Ma reconnaissance s’adresse d’abord à ceux que j’appelle affectueusement mes coparents d’édition, Marise Labrecque, directrice des Éditions du CHU Sainte-Justine, et Pierre Lavigne, directeur des Éditions du CRAM. La plupart des auteurs ayant un contrat « monoparental », je me sens privilégiée, quoique je ne veuille aucunement discréditer la formule solo. C’est grâce à la confiance qu’ils m’ont témoignée que j’ai osé plonger de nouveau dans cette aventure d’écriture. À mon âge, c’était toute une surprise et un exploit de « retomber enceinte » alors que mon bébé-livre n’avait pas encore un an ! Heureusement que j’ai été accompagnée par Marie-Ève Lefebvre, éditrice aux Éditions du CHU Sainte-Justine, une vraie « sage-femme », douce, compétente et des plus professionnelles. Un merci du fond du cœur à chacun d’eux et à toute l’équipe.
Durant le projet, j’ai bénéficié de la collaboration de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec, à qui je suis très reconnaissante. Je voudrais souligner le contact chaleureux et l’aide précieuse de Lorraine Desjardins et de Laurence Lagouarde. Merci pour toutes les informations de même que pour les contacts avec les organismes et, indirectement, avec tous ces « parents au singulier ». Au Réseau d’appui aux familles monoparentales de l’Estrie, j’exprime toute ma gratitude, plus particulièrement à Lucie Roch, Michel Francoeur et Adrienne Cholette, de même qu’à tous les pères et les mères solos avec qui j’ai pu échanger et qui ont partagé avec moi leur vécu dans l’espoir d’aider d’autres parents. Cette grande générosité, je l’ai aussi vue à la Maison Oxygène de Sherbrooke auprès de Pierre Sylvestre et Simon Poulin, à l’organisme Solidarité de parents de personnes handicapées, par l’intermédiaire de Renée Turcotte, de même qu’à la Petite Maison de la Miséricorde de Montréal, surtout grâce à Michelle Pelletier. Je remercie également Diane Duquette, amie et thérapeute conjugale et familiale, pour son apport fort pertinent. J’adresse ma sincère gratitude à tous ces précieux collaborateurs.
Aux jeunes, aux parents et aux grands-parents que j’ai interviewés, à vous qui m’avez émue, inspirée, éclairée, relue, encouragée (et même hébergée) et à tous ceux que je ne veux surtout pas oublier : MERCI !
Lors du dernier Salon du livre tenu à Montréal, une jeune maman accompagnée de ses deux petits s’est approchée de la table où je présentais mon livre sur la garde partagée intitulé Chez papa chez maman : une nouvelle vie de famille. Après avoir échangé avec moi quelques informations, cette mère a ajouté : « Moi, j’aurais bien aimé que le papa s’implique… mais ce n’est pas ce qui est arrivé. »
En la regardant s’éloigner du stand, je me suis fait la réflexion, comme souvent au cours de ma carrière de travailleuse sociale, que chaque histoire familiale est vraiment unique, en plus de prendre des formes différentes et parfois inattendues au fil du temps. Oui, il y avait beaucoup de parents seuls, à différents degrés, avec leurs responsabilités parentales et oui, il serait bon qu’ils puissent, eux aussi, trouver un livre où ils pourraient se reconnaître, trouver un écho de leur vécu dans les témoignages d’autres parents et découvrir quelques moyens pour surmonter les écueils de cette traversée parfois houleuse. Avec la famille en mouvance, de plus en plus de parents sont seuls ou quasi seuls à bord avec leurs moussaillons ! C’est aussi pourquoi « mes » deux maisons d’édition, à l’image de deux parents collaborateurs, m’ont proposé d’écrire sous l’angle spécifique de la monoparentalité.
Si mon intérêt pour la famille, sous toutes ses formes et dans tous ses états, était encore au rendez-vous, le défi ne s’arrêtait pas là. Il m’a fallu définir cette monoparentalité si complexe et si variée. À ma grande surprise, même des organismes voués au service des familles monoparentales arrivaient à peine à faire consensus sur la définition. Outre les confusions rattachées au recensement et aux données statistiques, il y avait aussi les perceptions divergentes de parents qui, pour certains, refusaient cette étiquette aux anciennes connotations péjoratives alors que d’autres se considéraient plutôt comme des coparents vivant dans deux milieux séparés, puisqu’ils se répartissaient le temps et les responsabilités ayant égard à leur enfant. Des auteurs proposent d’ailleurs pour ces derniers le terme de « foyer monoparental », c’est-à-dire « un seul parent à la maison », ou encore de « famille mi-parentale » de préférence à celui de « famille monoparentale ».
