inexpressif… Un homme ordinaire en quelque sorte ; « un gangster normal », avait lancé un jour en plaisantant le commandant Piron, qui n’était pas dupe des diverses couvertures du trafiquant !
Le lendemain, Maxime Girot, cadre bancaire de trente-huit ans résidant à Marne-la-Vallée, muni d’une carte d’identité nationale infalsifiable et d’un permis de conduire, se rendait dans une agence de voyages rue de Rennes, après avoir déjoué la surveillance policière dont Léo Le Mexicain était l’objet, afin d’effectuer des réservations pour les vacances de la Toussaint. Malgré l’affluence en cette période de congés, il réussit à obtenir son aller-retour en Eurostar, ses billets de train pour Liverpool, la location d’une voiture en gare, et quelques nuits au Bryn Holcombe à Colwyn Bay, à soixante-dix kilomètres de Liverpool.
Léo était loin de s’imaginer qu’il ne serait pas le seul Français à visiter le château de Gwrych le jour d’Halloween…
– Alors, qu’a donné la surveillance de nos deux zozos ? attaqua Hubert Piron.
Le commandant Piron, passé de la BRP1 aux Stups à l’occasion de sa promotion, avait pris la direction d’un groupe de la brigade.
– C’est pas la joie, reconnut le lieutenant Igor Pougnisky, un jeune officier arrivé depuis peu dans le groupe et qui faisait preuve d’une grande motivation. En ce qui concerne Le Mexicain, on n’arrive pas bien à savoir ce qu’il mijote. Tantôt, il se promène sans but précis, tantôt il rompt la filature sans difficulté : son immeuble a deux entrées et les grands magasins voisins aussi. Il est impossible de le suivre : nous ne sommes pas assez nombreux ! On n’a rien à se mettre sous la dent depuis le début. Pourtant, il prépare sûrement un coup !
– Et les écoutes ?
– Rien, ça ne donne rien, intervint le capitaine Jean-Pierre Croisdeux, l’adjoint de Piron. Que des banalités. Il se méfie.
– Et José ?
– Lui, c’est encore autre chose. Il a disparu depuis plusieurs jours. On est passé voir sa nana, elle n’a eu aucune nouvelle, ne sait pas où il est. Au début, elle ne s’est pas trop alarmée, ça lui arrive de s’absenter plusieurs jours pour ses affaires, mais maintenant elle est inquiète. Elle affirme ne pas connaître la nature exacte des affaires en question, même si elle se doute qu’elles ne sont pas tout à fait limpides.
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