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© Goupe Larcier s.a., 2014
EAN 9782804470142
Éditions Larcier
Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles
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Dans ces aubes toutes pures,
les pires orages étaient déjà suspendus.
François Mauriac (1885-1970)
in Thérèse Desqueyroux (1927)
Les nouveaux instruments financiers, Bruxelles, Kluwer Éditions juridiques, 1994
Gestion du risque de taux d’intérêt, Bruxelles, Kluwer Éditions juridiques, 1995
Le droit comptable dans la société, Bruxelles, Ced. Samsom, 1996
Les nouveaux instruments financiers, Bruxelles, Kluwer Éditions juridiques, 1998
Le droit comptable belge applicable aux instruments financiers, Bruxelles, Larcier, 2001
Les stock-options, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2002
Les instruments financiers optionnels, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers » 2002
Les obligations, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2002
Efficience des marchés, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2003
La décote des holdings belges, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2003
Les normes IAS/IFRS 32 et 39, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2003
Les stock-options – Édition 2004, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2004
Les obligations – Édition 2004, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2004
Les obligations convertibles, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2005
Les Accords de Bâle II pour le secteur bancaire, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2005
Les normes IAS/IFRS 32 et 39 – 2005, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2005
Les stock-options – Édition 2006, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2006
Les intérêts notionnels, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2006
L’image fidèle en droit comptable belge, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2007
Les normes IAS/IFRS 32 et 39 et IFRS 7, Bruxelles, Larcier, coll. « Cahiers financiers », 2007
La suppression des titres au porteur, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007
Accountancy tussen onderzoek en praktijk, Kluwer, Mechelen, 2007
Les déductions fiscales à l’impôt des sociétés, « Cahiers financiers », Bruxelles, Larcier, 2008
Économie européenne : l’influence des religions, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2008
Les normes IFRS, Paris, Pearson, coll. Synthex, 2008
2008 : l’année du krach, Bruxelles, Larcier, 2008
Synthèses de droit bancaire et financier, Bruxelles, Bruylant, 2008
L’efficience des marchés, « Cahiers financiers », Bruxelles, Larcier, 2009
La bourse et la vie, dialogue avec l’abbé Éric de Beukelaer, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2009
La crise économique et financière de 2008-2009, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2010
Les éclipses de l’économie belge, Anthemis, 2010
IFRS et la crise financière, ICCI, Anvers, Maklu, 2010
IEC 2010, Lannoo, 2010
Le capitalisme d’après, dialogue avec Axel Miller, Larcier, 2010
2010, l’année fracturée, Anthemis, 2010
L’impôt en Belgique après la crise, dialogues avec Étienne de Callataÿ, Larcier, 2010
2011-2013 : les prochaines conflagrations économiques, Larcier, 2010
Liber Amicorum – Jacques Autenne, Bruylant, 2010
Des temps provisoires, une année imprécise, Anthemis, 2011
Les dialogues de la fiscalité – 2011, Larcier 2011
Les sentinelles de l’économie, Anthemis, 2012
Les confidences d’une charmille – Amazon-Kindle, 2012
Cinquante ans de fiscalité – Actes d’un colloque de l’ESSF, 2012
La déflagration monétaire, Anthemis, 2012
Voyage au bout de la nuit monétaire, coll. de l’Académie royale de Belgique, 2012
De nouvelles géométries économiques, Anthemis, 2013
Les agences de notation financière, Larcier, 2013
Capitalisme européen : l’ombre de Jean Calvin, coll. de l’Académie royale de Belgique, 2013
Cet opuscule rassemble différents textes relatifs à la problématique des dettes publiques, dont l’embrasement a été révélé par la crise financière et économique déclenchée en 2008. Ces dettes publiques sont un incendie qui couve et rampe comme ces feux souterrains qui se communiquent par les racines.
Ne nous leurrons pas : cette dette publique, combinée à l’impayable financement du vieillissement de la population, a miné la nature du contrat social au sujet duquel le débat idéologique devra être engagé.
