À toutes nos sœurs en lutte.
À la nouvelle génération de femmes qui devront
à leur tour se battre pour n’avoir plus jamais honte
du sexe entre leurs cuisses et œuvrer pour un monde
de justice et d’égalité.
À toutes les héroïnes anonymes à travers le monde,
celles qui s’élèvent contre la violence, l’inégalité,
l’oppression, l’humiliation et l’injustice.
À celles qui résistent par un refus, par un cri,
par une image, par un mot ou par un geste.
À toutes les femmes qui lèvent leur menton, dressent
leur poitrine, et brandissent leur poing.
À nous toutes, fières, courageuses et victorieuses.
Ne doutez pas qu’un petit groupe de femmes puisse changer le monde.
Le mouvement FEMEN est connu internationalement pour ses actions coup de poing, ses face-à-face frondeurs avec les leaders politiques et ses apparitions inattendues qui lui ont valu bon nombre de soutiens, mais aussi de détracteurs.
Qu’ils soient ennemis de la démocratie et de la liberté, qu’ils aient essayé de détourner notre pensée, qu’ils aient voulu s’en approprier les mérites ou qu’ils ne l’aient tout simplement pas comprise, c’est pour leur répondre et pour rétablir la vérité que nous avons créé ce document de référence.
À la fois droit de réponse politique, ressource idéologique et manuel d’instruction à l’intention des futures activistes FEMEN, ce Manifeste permettra aux sympathisants comme aux sceptiques de mieux comprendre nos desseins. Il pourra devenir l’anti-bible de chevet de toutes et tous les révolutionnaires féministes à travers le monde, prêtes et prêts à s’engager dans la lutte.
Considérant que l’action est impossible sans l’idée et l’idée inutile sans l’action, nous avons voulu exposer la pensée qui anime nos actes, offrir un extrait des heures de discussion qui agitent nos quartiers généraux et enflamment nos sessions d’entraînement, donner à lire la théorie sous les slogans, la conviction passionnée sous les poitrines. Si nous croyons en la vertu de l’action frontale, parfois spontanée, dans la rue, collective et téméraire, nous sommes bel et bien animées d’une idéologie absolue, constante et incorruptible. Une idéologie qui sera ici Manifeste.
En se basant sur cinq années de combats et d’expérimentations, en Ukraine d’abord, à l’international ensuite, ce Manifeste est la synthèse de ce que nous avons appris et désappris à ce stade de notre avancée dans la lutte. Lancées à toute vitesse dans l’urgence du combat à mener, nous avons pris ce court instant de pause pour raconter, transmettre, fédérer et réveiller peut-être.
Ces années d’activisme nous ont d’abord permis d’identifier les institutions patriarcales que nous devons combattre, puis de comprendre leurs objectifs et leurs instruments. Nous avons réalisé à quel point elles sont connectées et complices dans le pouvoir de coercition qu’elles exercent sur les femmes, mais nous avons aussi pris conscience qu’un petit élément déclencheur, un scandale révélé ou une situation médiatique compromettante peuvent ébranler la machine et qu’il suffirait d’être plus nombreuses, plus obstinées et plus téméraires pour la faire vaciller pour de bon. Nous avons donc défini nos propres objectifs et créé nos propres instruments dans le but de détruire ces institutions.
Nous avons découvert que nous pouvions leur tenir tête. Front contre front.
Ce Manifeste a été réalisé en étroite collaboration par les équipes de FEMEN International, en prenant en compte les réflexions et expériences de nos activistes où qu’elles se trouvent de par le monde. Il expose l’histoire du mouvement, son idéologie et ses tactiques, définit ses objectifs, dénonce ses ennemis et se clôt par une lettre adressée aux femmes du monde, appel à la révolution féministe.
Nous remercions chaleureusement toutes celles qui ont contribué à la création et à la rédaction de ce Manifeste :
Lara Alcazar, Solène Assouan, Kseniya Chernyshova, Sarah Constantin, Esther Delamare, Elvire D. Charles, Pauline Hillier, Anna Hutsol, Gisela Pedea, Laure Pépin, Inna Shevchenko, Marguerite Stern, Neda Topaloski et Jenny Wenhammar.
Et toutes les activistes FEMEN d’Allemagne, de Belgique, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis, de France, d’Israël, d’Italie, du Mexique, des Pays-Bas, de Suède, de Turquie et d’Ukraine pour en avoir été la source d’inspiration.
C’est en 2008 qu’Anna Hutsol, membre fondatrice ukrainienne, débute le combat contre le tourisme sexuel et la prostitution en Ukraine. Elle crée FEMEN avec l’idée d’organiser un mouvement féminin de résistance dans un pays gouverné par et pour des hommes : l’Ukraine. Avec d’autres étudiantes, Oksana Shachko, Sasha Shevchenko, Irina Serbina et Yevgeniya Kraizman, Anna lance une première campagne contre l’exploitation sexuelle des femmes en organisant des performances de rue à Kiev. En 2009, Inna Shevchenko, alors journaliste, rejoint FEMEN. Elle deviendra plus tard leader du mouvement à l’international.
En tant que nouveau groupe de contestation, FEMEN parvient difficilement à attirer l’attention du public et des médias lors de ses premières performances. Utiliser les méthodes de manifestation traditionnelles déjà éprouvées par d’autres groupes contestataires ne fonctionne pas lorsqu’elles sont associées à la cause féministe. FEMEN prend conscience qu’il faut trouver un moyen spécifique pour communiquer avec le monde brutal des hommes.
Dans un premier temps plus inspiré par la condition difficile et humiliante de la femme dans la société ukrainienne que par les écrits théoriques féministes, FEMEN cherche un moyen efficace de mettre en lumière un sujet alors méconnu en Ukraine : les droits des femmes. Le féminisme de FEMEN ne se fonde pas uniquement sur une longue réflexion théorique, il est le fruit d’une indignation et d’une expérience directe de la société.
En 2010, parcourant diverses théories et tentant d’analyser et de comprendre cette société dominée par les hommes dans laquelle les femmes doivent garder leur bouche fermée et leur vagin ouvert, FEMEN est sur le point de redécouvrir une arme de déstabilisation du système patriarcal oppresseur : la manifestation seins nus. L’Histoire des femmes dans le monde nous apprend que l’usage de la nudité féminine comme arme de résistance pacifique mais non moins redoutable, ne date pas d’hier et se retrouve en divers endroits de la planète. Cette nudité est une technique de contestation universelle.
En décembre 2010, cinq activistes seins nus s’introduisent dans un bureau de vote pour les élections présidentielles juste avant l’arrivée de Ianoukovitch, candidat et futur dictateur ukrainien. Brandissant des pancartes « Stop raping the country » (Arrêtez de violer le pays), elles annoncent et anticipent l’arrivée prochaine de la dictature et de la guerre en Ukraine.