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Les années du silence, tome 2 : La Délivrance
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Mémoires d’un quartier, tome 11 :
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Les héritiers du fleuve, tome 1 : 1887–1893
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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Morrissette, Guillaume, 1975-
La maison des vérités
ISBN 978-2-89 455-663-4
I. Titre.
PS8626.O767M34 2013 C843’.6 C2013-941384-7
PS9626.O767M34 2013
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© Guy Saint-Jean Éditeur inc. 2013
Révision : Alexandra Soyeux
Correction d’épreuves : Émilie Leclerc
Conception graphique : Christiane Séguin
Photo de la page couverture : Steven Hayes/E+/Getty Images
Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2013
ISBN : 978-2-89 455-663-4
ISBN ePub : 978-2-89 455-664-1
ISBN PDF : 978-2-89 455-665-8
Distribution et diffusion
Amérique : Prologue
France : Dilisco S.A./Distribution du Nouveau Monde (pour la littérature)
Belgique : La Caravelle S.A.
Suisse : Transat S.A.
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.
1re impression, août 2013
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Guy Saint-Jean Éditeur est membre de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). |
À Guylaine
Les curieux firent place à l’ambulance qui arrivait. Décidément, un engin du genre contrastait avec le décor et le calme qui devait régner à cet endroit habituellement. Le véhicule jaune se fraya un chemin au travers de la foule et s’arrêta sur le bord de la plage de sable dur. Il y avait une centaine de personnes au moins ; tout le monde regardait vers le lac et essayait de voir le travail des policiers. Une grande bâche grise avait été placée dans l’eau près de la scène afin d’obstruer la vue aux curieux. Lentement, un agent éloignait les gens un par un, leur demandant de reculer de quelques mètres.
Il faut dire que la scène était plutôt inusitée. Plus tôt ce matin, un homme qui marchait avec son chien avait aperçu quelque chose flottant à la surface du lac, à une trentaine de pieds de la rive. Instinctivement, il s’était approché pour essayer de distinguer l’objet. À sa grande surprise, il s’agissait d’une manche rouge qui semblait avoir remonté à la surface. La plus grande partie de la veste ou du manteau demeurait invisible, sous l’eau. Son doute grandissant, l’homme s’était avancé tranquillement dans l’eau vers la pièce de vêtement. Comme le lac n’était pas très profond, il arriva à la hauteur de l’objet en ayant à peine de l’eau à la taille.
Un jeune homme était submergé.
La pièce de vêtement qui dépassait appartenait bien à un manteau — la manche de droite était sortie du bras de son propriétaire et flottait librement, l’autre manche semblait bien en place. Pris de panique, le passant avait tenté de soulever le pauvre homme par les épaules pour lui sortir la tête de l’eau, mais il en était incapable. Il tira le corps inerte vers lui, pour le ramener vers la plage.
Impossible de le déplacer d’un iota.
Alors qu’il s’accroupissait sous l’eau pour tenter de dégager la main gauche de la victime, l’inertie de la masse fut expliquée de façon plutôt sordide.
Le bras gauche de l’homme était fixé solidement au fond de l’eau, à l’aide d’un loquet métallique. Sa tête n’avait pu atteindre l’oxygène qui ne se trouvait pourtant que quelques centimètres au-dessus et le pauvre était mort noyé, impuissant.
Une femme dans l’assistance éclata en sanglots.
— Valois !! Mon pauvre enfant !
La peine sur son visage était indescriptible.
Les policiers sortirent le cadavre de l’eau, à l’intérieur d’un grand sac. La femme s’approcha du corps en bousculant les curieux et s’affaissa devant les policiers.
— Mon fils, pleura-t-elle. Mon unique fils !
Elle poussa un cri qui fut entendu jusque l’autre côté du lac.
L’homme à la tête rousse avançait sur le trottoir bourré de monde. Régulièrement, il jetait des regards furtifs à gauche et à droite, comme s’il cherchait quelqu’un. Arrivé à l’intersection, il appuya sur le bouton du passage pour piétons et attendit. Il était complètement perdu dans ses pensées. Il ne s’aperçut même pas que le symbole blanc était apparu et que les gens le bousculaient de façon nonchalante, parce qu’il leur bloquait partiellement le chemin. Il finit par traverser et se dirigea rapidement vers un arrêt de bus devant lui pour sauter juste à temps dans le véhicule.