Le texte est organisé autour de plusieurs chapitres, dont le lecteur verra les mêmes idées dégagées avec des approches différentes. Il n‘a cependant pas pour objectif de fournir des pistes de réflexion quant aux résolutions d‘endettements excessifs, mais plutôt de se concentrer sur une explication intuitive de leur origine, de leur niveau et des voies inhabituelles qui pourraient être envisagées par certains pays.
Après une introduction, l’abstraction du concept de dette publique est esquissée. L’envergure de la dette fait l’objet du chapitre suivant, avant d’adopter les axes de la politique monétaire et budgétaire.
Un chapitre est ensuite consacré à des exemples singuliers de résolutions d’excès d’endettement public. La nature de l’écosystème bancaire est ensuite abordée avant de conclure sur la finitude des mondes anciens.
La crise des dettes publiques révèle la fin du XXe siècle. Elle s’échouera, au mieux, dans une inflation que la récession et les risques de déflation peineront à susciter. Mais, faute d’inflation, il faudra envisager, dans certains pays, des effacements de dettes. Pourtant, l’effacement des dettes dépend de la nature des liens entre créanciers et débiteurs. Les citoyens sont, en effet, débiteurs et créanciers des États dans un agencement sociétal déstratifié socialement.
Depuis le début de cette crise, nous avons l’intuition d’un choc sociétal ample qui demandera de s’extraire de la décision par abstention. Nos circuits de pensée sont probablement confinés aux réflexes d’une inflexion conjoncturelle. Pourtant, la rupture économique relève d’un point de discontinuité majeur. Nos communautés vont immanquablement être traversées par des chocs sociologiques inattendus qui forceront à repenser l’équation de la justice sociale.
D’aucuns exigeront de disqualifier l’économie de marché, mais l’issue de crise ne peut toutefois pas être la recherche d’une étatisation accrue. Au contraire, il faudrait oxygéner nos économies pour favoriser une libération de l’entrepreneuriat, tout en reconnaissant le rôle salutaire de l’État pour répartir les effets de l’ajustement économique à travers le filet de sécurité social qu’il crée. Il est également inconcevable d’adopter un modèle total d’économie de marché qui ne correspond ni à nos traditions, ni à nos réalités économiques, puisque nous avons adopté un modèle social qui entretient une interaction mutuelle des citoyens.
« Bah, murmura-t-il pour se rassurer, tout cela n’arrivera pas l’année prochaine. »
Cette phrase, prononcée par Saccard, le héros du roman L’Argent d’Émile Zola devant les propos fiévreux et exaltés d’un révolutionnaire sous le second Empire, résume la difficulté d’analyser les événements économiques, d’autant que le rôle de l’économiste est moins d’exhumer le passé que de s’exercer à écarter les angles des scénarios futurs, tout en gardant l’humilité du confinement de ses propres raisonnements.
Les paramètres macroéconomiques ont désormais atteint des niveaux de tensions qui vont immanquablement conduire à des ajustements majeurs. Les prochaines années devraient nous confronter à des modifications structurelles de l’économie.
Dans nos économies européennes, le niveau d’endettement public est incompatible avec les perspectives de croissance. L’emprunt de la prospérité future est antagoniste avec les anticipations démographiques et d’activité économique.
Les États, lourdement endettés et empêtrés dans une récession, devront cohabiter avec des acteurs privés, c’est-à-dire des entreprises et des marchés dont le champ d’influence et d’action dépasse celui des États-nations. Cette réalité sera source de tensions idéologiques. La frontière entre la propriété privée et les biens publics sera modifiée, dans le sens d’une étatisation croissante, mais temporaire de l’économie.
