Pour ses activités d’édition, Bouton d’or Acadie reconnaît l’aide financière de la Direction des arts du Nouveau-Brunswick, du Conseil des Arts du Canada et du ministère du Patrimoine canadien par l’entremise du Fonds du livre du Canada.
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Titre : Échos de la butte à Pétard
Texte : Diane Carmel Léger
Conception graphique : Lisa Lévesque
Illustration de la couverture : Réjean Roy
Papier ISBN 978-2-923518-93-0
PDF ISBN 978- 2-89682-344-4
ePub ISBN 978- 2-89682-695-7
Dépôt légal : 3e trimestre 2011
Bibliothèque et Archives Canada
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Dédié à « Tante » Geneviève (Trahan) Albarado
et à la mémoire du très honorable Roméo LeBlanc,
ancien gouverneur général du Canada
Je désire remercier les personnes suivantes pour leur contribution à la réalisation de ce roman : Geneviève Albarado (Tante), Géraldine Arsenault, Nicole Boudreaux, Glenn L. Brasseaux, Charles Burke, Brenda Comeaux-Trahan, Claude DeGrâce, Peggy Feehan, l’honorable Bernard LeBlanc, Mario Léger, Paul-David Léger, Barb Leskovec, Marguerite Maillet, Juliette McLeod, Hazel D. Myers, Réjean Ouellette, Mama Redell, Virginia Sheehan, Dot Stelley, Ray Trahan, Clarice Valotaire et les regrettés Larry Albarado (Nonc), Richard Guidry, Ray Léger (mon père) et le chef David Thomas.
Je suis très reconnaissante au Conseil des arts du Nouveau-Brunswick, au Conseil provincial des sociétés culturelles du Nouveau-Brunswick, à la Société culturelle de Memramcook et au Comité de jumelage de Scott pour leur soutien financier.
Sara et Justin ont fait connaissance à l’été de 1994, lorsque la jeune Américaine est venue dans le sud-est du Nouveau-Brunswick pour participer au premier Congrès mondial acadien. Justin lui a alors fait découvrir la vallée de Memramcook, partageant avec elle sa passion pour l’histoire de l’Acadie. De son côté, Sara a révélé à Justin qu’elle cherchait à connaître l’identité de sa mère biologique et qu’elle avait des visions obsédantes qui guidaient sa recherche vers l’Acadie.
Le séjour de Sara à Memramcook s’est terminé par une expérience mystérieuse au cours de laquelle, croit-elle, la jeune fille s’est retrouvée plus de deux cents ans en arrière. Après son retour au Dakota du Nord, le souvenir de cette expérience bouleversante s’est estompé dans l’esprit de Sara comme dans l’épais brouillard de la vallée de Memramcook. D’ailleurs, les visions de sa mère biologique aussi l’ont abandonnée depuis son voyage en Acadie du Nord…
Mais l’annonce d’un prochain séjour en Louisiane, à l’invitation de Tante, vient bientôt déclencher un tourbillon d’émotions dans le coeur de Sara. La jeune fille reprend espoir de faire la lumière sur ses origines, d’autant plus que des visions intenses hantent à nouveau ses rêves. Ces visions comprennent toutefois des éléments nouveaux qui troublent l’adolescente. Ne sachant à qui confier ses sentiments déchirants, Sara se tourne vers Justin, son jeune guide de l’été précédent, qui s’est montré si attentionné.
Je prête ici ma plume aux deux adolescents unis par le destin. Au fil des lettres qu’ils s’échangent et des journaux intimes qu’ils entretiennent, le lecteur assiste à l’épanouissement de leur amitié. Il est aussi témoin du questionnement de deux jeunes qui, chacun à leur façon, s’interrogent sur leur identité et leur place dans le monde.
Je me suis basée sur des expériences que j’ai vécues personnellement pour décrire la participation du personnage de Justin à la manifestation sur la rivière Petitcodiac, à la célébration des Mi’kmaq à Beaumont, aux fouilles archéologiques à Beaubassin et à la prestation de La butte à Pétard devant l’ancien gouverneur général Roméo LeBlanc. Par ailleurs, les faits historiques évoqués dans ce roman sont exacts selon mes recherches. Par contre, d’autres événements sont soit partiellement vrais, soit exagérés ou inventés.
