Jean FAILLER
Villa des Quatre Vents
Tome 1
Editions du Palémon
ZA de Troyalac’h
10 rue André Michelin
29170 St-Évarzec
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CE LIVRE EST UN ROMAN
Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.
ISBN 978-2916248-28-8
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Une fourgonnette jaune du service des postes roulait allègrement sur une route de campagne entourée à perte de vue de champs d’artichauts et de choux-fleurs, ces légumes qui prospèrent si bien en terre léonarde.
Bientôt viendrait le temps de la récolte et de gros tracteurs traînant d’énormes remorques encombreraient ces routes trop étroites, pour livrer artichauts et choux-fleurs à la coopérative légumière de Kerpol.
Comme d’habitude le marché ne pourrait absorber cette abondance soudaine et on verrait encore des tombereaux de légumes déversés devant la sous-préfecture, des blocus de routes, des feux de palettes aux carrefours, la routine, quoi… Et, comme d’habitude, les journaux feraient leurs gros titres sur la mévente de ces productions.
Oui, la routine, pensait Auguste Lannurien, le facteur, en sifflotant. Pour le moment la route était libre, point encore recouverte de cette terre grasse que laissent les grosses roues crantées des tracteurs sur le bitume, rendant la chaussée glissante et dangereuse par temps de pluie. Mais là, s’il faisait doux, il ne pleuvait pas.
Auguste Lannurien avait donc toutes les raisons du monde d’être heureux, d’autant qu’il arrivait au sommet d’une petite côte d’où l’on apercevait la mer brillant sous un timide soleil d’hiver. Dans le ciel d’un bleu pâle, de petits nuages roses passaient sans se presser, spectacle enchanteur dont le facteur ne se lassait jamais.
Auguste Lannurien prit sur sa droite un chemin qu’il n’empruntait pas souvent. Il menait à une propriété qui, de loin, ressemblait à une île posée sur une mer verte.
Il se demandait souvent ce qui avait pu pousser le propriétaire à s’en aller bâtir cette grande baraque au milieu des champs. Lui, Auguste Lannurien, né natif du bourg de Kerpol, n’aurait pour rien au monde échangé sa petite maison du bourg contre cette somptueuse demeure.
Enfin, se dit-il philosophiquement, il en faut pour tous les goûts… Si le type qui s’était payé cette fantaisie avait du fric à balancer par les fenêtres, c’était son affaire, n’est-ce pas ?
Au physique, Auguste Lannurien était un petit homme d’une cinquantaine d’années, maigre, au visage chafouin, qui passait à juste titre pour être l’individu le mieux renseigné du bourg et de ses alentours ; il n’avait guère de véritables amis car ses voisins s’en méfiaient avec quelque raison, pas plus qu’il n’avait d’ennemis affichés. Chacun savait que son pouvoir de nuisance était grand et les gens sages préféraient tirer au large quand ils le croisaient.
D’aucuns murmuraient qu’il aurait dû être flic et, de fait, il avait peut-être raté sa vocation. Pour le moment il n’était que facteur rural, et, bénévolement, responsable de la bibliothèque du bourg à laquelle il apportait tous ses soins. Un homme de lettres dans tous les sens du terme.
Le dimanche, en bon Léonard, il assistait à la messe et, pour les cantiques en breton, sa voix de baryton faisait merveille.
Il se piquait de connaître, à travers leurs abonnements journalistiques, les opinions de tous les habitants de la commune et donc de prédire, avec une assez grande exactitude, les résultats des consultations électorales.
Bien sûr, Auguste officiait pro deo, c’est-à-dire sans en tirer d’avantages pécuniaires ce qui, pour un Léonard, est totalement impensable sauf lorsqu’on touche aux choses de la religion.
Auguste avait étendu ses largesses à la culture, mais le titre de responsable de la bibliothèque municipale, tout honorifique qu’il fût, vous posait son homme.
Il avait d’ailleurs comme assistantes quatre paroissiennes, dont deux d’âge canonique mais aussi deux enfants de Marie tout à fait charmantes à contempler.Pour le moment, il en était resté au stade contemplatif.
Ce n’était pas souvent qu’il avait l’occasion d’approcher la Villa des Quatre Vents, nom sous lequel que la bâtisse était connue.
Or il avait une grosse enveloppe recommandée à remettre à une certaine Charlène Tilleux, dont il n’avait jamais entendu parler mais qui devait habiter la villa puisqu’elle s’y faisait adresser du courrier.
Auguste Lannurien savait, par une indiscrétion habilement soutirée à la secrétaire de l’agence immobilière (qui n’était pas insensible à son bel organe de breizh crooner), que la villa était louée par le comité d’entreprise d’une société parisienne et, qu’en réalité, c’était Louis Sayze, le patron de cette boîte, qui y résidait le plus souvent.