Dans le prolongement de ce qui précède, les États ont accru leur tutelle sur le secteur bancaire et des assurances. De nombreux motifs sous-tendent cette situation, dont la protection des déposants. Concomitamment, les États ont repris le contrôle d’une partie du circuit monétaire. Ceci s’inscrit dans une réalité séculaire, à savoir que les États ne suffoquent jamais longtemps sous leur propre dette publique : des ajustements monétaires et fiscaux, dont les États ont le privilège, sont mis en œuvre. Les cas de la Grèce et de Chypre sont révélateurs.
La crise est donc devant nous. Elle est devant nous, car le tassement économique va durer des années. Des années pendant lesquelles des politiques d’austérité aveugles vont entraîner un chômage qui culmine déjà à 12 % de la population active européenne, alors que certains continuent à invoquer la rigueur budgétaire et la contraction monétaire. Et il faut bien réaliser que cette récession est tenace alors que les taux d’intérêt sont proches de zéro. Une faible remontée de ces derniers étoufferait toute reprise potentielle.
Cette crise est devant nous, car le coût des pensions va augmenter géométriquement, sans qu’aucune solution structurelle n’ait pu être trouvée. Au reste, comment imaginer qu’un système de paiement pyramidal de pensions et de soins de santé puisse être financé, alors que les courbes démographiques se sont inversées et que le taux de chômage des jeunes (c’est-à-dire de ceux qui sont censés alimenter la pompe du financement des travailleurs inactifs) atteint près de 25 % pour la zone euro ?
L’Europe s’effondre sous la récession, l’endettement public et une monnaie unique ayant piégé ses États participants dans un système comparable à celui de l’étalon-or.
Ceux qui, aujourd’hui, prônent l’austérité, la taxation et la rigueur implacables pour sortir d’une situation récessionnaire sont gravement dans l’erreur. Non seulement l’erreur historique, mais aussi l’erreur d’appréciation. À partir du moment où la dette publique atteint des sommets que la croissance économique ne peut plus éroder, c’est seulement par la perte de valeur de la monnaie, c’est-à-dire l’inflation et/ou l’effacement de dettes, qu’une économie peut retrouver des bases stabilisées et éviter la suffocation sous l’impôt. Le risque de l’erreur de jugement des prophètes de la rigueur obstinée, c’est que l’ordre social soit, à un moment, perturbé et conduise à des discontinuités politiques. Certains pays en sont proches.
Il faut d’ailleurs le constater : les politiques d’austérité, couplées à la rigueur monétaire allemande, ne sont pas une réussite. Rien n’a été établi pour fonder une union budgétaire et fiscale. Les seuls progrès relèvent de la politique monétaire de la BCE, encore que cette dernière accompagne une étatisation silencieuse du système bancaire.
Le constat d’un abîme de déflation est l’illustration de ce revers économique. Combattre une déflation exigera une politique monétaire encore plus souple et des taux d’intérêt encore plus bas. Mais le temps ne nous sera peut-être pas compté. En effet, les États-Unis ont une longueur d’avance sur la reprise économique : cette dernière, couplée à une normalisation prochaine de leur politique monétaire, conduira peut-être à une hausse des taux d’intérêt. Cette dernière se transmettrait par capillarité à la zone euro. Le pire est peut-être là : nous longerons une déflation qui sera aggravée par des taux d’intérêt qui subiront une tendance haussière venue des États-Unis. Ce jour-là, la zone euro aura perdu la dernière bataille de la crise. Et cette dernière bataille, c’est celle de la monnaie unique. Car ne nous y trompons pas : la déflation conduit à la récession. Elle conduit aussi à l’augmentation relative du coût des dettes publiques. Or, derrière les dettes publiques, c’est la monnaie qui est mise en joue.
À cet égard, la nature des dettes publiques ne peut pas être dissociée de l’expression monétaire, elle-même d’une grande complexité. La plupart des économistes en ont d’ailleurs une compréhension légitimement différente, car ce phénomène est intimement lié à la notion de valeur, elle-même imprécise. Certains distinguent les valeurs d’échange, d’usage, fondamentales et historiques. D’autres assimilent la valeur au prix.