Fargo, Dakota du Nord, É.-U.
Le 30 janvier 1995
Bonjour Justin,
Comment va la vie sur la butte à Pétard?
Je m’ennuie de l’Acadie, ce pays qui n’existe plus sur les cartes géographiques, mais qui existe dans le coeur d’un Acadien comme toi.
Depuis que j’ai assisté au Congrès mondial acadien l’an dernier, dans ton village du Nouveau-Brunswick, des idées et des émotions bouillonnent en moi. Avant que mon volcan intérieur ne fasse éruption, je t’écris.
J’espère que cette lettre ne va pas t’embêter. Devrais-je ouvrir mon coeur à un garçon que j’ai connu seulement pendant les vacances d’été?
Pardon, mais je dois absolument me confier à quelqu’un au sujet des expériences incroyables que j’ai vécues dans les mystérieux brouillards des marais en Acadie. Tu sembles être la meilleure personne à qui me confier, toi avec qui j’ai partagé l’après-midi le plus extraordinaire de ma vie dans le marais de la butte à Pétard. Justin, tu t’es montré tellement patient envers moi, une touriste bizarre qui parlait un drôle de français. Au début, tu pensais que j’étais accompagnée de ma grand-mère, puis tu pensais qu’elle était ma tante parce que je l’appelais Tante. Mais ensuite, tu as appris que cette dame n’était même pas ma tante! En plus, quand tu m’as dit que je ressemblais à « une vraie Acadienne », je t’ai dit que j’étais une Américaine du Dakota du Nord. Tu as dû penser que j’étais « une vraie menteuse ».
Et tu t’es aussi montré ouvert d’esprit en apprenant que j’étais à la recherche de ma mère biologique, qui m’a laissée dans une boîte en carton devant un orphelinat de Houston. Au lieu de t’éloigner de moi lorsque tu as découvert que je cherchais ma mère en me guidant sur mes rêves et mes visions, tu as fait ton possible pour m’aider.
Par conséquent, je me permets de te présenter mes dilemmes :
J’ai l’impression que mes parents adoptifs, et peut-être même Tante, pensent que j’ai imaginé au moins une partie de mes expériences extraordinaires au Nouveau-Brunswick. Je commence à en douter moi-même.
À la Fête nationale des Acadiens, le 15 août, lorsque tu m’as retrouvée couchée dans les hautes herbes du marais, je croyais être en train de serrer dans mes bras la mère de mes rêves d’enfance, une Acadienne du 18e siècle. J’étais convaincue d’avoir été transportée sur la butte à Pétard au temps des Acadiens qui revenaient de l’exil et des prisons, à la fin du 18e siècle. Je croyais même avoir vu le vrai Pétard et le vrai Piau, ton ancêtre!
En écrivant ces dernières phrases, je les trouve absurdes! Chaque jour, j’ai de plus en plus de difficulté à croire à ces expériences du passé.
Mon imagination m’a-t-elle joué des tours, stimulée par mon grand désir de trouver ma mère et par l’ambiance très émotive des retrouvailles acadiennes de l’été dernier? Les familles acadiennes qui pleuraient et qui s’embrassaient ont-elles déclenché en moi une vision extraordinaire? Mon subconscient a-t-il provoqué l’apparition de ces personnages pour me faire croire que mes origines sont acadiennes?
Pourtant, toi aussi, tu as vu la bouhine, ce fantôme mi’kmaq qui m’a guidée! Et que dire de ton grand-père, atteint d’Alzheimer, qui a insisté pour que nous allions dans le marais l’après-midi du 15 août?
Ce qui me réconforte un peu, c’est ce que tu m’as dit, tout de suite après les événements : « Sara, ne te tracasse pas pour savoir si c’est vrai ou pas vrai. Laisse faire les détails. Ton coeur te dit que tu es Acadienne. »
L’urgence de retrouver ma mère haïssable est revenue. Cette fois, j’en ai tout de suite parlé à mes parents adoptifs. Mike et Nancy ont recommencé à faire toutes les démarches possibles, mais j’ai le pressentiment qu’ils ne trouveront rien.