Mais ça, se disait Lannurien, ce ne sont pas mes oignons. Et si ledit patron se faisait épingler par le fisc pour abus de biens sociaux, il l’aurait bien mérité.
En attendant, le facteur avait un recommandé à remettre à une dame, il le remettrait à cette dame comme son devoir le lui commandait.
« Crabe chef » dans la gendarmerie maritime, présentement retraité, Auguste Lannurien avait conservé de son passage sous les drapeaux un sens aigu du devoir.
La villa, cossue, était entourée d’une rangée de pins qui la bordaient sur ses quatre côtés. La barrière de bois peinte en bleu était ouverte sur une cour sablée dans laquelle stationnait une grosse voiture noire. Auguste nota que c’était un 4 X 4 BMW immatriculé dans la région parisienne.
Muni du pli recommandé et du document d'émargement, il descendit prestement de sa voiture jaune et appuya sur le bouton de sonnerie, agrémenté d’une vidéo, encastré dans un des piliers de pierre qui délimitaient l’entrée.
Comme personne ne répondait, le facteur regarda de droite et de gauche, mais il ne vit âme qui vive dans le jardin.
Il réitéra sa pression sur le bouton de sonnette, ce qui n’eut pas plus d’effet que la première fois. Perplexe, il se demanda s’il fallait insister ou si, sans plus attendre, il allait glisser dans la boîte aux lettres un avis de passage, priant cette dame Tilleux de se présenter au bureau de poste de Kerpol pour retirer son pli.
Puis il se dit que la sonnette ne fonctionnait peut-être pas. Ça n’aurait rien eu d’étonnant, car avec l’air salé qui venait de la mer, les connexions s’oxydaient à la vitesse grand V, ce qui nuisait grandement au bon fonctionnement des installations électriques. Cependant, la présence du 4 X 4 semblait indiquer une présence au logis.
Si les locataires de la maison étaient partis se promener, pensa Auguste, ils auraient pris leur voiture pour aller jusqu’au bord de la mer car, à son avis, une balade au milieu des champs d’artichauts et de choux-fleurs manquait singulièrement d’intérêt.
Et puis, pour une fois que Lannurien avait l’occasion d’entrer dans une des rares maisons qu’il ne connaissait pas sur la commune, il n’allait pas la laisser passer.
Il poussa donc la barrière de bois, qui n’était pas fermée, et s’avança dans la cour en beuglant :
— Il y a quelqu’un ?
Il n’entendit que la brise dans les pins et le gazouillis des quelques oiseaux qui commençaient à sentir le printemps venir.
La tête penchée en avant, l’œil inquisiteur, Lannurien s’aventura sur la terrasse dallée de pierres, vers une véranda dont l’une des portes coulissantes était ouverte. Il glissa la tête dans la véranda et clama de nouveau :
— Il y a quelqu’un ?
Un silence intense lui répondit.
Le facteur, balançant sur ce qu’il convenait de faire, estima qu’il fallait être plutôt inconséquent pour laisser grande ouverte une propriété dans laquelle n’importe qui pouvait entrer comme dans un moulin.
À quelques kilomètres de là, une « mission évangélique » de quelques dizaines de caravanes s’était installée sur la dune de Keremma en toute illégalité (et en toute impunité).
Cette opération « portes ouvertes » ressemblait fort à de la provocation, à une invitation à se servir.
Ainsi pensait Auguste Lannurien, fervent défenseur de la religion et de la culture, mais aussi - et il n’estimait pas cela incompatible - du respect de l’ordre et de la propriété privée.
Il se promit d’en faire la remarque à ce monsieur Louis Sayze qui ne devait pas être bien loin, mais qui n’entendait pas ses appels, peut-être parce qu’il s’était enfermé dans la salle de bains.
Ce sont là des choses qui arrivent.
Lannurien entra dans la véranda, tendit l’oreille mais ne perçut aucun bruit d’eau. Il régnait dans la maison un silence de tombeau.
La curiosité poussa le facteur à s’aventurer plus avant dans la maison. Une pièce contenait un lit défait dans un ameublement classique, mais il n’y avait pas de vêtements traînant sur la chaise proche du lit.
Il s’avança jusqu’à la porte suivante, la poussa doucement et eut un mouvement de recul car, dans un lit, un homme et une femme dont le bas du corps était partiellement caché par le drap du lit, sommeillaient, le torse nu.
Les yeux lui sortant de la tête, Lannurien n’arrivait pas à détacher son regard des dormeurs. La femme devait être très belle, la courbe de ses épaules et la belle tenue de ses seins opulents révélaient sa jeunesse.
Troublé, s’avisant que son apparition n’avait suscité aucune réaction chez les deux dormeurs, Lannurien ne put résister à la fascination de cette paire de seins, il en avait la gorge sèche. De ce côté, sa légitime épouse laissait franchement à désirer d’autant que, confite dans la dévotion, elle ne concevait l’acte de chair que comme une nécessité reproductrice dont elle n’avait plus l’âge depuis la naissance de son unique enfant qui allait sur ses quarante ans.
