


Stéphanie Del Regno est la fondatrice des éditions La Vallée Heureuse et auteure de plusieurs ouvrages documentaires sur fond historique : Le chant des Ève, la danse des Adam – ou l’histoire du chant et de la danse dans l’Humanité (2012), Lilith, l’Ève maudite (2013) aux éditions La Vallée Heureuse. Elle a coécrit Sur les traces du roi Salomon avec Jean-Pierre Perraud, publié aux éditions Dangles (2009).
À ceux qui voient.
À ceux qui ne voient pas encore.
Une Dame blanche est le fantôme d’une femme, jeune le plus souvent, décédée dans des conditions violentes accompagnées parfois de circonstances particulières, resté fixé sur le lieu du décès ou bien sur un lieu en lien avec son passé.
On la dit « blanche » car la Dame est vêtue de blanc : robe longue, châle, ou bien une lumière blanche émane d’elle.
Nous avons déjà tous entendu parler de la « Dame blanche ». Elle est, de prime abord, associée à l’idée de spectre. Car évoquer le thème de la Dame blanche revient souvent à parler d’histoires de fantômes. Mais pas seulement... Savez-vous qu’elle n’est pas unique mais multiple ? En effet, il existe plusieurs Dames blanches et, surtout, plusieurs formes.
Pour certains, elle est le fantôme annonciateur de mort pour celui qui la voit. Pour d’autres, elle est le spectre d’une jeune fille sauvagement assassinée. Pour d’autres encore, elle sera l’incarnation d’une fée.
Autant de significations que de Dames blanches. Et pas seulement blanches puisque l’observation de dames vertes, bleues, noires ou rouges a également été rapportée.
Les Dames blanches apparaissent sous la forme d’auto-stoppeuses, de fantômes hantant les maisons, mais aussi de lavandières, de fées et de sorcières : elles sont liées autant au monde de la mort (fantômes) qu’à celui de la vie (fées).
Le phénomène est propre aux cultures européenne et nord-américaine, qui bénéficient d’une mythologie riche et de croyances spirites qui regorgent de récits sur les Dames blanches.
Il puise ses origines dans plusieurs domaines :
le folklore : les Dames blanches sont les fées liées à Mélusine et à la reine Guenièvre ;
l’imaginaire collectif : elles sont associées à des animaux, de par leur apparence ou par leur cri comme la chouette effraie et la grenouille ;
l’histoire : les reines endeuillées s’habillaient de blanc, telles Anne et Élisabeth d’Autriche ;
le fait divers : on a mis sous le nom de « Dames blanches » le spectre de jeunes femmes victimes d’homicides involontaires comme volontaires.
Chacun d’entre nous a une histoire à raconter sur la Dame blanche. Que l’on en ait fait l’expérience ou que l’on ait été témoin d’un récit, nous avons tous eu, au moins une fois dans notre vie, affaire à Elle.
Qui n’a jamais eu peur de la rencontrer au détour d’une route en pleine nuit ? Quel adolescent n’a jamais essayé d’aller la chercher dans une vieille demeure abandonnée ? Qui ne s’est jamais fait des frayeurs en se racontant des histoires de Dame blanche ?
Les témoignages se ressemblent, les lieux et moments d’apparition sont prédisposés, et les apparitions en elles-mêmes sont identiques.
Si les récits foisonnent, les explications à ces apparitions sont, elles, au contraire, bien parcimonieuses, voire inexistantes.
En effet, comment expliquer une apparition ? Comment aborder un dysfonctionnement optique populaire par la science ? Comment, tout simplement, élucider l’inexplicable ?
Pour expliquer, il faut des faits. Et pour avoir des faits, il faut des preuves.