Je suis un cas anormal et je sens encore qu’il faut prendre des moyens anormaux pour trouver la Haïssable, qui doit être une mère anormale. Mais comment m’y prendre cette fois? Depuis l’été de 1994, je n’ai pas eu de visions du passé. La dernière vision m’est venue dans le marais chez toi. Pas de rêves révélateurs non plus. J’essaye de voir Mère-Rêve en songe ou des indices sur ma mère biologique. Il semble bien qu’on ne peut pas forcer les rêves.
Je me trouve donc à réfléchir aux visions de l’été dernier qui passent et repassent dans ma tête comme de vieux films. Est-ce que c’étaient vraiment des visions ou autre chose? Mes vrais parents sont-ils morts? Ces rêves et ces visions étaient-ils la seule façon de trouver mes origines?
Je sais bien que tu ne peux pas m’aider comme l’été dernier, mais tu m’aides déjà en lisant ces phrases. Je me sens un peu mieux en partageant mes angoisses avec toi.
Pourrais-tu m’envoyer une petite lettre en anglais?
Ton amie américaine, Sara
P.S. : Un jour, j’espère que je pourrai t’écrire en français!
Saint-Joseph-de-Memramcook (la butte à Pétard),
Nouveau-Brunswick
Le 21 février 1995
Bonjour Sara,
Merci pour ta belle grande lettre. Tu écris très bien. Peux-tu croire que c’est la première lettre que je reçois de ma vie et la première fois que j’écris une lettre, sauf celles qu’on nous obligeait à écrire comme exercice de français à l’école? Je n’ai ni ordinateur, ni dactylo. Alors, j’espère que tu pourras lire mon écriture, qui ressemble à des pattes de mouche.
Tu dis que je suis patient et ouvert d’esprit. Ben, pour te dire vrai, ce n’était pas trop forçant pour moi. Ne sais-tu pas, Sara, que tu es belle, intelligente et aimable? Comme on dit à Memramcook, tu ne me fais pas «zire» (notre manière de dire qu’une personne est belle).
Tu veux vraiment savoir ce qui se passe dans ma vie? Eh bien, au risque d’ennuyer une certaine petite Américaine qui pense que je parle comme un vieux, voici quelques nouvelles :
Ce mois-ci, il est arrivé quelque chose que les Acadiens du passé et du présent n’auraient jamais cru. Le premier ministre du Canada, Jean Chrétien, vient de choisir un Acadien comme représentant de la reine d’Angleterre au Canada! Oui, l’Angleterre, le pays du gouverneur Charles Lawrence qui, en 1755, en temps de paix, piégea cruellement les familles acadiennes, pourtant des sujets britanniques, pour ensuite les jeter dans les cales de vieux bateaux et les déporter dans les colonies hostiles.
« C’est ironique, a dit mon enseignant, que le représentant de la reine d’Angleterre au Canada soit maintenant un Acadien, mais en même temps, c’est bien logique. C’est un trait acadien de pardonner et de travailler pour le bien de tout le monde. » Et le meilleur dans tout ça, c’est que le premier gouverneur général originaire des provinces de l’Atlantique vient de l’Anse-des-Cormier, dans la vallée de Memramcook. Roméo LeBlanc a grandi à deux maisons du petit magasin où tu as acheté des barres de chocolat Pal-oMine… T’en souviens-tu? Roméo est un vieux copain de classe de mon grand-père. Ils ont étudié ensemble à l’ancien Collège Saint-Joseph, sur la butte à Pétard, qui est devenu l’Institut de Memramcook.
Quand j’ai annoncé cette nouvelle à mon pauvre grand-père, il n’a pas compris, sinon il aurait sauté de joie. L’Alzheimer est une maladie bien cruelle. Pépére était toujours très fier de son ami Roméo, qui a tellement aidé les pêcheurs lorsqu’il était ministre des Pêches du Canada qu’on l’appelait le ministre des Pêcheurs. Roméo a eu une impressionnante carrière politique, mais il reste un homme « sans prétention et à l’écoute de tous les gens », comme dit mon enseignant.
Même que Roméo (les Acadiens appellent le gouverneur général par son prénom parce qu’il est un des nôtres) a visité mon école l’autre jour. Je te dis qu’il y en avait, des agents de sécurité et des gardes du corps dans l’école! C’était vraiment comme si la reine Élisabeth venait nous rendre visite en personne. Mes cousins ont encore joué une scène du roman La butte à Pétard pour notre Roméo. Il aurait été intéressant de jouer cette scène devant la reine. Qu’est-ce qu’elle nous aurait dit après cette présentation sur la cruauté de ses ancêtres envers les Acadiens?
