(Avec le rideau fermé, deux hommes marchent décidés, par le parterre, vers la scène. Projecteur sur les deux hommes. L’un d’eux porte un manteau noir et fume une cigarette. L’autre est un pasteur, avec son rabat, manteau et chapeau. Les deux sont vêtus à la mode des années 50. Ils arrivent sur scène et s’arrêtent. Ils se regardent fixement puis se séparent. Finalement, après quelques instants d’hésitation, le PASTEUR PROTESTANT s’avance vers l’autre homme.)
PASTEUR PROTESTANT (HOWARD MUMMA).- Eh bien, Albert, avez-vous déjà pris une décision ?
(Silence. L’homme demeure immobile. Il fume avec anxiété.)
(ALBERT) CAMUS.- À vrai dire pas encore. Je crois que je ne suis pas encore prêt pour franchir un pas aussi transcendant et dont les conséquences seront terribles pour mon image publique et mon œuvre, en ce moment. Comprenez-moi. (Pause.) De plus, j’ai énormément de travail et je ne peux pas réfléchir tranquillement.
PASTEUR.- (Curieux.) Vous allez écrire un nouveau roman ?
CAMUS.- C’est possible, j’espère pouvoir aller bientôt à Lourmarin. Je quitterai Paris, et j’irai seul, sans ma famille, sans mes amis, ni mes maîtresses, pour écrire un roman long et ambitieux. Je veux l’intituler Le premier homme. De toutes manières, je devrai auparavant diriger la reprise de Caligula, ici à Paris...
PASTEUR.- Bien, il nous reste encore quelques semaines avant mon retour à New York. Je ne veux pas vous presser, Albert, mais quand votre décision sera rendue publique, j’aimerais être à vos côtés. Je crois que nous avons déjà discuté les éléments fondamentaux, lors de nos longues promenades le long des quais de la Seine, et ensemble, nous avons surmonté toutes les difficultés...
CAMUS.- (L’interrompant.) Howard, aucun débat intellectuel qui se considère sérieux ne peut avoir un dénouement définitif ou satisfaisant, et encore moins s’agissant de questions religieuses... J’ai besoin de plus de temps pour réfléchir... (Pause.) Et pour vivre.
PASTEUR.- Si seulement je pouvais vous le donner… mais, cher Albert, Dieu n’a pas une montre à son poignet. Vous vous plaignez de plus en plus souvent de votre fatigue, de votre asphyxie, votre santé se détériore et il reste un long chemin à parcourir. Vous devez reprendre des forces moralement et physiquement, pour réfuter les attaques et les calomnies que vos détracteurs implacablement vont déverser sur vous... Il faut vous décider... Ainsi trouverez-vous enfin, peut-être, la sérénité que vous désirez tant... et les réponses que vous cherchez depuis si longtemps.
CAMUS.- Oui ! (Pause.) Je pressens qu’il ne me reste plus beaucoup de temps… (Sombre.) Quant aux charognards... ne vous en faites pas, j’ai l’habitude... ils ne vont pas me faire fléchir... Mais ce n’est pas encore le moment. Cependant, Howard, convenons ceci. Vous partez avant Noël, n’est-ce-pas ? Bien, la première de la reprise de Caligula sera début décembre. D’ici là, j’ai le temps de décider. Quand vous reviendrez à Paris en janvier, j’aurai pris ma décision.
PASTEUR.- (Le prenant par les deux bras.) Ainsi soit-il mon ami !
(Ils se disent au revoir et partent rapidement.)
(Le rideau se lève et le premier acte commence.)
Luis Agius (Madrid, 1969) est compositeur, concertiste de piano et écrivain. Il a initié ses études musicales en 1981 et a composé sa première œuvre en 1990. Il a publié deux disques de piano « Doce Klavierstücke » et « Interiores » (2001). Il a enregistré son premier opéra, « Monsalvat » (2005) grâce au soutien de la Fundación Autor, et depuis 2001, il a offert de nombreux récitals de poésie et piano dans diverses capitales régionales en Espagne (Madrid, Pampelune, Alicante) et en Europe : Bratislava (2002), Bruxelles (2005 et 2009, ce dernier lors du Concert Noble organisé par l’Union Européenne et le Gouvernement espagnol). Depuis 2000, il écrit dans des publications spécialisées de musique, ainsi que des nouvelles, depuis 2004. En 2009, son récit « Une question d’honneur » a été récompensé et publié dans la revue Abril de Luxembourg. . Sa première pièce de théâtre, « Nous sommes tous Albert Camus » (2009) a été publiée en 2010 par Ediciones Antígona. Actuellement il prépare son premier ouvrage de récits « Músicos ante el abismo ». Il a récemment enregistré un récital de pièces de Chopin et a composé une œuvre en hommage aux victimes du tremblement de terre et du tsunami au Japon en 2011 « Tsunami en Sendai y Amenecer en Tokio ». Son dernier enregistrement inclus plusieurs sonates pour piano de Beethoven issues du « Manuscrit Sileski ».