La bonne foi de certains témoignages et quelques clichés pris spontanément ne suffisent malheureusement pas à expliquer ce genre de manifestations. Car nous entrons ici dans le « monde invisible », ce monde qui échappe à ce que nous sommes : des êtres vivants rationnels. Nous ne sommes ni préparés ni entraînés pour voir autre chose que ce que nos yeux sont capables de voir. « Je ne crois que ce que je vois », a dit saint Thomas. Cette assertion est bien ancrée dans le langage courant et pourtant bien fausse. Et saint Thomas s’était lui aussi rendu compte bien assez vite de son erreur.
Toute la question est là : est-il obligatoire de voir pour croire ? Si oui, nous nous cantonnons à bien peu de chose.
En ouvrant notre esprit, il ne s’agit plus de « voir », mais de « percevoir ».
Tel est le sens de cet ouvrage, qui aborde un sujet aussi populaire que difficile à croire. Pourtant… Pourtant la science elle-même est en mesure (aujourd’hui seulement) d’apporter les tout premiers éléments de réponse…
Retour sur le phénomène des Dames blanches.

Un personnage si féminin.
Dans quelle direction s’enfuit le rêve une fois les yeux grands ouverts ? Où se cachent les fantasmes ? Où se trouve le réel ? La vie pourrait-elle n’être qu’un songe ? Le songe pourrait-il devenir la vie ? Le mirage se concrétiser ? L’attirance pour le merveilleux est si fortement chevillée à l’âme humaine que nous voudrions souvent, si souvent, que tout se confonde, que la légende du passé devienne – ou redevienne – la certitude du présent. La plupart de ceux qui, une nuit, ont ouvert la portière de leur auto-mobile à une auto-stoppeuse fantôme vous diront, en tout cas, ne pas douter de la réalité d’une rencontre qui les a marqués pour le reste de leur existence.
Ah oui ! La voyageuse vêtue de blanc faisant signe à un chauffeur complaisant… Bien sûr… évidemment… La presse rapporte périodiquement quelques récits d’apparence solide…
Et le fantôme diaphane de la triste victime de quelque histoire moyenâgeuse… Oui, là encore… Les guides professionnels en tiennent des besaces entières à la disposition des touristes…
Novice ou pas en la matière, vous allez découvrir ici qu’il existe pourtant beaucoup d’autres Dames blanches, qu’il en existe tant que bon nombre, même, n’entretiennent que de très lointains rapports avec la couleur associée à la virginité. Ainsi, celle que la foule prit temporairement pour la Déesse en la voyant apparaître au sommet du phare d’Alexandrie « tenait des deux mains les coins de son voile écarlate » (Pierre Louÿs, 1896 : « Aphrodite », livre IV – chap. 6). Rouge, vous avez bien lu, comme celle qui s’emparerait des enfants en Aveyron, et encore les vertes, les bleues ou les noires, vous les trouverez toutes au fil des pages.
J’avoue bien volontiers n’avoir, pour ma part, approché que quelques-unes d’entre elles, soit à travers les enregistrements peu fiables diffusés par des chasseurs de fantômes, soit, plus sérieusement, en entendant quelqu’un qui racontait un peu nerveusement : « Je roulais à peine à 80 km/h, un peu après minuit. Elle se tenait sur le côté droit de ma route, on aurait dit qu’elle m’attendait. » Dans ce second cas, la méthode scientifique permet de s’assurer que le témoin ne divague pas, n’invente pas, qu’il a bien vécu quelque chose d’anormal, mieux de paranormal. Elle ne permet pas de toucher du doigt ce quelque chose, de le vivre à son tour et, franchement, rien de plus frustrant. Heureusement, vous tenez entre les mains, chère lectrice, cher lecteur, un livre qui va vous permettre de comprendre pourquoi les mains se crispent sur le volant quand le regard découvre la silhouette livide, hiératique et silencieuse, le livre qui va vous apprendre pourquoi, s’approchant d’un point d’eau à la nuit tombée, nos aïeux hâtaient le pas en entendant monter le bavardage des lavandières.