Fasciné, Auguste Lannurien s’avança, d’un pas hésitant, vers cette proie offerte à ses regards éblouis, envahi d’un émoi qu’il n’avait pas ressenti depuis bien longtemps.
Cependant il sentait bien qu’il y avait là quelque chose d’anormal ; un frisson courut le long de son échine et des ardeurs dont il avait oublié l’impétuosité se manifestèrent soudain avec une véhémence qui le laissa pantois. Cette superbe femme nue offerte… C’en était trop !
Mais son début de redressement ne tarda pas à s’affaisser en voyant le gracieux visage de la donzelle arborer un œil bleu qui regardait devant elle avec une fixité singulière. La bouche, ouverte, ne bougeait pas.
Le facteur victime de sa curiosité sentit soudain les jambes lui manquer, une sueur froide lui couvrir le corps et il dit sourdement : « Ma Doué »
Les deux malheureux qui gisaient là ne goûteraient plus jamais aux délices de la chair, ni à d’autres félicités en ce bas monde…
Ils étaient morts.
Lannurien dut faire un effort pour s’arracher à l’attraction malsaine de ce funèbre spectacle, puis le tumulte s’installa dans son esprit. Fallait-il les toucher pour voir si ces gens étaient réellement morts ?
Les jambes trémulantes, il s’approcha et vit que l’homme et la femme avaient un trou sous le sein gauche, un vilain trou noir d’où quelques gouttes d’un sang rouge perlaient. Leur vie s’en était allée par ce petit trou, probablement produit par le projectile d’une arme à feu.
Glacé, il tendit l’oreille : et si l’assassin était encore dans la maison ? N’entendant toujours rien, il recula avec précaution, sortit de la maison par où il était entré et courut vers la grille. Il sauta dans sa camionnette comme s’il avait le diable aux trousses et fila vers la grand-route. Ayant mis une distance respectable entre la Villa des Quatre Vents et sa petite personne, il s’arrêta enfin.
Il prit son portable et forma le numéro de la gendarmerie.
oOo
Bien entendu, Auguste Lannurien connaissait tous les gendarmes du canton. Il savait aussi que pour les problèmes urgents, il convenait de former le 17, ce qu’il fit d’un doigt si tremblant qu’il dut s’y reprendre à trois fois avant d’obtenir son numéro.
Puis il s’exprima si mal que son correspondant ne comprit pas ce qu’il voulait lui dire.
— Qui êtes-vous ? demanda une voix rude.
— La… La… Lannurien, le facteur.
La voix se radoucit, devint presque cordiale :
— Ah, c’est toi Auguste ? Qu’est-ce qu'y t’arrive ? Tu as encore trouvé un macchabée ?
Lannurien avait un jour découvert un noyé sur la grève. Depuis, on le charriait volontiers à ce propos.
— Non, bégaya le malheureux facteur, non…
— Alors, qu’est-ce qui te met dans cet état ?
On le savait sobre et il ne pouvait être soupçonné d’être en état d’ivresse, surtout à cette heure matinale.
— Deux, bredouilla-t-il, il y en a deux…
— Deux quoi ?
— Deux macchabées !
— Deux macchabées sur la grève ?
Lannurien s’impatienta. Cet imbécile ne comprenait donc rien ?
Il s’impatienta :
— Qui te parle de la grève ?
Et il articula, en détachant les syllabes comme s’il s’adressait à un attardé mental ou à un débile :
— Non, deux macchabées à la Villa des Quatre Vents…
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire, grommela le gendarme. On n’est pas le premier avril, Auguste !
— Parbleu, je le sais bien ! s’emporta le facteur.
Le gendarme continua dans le registre de la plaisanterie :
— Et ce n’est pas parce que tu t’appelles Auguste que tu es tenu de faire le clown.
Ce n’était pas la première fois qu’on la lui servait, celle-là ! Il s’emporta :
— Il faut venir, tout de suite !
Le gendarme ne se troubla pas :
— Où es-tu ?
— Pas loin de la villa !
— Tu n’as vu personne ?
— À part les deux macchabées, non.
Le gendarme Tréguer se gratta la tête avec son crayon. La nouvelle l’avait pris au dépourvu. Il commanda au facteur :
— Donne-moi ton numéro de portable.
Auguste s’exécuta et le gendarme ajouta :
— Tu ne bouges pas. Je préviens le chef, il va sûrement te rappeler.
Dans un cas comme ça, pas d’initiative intempestive.
Mieux valait ouvrir le parapluie et laisser l’initiative à l’adjudant Autret car l’adjudant Autret était très jaloux de ses prérogatives de chef de brigade et pas du genre à plaisanter dans le boulot (ni en dehors, d’ailleurs).
