Le trésor
d’Elvis Bozec
collection météore
Le trésor
d’Elvis Bozec
roman
Françoise Enguehard
illustrations de Denise Paquette
Chapitre 7
Les fouilles
– Vous allez où, aujourd’hui ? questionne Adrienne, intriguée par la toute nouvelle amitié qui semble lier ses deux enfants au vieux monsieur Lecointre.
– Faire un tour en bateau autour de l’île, puis peut-être le long du cap.
« Pourquoi pas ! » pense Adrienne en regardant les enfants enfourcher leurs vélos. De loin, elle aperçoit le drapeau français qui flotte gaiement en haut du mât de la maison de monsieur Lecointre et elle sourit. Avec lui, les enfants sont en sécurité.
Une heure plus tard, l’équipe de fouilles arrive à l’île. Rapidement, on débarque l’équipement : la pioche que seul monsieur Lecointre aura le droit d’utiliser – « c’est too dangereux », a-t-il déclaré –, les pelles et tout le reste des outils indispensables aux fouilles et qu’ils laisseront sur place, sous un bout de toile cirée, de façon à ne pas attirer l’attention des gens du village.
– Pas besoin de chercher ici, dit Elvis en montrant le bas de la falaise. On trouvera rien. Allons tout droit en haut.
Monter, c’est facile, mais aujourd’hui il faut traîner l’équipement, ce qui demande un peu plus d’efforts. Monsieur Lecointre passe devant et, du haut, il lance aux enfants un bout de corde auquel Elvis attache le sac, puis la pelle et la pioche : tout ce qu’on ne pourrait pas monter par l’échelle.
En regardant les outils se balancer dans l’air, heurter la falaise et rebondir dangereusement au-dessus de sa tête, Elvis comprend pourquoi les pêcheurs français avaient construit des espèces de chemins en bois le long de la falaise. « Ça devait simplifier bien des choses. »
Peu après, les trois explorateurs se retrouvent sur les hauteurs. Le spectacle est superbe : à droite, le cap Cormoran, noir et pointu comme un bec d’oiseau, et devant, la mer à perte de vue, le village étiré le long de la côte comme un long trait d’union et, plus loin encore, les trois « cailloux » du village du même nom. « Le Bon Dieu a pas si mal réussi », se prend alors à penser Elvis.
La pause est de courte durée. Sur la gauche, le travail leur tend les bras. Ils traversent d’abord le pré, où l’herbe est encore plus haute que la dernière fois. Dans la chaleur du milieu de journée, chacun de leurs pas soulève une nuée d’insectes. Elvis ouvre la marche, suivi d’Anne et du père « I guess que oui ». Elvis tient sa carte entre ses mains, même s’il n’y a vraiment pas de quoi se tromper. La petite butte est droit devant.
Les voici arrivés sur le lieu présumé de la boulangerie, « là où on a le plus de chances de trouver quelque chose », a suggéré Elvis l’autre soir, fatigué de chercher l’emplacement exact de la maison du docteur – plus ancienne – ou de celle du gérant de l’exploitation de l’île Rouge.
Le père « I guess que oui » sort de son sac une petite faucille et commence à couper l’herbe, « à la main, comme on faisait autrefois ». Elvis n’y avait pas pensé ; c’est certain que ça va faciliter le travail. Anne et lui se chargent de porter les brassées d’herbe en dehors du site. Tous les trois sont en sueur. Au pied de la butte, il n’y a pas un souffle de vent, et le soleil tape dur.
On travaille en silence. Monsieur Lecointre est penché sur sa pioche et Elvis est sur le point de prendre une brassée d’herbe quand ils entendent un cri perçant déchirer le silence.
– Anne !
La petite s‘était éloignée un peu pour se reposer un moment et elle a disparu…
– Mon Dieu ! pourvu qu’elle soit pas tombée en bas de la falaise ! s’écrie monsieur Lecointre en se précipitant vers le bord.
– Anne ! Anne ! crie Elvis qui ne sait pas où courir et qui semble paralysé par la peur. Elle qui a le vertige en plus.
– Elvis… J’ai mal !
La petite voix d’Anne émerge des hautes herbes au bout du pré.
– Monsieur Lecointre ! Elle est par là, hurle Elvis en indiquant du doigt l’endroit d’où proviennent les bruits.
Et ils se mettent à courir dans cette direction. Presque en même temps, ils découvrent Anne assise par terre, en train de se frotter la cheville.
– Je marchais et j’ai mis le pied dans le trou juste là, explique-t-elle en pleurnichant encore un peu. Je me suis tordu la cheville.
Elvis et monsieur Lecointre regardent le trou en question.
– Si vous voulez mon avis, c’est pas juste un trou, c’est un ancien puits. Il est rempli de cailloux, mais regardez le bois autour : c’est le reste d’un baril. C’est comme ça qu’on faisait autrefois. On creusait un trou, on mettait des cailloux au fond pis un ou deux barils un pardessus l’autre. Il fallait ben avoir de l’eau pour les pêcheurs, pour boire, pour faire du pain… Je te gage que j’ai raison.
Elvis est torturé entre le désir de se mettre tout de suite à examiner le puits en détail et l’obligation de s’occuper de sa soeur. Sa responsabilité de chef d’équipe l’emporte ; il se penche sur Anne et enlève sa chaussure. La cheville n’est pas gonflée, juste écorchée sur un morceau de bois.
– Plus de peur que de mal, déclare monsieur Lecointre.
Il est soulagé que la petite ne se soit pas blessée sérieusement. Quand il a entendu son cri, il a cru que son coeur allait s’arrêter…
Remis de leurs émotions, ils reprennent leur travail. Elvis note soigneusement l’emplacement du puits et, ne pouvant rien faire de plus pour l’instant, ils se remettent à faucher. Bientôt, l’herbe est coupée à ras, mais on ne voit toujours rien.
– Je mangerais ben un morceau, annonce monsieur Lecointre en épongeant la sueur de son front avec un grand mouchoir à carreaux rouges.
– Moi aussi, avoue Anne, encore ébranlée par sa mésaventure.
– O.K.
Les trois compères montent au sommet de la butte pour trouver un peu d’air frais. Monsieur Lecointre sort ses jumelles et il se met à scruter le village.
– Vu d’ici, c’est ben étrange. On voit des choses qu’on connaît, mais on se croirait ailleurs.
Il passe les jumelles à Anne, puis à Elvis qui s’amuse un instant à chercher l’embarcation de son père sur le rivage.
– Bon, au travail.
Tout à coup, on dirait que le père « I guess que oui » a encore plus hâte que ses deux amis. Elvis sort le mètre et les quatre piquets de bois, taillés par monsieur Lecointre, qui vont servir à attacher la corde pour délimiter le carré de fouilles. Puis, monsieur Lecointre attrape la pioche.
– Tassez-vous, les enfants !