Cousine du fantôme et de l’ectoplasme, peut-être de l’apparition religieuse, messagère, protectrice parfois, dangereusement séduisante sinon, apportant avec elle les mystères de la nuit et de l’au-delà, la Dame blanche possède toute l’ambivalence de l’éternel féminin. On ne m’ôtera donc pas de l’idée que seule une plume – féminine également – aussi talentueuse et aussi documentée que celle de Stéphanie Del Regno pouvait réussir à nous parler d’elle sans tomber dans le pédantisme et, mieux encore, sans rien oublier.
Y.L. Octobre 2016.
Les Dames blanches, avant d’être des fantômes, sont d’abord des personnages appartenant au folklore moyenâgeux, lui-même héritier de la survivance des croyances païennes (celtiques – les banshees –, et gréco-romaines – les nymphes –, notamment), antérieures à l’avènement des religions monothéistes.
LES DAMES BLANCHES, dans le folklore ancien européen, sont essentiellement associées aux fées – généreuses, bienfaisantes, bienveillantes ou espiègles ; on les connaît aussi redoutables si on les a offensées – et on attribuerait à la fée Mélusine ainsi qu’à la reine Guenièvre les premières représentations légendaires significatives de Dames blanches.
Présentation Les fées sont des créatures surnaturelles mortelles aux pouvoirs magiques illimités. Féminines et d’une grande beauté ou pas, elles adoptent la forme et le comportement humains (anthropomorphisme).
Archétypes Il existe la fée marraine (bienveillante), la fée amante (manipulatrice), la vieille fée et la mauvaise fée (maléfiques), et les esprits de la Nature (pacifiques).
Localisation Ces esprits de la Nature vivent dans les mondes invisibles au sein du petit peuple, communément établis dans les landes et les forêts, parfois au-dessous du nôtre (sous terre ou au fond des lacs), parfois au-dessus.
Pouvoirs On leur attribue toute une palette de pouvoirs magiques : offrir un don au nouveau-né ou bien échanger le nourrisson avec l’un des leurs, jeter des sorts, voler dans les airs bien sûr et, surtout, influencer la destinée.
Étymologie Le vocable « fée » vient du latin fata qui signifie « destinée » ou encore « femme inspirée »1, en référence aux trois Parques de la mythologie romaine (fatae), divinités maîtresses de la destinée humaine, elles-mêmes liées aux trois Moires de la mythologie grecque (moïra), divinités du Destin implacable.
Origine D’après Alfred Maury (érudit français, 1817-1892), l’existence des fées trouve son origine dans la mythologie celtique (récit du voyage d’Oisin en Tir Na n’Og, les Tuatha dé Danan qui vivent au Pays des Fées, la Leanan Sidhe, les Dames vertes2…).
Issue de la tradition populaire de l’est de la France, Mélusine est un personnage bien ancré dans la littérature moyenâgeuse. Elle est la représentation typique de la fée amante.