Pris d’un doute, il précisa d’une voix sévère :
— J’espère que ce n’est pas une connerie, Auguste, parce que si c’est une connerie…
Auguste le coupa d’une voix aiguë :
— Puisque je te dis qu’ils sont là, tous les deux, un homme et une femme, dans un lit, avec une balle dans le cœur…
Le gendarme s’étonna :
— Comment que tu as vu tout ça, toi ?
Auguste regimba :
— J’ai vu tout ça parce que j’ai des yeux et que je ne suis pas aveugle ! Alors, tu te grouilles ou quoi ?
— Ça va ! grogna le gendarme. Je préviens le chef !
Satisfait d’avoir arrêté une position inattaquable, il répéta :
— En attendant, tu ne bouges pas !
— Et mon courrier ? geignit Auguste qui avait une haute idée de sa mission. C’est que je vais me faire engueuler, moi, si je suis en retard !
En réalité, il avait surtout hâte d’aller colporter la nouvelle. La réponse du gendarme doucha son impatience :
— Cas de force majeure, mon vieux. Ton courrier attendra et surtout, ne parle de cela à personne, tu m’entends ? À personne !
La communication fut coupée et Auguste Lannurien resta comme deux ronds de flan, le téléphone à la main. On lui avait gâché le plaisir : s’il parlait de l’affaire, la gendarmerie saurait d’où venait la fuite. Et Lannurien n’était pas homme à se mettre la gendarmerie à dos.
Pendant ce temps, le gendarme Tréguer appelait son chef, l’adjudant Autret.
— Mon adjudant, je viens d’avoir un appel du facteur qui prétend avoir trouvé deux macchabées à la Villa des Quatre Vents.
— Quel facteur ?
— Auguste Lannurien.
— Ah, dit l’adjudant, Gus ?
Autret était depuis assez longtemps en poste à Kerpol pour savoir que c’était sous ce diminutif que le facteur était connu.
— Ben oui, dit Tréguer, à ma connaissance il n’y en a pas d’autre.
— Pff ! fit l’adjudant. Si c’est une plaisanterie, Tréguer, elle n’est pas de très bon goût.
— Je ne crois pas, dit le jeune gendarme. Auguste avait l’air troublé, il bredouillait tant que j’ai à peine compris ce qu’il disait. Alors j’ai relevé son numéro et je lui ai dit que vous alliez le rappeler.
— Je le fais immédiatement, assura l’adjudant Autret. Et si c’est une mauvaise blague, il va m’entendre !
oOo
Ce n’était pas une mauvaise blague, sauf pour les deux macchabées qui avaient vu leur partie de jambes en l’air écourtée assez brutalement.
Conduit par le facteur à qui l’arrivée des gendarmes avait redonné de l’aplomb, l’adjudant Autret, les poings sur les hanches, contemplait le funèbre spectacle et tout ce qu’il trouva à dire fut :
— Ben merde alors…
Maintenant que le soleil éclairait la chambre, Auguste voyait mieux les victimes. Soudain il serra les mâchoires : ce type, il l’avait déjà vu quelque part, mais où ?
L’adjudant lui demanda :
— Tu les connais ?
Le facteur secoua la tête négativement :
— Non… J’crois pas…
L’adjudant Autret haussa les épaules :
— Sortez tous ! Les gars du labo vont arriver, ils ont l’habitude, ils prendront les mesures qui s’imposent.
Le sous-officier subodorait une histoire peu ordinaire qui ne lui vaudrait que des emmerdements s’il ne se couvrait pas. À quelques mois de la retraite, il n’avait plus l’ambition de se faire mousser et surtout pas envie de prendre des initiatives qui ne pourraient que se retourner contre lui.
Ils restèrent donc dans la cour de la villa, dans l’attente de la brigade scientifique.
L’adjudant Autret profita de ce temps mort pour redemander au facteur d’un air soupçonneux :
— Tu es sûr que tu ne les avais jamais vus auparavant ?
— Pourquoi vous me demandez ça ? demanda Auguste sur la défensive.
— Parce que tu connais tout le monde ici, dit l’adjudant, et aussi parce que rien ne t’échappe. Je me trompe ?
Le facteur protesta, mal à l’aise :
— Je ne peux pas être partout ! Et puis, ces gens ne sont pas d’ici, leur voiture est immatriculée à Paris ! Je ne sais même pas quand ils sont arrivés. Cette villa est en location à la petite semaine, vous comprenez ?
Le gendarme hocha la tête :
— Je comprends, oui, mais ce que je ne comprends pas, c’est ce recommandé…
— Pourquoi ? demanda le facteur troublé.
Des plis recommandés il en voyait tous les jours. Qu’y avait-il d’anormal à cela ?