- Albert Camus, écrivain, Prix Nobel de littérature
- Pasteur protestant, Howard Mumma
- Marcel, acteur
- Jacqueline, actrice
- Roland, acteur
- Denise, assistante de direction
Ces acteurs se dédoublent en d’autres personnages :
- Catherine Sinthés-Camus, mère de Camus
- Simone Weil, écrivain
- Guy Moquet, résistant
- Jean Paul Sartre, philosophe
- Francine, épouse de Camus
- Maria Casares, maîtresse de Camus
- Catherine Sellers, maîtresse de Camus
- Mi, maîtresse de Camus
- Meursault, personnage littéraire, L’Étranger.
- Femme anonyme
- Durand, voix off, producteur
© Luis López-Hermoso Agius, 2013
© Traducción de Annie Sesé, 2013
© para todos los países:
Ediciones Antígona, S. L.
C/ Prim 15, local - 28004 (Madrid)
Tel: 91.119.17.32
info@edicionesantigona.com
www.edicionesantigona.com
Primera edición, 2013
Directora de la colección: Concha López Piña
Diseño de cubierta: Ediciones Antigona S. L.
Editor: Ignacio Pajón Leyra
ISBN digital: 978-84-15906-00-1
Cualquier forma de reproducción, distribución, comunicación pública o transformación de esta obra solo puede ser realizada con la autorización de sus titulares, salvo excepción prevista por la ley. Diríjase a CEDRO (Centro Español de Derechos Reprográficos) si necesita fotocopiar o escanear algún fragmento de esta obra (www.conlicencia.com; 91 702 19 70 / 93 272 04 47).
Le dramaturge Albert Camus, au sommet de sa maturité créative et de sa renommée, se trouve plongé dans une profonde crise vitale qui l’amène, malgré lui, à prendre une décision transcendantale. Alors qu’il se trouve au cœur de ce dilemme, il dirige le montage d’une de ses pièces de plus grand succès, Caligula.
Bientôt la pièce sera représentée et Camus, qui dirige la mise en scène, lors d’une pause et à la demande des acteurs, va entamer un intense débat avec eux, faisant un bilan de toute sa trajectoire comme écrivain, essayiste, journaliste, combattant dans la résistance, et en général, de toute sa vie, depuis son enfance misérable en Algérie, jusqu’à la remise du prix Nobel de Littérature.
Luis Agius
NOUS SOMMES TOUS ALBERT CAMUS
Portrait d’un révolté
(Sur un écran est projeté un film en noir et blanc, style années 50, où l’on voit un homme mûr en train de ranger et d’ordonner ses livres et papiers et de fermer son petit sac de voyage dans son cabinet, vêtu d’un manteau noir, prêt à partir, pour un voyage en automobile qui le conduira de manière abrupte et inattendue à l’Éternité. Cet homme est Albert Camus.)
(Paris, 1959. Albert Camus, Prix Nobel de Littérature, 46 ans, une femme d’âge moyen, assistante de direction, et trois jeunes acteurs, deux hommes et une femme, sont en train de répéter une scène de l‘Acte II de Caligula, la pièce de théâtre la plus célèbre de CAMUS. MARCEL, dans le rôle de Caligula, interprète un monologue de la scène quand l’écrivain l’interrompt brusquement.)
MARCEL.- (Avec affectation.) “… C’est une vérité toute simple et toute claire, un peu bête, mais difficile à découvrir et lourde à porter : les hommes meurent et ils ne sont pas heureux…”
CAMUS.- Marcel! Du naturel, naturel, naturel… Sans faux histrionisme… sans emphase rhétorique. De l’austérité dans le geste, de la retenue. Rappelez-vous d’Hamlet, Tchekhov, Strindberg… Bien. Reprenons.
MARCEL.- (Solennel.) “… C’est une vérité toute simple et toute claire, un peu bête, mais difficile à découvrir et lourde à porter : les hommes meurent et ils ne sont pas heureux…”
CAMUS.- (L’interrompt.) Non, non, Marcel, sans fausse solennité. Reprenons à nouveau.