On doit à Jean d’Arras (écrivain français de la fin du XIVe siècle) le tout premier roman dédié à la légende de Mélusine. Le Livre de Mélusine, roman fondateur écrit en prose, raconte l’histoire de la lignée de la famille Lusignan dont la fée est à l’origine après avoir épousé Raymondin, un valeureux chevalier. Mélusine descend d’une famille royale (son père, Elina, n’est autre que le roi d’Écosse et sa mère est la fée Persine). Or elle fut frappée d’un sort par sa mère, qui la transformait en serpent depuis le nombril jusqu’aux pieds tous les samedis. Lorsqu’elle épousa Raimondin, Mélusine lui fit promettre de ne jamais chercher à la voir ce jour-là. Ce qu’il fit jusqu’au jour où il brisa sa promesse malgré lui. La vérité dévoilée, Mélusine fut contrainte de disparaître :
— AH ! RAYMOND, LE JOUR OÙ JE T’AI VU POUR LA PREMIÈRE FOIS A ÉTÉ POUR MOI JOUR DE MALHEUR ! HÉLAS ! C’EST POUR MON MALHEUR QUE J’AI VU TA GRÂCE, TON ALLURE, TON BEAU VISAGE, C’EST POUR MON MALHEUR QUE J’AI DÉSIRÉ TA BEAUTÉ, PUISQUE TU M’AS SI IGNOBLEMENT TRAHIE ! BIEN QUE TU AIES MANQUÉ À TA PROMESSE, JE T’AVAIS PARDONNÉ, AU FOND DE MON CŒUR, D’AVOIR CHERCHÉ À ME VOIR, SANS MÊME T’EN PARLER, PARCE QUE TU NE L’AVAIS RÉVÉLÉ À PERSONNE. […] HÉLAS ! MON AMI, SI TU NE M’AVAIS PAS TRAHIE, J’ÉTAIS SAUVÉE DE MES PEINES ET DE MES TOURMENTS, J’AURAIS VÉCU LE COURS NATUREL DE LA VIE, COMME UNE FEMME NORMALE, JE SERAIS MORTE NORMALEMENT. [...] MAIS MAINTENANT TU M’AS REPLONGÉE DANS LA SOMBRE PÉNITENCE QUE J’AVAIS LONGTEMPS CONNUE, À CAUSE DE MA FAUTE. ET CETTE PÉNITENCE, JE DEVRAI MAINTENANT LA SUPPORTER JUSQU’AU JOUR DU JUGEMENT, PARCE QUE TU M’AS TRAHIE. JE PRIE DIEU QU’IL VEUILLE TE PARDONNER.
ET ELLE MONTRAIT TANT DE CHAGRIN QU’IL N’EST AU MONDE DE CŒUR SI ENDURCI QUE SA VUE N’AURAIT ATTENDRI.

Mélusine en son bain, épiée par son époux Raimondin, anonyme, entre 1450 et 1500, Bibliothèque nationale de France.
RAYMOND, EN LA VOYANT, ÉTAIT LUI-MÊME SI MALHEUREUX QU’IL NE VOYAIT PLUS, N’ENTENDAIT PLUS, NE COMPRENAIT PLUS, ET ÉTAIT PROFONDÉMENT BOULEVERSÉ. […]
ALORS, POUSSANT UNE PLAINTE DOULOUREUSE ET UN TERRIBLE SOUPIR, ELLE S’ÉLANÇA DANS LES AIRS, S’ÉLOIGNA DE LA FENÊTRE, TRAVERSA LE VERGER ET SE TRANSFORMA EN UNE ÉNORME SERPENTE, LONGUE DE PRÈS DE CINQ MÈTRES. […]
IL FALLAIT VOIR LE CHAGRIN DE TOUTE LA NOBLESSE. LES DAMES ET LES DEMOISELLES QUI AVAIENT ÉTÉ À SON SERVICE, ET RAYMOND PLUS QUE TOUT AUTRE, LAISSAIENT ÉCLATER UNE EXTRAORDINAIRE DOULEUR, UN AMER CHAGRIN. ALORS LA DAME, SOUS SA FORME DE SERPENTE, FIT TROIS FOIS LE TOUR DE LA FORTERESSE, ET CHAQUE FOIS QU’ELLE PASSAIT DEVANT LA FENÊTRE ELLE LANÇAIT UN CRI SI ÉTRANGE ET SI DOULOUREUX QUE TOUS EN PLEURAIENT DE COMPASSION. ON SENTAIT BIEN QUE C’ÉTAIT CONTRE SON GRÉ, CONTRAINTE ET FORCÉE, QU’ELLE S’EN ALLAIT. [...]3
La tradition veut que l’on rattache le mythe de Mélusine au château de Fougères-sur-Bièvre, dans le Loir-et-Cher. En effet, Agnès de Lusignan (vers 1185- ?), issue de la famille descendante de la fée, épouse, aux environs de 1212, Eudes de Déols (vers 1150-ap. 1214), alors seigneur de Châteauroux et héritier de la seigneurie de Fougères. Le couple vit au château de Fougères-sur-Bièvre, et donnera naissance à deux enfants : Mahaut de Déols et Agnès de Déols4.
