À Yoann, Arianna
et François
Le lundi matin, à l'école, la directrice m'a dit que si je le voulais, je pouvais rencontrer la psychologue scolaire. - Pourquoi ? j'ai demandé bêtement. Je ne la connais pas.
- Si tu veux... Elle est dans l'école. Tu peux la voir cette semaine. Ou n'importe quand. Il suffit que tu le demandes. Et si tu veux sortir de cours, aussi, tu le peux. Pas besoin de demander la permission. - Merci, j'ai répondu.
Et je suis retourné en classe. Je ne voulais pas être traité différemment des autres.
Personne ne m'a regardé bizarrement, comme je le craignais. ¨Ça a été une journée normale. On m'a donné le travail en retard. Les professeurs m'ont expliqué rapidement ce que j'avais manqué, et j'ai mangé mes sandwichs au fromage à midi. Après l'école, j'ai joué au badminton avec Olivier et j'ai perdu, comme d'habitude. Mais je sens toujours cette odeur de mort autour de moi.
Dans le local de géographie, il y a une petite carte d'Espagne épinglée sur la porte d'une armoire. Je ne l'avais jamais remarquée auparavant. Et certains élèves ont des prénoms espagnols, comme Carmen, Maria et Federico. Je remarque certains détails qui étaient insignifiants, avant.
Je comprends aussi pourquoi Sébastien ne travaille pas à l'école. La mort de son père l'a écrasé. Il n'a pas refait surface. J'espère ne pas devenir comme lui. J'espère refaire surface, moi. Ou du moins, ne pas couler.
Je me demande à qui je vais pouvoir faire lire ces pages ? À Sébastien, peutêtre. Il faudra que je lui parle. Il faudra bien que je parle à quelqu'un, un jour. C'est trop dur. Et ce n'est pas juste de vivre et de ne pas savoir ce qu'il y a après la mort. Ce n'est pas juste. C'est comme une prison, cette vie. Ce n'est pas juste.
J'ai changé pour toujours.
Mais je sais que je ne deviendrai pas comme Sébastien. Je ne me laisserai pas aller. Je n'aime pas cette tristesse. Un jour, je réussirai à nouveau à regarder le ciel en face.
Achevé d'imprimer en juillet 2005 chez
Imprimerie Transcontinental
à Louiseville (Québec)
le ciel en face
Alain Raimbault
le ciel en face
illustrations de Réjean Roy
Pour ses activités d'édition, Bouton d'or Acadie reconnaît l'aide financière de la Direction des arts du Nouveau-Brunswick, du Conseil des Arts du Canada, du ministère du Patrimoine canadien par l'entremise du Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition (PADIÉ).
Titre : Le ciel en face
Texte : Alain Raimbault
Illustrations : Réjean Roy
Papier ISBN 2-922203-93-X
PDF ISBN 978-2-89682-209-6
ePub ISBN 978-2-89682-559-2
Dépôt légal : 3 trimestre 2005
Bibliothèque nationale du Canada
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Mot de l'auteur
Cette histoire aborde un sujet bien grave, mais j'ai éprouvé le besoin de la raconter car une amie, collègue de travail et mère d'un jeune enfant, s'est suicidée un dimanche soir. Ce fut le choc total. Le lendemain, j'étais avec son époux très désemparé, on l'imagine facilement, et je me suis occupé de son enfant. Ce récit s'inspire donc en partie de faits vécus. J'y ai cherché à exprimer les états d'âme d'un enfant qui vivrait un tel événement tragique. Oui, c'est vrai, le sujet est grave, mais la douleur et l'incompréhension face au suicide sont trop grandes pour pour qu'on veuille les ignorer. Les témoignages de gens qui ont vécu des situations semblables peuvent aider à partager la peine qu'on éprouve. On peut aussi écrire ses émotions dans un journal ou les transposer dans un récit fictif, car l'écriture apporte parfois un soulagement...
Lundi
Lorsque je me suis levé, ce matin-là, papa était assis en face d'un homme qui lui posait des questions. J'ai regardé par la fenêtre. J'ai aperçu deux voitures de police et deux ambulances devant la maison. Je ne savais pas ce qui se passait, mais je sentais que quelque chose de grave était arrivé.
Quand le policier a remarqué ma présence, il a arrêté de parler. Papa s'est levé et m'a serré dans ses bras. Il ne me prend plus dans ses bras depuis bien longtemps. Il était très pâle. Avant que j'aie pu lui demander quoi que ce soit, il m'a dit que maman s'était tuée dans la cave.
Maman s'est tuée dans la cave.
Je ne peux pas croire ce que j'écris. Elle est morte depuis deux semaines, et je ne crois toujours pas à ce cauchemar. J'attends qu'elle revienne. Les dessins que nous avons faits ensemble quand j'étais petit sont encore sur le mur dans le couloir. Il y a plein de photos de nous trois partout dans la maison. Papa ne les a pas enlevées. Il n'a touché à rien. Il n'a même pas vidé le frigo. Les plats cuisinés par maman moisissent tranquillement au frais. Moi, je ne peux pas l'ouvrir, ce frigo.
Mais je dois raconter la suite.
Je ne comprenais pas les mots de mon père. « Maman s'est tuée » est une phrase qui n'a aucun sens pour moi. On ne meurt pas souvent dans la famille. Ou alors, très vieux. La seule fois où j'ai assisté à des funérailles, c'était à l'enterrement de mon grand-père. À part lui, nous sommes tous vivants chez nous.