La dette publique est un stock… de dettes. Mais c’est également un flux, puisque la valeur de la dette est l’expression des prélèvements publics qui vont la refinancer ou la rembourser. La politique fiscale est donc intimement liée à la dette publique dont elle est, en partie, la garante de la pérennité. La monnaie est aussi, à tout moment, un stock puisqu’il est théoriquement possible de le cristalliser. Mais, en même temps, la monnaie n’existe que par son propre flux, puisqu’une monnaie qui serait exclusivement thésaurisée perdrait sa principale fonction : celle de l’utilité transactionnelle.
C’est ainsi que si la dette publique et le stock de monnaie sont, à tout instant, des substituts régaliens, ils n’existent que par les flux futurs (impôts pour la dette et transactions pour la monnaie) qui les valident. Il est donc intuitif que l’État détienne deux privilèges : lever l’impôt et battre monnaie. Ce lien est probablement une des facettes du contrat social. Concrètement, cette relation explique qu’on puisse rembourser une dette publique par l’impôt ou par la dépréciation monétaire, c’est-à-dire l’inflation… qui est assimilée à un impôt silencieux.
Une des visions de la monnaie reflète l’idée que cette dernière représente du travail (un quantum) accumulé, ou, selon la théorie marxiste, du temps de travail abstrait matérialisé. Par exemple, si un travailleur preste dix heures de travail, rémunérées chacune à 10 euros, il reçoit 100 euros. Ces 100 euros représentent une quantité de travail accumulée et échangeable contre d’autres unités de travail, prestées par un autre travailleur.
La monnaie crée dès lors un système de correspondance entre des quantités de travail. Elle représente la valeur. Si on suppose que les autorités monétaires décident instantanément de doubler la quantité de billets en circulation, par un simple phénomène d’imprimerie, sans que l’accroissement du nombre de billets soit justifié par des faits de commerce, des demandes d’encaisses ou une croissance de la démographie et de la productivité, cela conduit, selon des conditions indéfinissables et à paramètres inchangés, à doubler les prix.
Pour autant que les salaires s’ajustent à ce nouveau métrage, la valeur monétaire de chaque unité de travail double. Un travailleur qui presterait dix heures de travail devrait recevoir 200 euros. Ceci signifierait que le billet de 100 euros détenu par le travailleur qui aurait presté un travail avant l’augmentation du nombre de billets verrait la contre-valeur de son travail accumulé diminuer de moitié. En d’autres termes, 100 euros anciens n’auraient plus le pouvoir d’achat que de 50 euros après l’augmentation du nombre de billets. Si on qualifie l’augmentation du nombre de billets d’inflation, on comprend pourquoi cette dernière affecte négativement le travail passé au bénéfice du travail futur.
L’inflation pose évidemment la question du maintien du pouvoir d’achat, qui ne peut être effectué qu’imparfaitement si elle est instrumentalisée pour déprécier l’unité monétaire afin d’alléger le remboursement des dettes publiques. L’inflation réajuste la valeur de la monnaie par rapport à la quantité de travail incorporée dans les biens et services. En d’autres termes, une inflation subie conduit à déprécier le travail et la dette passés.
L’inflation surviendra-t-elle ? Elle est déjà présente dans la valorisation de certains actifs, mais son déclenchement dans les flux de consommation n’est pas encore tangible. Il pourrait devenir audible si les États-Unis décidaient de continuer à irriguer la création monétaire, entraînant l’euro dans un courant haussier qui empêcherait toute reprise. À ce moment, il faudra assouplir la politique monétaire, avec le risque qu’un schisme soit constaté entre les pays faibles et forts de la zone euro.
En préambule de cet opuscule, il apparaît qu’il faudra qu’une des variables s’ajuste aux réalités de l’économie. On ne peut pas combiner une monnaie forte, un chômage stratosphérique, une récession et un désendettement public. La solution passera immanquablement par un assouplissement monétaire et budgétaire qui érodera la valeur de la monnaie et/ou des effacements de dettes publiques, à moins que des chocs sociaux perturbent cet ordonnancement.