Vers 1510-1520, Jean de Villebresme acquiert le château5 et reprend l’iconographie du serpent-dragon ailé, représentation symbolique de la fée Mélusine, pour la faire figurer sur le blason des Villebresme. On peut aujourd’hui l’observer, non plus sous sa forme originale mais en girouette, dans le parc du monument.
Toutefois, une légende de Dame blanche entre également dans l’histoire de la forteresse. Il s’agit de Chana de Chaumont, épouse du terrible Frangel de Fougères, dont nous relaterons le récit dans la deuxième partie de cet ouvrage.
La Dame Blanche du donjon Pflixbourg (Haut-Rhin)
Une autre légende se rapproche singulièrement du mythe de Mélusine : une princesse à la beauté époustouflante tomba sous la malédiction d’une fée, la condamnant à devenir mi-dragon. Seul le baiser d’un chevalier pouvait rompre le sort. Malheureusement, lorsque ce jour arriva, la jeune princesse, dupée par la fée malveillante, quitta entièrement son apparence de femme pour ne laisser place qu’à un effrayant dragon. Lorsque vint l’heure de sa mort, le fantôme de la princesse retrouva un corps jeune et beau, mais on raconte que depuis, elle erre dans la vallée en poussant des hurlements terrifiants.
La reine Guenièvre est le personnage aux multiples facettes du cycle arthurien.
L’origine de son nom provient du gallois Gwenhwifar, qui signifie « blanc fantôme » ou encore « blanche fée ».
Épouse du roi Arthur, si elle est principalement connue pour sa relation adultérine avec le chevalier de la Table ronde Lancelot du Lac – qui la considère comme son véritable Graal –, la description que les textes offrent de cette dame courtoise rappelle indéniablement l’archétype de la fée celtique (au teint diaphane, à la chevelure d’or et se trouvant souvent près d’un point d’eau, cf. l’épisode du peigne ci-après), mais aussi de la fée amante (le couple que Guenièvre forme avec Lancelot est analogue à celui de Mélusine et Raimondin).

La fée Mélusine, Julius Hübner, 1844.
Chrétien de Troyes (vers 1135-vers 1191), était un poète français considéré comme le père fondateur de la littérature arthurienne et du roman de chevalerie.
Durant cinq ans (entre 1176 et 1181), il se consacra à l’écriture de Lancelot ou le Chevalier de la Charrette6, roman écrit en vers. Voici le passage du fameux peigne que Guenièvre oublia sur le rebord de la fontaine.
1359 LA FONTAINE JAILLISSAIT AU MILIEU D’UN PRÉ,
1360 UN BLOC DE PIERRE SE TROUVAIT TOUT PRÈS.
1361 SUR CELUI-CI JE NE SAIS QUI
1362 AVAIT OUBLIÉ
1363 UN PEIGNE EN IVOIRE DORÉ.
1364 DEPUIS LE TEMPS D’YSORÉ,
1365 NUL, SAGE NI FOU, N’EN VIT DE SI BEAU.
1366 CELLE QUI S’ÉTAIT PEIGNÉE AVEC
1367 AVAIT LAISSÉ AUX DENTS DU PEIGNE
1368 BIEN UNE DEMI-POIGNÉE DE SES CHEVEUX.
1369 QUAND LA DEMOISELLE APERÇOIT
1370 LA FONTAINE ET VOIT LE BLOC DE PIERRE,
1371 ELLE NE TIENT PAS À CE QUE LE CHEVALIER LES VOIE,
1372 ET PREND UN AUTRE CHEMIN.
[…]
ALORS ILS CONTINUENT LEUR CHEMIN
1397 JUSQU’AU BLOC DE PIERRE, ET ILS VOIENT LE PEIGNE.
1398 CERTES, AUTANT QU’IL M’EN SOUVIENNE,
1399 FAIT LE CHEVALIER, JAMAIS JE NE VIS
1400 DE PEIGNE AUSSI BEAU QUE CELUI QUE JE VOIS ICI.
1401 --DONNEZ-LE-MOI, DIT-ELLE.