Assis dans la portion avant du bus, le rouquin sortit un cartable de son porte-documents. Il l’ouvrit et consulta rapidement les premières feuilles. Il regardait dehors de temps à autre pour s’assurer de ne pas manquer son point de sortie. Finalement, au bout de quelques minutes, il tira sur la corde et se prépara à descendre.
Il traversa la rue et se retrouva bientôt sur un campus universitaire. Ici et là, des étudiants profitaient du soleil de la fin du mois d’août. Bientôt, comme chaque année, l’automne allait emporter avec lui les feuilles et les humeurs. L’homme roux marchait d’un pas vif. Il se dirigea vers le bâtiment principal et s’arrêta quelques instants devant l’entrée. Il replaça le col de sa chemise, tira son pantalon et inspira profondément. Il regarda sa montre et ouvrit la porte.
Il se dirigea, au rez-de-chaussée, vers le bureau où il était attendu. Sans avertissement, ses jambes devinrent très molles et il faillit perdre pied. Son rythme cardiaque augmentait rapidement. L’homme roux s’immobilisa, à cinq pas de la porte.
Il ferma les yeux et tenta de se concentrer.
— Je suis certain qu’il n’était pas ici tout à l’heure. Je le sais, je suis allé à la salle de bain. Je lui aurais marché dessus.
— Et si tu lui avais marché dessus, il serait mort, ça ne fait aucun doute.
— Pas nécessairement.
— À tout le moins, tu lui aurais brisé quelque chose.
— Je t’assure qu’il n’y était pas.
L’homme aux cheveux noirs se pencha et posa sa main sur l’homme étendu par terre.
— Il respire, il semble seulement endormi, constata-t-il.
— On dirait un soldat.
— Pas un soldat, idiot. Un général, à tout le moins. Personne ne va au combat habillé de la sorte.
— Général ou pas, il connaît la guerre.
— Il connaît la guerre ? Tu es vraiment quelque chose. Qu’en sais-tu ?
— Je le sais, c’est tout. Et d’ailleurs, ça ne peut pas être un général. Regarde ces lignes sur sa manche, et ce cercle.
— Qu’est-ce que ça peut foutre, bordel ?
— C’est un amiral.
— Un quoi ?
— Un amiral. Le plus haut rang d’un officier de la marine. Il connaît la guerre, je te dis.
L’homme qui parlait ainsi devait peser dans les cent cinquante kilos au moins. Barbe mi-longue, il prenait à lui seul toute la largeur du corridor. Il soutenait timidement le regard de l’homme aux cheveux noirs, comme s’il attendait seulement la réplique. Ce dernier remarqua :
— Tu me fais la leçon sur la marine marchande ?
— Je ne te fais pas la leçon, Karl. Je précise seulement la signification de l’uniforme.
— Eh bien garde ça pour toi ! Ça ne m’intéresse pas. Tout ce que je veux, c’est sortir de cet endroit.
— Comme tu voudras, Karl.
Karl leva la tête en direction de la cuisine.
— Carotte ! Viens ici ! On a encore de la compagnie.
— Tu devrais cesser de l’appeler ainsi.
— Pourquoi ? Il est le premier à dire que c’est son nom. Tu le sais, toi, son vrai nom ?
— Non.
— Alors Carotte fait très bien l’affaire.
Un homme à la chevelure rousse apparut dans le corridor. Il était jeune, début vingtaine au maximum. Des taches de rousseur parsemaient son visage en entier. Il avait les yeux d’un vert intense et les cils complètement blancs. Il portait une paire de lunettes noires carrées qui lui donnait un air académique. Il ne semblait pas offusqué de son surnom, dont l’origine paraissait maintenant évidente.
— Qui est-ce ? demanda-t-il en indiquant le sol.
— C’est un amiral, répondit l’homme corpulent.
— Bernard, tu m’agaces avec tes allusions, trancha Karl. Tu n’en sais foutrement rien.
Carotte approcha et se pencha sur l’amiral, déplaçant doucement sa tête. Ce dernier poussa un soupir et ouvrit tranquillement les yeux.
— Où suis-je ?
— Alors ça, j’aimerais bien pouvoir vous répondre, se désola Carotte. Tout ce que je sais, c’est que nous sommes dans une maison, et que nous sommes neuf en ce moment.
— Huit, corrigea Karl.
