John Steinbeck s’est toujours gardé d’écrire des romans à thèse développant une idéologie et des théories qui lui seraient étrangères. Il est plutôt un grand conteur, qui puise sa matière romanesque dans sa propre expérience et ses observations de la réalité sociale. L’auteur connaît bien, en effet, les milieux qu’il décrit. Il a lui-même travaillé parmi ces êtres démunis et ballottés par les événements qu’il campe dans ses ouvrages, d’où le réalisme de ses dialogues et de ses descriptions. Le décor est planté, la plupart du temps, en quelques mots évocateurs d’une nature grandiose, mais souvent capricieuse et hostile à l’homme : le travail de la terre est soumis aux aléas climatiques, la sécheresse empêche les semences de germer, le vent érode la terre et les récoltes sont aléatoires.
Si Steinbeck donne la parole aux laissés-pour-compte qui peinent à trouver leur place dans une société américaine où l’avènement du capitalisme et la crise des années 1930 semblent les avoir abandonnés au bord de la route, ses œuvres ouvrent également sur des sujets universels, tels que la dichotomie ou la frontière entre le bien et le mal, dans À l’est d’Éden par exemple, ou bien le patriotisme et la résistance au totalitarisme dans le roman Lune noire, publié clandestinement en France en 1942.
Ce qui est certain, c’est que, depuis ses débuts et jusqu’à son grand chef-d’œuvre, Les Raisins de la colère, et même au-delà, Steinbeck est le créateur de personnages emblématiques malgré leur simplicité. En lutte avec des forces – sociales, économiques et idéologiques – qui les dépassent, la plupart des héros de ses romans éveillent une sympathie immédiate, tant leur combat pour une place dans la société s’impose à nous comme un drame universel et intemporel.
Malgré tout, le romancier transmet l’espoir qu’un monde plus juste et plus fraternel peut, quelquefois, émerger du chaos : « J’ai foi en l’individu, et je me battrai pour défendre le droit qui est le sien d’agir en tant qu’individu, sans subir de pression d’où que ce soit. La véritable révolte est là. » (STEINBECK (John), Un Artiste engagé, Paris, Gallimard, 2003, p. 72)
L’œuvre complète de John Steinbeck a connu un très grand succès auprès d’un large public, d’abord aux États-Unis, puis à travers le monde entier. Couronnée par le prix Nobel en 1962 et portée par le cinéma qui a largement contribué à sa notoriété, elle est devenue populaire en abordant de grands thèmes de société, sans complaisance ni mièvrerie.
Des souris et des hommes, dont le titre original est Of Mice and Men, ne fait pas exception à la règle. Histoire émouvante d’une amitié indéfectible entre deux êtres que tout oppose, composée comme une tragédie en six actes, ce roman tourne exclusivement autour des deux compagnons que sont Lennie et George, si soudés par leur rêve d’autarcie et la simplicité de leurs ambitions que tous les autres personnages ne font que graviter autour d’eux, sans jamais réellement parvenir à entrer dans leur univers.
Si Steinbeck montre, comme dans presque tous ses livres, comment les rêves du peuple américain peuvent se briser sur les écueils de la dure réalité économique, il ajoute ici un obstacle supplémentaire, celui d’une justice guidée par les préjugés et la haine, qui scellera la destinée des deux amis.
Des souris et des hommes, comme nombre d’œuvres de Steinbeck, doit sa popularité aux fortes oppositions qui structurent le récit, les deux personnages principaux devenant au fil du temps un duo qui imprègne notre mémoire de lecteur avec la même intensité que certains personnages de la mythologie. C’est pourquoi le roman a rapidement dépassé les frontières des États-Unis.