passer quinze jours en compagnie d’un maître spirituel à la manière de ces temps de retraite qui ouvrent une brèche dans notre univers quotidien.
pour aller plus loin, une bibliographie expliquée.
Pendant les quinze jours que nous allons vivre avec Bernadette, il sera utile de pouvoir se reporter aux grandes dates qui ont marqué sa vie, son « histoire sainte »…
1843 – Justin Castérot – meunier – se tue dans un accident de charrette, sur la route de Poueyferré. Il n’y a que des filles au moulin. Le projet est de marier Bernarde, l’aînée, à François Soubirous, un garçon meunier de 35 ans. Il lui préfère Louise, 16 ans. Ils auront neuf enfants dont cinq survivront, Bernadette (1844), Marie, dite Toinette (1846), Jean-Marie (1851), Justin (1855) et Pierre, filleul de Bernadette (1859).
1844 – Bernarde-Marie (selon l’état civil) est née au moulin de Boly le dimanche 7 janvier, en la fête de l’Épiphanie… Le 9, c’est le baptême de Marie-Bernarde (les prénoms ont été inversés), le jour anniversaire du mariage de ses parents, le meunier François Soubirous et Louise Castérot. Au mois de novembre, sa maman s’étant brûlé le sein accidentellement avec la cire chaude d’une bougie, Bernadette – comme on l’appellera familièrement – est placée en nourrice à Bartrès chez Marie Lagües, pour dix-huit mois.
1854 – Bernadette a 10 ans. L’équilibre de sa vie familiale est ébranlé : son père se crève un œil en repiquant ses meules, puis – accordant souvent crédit aux plus pauvres – il ne peut plus faire face à l’échéance du loyer et les Soubirous doivent quitter « le moulin du bonheur ».
1855 – Le choléra s’abat sur la petite ville d’un peu plus de 3 000 habitants, provoquant la mort d’une quarantaine de personnes. Bernadette, touchée par l’épidémie, gardera toute sa vie un asthme tenace et douloureux.
1856 – C’est la famine dans la région. Les mauvaises récoltes ont entraîné la faillite du meunier Soubirous au moulin d’Arcizac. Il devra se louer comme « brassier » et Louise ira faire des lessives. Bernadette à la maison garde les petits, n’allant ni à l’école ni au catéchisme. Au recensement du 7 mars 1856 les Soubirous habitent rue des Petits-Fossés, dans un réduit infâme.
1857 – Bernadette devient servante de cabaret chez sa tante Bernarde. Les Soubirous campent avec quatre enfants au « Cachot », prison désaffectée pour insalubrité, que leur prête le cousin Sajous. Un réduit de 15 m2 environ, rue des Petits-Fossés. Le 27 mars de cette année-là les gendarmes arrêtent le père de Bernadette, accusé d’avoir volé deux sacs de farine au boulanger Maisongrosse : huit jours de prison avant d’être mis hors de cause. « C’est l’état de sa misère qui m’a fait croire que ce pouvait être lui », avouera le plaignant. Bernadette est placée comme servante de ferme chez sa nourrice à Bartrès pour garder cochons et moutons.
1858 – Le 20 janvier, Bernadette, qui se sent marginalisée, revient au « Cachot », car elle veut apprendre à lire et se préparer à la première communion. Elle entre dans la classe gratuite des sœurs, celle des pauvres, avec des petits de 7 et 8 ans…
Le 11 février, très tôt le matin, Bernadette, sa sœur Toinette et une amie, Jeanne Abadie surnommée Baloume, vont ramasser des os et du bois mort pour le vendre à la chiffonnière de Lourdes et acheter du pain. Première apparition d’Aquero, une « petite demoiselle » habillée de blanc, avec une ceinture bleue et une rose sur chaque pied. Elle apparaîtra dix-huit fois à Bernadette, jusqu’au 16 juillet 1858 : appels à la prière et à la pénitence pour les pécheurs. Bernadette, le 3 juin 1858, fera sa première communion avant la fin du cycle des apparitions.
1860 – Le 5 février, elle est confirmée par Mgr Laurence, l’évêque du diocèse qui la rencontre pour la première fois. Le 15 juillet Bernadette est confiée aux Sœurs de l’Hospice de Lourdes, comme « pensionnaire indigente », afin d’échapper aux visites des curieux.