— C’est vrai. Comment vous sentez-vous ?
L’Amiral regardait les trois hommes, incrédule.
— Ça va. J’ai un mal de tête terrible.
— Il a pris un sale coup sur le bibelot, c’est évident, concéda Bernard.
— Il a plutôt l’air d’avoir une belle gueule de bois, si vous voulez mon avis, ajouta Karl.
Carotte passa un bras dans le dos de l’Amiral et tenta de le soulever.
— Aide-moi à le lever, Bernard. Nous ne passerons pas la soirée dans ce corridor.
— Essaie de ne pas le briser en deux, ironisa Karl.
Ils transportèrent l’Amiral dans la cuisine adjacente et l’assirent sur une chaise. Ses yeux s’habituèrent tranquillement à la lumière ambiante – il reprenait ses esprits. Des hommes et des femmes occupaient également la pièce, assis à quelques tables voisines. Ils regardèrent attentivement l’arrivée de l’Amiral et de ses nouveaux compères.
Mais où suis-je ? Cet endroit ne me dit absolument rien. Qui sont ces gens ?
— D’où viens-tu ? demanda Bernard.
— Je… je ne sais pas, répondit l’Amiral. Je pense que ma mémoire me fait défaut. Je n’ai aucune idée de ce qui m’a amené ici.
— Tu es amiral, visiblement, remarqua Karl. Cela se voit à ces signes sur tes manches.
Bernard ne passa aucun commentaire sur la dernière intervention de Karl.
Un amiral, moi ?
— Je ne suis pas amiral. Du moins, je ne crois pas. D’ailleurs, ce ne sont pas mes vêtements. Je ne sais même pas pourquoi je suis habillé ainsi !
Bernard fit un demi-sourire et dit :
— Nul besoin d’être modeste. Les amiraux sont des gens respectés.
Mais où diable ai-je atterri ? Est-ce possible que tout cela ne me dise rien ?
La femme essayait de rester concentrée sur le film qui jouait à la télévision, mais elle en était incapable. Cela faisait au moins une dizaine de fois qu’elle se levait pour aller voir l’horloge à la cuisine et qu’elle revenait s’asseoir sur le divan en soupirant.
Trois jours.
Trois longues journées d’angoisse à anticiper un simple souper de famille chez ses parents. Ironiquement, l’horloge semblait maintenant faire tourner ses aiguilles très rapidement. D’ici quelques minutes, son mari serait là. Il klaxonnerait et l’attendrait dans la voiture pour qu’ils se rendent ensemble à la soirée.
Et ce soir, sa propre sœur serait là. Sa sœur qui était tellement belle et charmante, tellement intéressante avec ses histoires à n’en plus finir. Sa sœur, l’éternelle célibataire qui faisait tomber tous les hommes sans jamais tomber amoureuse elle-même. Et son mari se gorgerait d’elle, comme chaque fois qu’il la voyait.
Elle secoua la tête.
Elle se sentait toute petite. Et ce qu’il y avait de pire dans tout ça, c’est qu’elle avait l’impression que c’était écrit sur son front.
Elle savait qu’elle fabulait, il y a des lustres qu’elle le savait. Mais comment s’en empêcher ? Il y avait tellement longtemps qu’elle était jalouse et dépendante qu’elle ne se souvenait même pas d’une soirée qui lui avait plu.
Sauf que ce soir, elle savait ce qu’il fallait faire. Elle savait comment agir, c’était un test déterminant. Son thérapeute l’avait bien mise en garde : il ne fallait pas qu’elle manque cette occasion. Il fallait qu’elle garde les pieds dans la réalité, pas dans ses suppositions. Mais elle était diablement nerveuse, comme si son propre cerveau se battait contre elle et prenait plaisir à lui ramener l’anxiété à la gueule.
Elle inspira profondément.
— Tout est normal. Je ne manque de rien. Je n’ai besoin de personne pour être heureuse et je ne dois pas craindre les choses, surtout pas les actions d’autrui.
Elle se sentait idiote de se parler ainsi, toute seule. « C’est normal, lui disait son thérapeute, n’importe quelle façon de rester dans le réel est adéquate, même s’il faut parfois se parler tout haut. »
Elle ferma les yeux et essaya de trouver refuge dans sa tête.