1402 --VOLONTIERS, DEMOISELLE, DIT-IL.
1403 ET ALORS IL SE PENCHE ET LE RAMASSE.
1404 LORSQU’IL L’EUT EN MAIN, TRÈS LONGUEMENT
1405 IL LE REGARDE ET CONTEMPLE LES CHEVEUX,
1406 ET ELLE COMMENCE À SOURIRE.
1407 QUAND IL LA VOIT SOURIRE, IL LUI DEMANDE
1408 DE LUI DIRE POURQUOI ELLE A SOURI.
1409 LA DEMOISELLE RÉPOND : N’INSISTEZ PAS,
1410 JE N’AI PAS L’INTENTION POUR L’INSTANT DE VOUS LE DIRE.
1411 --POURQUOI PAS ? FAIT-IL--JE N’Y TIENS PAS.
1412 ET QUAND LE CHEVALIER L’ENTEND, IL LA CONJURE
1413 EN HOMME CERTAIN
1414 QU’UN AMI DOIT RÉPONDRE AUX QUESTIONS D’UNE AMIE,
1415 ET UNE AMIE À CELLES D’UN AMI.
1416 S’IL EXISTE QUELQU’UN QUE VOUS AIMEZ DE TOUT COEUR,
1417 DEMOISELLE, AU NOM DE CETTE PERSONNE,
1418 JE VOUS REQUIERS, CONJURE ET PRIE
1419 DE NE PLUS GARDER LE SILENCE.
1420 --CERTES, VOTRE REQUÊTE EST DES PLUS PRESSANTES,
1421 FAIT-ELLE, JE ME RÉSOUS DONC À VOUS RÉPONDRE.
1422 JE NE VOUS MENTIRAI EN RIEN.
1423 CE PEIGNE, SI JAMAIS JE FUS BIEN RENSEIGNÉE,
1424 APPARTINT À LA REINE, ÇA J’EN SUIS SÛRE.
1425 CROYEZ-MOI QUAND JE VOUS ASSURE
1426 QUE LES CHEVEUX QUE VOUS VOYEZ
1427 SI BEAUX, SI BLONDS, SI ÉTINCELANTS,
1428 QUI RESTENT ACCROCHÉS AUX DENTS DU PEIGNE,
1429 VIENNENT DE LA CHEVELURE DE LA REINE :
1430 ILS NE POUSSÈRENT DANS NUL AUTRE PRÉ.
1431 ET LE CHEVALIER DIT : CERTES,
1432 IL Y A BIEN DES REINES ET BIEN DES ROIS ;
1433 MAIS DE QUELLE REINE VOULEZ-VOUS PARLER ?
1434 ET LA DEMOISELLE LUI DIT : MESSIRE,
1435 IL S’AGIT DE LA FEMME DU ROI ARTUR.
1436 QUAND SON INTERLOCUTEUR L’ENTENDIT,
1437 IL FUT PRIS DE FAIBLESSE
1438 ET DUT S’APPUYER
1439 SUR L’ARÇON DE SA SELLE.
[…]