Le gendarme le regarda avec commisération :
— Ne me dis pas que les gens qui viennent là en vacances pour quelques jours prennent la peine de faire suivre leur courrier.
Lannurien réfléchit. Il y avait du vrai dans ce que disait l’adjudant Autret.
— Ça, c’est vrai, mon adjudant, admit-il.
Il réfléchit encore et ajouta :
— C’est même jamais arrivé.
L’adjudant Autret hocha la tête, satisfait de sa déduction. C’était un homme long et mince, toujours impeccable dans son uniforme et que ses hommes ne voyaient pas souvent rire. La diplomatie n’était pas son fort, pas plus que la périphrase. Il s’exprimait de la même façon abrupte avec les délinquants ou les plaignants.
Il braqua un regard accusateur sur le facteur :
— La maison était donc ouverte à tous les vents ?
— On ne peut pas dire ça, fit Auguste, la barrière du jardin était simplement tirée, le loquet n’était pas mis.
— Donc tu es passé par la véranda ?
— Ben oui, par où nous sommes entrés.
— Tu as regardé si la porte d’entrée était verrouillée ?
— Non, dit Gus en faisant un pas vers la solide porte de bois plein, mais on peut voir…
L’adjudant prévint son geste :
— On ne touche à rien !
— Ah oui, c’est vrai, balbutia le facteur confus, les empreintes…
Il n’avait même pas pensé aux empreintes qu’auraient pu laisser le ou les criminels.
Un crissement de pneus se fit entendre et une voiture s’arrêta près du véhicule des gendarmes, sur le chemin. Un officier de gendarmerie en descendit, suivi de trois civils qui entreprirent immédiatement de sortir des valises de matériel du coffre.
Autret s’empressa de saluer :
— Mon capitaine…
— Qu’est-ce qu’y se passe ici, adjudant ? demanda l’officier en lui rendant son salut.
— Il y a deux morts dans la maison, dit Autret, en baissant instinctivement la voix, un homme d’une bonne cinquantaine d’années et une femme nettement plus jeune. Tués par balles…
Et il ajouta, ne voulant sans doute pas paraître trop catégorique :
— À ce qu’il m’a semblé.
L’officier demanda :
— Qui est-ce qui a donné l’alerte ?
— C’est monsieur, dit Autret en montrant Auguste qui se faisait tout petit.
— Apparemment vous êtes le facteur ? fit l’officier en se retournant vers l’homme qu’on lui désignait.
Auguste hocha la tête affirmativement.
— Oui monsieur.
L’officier précisa :
— Je suis le capitaine Charpin…
— Oui, mon capitaine, dit Auguste intimidé.
Pour un peu il se serait mis au garde-à-vous et il aurait salué.
— Et qu’est-ce qui vous a amené à pénétrer dans cette maison ?
Ça y est, pensa Auguste, ça va être ma fête !
— Un recommandé, dit-il. Il fallait que je fasse signer le registre. J’ai vu que la voiture était là, j’ai pensé que les gens n’étaient pas loin et comme la porte était ouverte, j’ai appelé… Ça m’a paru bizarre que personne ne réponde, alors je me suis avancé et c’est là que j’ai vu…
Il grimaça douloureusement.
— J’ai immédiatement appelé la gendarmerie.
— Vous n’avez touché à rien ?
— À rien, mon capitaine.
— Bien, dit l’officier à ses hommes, allons-y.
Il précisa, à l’intention du facteur :
— Et vous, attendez-nous là !
Il pouvait compter sur Auguste pour ne pas s’en aller juste au moment où ça devenait intéressant. Par la porte-fenêtre dont les rideaux avaient été tirés, on voyait tout ce qui se passait dans la chambre. Les hommes de la brigade scientifique avaient revêtu des combinaisons de léger plastique blanc par-dessus leurs uniformes.
L’un d’entre eux photographiait au flash la scène du crime, tandis qu’un autre étalait de la poudre avec un pinceau sur les meubles et les poignées de portes.
— Ils cherchent des empreintes ! se dit Auguste fier de sa perspicacité.
Le capitaine montra du menton les chambranles de la porte de communication avec la terrasse.
— N’oubliez pas ça…
L’officier ne se faisait pourtant pas d’illusions : ce n’était pas un crime d’amateur. Celui qui tenait l’arme n’était pas un débutant. Les deux balles avaient été tirées à la volée, avec une belle précision, si bien que la seconde victime n’avait même pas eu le temps d’esquisser un geste de protection avant d’être mortellement frappée à son tour. La posture des corps le prouvait.
Comme ses hommes, le capitaine Charpin avait enfilé une paire de gants très fins, en latex.
Il demanda à l’adjudant Autret :
— Vous n’avez pas visité le reste de la maison ?
— Non mon capitaine, j’ai pensé qu’il valait mieux attendre la brigade scientifique.
Le capitaine approuva en hochant la tête.
— Vous avez bien fait !