Ce court ouvrage n’a pas l’ambition de traiter de manière exhaustive ou approfondie de la problématique des dettes publiques, qui prend désormais une dimension inattendue. Il s’agit plutôt de juxtaposer, sous différents angles d’approche, un ensemble de réflexions relatives à cette réalité. Le lecteur n’y trouvera donc pas de constat économique définitif, mais plutôt un faisceau d’intuitions.
La véritable fragilité de l’économiste est d’ailleurs de s’assurer qu’il prend une bonne distance focale par rapport aux événements qu’il circonscrit et qualifie. Or le temps et la distance lui manquent toujours, le recul historique aussi, souvent. La prise de vue n’est toujours qu’imprécise, fuyante. Des zones floues et sombres subsistent.
En économie, il faut s’éloigner des explications déterministes ou séquentielles. Il faut aussi écarter les enchaînements. Au mieux, peut-on trouver des affinités électives liées à certains contextes. Il faut aussi se garder d’établir des corrélations, par essence volatiles, temporaires et souvent démenties a posteriori.
L’économiste peut, au mieux, identifier des congruences. Il lui faut aussi éviter de confondre un problème avec ses symptômes, illustrant le sophisme post hoc ergo propter hoc qui consiste à confondre un antécédent avec une cause. Car, en économie, il y a moins de séquences de causes à effets que de phénomènes complexes qui s’entrelacent et s’entrechoquent.
a posteriori
Nous nous limitons donc à partager de larges intuitions, à la fois précaires et provisoires, sur l’état de l’économie des prochains trimestres. Elles seront évidemment contredites par des épisodes inattendus, dont l’envergure est toujours sous-estimée et qui bouleverseront inéluctablement les prospectives. Ceci étant, la crise est loin d’être terminée. D’une ampleur exceptionnelle, elle devrait faire sentir l’amplitude de son cycle et la violence de ses effets sociaux endéans les trois prochaines années, au moment où le niveau du surendettement sera internalisé dans la perception du bien-être futur. Les événements qui ont secoué la Grèce, l’Irlande et Chypre ne sont peut-être que les prémices de ce qui guette les moins rigoureux des États européens.
On reproche souvent aux économistes de se borner à commenter les crises passées plutôt qu’à déceler les bulles financières en formation. Ce n’est pas faux. Rares sont ceux qui avaient perçu le danger des subprimes. Trop souvent, les économistes s’accoutument des constats de l’économie sans en formuler les scénarios futurs. À leur décharge, on argumentera que l’économie relève plus de l’anthropologique que de la mathématique et qu’il est difficile de transformer des intuitions en prédictions. Mais, cette fois-ci, il est plus facile de cerner le prochain choc financier : c’est la dette publique au sein des pays développés. Il est là. Devant nous. Nous allons rembourser quarante ans d’indiscipline et d’aveuglement budgétaires.
Lorsqu’on additionne les chiffres de la dette publique et du coût du vieillissement de la population, on arrive à près de 700 milliards d’euros à l’échelle belge. Cela représente environ septante années de recettes d’impôts des sociétés ou vingt ans de recettes d’impôts des personnes physiques. C’est évidemment insupportable. Il arrivera immanquablement un moment où nous serons confrontés à l’inanité de cet actif, qui ne représente qu’un emprunt de la croissance. Le futur nous confrontera donc au fait qu’il n’était pas ce que nous croyons. À ce moment, la monnaie, qui mesure la valeur de cet actif, sera dépréciée ou les créances effacées. Le tout est de savoir si cette confrontation sera diluée dans le temps ou si un événement singulier – et inattendu – bouleversera l’avenir. L’avenir nous confrontera au manque de futur. La dette publique, c’est du temps emprunté. Nous ne l’avons plus.
Bruno Colmant
Jennifer Nille
Hiver 2013-2014