1862 – Reconnaissance des apparitions le 18 janvier, par le mandement de Mgr Laurence, évêque de Tarbes.
1866 – Bernadette quitte Lourdes, le 4 juillet, pour Nevers. Avec sa prise d’habit, le 29 juillet, elle devient sœur Marie-Bernard.
Elle avait assisté le 19 mai à l’inauguration de la Crypte construite sur le rocher de Massabielle.
Le 25 octobre 1866 elle fait profession religieuse de toute urgence, étant « à l’article de la mort ».
1867 – Avec 45 compagnes, elle renouvelle sa profession religieuse et reçoit son obédience d’aide infirmière.
1873 – Souffrante de nouveau, elle reçoit, pour la troisième fois, le sacrement des malades, le 3 juin.
1874 – Début janvier, elle devient aide sacristine.
1875 – Par trois hémoptysies successives à partir du 10 septembre, elle inaugure son « emploi de malade ».
1878 – Sœur Marie-Bernard prononce ses vœux perpétuels, le 9 décembre.
1879 – Le 16 avril sœur Marie-Bernard meurt, à l’âge de 35 ans, à l’infirmerie du couvent Saint-Gildard des Sœurs de la Charité de Nevers. Son corps y repose, intact.
1925 – Bernadette Soubirous est béatifiée par Pie XI.
1933 – Canonisation de Bernadette à Rome, le 8 décembre, en la fête de l’Immaculée Conception.
« Celui qui s’expose à l’aventure de l’amour inconditionnel du prochain trouve Dieu »
(Karl Rahner)
Il était facile de trouver des personnes plus qualifiées pour écrire ce Prier 15 jours avec Bernadette. L’éditeur, en insistant, pensait peut-être que ma plume de journaliste pouvait piquer l’attention du lecteur et l’aiguiller de façon originale sur un itinéraire de sainteté que l’on croit souvent trop vite connaître.
Je n’allais pas réécrire l’histoire des apparitions de Lourdes. Dom Bernard Billet, l’abbé René Laurentin et le père André Ravier ont tout dit. J’ai voulu simplement prier quinze jours à partir des gestes et paroles de Bernadette, en essayant de ne pas oublier ce qu’elle faisait remarquer : « À force de fleurir les choses, on les dénature » (logia 550 et 556). J’apporte ici mes cinq pains et mes deux poissons comme le garçon de l’Évangile, laissant à Jésus le soin de nous nourrir vraiment.
À vrai dire Bernadette m’intimide. Je la fréquente spirituellement depuis onze ans déjà et pourtant il me semble avoir encore tout à découvrir d’elle et de « son » Christ. Contrairement à d’autres saints présentés dans cette collection de Nouvelle Cité, elle n’a pas laissé à la postérité de nombreuses notes ou sentences. « Ce que j’ai à vous dire, ce n’est pas nécessaire de le mettre par écrit », lui avait dit en souriant Celle que Bernadette désignait d’abord prudemment par le mot patois « Aquero », qui signifie « cela »… Illettrée quand le Ciel s’est ouvert pour elle, en 1858, la petite messagère de Lourdes est restée assez silencieuse, mettant simplement l’Évangile en pratique et devenant ainsi « la meilleure preuve de l’apparition » selon ce que dira d’elle un prêtre qui la connaissait bien. Sur les photos qui nous ont été transmises la profondeur du regard de Bernadette m’impressionne, et ces yeux qui ont vu raffermissent ma foi au long des jours. Son portrait trône dans mon bureau, à Lourdes, comme le plus précieux de mes livres…
« Voulez-vous me faire la grâce de venir ici quinze jours », demandait la Dame de la grotte à une pauvresse de 14 ans… Nos quinze chapitres auraient pu suivre presque au jour le jour cette quinzaine des apparitions et donc s’en tenir à l’événement fondateur du plus grand pèlerinage du monde. J’ai préféré aussi mettre en lumière la prière de Bernadette après ce temps de grâce vécu à Lourdes, notamment à travers sa passion et sa mort – à l’âge de 35 ans – au couvent des Sœurs de la Charité de Nevers, bien loin des images d’Épinal de la petite bergère… Puissions-nous un jour expérimenter ce dont Bernadette témoignait dans une lettre à sa Mère Générale en 1870 : « Ce n’est plus moi qui prie, mais Jésus en moi »…
« Je vous promets de vous rendre heureuse, non pas dans ce monde mais dans l’autre », lui déclarait Aquero qui se nommera elle-même « l’Immaculée Conception ». Il n’est pas interdit de voir en ces paroles la promesse de vivre une joie profonde dès cette terre, non pas en amassant des biens matériels mais en donnant une valeur nouvelle à nos existences pour y lire la présence active du Dieu de Jésus Christ, celui de Bernadette, qui mendie notre amour infiniment.