Il suivit le couloir pour regarder les pièces attenantes, histoire de se faire une idée de la distribution des lieux. Dans l’une d’elles, un lit défait laissait penser que d’autres visiteurs avaient passé la nuit là. Il revint dire un mot à ce sujet à ses hommes et poursuivit sa visite en poussant une porte vitrée, à deux battants, qui donnait sur une salle de séjour de belles dimensions, avec, devant une vaste cheminée de granit, une table basse et de confortables canapés recouverts de cuir fauve. Une bouteille de champagne vide et quatre flûtes étaient posées sur la table, les cendriers n’avaient pas été vidés.
Le capitaine examina les mégots sans y toucher. Il y avait deux bouts de cigares et des restes de cigarettes blondes à bout filtre. Autant d’éléments intéressants que les enquêteurs serreraient précieusement dans de petites pochettes de plastique à fin d’analyse.
L’adjudant Autret avait regagné la voiture de gendarmerie et s’activait sur son ordinateur. Personne ne faisant plus attention à lui, Auguste s’approcha de la porte-fenêtre d’où jaillissaient les éclairs du flash.
Il eut un mouvement de recul instinctif en s’apercevant que le gendarme avait totalement dénudé les corps et qu’il les photographiait maintenant sous divers angles pour relever leur position exacte.
Aux yeux du pauvre facteur, ces formalités judiciaires semblaient terriblement indécentes, surtout à cause des formes opulentes de la femme qui s’étalaient dans l’abandon le plus total.
L’un des enquêteurs avait mis la main sur le portefeuille de l’homme et sur le sac de la femme. Il lut à voix haute :
— Sayze, Louis, né à Paris, soixante-deux ans, gérant de société. Charlène Tilleux, née à La Rochelle, vingt-cinq ans, comédienne…
Il ricana :
— Comédienne… Ça couvre pas mal de choses, ça, comédienne…
L’autre gendarme maugréa :
— Une gamine de vingt-cinq ans en partie fine avec un gros plein d’oseille qui a l’âge d’être son père, j’appelle pas ça une comédienne, moi…
Et l’autre, plein d’astuce remarqua finement :
— Elle devait quand même lui jouer une drôle de comédie pour lui en donner pour son pognon…
Le capitaine Charpin entra :
— Des empreintes ?
L’homme au pinceau acquiesça :
— C’est pas ça qui manque, mon capitaine. Il y en a beaucoup, et superposées.
Évidemment ce n’était pas fait pour faciliter les choses.
Le capitaine soupira :
— Relevez donc aussi celles qui sont sur la porte-fenêtre de la chambre voisine. Celle-là a été utilisée, mais visiblement pas pour dormir.
Le photographe, un quadragénaire au type méditerranéen très marqué, baissa un instant son appareil et demanda au capitaine :
— Vous pensez à une partouze, capitaine ?
— On ne peut pas l’exclure, dit l’officier. Le vol pourrait-il être le mobile du crime ?
— Je ne sais pas, dit le gendarme. Le portefeuille du type ne contenait pas d’espèces, mais ça ne prouve rien. Maintenant que les gens paient tout par carte de crédit…
— Et le sac de la fille ?
— De la petite monnaie, un billet de cinq euros…
— Et leurs cartes de crédit n’ont pas été volées ?
— Non… Cependant, on ne sait jamais combien les gens en ont.
— C’est vrai, reconnut le capitaine, mais s’il y avait eu vol, tant qu’à en piquer une autant les piquer toutes. De tout cela il ressort que si on ne peut pas affirmer que le vol est le mobile du crime, on ne peut pas l’exclure non plus.
Auguste souffla : le calme des enquêteurs l’impressionnait. Ils évoquaient des possibilités impensables avec une sérénité totale.
— Une partie fine qui aurait mal tourné ? suggéra le photographe distraitement en réglant son appareil.
— Ça se pourrait, laissa tomber négligemment le capitaine. Passez donc au peigne fin les deux salles de bains et recueillez soigneusement poils et cheveux dans les lavabos et les cuvettes des sanitaires. Ça pourra peut-être servir.
Les deux techniciens se regardèrent d’un air entendu. On n’avait pas besoin de leur faire de telles recommandations. Ils connaissaient leur métier.
Le capitaine, le regard dans le vague, s’avisa soudain que le facteur était là, figé, les yeux exorbités devant le cadavre dénudé de la fille.
— Qu’est-ce que vous foutez là ? demanda-t-il sans aménité. Vous croyez que c’est le moment de se rincer l’œil ?
Le visage pâle du chantre de la paroisse s’empourpra et il tenta de se justifier :
— Mais je… Mais je…
Le capitaine le regardait avec exaspération :
— Qu’est-ce qui m’a foutu un corniaud pareil ? tonna-t-il.