L’Amiral regarda autour de lui en silence : cette cuisine était vraiment immense. On pouvait y apercevoir quelques tables en bois, dont la plus éloignée était occupée par quatre personnes. Cette maison avait quelque chose de bizarre. Impossible de dire précisément quoi, mais impossible de l’ignorer. L’Amiral croisa les yeux d’une femme qui le fixait. Elle était assise seule, à une table voisine. Il soutint le regard sans chercher à le maîtriser, mais la femme se leva et quitta la pièce.
— Elle, c’est une spéciale, dit Karl.
— Elle n’est pas méchante, précisa Bernard. Elle est seulement… mal à l’aise.
— Elle est mal à l’aise dès que tu es un homme ! ajouta Karl.
— Elle semble prendre en grippe tous les mâles qu’elle croise, continua Carotte.
— Il paraît que son ex-mari l’a trompée avec sa propre sœur, poursuivit Karl.
— Elle était déjà ici quand nous sommes arrivés. Les autres sont apparus cette semaine, expliqua Carotte. Ils ont l’air de former un groupe assez serré, nous leur avons à peine parlé.
L’Amiral hésitait à interrompre la conversation. Bien qu’il ait une multitude de questions en tête, il recevait des informations au compte-gouttes et les assimilait très rapidement.
Chaque chose en son temps. Tu sembles en sécurité, c’est l’important. Repos, nourriture, retour à la vie normale. Dans le meilleur des cas, c’est un mauvais rêve.
— Vous êtes colocataires ? demanda l’Amiral.
— Il a l’air plus idiot que toi, dit Karl, en regardant Bernard.
L’Amiral regarda successivement l’homme aux cheveux noirs et Bernard, en fronçant les sourcils.
Ce mastodonte pourrait l’écraser avec une simple claque.
— Il n’est pas idiot, dit Bernard. Il a perdu la mémoire. C’est normal qu’il pose des questions qui nous semblent bizarres.
— Toutes les questions te semblent bizarres, Bernard.
Le gros homme sembla chercher quelque chose du regard et baissa les yeux, soumis.
L’Amiral regardait les deux hommes en essayant de comprendre dans quel endroit il pouvait bien se trouver.
Suis-je dans un asile psychiatrique ?
— Nous ne savons pas non plus pourquoi nous sommes ici, dit Carotte.
— J’aimerais partir le plus tôt possible, dit l’Amiral.
— Comme nous tous, répliqua Karl.
Ce type, il est étrange.
L’Amiral fronça les sourcils de nouveau.
— Pourquoi ne pars-tu pas, dans ce cas ? demanda-t-il à Karl.
— Je ne peux pas, c’est évident. Je ne serais pas ici si je le pouvais. D’ailleurs, je doute que tu puisses partir aussi vite que tu le souhaites.
— Pourquoi cela ?
— C’est quand même assez prétentieux.
Prétentieux ?
— Ça me semble assez sain d’esprit, répliqua l’Amiral.
— Ça ne l’est pas.
— Je ne suis pas ici de mon plein gré.
— On mérite ce qui nous arrive, dans la vie.
— Vous êtes à pic comme ça avec tout le monde, vous ?
Karl eut un regard pour les vêtements de l’Amiral.
— Seulement avec ceux qui se prennent pour d’autres.
L’Amiral se leva et toisa Karl. Une partie de lui-même avait envie de l’envoyer rouler sur le plancher. Une autre avait envie de le questionner sans cesse jusqu’à ce que toute cette histoire ait du sens. Bernard regardait timidement ailleurs et Carotte suivait intensément la scène. Personne autour ne semblait préoccupé par cette altercation soudaine.
— Quoi qu’il en soit, je ne comprends rien et je n’ai pas choisi d’être ici. Ça peut vous sembler étrange, mais c’est la réalité.
— Moi, je pense que personne ne choisit de se retrouver dans cet endroit, souffla timidement Bernard.
Mais qu’est-ce que c’est que cette maison ?
La tête de l’Amiral allait exploser. Il se sentait exactement comme dans un rêve.
— Je pense que j’ai besoin de repos, dit l’Amiral. J’ai un peu de difficulté à reprendre mes esprits.
— Nous allons te trouver une chambre, tu pourras t’y installer, dit Carotte.
— Tu sais bien qu’il n’y a plus de place en ce moment, répliqua Karl.
Bernard remua les lèvres, comme s’il cherchait ses mots.
— Il pourrait prendre la chambre de Valois.