Par la rédaction de ce petit livre – que je dédie à toutes les « Bernadette d’aujourd’hui » – j’ai entrevu en tout cas l’abîme de ma pauvreté car je ne sais pas prier. Cependant je devine que nous sommes quelques-uns dans ce cas, alors mettons-nous ensemble à l’école de notre petite sœur toute proche qui a tant appris de Marie, en particulier le secret du vrai bonheur. L’Évangile vécu donne tout son sens au mot conversion – se tourner vers les autres, et sortir de « notre » monde, si étroit – ce que Gilbert Cesbron résumait en une formule, attribuée à Bernadette, et qui a fait le tour du monde : « Il suffit d’aimer ».
Lourdes, le 8 septembre 1997,
en la solennité de la Nativité de Marie.
La sainte Vierge m’a choisie parce que j’étais la plus ignorante.
Le choix de Dieu se porte toujours sur les cœurs assez vides pour accueillir sa grâce. Il attend des mains ouvertes au don qu’il veut nous faire. La première apparition de « la petite demoiselle » à Bernadette contient de manière mystérieuse l’appel à nous désencombrer pour apprendre à prier, pour accorder notre désir de recevoir au désir que Dieu a de donner…
Au matin du 11 février 1858, Bernadette se rend à la grotte de Massabielle, recoin rocheux où le cours d’eau dépose bois mort et détritus, « là où le canal des moulins rejoint le Gave », en ce lieu où le porcher municipal – Samson – conduit habituellement son troupeau de porcs. Avec sa sœur Toinette et son amie Jeanne, Bernadette va ramasser du bois mort pour le vendre à la chiffonnière et acheter du pain.
« La première fois que je fus à la grotte, c’était le jeudi 11 février 1858. J’allais ramasser du bois mort avec deux autres petites (Toinette, sa sœur, et Jeanne Abadie, dite Baloume). Quand nous fûmes au moulin (de Savy), j’ai demandé aux deux autres petites si elles voulaient aller voir où l’eau du moulin allait se joindre au Gave. Elles me répondirent oui. De là, nous suivîmes le canal. Arrivées là (au pied du rocher de Massabielle) nous nous trouvâmes devant une grotte. Ne pouvant aller plus loin, mes deux compagnes se mirent à même de traverser l’eau qui se trouvait devant la grotte ; donc je me trouvai seule de l’autre côté. Elles passèrent l’eau ; elles se mirent à pleurer. Je leur demandai pourquoi elles pleuraient. Elles me répondirent que l’eau était froide. Je les priai de m’aider à jeter quelques pierres dans l’eau, afin de passer sans me déchausser. Elles me dirent pour toute réponse de faire comme elles. Alors je fus un peu plus loin pour voir si je pouvais passer sans me déchausser, mais impossible. Je revins devant la grotte, et je me mis à me déchausser. À peine si j’avais ôté le premier bas, j’entendis un bruit comme si c’eût été un coup de vent. Alors j’ai tourné la tête du côté de la prairie. J’ai vu les arbres très calmes ; j’ai continué à me déchausser. J’entendis encore le même bruit ; comme je levais la tête en regardant la grotte, j’aperçus une Dame habillée de blanc, portant une robe blanche, une ceinture bleue et une rose jaune sur chaque pied, de la couleur de la chaîne de son chapelet ; les grains de son chapelet étaient blancs. La Dame me fit signe du doigt de m’approcher ; mais je fus saisie, je n’osai pas ; croyant être en face d’une illusion, je me frottais les yeux, mais en vain ; je regardais encore et je voyais toujours la même Dame. »
À cette étape du récit de Bernadette, c’est l’image des pieds nus de la Dame qui frappe mon esprit et me reviennent en mémoire ces mots du prophète Isaïe (52,7) : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager qui annonce la paix »… C’est un message de paix intérieure qui va nous être proposé.
Et Bernadette continue son récit :