Auguste en fut blessé. Qui les avait prévenus, ces foutus pandores ? Il bégaya :
— Bé… Bé… et mon recommandé ?
Il brandissait la grosse enveloppe.
— Qu’est-ce que j’en fais ?
Le capitaine tendit la main :
— Donnez-le moi ! ordonna le capitaine avec brusquerie.
— C’est que… dit le facteur en serrant l’enveloppe contre lui.
— C’est que quoi ? gronda le capitaine.
— Ben, mon capitaine… Madame Tilleux ne peut plus signer le document d'émargement !
La naïveté du facteur fit s’esclaffer les trois gendarmes :
— Elle ne pourra même pas signer son avis de décès, fit le photographe.
— Eh bien, je le signerai, moi, dit le capitaine.
D’autorité il prit le carnet du facteur et apposa sa signature et sa qualité sur le feuillet. En échange, Auguste consentit, mais à regret, à lui confier l’enveloppe. Celle-ci avait été postée le trois février précédent à Genève et le bordereau de recommandé indiquait comme expéditeur une Société Genevoise d’Information.
Après l’avoir soupesée, puis retournée dans tous les sens, le gendarme fronça les sourcils :
— Bizarre qu’on ait adressé un recommandé à cette charmante personne…
Il haussa les épaules. On verrait ça plus tard.
Auguste eut un mouvement pour tendre la main à l’officier, mais celui-ci ignora superbement l’offrande et congédia le malheureux facteur d’un signe fort explicite et précisant d’un ton très administratif :
— Vous serez convoqué pour votre déposition.
Auguste Lannurien faillit lui faire remarquer qu’il leur avait déjà dit tout ce qu’il savait, mais il se retint prudemment.
La voix du gendarme le figea comme il montait dans sa voiture :
— Et surtout, monsieur Lannurien, pas un mot de ce que vous avez vu dans cette maison. Sinon vous aurez affaire à moi !
Le ton était rien moins qu’aimable.
Auguste hocha la tête affirmativement en le traitant in petto de sale nazi - ce qui était tout de même excessif - et, la rage au cœur, la crainte aussi, fila sans demander son reste.
Avec la Police, c’est bien connu, on n’a jamais le dernier mot.
Après le départ du bonhomme, le capitaine Charpin entreprit des investigations plus approfondies en explorant le contenu des meubles.
C’est ainsi qu’il mit la main sur le double du contrat de location de la villa. Celui-ci avait été établi par une agence immobilière de Roscoff au profit de la SA GEEK, Gestion études évaluations Konseils.
— Konseils avec un K, se dit le capitaine en regardant la lettre qu’il avait toujours en main. C’est quoi ce binz ?
Il ne l’avait pas encore ouverte, se réservant prudemment de solliciter l’autorisation auprès du juge qui instruirait l’affaire.
Certains de ces magistrats étaient en effet d’une susceptibilité maladive dès que l’on touchait à leurs prérogatives. L’ouverture d’un courrier - recommandé de surcroît - par un militaire qui n’en était pas le destinataire pouvait générer des tensions et ce n’était pas la peine de courir au-devant d’une guéguerre avec la justice.
Il sortit néanmoins son téléphone portable et forma le numéro de l’agence. Ce fut une voix de femme qui lui répondit :
— Agence des Îles, j’écoute…
— Je voudrais parler au responsable de l’agence, dit le militaire sans s’embarrasser de formules de politesse.
Ceci ne troubla pas sa correspondante qui répondit aimablement :
— Monsieur Le Corre est absent en ce moment. Qui le demande ?
— Le capitaine Charpin, de la gendarmerie nationale.
— Ah, fit la dame surprise, en quoi puis-je vous être utile, capitaine ?
— Je vais vous le dire, fit Charpin d’une voix radoucie. Il s’agit de la villa les Quatre Vents… Vous avez loué cette maison à la SA GEEK, une boîte de Paris.
— En effet, monsieur. C’est moi-même qui ai suivi ce dossier et établi ce contrat.
— À qui appartient-elle ?
— À monsieur Kergloff, un serriste de Guissény.
Le capitaine tiqua :
— Un quoi ?
Il n’était pas en poste depuis longtemps dans le secteur et il y avait encore des termes locaux qui lui échappaient. Obligeante, la secrétaire précisa :
— Un serriste, c’est-à-dire un cultivateur qui a des serres. Monsieur Kergloff est spécialisé dans la fleur coupée. Il a racheté cette villa voici une dizaine d’années et il nous en a confié la gestion.
— Parfait ! dit le capitaine d’une voix sèche. Pouvez-vous me dire qui représentait cette SA GEEK lors de la signature du contrat ?
La voix de la dame trahit son embarras :
— Pardonnez-moi, monsieur, mais il n’est pas d’usage de donner ce genre de renseignement par téléphone…
— Je comprends, dit Charpin. Dans ce cas, je vous serais reconnaissant de venir incessamment à la villa…
— Que se passe-t-il ? Vous êtes donc sur place ?