QUAND LE CHEVALIER LA VIT VENIR, IL EUT HONTE
1456 ET LUI DIT : POUR QUELLE RAISON
1457 VENEZ-VOUS PRÈS DE MOI ?
1458 NE CROYEZ PAS QUE LA DEMOISELLE
1459 LUI AVOUE LA VRAIE RAISON :
1460 IL EN AURAIT ROUGI DE HONTE
1461 ET AURAIT ÉTÉ BLESSÉ AU VIF,
1462 SI ELLE LUI AVAIT DIT LA VÉRITÉ ;
1463 ELLE S’EST DONC BIEN GARDÉE DE LA RÉVÉLER,
1464 ET RÉPONDIT AVEC BEAUCOUP DE TACT :
1465 MESSIRE, JE SUIS VENUE CHERCHER LE PEIGNE,
1466 POUR CELA JE SUIS DESCENDUE À TERRE ;
1467 DE L’AVOIR EN MAIN JE SUIS SI DÉSIREUSE
1468 QUE JE N’AI PU ATTENDRE DAVANTAGE.
1469 LE CHEVALIER, QUI VEUT BIEN QU’ELLE AIT LE PEIGNE,
1470 LE LUI DONNE, MAIS PAS AVANT D’EN AVOIR RETIRÉ LES CHEVEUX
1471 SI DOUCEMENT QU’IL N’EN ROMPT AUCUN.
1472 JAMAIS YEUX NE VERRONT
1473 HONORER UN OBJET
1474 COMME IL SE MET À RÉVÉRER LES CHEVEUX ;
1475 BIEN CENT MILLE FOIS IL LES APPLIQUE
1476 CONTRE SES YEUX, CONTRE SA BOUCHE,
1477 CONTRE SON FRONT ET SON VISAGE :
1478 LEUR CONTACT LE PLONGE DANS L’EXTASE.
1479 LES CHEVEUX DE LA REINE SONT POUR LUI BONHEUR ET RICHESSE :
1480 SUR SA POITRINE, PRÈS DU CŒUR, IL LES PLACE
1481 ENTRE CHEMISE ET CHAIR.
1482 IL NE LES AURAIT PAS ÉCHANGÉS CONTRE UN CHARIOT
1483 CHARGÉ D’ÉMERAUDES ET D’ESCARBOUCLES.

William Morris, Queen Guinevere, 1858. Domaine public.

Herbert James Draper, Lancelot and Guinevere, 1890. Domaine public.
La Dame du Lac, quant à elle, est une fée avérée. Sa nature féerique ne peut être contestée. Elle est ce qu’on appelle une « fée marraine » : bienveillante et protectrice.
Dans la légende arthurienne, elle est celle qui donne Excalibur à Arthur, le guide vers Avalon et éduque Lancelot à la mort de son père. Elle est la fée bienveillante, la fée marraine.
Communément appelée la fée Viviane, on la retrouve aussi dans les textes sous les noms de « Nimue » – en référence à Mnémé, mère des muses mythologiques gréco-romaines – et « Niniane » – en référence à la déesse galloise Rhiannon et éventuellement à la rivière Ninian en Bretagne.
Dans certains textes, on souligne un lien d’amour entre la Dame du Lac et Merlin, celui-ci connu, entre autres, pour n’avoir que des compagnes tout de blanc vêtues.
Protectrice du roi Arthur et de son royaume, la Dame du Lac prend également soin de sa demi-sœur (parfois sa sœur selon les textes), la future terrible fée Morgane, à qui elle apprend la magie avec le grand Merlin.
La Dame du Lac vit dans les forêts de Brocéliande, de Darnantes et de Briosque. Plusieurs lieux abritent la légende de la fée Viviane. Dans le Lancelot en prose ou Lancelot-Graal, rédigé vers 1230 par un auteur encore à ce jour anonyme, cette œuvre majeure localise le lac de Viviane à Saint-Pierre-du-Lac (Maine-et-Loire) dans l’ancienne forêt de Beaufort-en-Vallée7.
Le château de Comper à Concoret dans le Morbihan aurait vu naître Viviane.
« La légende attribue la construction du château de Comper à Diane. La déesse de la chasse en aurait fait don au seigneur Dymas, et la fée Viviane, fille de Dymas, y serait née8. »

Château de Comper, Concoret, Morbihan – © Raphodon.
Que ce soit Mélusine, la reine Guenièvre ou encore la Dame du Lac, on comprend mieux à présent comment elles sont devenues les inspiratrices du mythe de la Dame blanche.