Oups! Je parle encore comme un vieux radoteur, comme diraient mes amis moqueurs. C’est vrai que la politique n’intéresse personne de mon âge. Et tu crois que tu es étrange!
L’année prochaine sera ma dernière année à l’école Abbey-Landry, et je dois t’avouer que je n’ai pas hâte de changer d’école. En neuvième année, il faudra que je prenne l’autobus scolaire pour aller à la polyvalente Mathieu-Martin, dans la ville de Dieppe. Ce n’est pas une mauvaise école, mais je préfère aller à l’école en campagne. Tu sais combien je suis attaché à ma vallée de Memramcook. Une autre raison pour laquelle je n’ai pas hâte de changer d’école, c’est qu’à cause du transport en autobus scolaire, j’aurai moins de temps pour visiter pépére après la classe.
Ce qui me rend très triste, c’est que pépére ne connaît plus mon nom, mais par son regard doux, je veux croire qu’il me reconnaît.
Pauvre pépére. Sa maladie ne va pas s’améliorer. Il y a des jours où je souhaite qu’il meure vite mais, aussitôt, je me sens coupable. Au moins, pépére ne semble pas souffrir.
Ma mère travaille encore au foyer pour personnes âgées et soigne souvent pépére. Je sais que mame aimerait retourner aux études pour avoir un emploi qui paye mieux. Nous n’osons pas en parler, mais je crois qu’elle attend que l’état de pépére empire avant de faire des changements dans notre vie. Elle sait aussi que je déteste le changement et que ce sera difficile pour moi même d’en parler.
Là, tu vois, je radote encore. C’est ta faute, Sara, car tu m’as demandé de parler de ma vie.
Maintenant, au sujet de notre expérience de l’été dernier, je réfléchis à tout ce que nous avons vécu ensemble et j’ai du mal à comprendre moi aussi. Il s’est passé quelque chose de surnaturel dans le marais pendant que le mascaret remontait la rivière, cet après-midi-là.
Quand je t’ai retrouvée, étendue dans le marais comme une morte, j’ai eu une de ces peurs. En m’approchant, j’ai vu que ton visage s’était transformé. Comme tu le sais, je trouve que tu ne fais pas «zire»; et à ce moment-là, tu ressemblais à la Belle au bois dormant. C’était évident dans ton visage que quelque chose d’étrange s’était passé, mais que cela t’avait fait un grand bien. Tu brillais de bonheur.
Pardonne-moi si je te fais de la peine, mais quand je t’ai vue couchée dans l’herbe, ça m’a rappelé que ta mère t’avait laissée dans une boîte en carton quand tu étais bébé. Je n’en reviens pas que ta vraie mère ait pu t’abandonner de cette manière irresponsable dans la grande ville de Houston. Je comprends donc pourquoi tu l’appelles la Haïssable.
Tu n’es pas folle, Sara, au contraire. Je trouverais que tu es une fille exceptionnelle même si tu n’avais pas de visions ou de rêves.
Si mes amis savaient que j’écris une lettre à une fille, ils n’en finiraient pas de se moquer de moi. Comme tu le sais, je n’ose pas même leur dire que j’aimerais être historien. Ils me trouvent déjà bizarre parce que j’aime les vieilles façons de faire les choses, comme dans le temps de mon grand-père. Les jeunes ne me trouvent peut-être pas cool, mais ils me parlent quand même. Dans un village, on n’a pas beaucoup de choix d’amis. Alors, il faut trouver moyen de s’entendre avec tout le monde parce qu’on est obligé de se voir la face souvent.
J’aimerais trouver une manière de t’aider avec tes dilemmes, même si la butte à Pétard est un peu loin de Fargo. Si ça peut te faire du bien qu’on s’écrive, je ferai de mon mieux pour continuer. Coin-coin!
Ton ami Justin (Canard)
P.S. : Je trouve que je me débrouille assez bien en anglais. Je ne pensais pas que ma première vraie lettre serait aussi longue! Je m’impressionne moi-même. Ha! ha!