— En effet, madame. Et pour un motif sérieux, croyez-moi.
Il y eut un silence puis la dame, de plus en plus inquiète, demanda :
— La villa a été cambriolée ?
— Je ne donne pas ce genre de renseignement par téléphone, persifla Charpin, mais je vous engage à m’y rejoindre tout de suite.
— C’est que je suis seule, je ne puis fermer l’agence… Et puis, je n’ai pas de voiture !
— Vous voulez que je vous fasse prendre par une voiture de gendarmerie ?
— Mais monsieur… Est-ce bien nécessaire ?
Visiblement, la dame n’avait pas envie d’être embarquée par la maréchaussée.
— Ça ne sera pas nécessaire si vous répondez à mes questions. Je suppose que les gens qui viennent séjourner à la Villa des Quatre Vents retirent les clés dans votre agence ?
— En effet.
— Alors, dites-moi, depuis quand les locataires actuels sont-ils dans les lieux ?
— Depuis deux jours.
— Combien sont-ils ?
— Je ne sais pas…
— Comment, vous ne savez pas ?
— Je ne pose pas ce genre de question, monsieur. Cette villa est prévue pour loger huit personnes. En général, il n’y a qu’une personne qui vient retirer les clés.
— Je réitère ma question : avec qui avez-vous traité lors de la signature du contrat ?
Il entendit la dame soupirer au téléphone.
— Mais je n’ai vu personne, monsieur !
— Comment ça, s’étonna Charpin.
— Ça s’est fait par Internet, monsieur, comme se font quatre-vingt-dix pour cent de ces locations.
« Manquait plus que ça » pensa Charpin.
La dame ajouta :
— Le comité d’entreprise de cette firme loue cette villa à l’année et je n’ai pas à tenir le compte des gens qui y passent ! Nous sommes convenus que les gens qui peuvent prétendre à occuper cette maison sont pourvus, par ce comité d’entreprise, d’une lettre d’introduction contre laquelle je leur délivre les clés. Un monsieur Sayze s’est présenté voici deux jours avec cette lettre. Je lui ai donc remis les clés, voilà tout !
— Voilà tout, vraiment ?
— Que voulez-vous que je vous dise d’autre ?
La secrétaire commençait sérieusement à s’inquiéter.
Elle parut se rappeler soudain d’autre chose :
— Ah ! si, mais je ne sais pas si ça va vous servir, quelques heures après ce monsieur, un couple s’est présenté et m’a demandé comment on accédait à la Villa des Quatre Vents où ils devaient retrouver leurs amis Sayze.
— Eh bien nous y voilà ! s’exclama Charpin. Décrivez-moi ce deuxième couple s’il vous plaît.
La dame objecta :
— Je n’ai vu que le monsieur. Mais, puisque vous êtes à la villa, monsieur Sayze pourra sûrement vous le décrire mieux que moi !
— Ne vous inquiétez pas de ça, je vous demande de me donner ces signalements tout de suite, et avec le plus de précisions possible.
— Je vous le répète, je n’ai vu que le monsieur, un homme d’une bonne cinquantaine d’années, de taille moyenne…
— C’est tout ? s’impatienta le capitaine Charpin.
— Ben oui…
— Et la femme ?
— Je n’ai fait que l’apercevoir à travers les vitres de la voiture. Elle n’est pas descendue.
— Quel type de voiture ?
— Une voiture grise, genre voiture de sport, très basse. Quand ils sont repartis, j’ai vu qu’elle avait une plaque blanche avec des chiffres noirs et comme des écussons dans des cercles.
— Une immatriculation allemande ?
— Ah, fit la dame, comme si elle était touchée par une révélation, ça se pourrait bien car j’ai remarqué que le monsieur avait un accent allemand assez prononcé.
— Bien, dit Charpin, je vous remercie madame. Pour le moment, ce sera tout.
— Vous ne pouvez pas me dire ce qu’il se passe ? demanda la dame inquiète.
Trop tard, le capitaine Charpin avait raccroché et il formait déjà un autre numéro.
Villa des Quatre Vents
Quant à ce Sayze, que venait-il faire à Kerpol ? Était-il amoureux de l’écrivaine ? Comment y croire ? S’il avait eu une aventure avec cette femme, cela semblait être terminé puisqu’il couchait avec une superbe fille de trente ans sa cadette. Il fallait le reconnaître, si avenante que fût encore Angélique Gouin, son charme ne pesait plus lourd devant la jeunesse éclatante de la nouvelle maîtresse de Louis Sayze.
Auguste, qui savait qu’il ne connaîtrait jamais une telle créature, se serait bien consolé dans les bras d’Angélique, mais il n’y était pas encore. Néanmoins, il avait peut-être un moyen de pression.