1 Adolphe de Chesnel, Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés et traditions populaires, p. 385.
2 Olivier Legrand, Aux Origines de la Féerie, 2004.
3 Jean d’Arras, Le Livre de Mélusine (1392), Stock-Plus, 1979.
4 La généalogie d’Eudes de Déols est visible sur www.genealogie33.org/pduc/dat46.htm#12.
5 Centre des Monuments nationaux.
6 Chrétien de Troyes, Lancelot ou le Chevalier de la Charrette (1176-1181), Bordas, 1989.
7 Goulven Péron, La légende de Lancelot du Lac en Anjou, Les Cahiers du Baugeois, no 92, p. 55-63.
8 Yann Brekilien, Les châteaux bretons, p. 59.
Présentation : Les Dames blanches folkloriques sont des femmes d’une grande beauté et mystérieuses.
Archétypes : Majoritairement errantes, passives et pacifistes, on retrouve néanmoins des courageuses, des cupides, des meurtrières, des entreprenantes, des colériques, des tempérantes, etc.
Localisation : Les bois, les zones d’eau, les châteaux.
Pouvoirs : Elles ont le pouvoir de guider ou bien d’effrayer mais, de manière générale, elles demandent de l’aide.
Origine : Cette catégorie de Dames blanches puise son origine dans le folklore et les légendes locaux.
Le folklore français regorge d’histoires de Dames blanches. Celles-ci diffèrent des dames blanches « paranormales » que nous présenterons en deuxième partie de cet ouvrage.
Les Dames blanches issues du folklore puisent leur origine dans les mythes et légendes transmis de génération en génération, depuis le Moyen Âge, car avant cela – nous parlons ici de mythologie –, il n’était nullement fait mention de Dames blanches, mais de fées. Les mythologies nordique et celtique, notamment, donnent à ces personnages fantastiques une place de choix dans leurs récits.
En France, si le mythe de la Dame blanche est présent dans quasiment toutes nos régions aujourd’hui, il a probablement pris naissance en Bretagne, grâce à la légende arthurienne et à sa fameuse forêt de Brocéliande, universellement connue pour
avoir abrité – et abriterait toujours –, quelques druides, esprits de la forêt et petit peuple. Les fées sont considérées comme des esprits de la nature. On leur confère divers pouvoirs, et on présente certaines d’entre elles vêtues d’une longue robe blanche. Par extension, ces fées habillées de blanc sont devenues les Dames blanches.
Des centaines de récits régionaux les mentionnent. Certains vont mettre en avant leurs pouvoirs, d’autres leur beauté, d’autres encore leur mode de vie. Chaque Dame blanche est porteuse de sa propre histoire. Si certaines sont sensiblement similaires, il y aura toujours des points bien distincts entre un récit et un autre, du fait de son inspiration par le folklore local.

Certains récits rapportent l’errance de Dames blanches. Ce genre de narration est étroitement lié aux phénomènes de Dames blanches fantomatiques et de hantises : le spectre de jeunes femmes nobles assassinées continue d’errer sur les lieux de leur mort, en général les châteaux ou aux abords. Soulignons que ces femmes ont une existence historique, contrairement aux Dames blanches folkloriques qui sont issues de l’imaginaire collectif. C’est pourquoi nous ne développerons pas ici les légendes liées aux Dames blanches errantes, puisque nous leur consacrerons tout un chapitre dans la prochaine partie.
Nous pouvons cependant en citer quelques-unes, celles pour lesquelles il est ardu de faire le lien avec un personnage historique, mais qui présentent malgré tout le même comportement.
Belleydoux (Ain) : une Dame blanche erre la nuit dans les ruines du château de Gobet.
Bergères-les-Vertus (Marne) : le spectre d’une jeune femme erre entre le souterrain et les ruines du donjon du château du Mont-Aimé, appelé aujourd’hui « château de la Dame Blanche ».