Là encore, le degré de coparentalité peut grandement varier d’une situation à l’autre et un parent peut se sentir aussi surchargé qu’un parent monoparental si la garde partagée n’est qu’apparente, « en surface ». Il en est de même pour certains parents vivant en couple mais assumant la majorité ou la totalité des responsabilités parentales à la suite de contraintes liées au travail, à des difficultés d’immigration ou encore aux problèmes de santé physique ou mentale de cet autre parent plus ou moins absent.
Enfin, d’autres mères ou pères sont vraiment « seuls à bord avec leur enfant » après le décès de leur conjoint, à la suite du désengagement ou de l’incapacité de celui-ci ou encore parce qu’ils ont délibérément choisi d’élever un enfant en solo en recourant à l’adoption ou à des méthodes de procréation assistée.
Toutes ces trajectoires de vie peuvent être entrecoupées de périodes avec d’autres adultes, grands-parents, compagnes ou compagnons de passage, ou conjoints en familles recomposées. Au cœur de cette mouvance, le début et la fin de l’aventure monoparentale ne sont donc pas toujours situés dans un processus linéaire prévisible. La monoparentalité m’apparaît donc comme un immense chapeau sous lequel les visages sont nombreux et des plus variés : un ensemble de parents au singulier, mais des monoparentalités, sans contredit, au pluriel !
Les chapitres qui suivent vous proposent une classification non officielle mais très représentative des différents types de monoparentalité au quotidien. Vous pourrez ainsi mieux cerner ce que représente la monoparentalité, les couleurs qu’elle prend au féminin et au masculin, les différences qui la caractérisent selon qu’elle est choisie ou encore imposée puis assumée. Vous y découvrirez également des astuces et des initiatives issues de la débrouillardise de certains parents, les obstacles qu’ils ont surmontés, les ressources qui les ont alimentés et les pièges qu’ils ont tenté d’éviter pour assurer l’épanouissement de leurs enfants.
J’espère surtout que vous vous y sentirez compris et que vous y puiserez l’inspiration pour affronter vents et marées, et pour arriver vous aussi à bon port avec ce sentiment grisant si bien traduit par Josiane : « J’ai gardé le cap tout le temps ! »
1. Au Québec, deux démographes reconnues soulignent les limites d’une définition statistique de la famille basée uniquement sur un portrait effectué à partir de la résidence du répondant au moment de l’enquête. Ainsi, un parent appliquant une garde partagée pourra être identifié comme vivant seul sans enfants, si ses enfants sont alors chez l’autre parent. En reconstituant l’histoire familiale complète des répondants, le portrait est plus fidèle à la réalité. Voir Céline Le Bourdais et Évelyne Lapierre-Adamcyk. = La famille séparée – tendances socio-démographiques récentes et défis pour l’avenir ». Évolution et révolution de la justice familiale : Colloque 2010 sur la justice familiale. Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011.
2. Dahan, Jocelyne et Anne Lamy. Un seul parent à la maison. Assurer au jour le jour. Paris, Albin Michel, 2005, p. 14-15
Lucille
Mère de six enfants, elle est devenue monoparentale dans les années 1950 et a dû se débrouiller sans aide financière et avec très peu de soutien.
Marie-France
Mère monoparentale de deux enfants à la fin des années 1960, elle a été victime de préjugés dans sa vie professionnelle.
Solange
Mère monoparentale, elle a lutté longtemps pour que son ex-conjoint entretienne une relation avec sa fille.
Guy et sa fille Florence
Ce père s’est occupé seul de sa fille durant quelques années pour pallier les difficultés de sa conjointe d’assumer pleinement ses responsabilités parentales.
Marie
Jeune professionnelle séparée, elle s’est tournée vers la procréation assistée pour actualiser son désir de maternité.
Martine
Travailleuse sociale, elle a choisi d’adopter seule un enfant placé
initialement sous la responsabilité du Directeur de la protection de la jeunesse.
Annie et Pierre-Luc
À la suite de l’hospitalisation de l’un de leurs enfants, ces parents ont dû assumer leurs responsabilités parentales de façon parallèle pendant un certain temps.
Véronique
Avec le départ de son conjoint Jef en mission pour l’armée, cette mère s’est retrouvée seule avec ses trois jeunes enfants jusqu’à ce qu’elle retourne vivre temporairement chez ses parents.
Joëlle
Des différences culturelles ont fait en sorte que cette mère a assumé une large part des responsabilités parentales pour ses fils avant de se séparer de son conjoint puis de réorganiser leur vie parentale.
Nathalie
Pendant son processus d’adoption internationale en solo, cette enseignante a rencontré son conjoint, Mario, qui l’a soutenue dans le processus d’adoption, puis lors de la naissance de leur enfant quelques mois plus tard.
Yannick
Auteur et père d’une fillette élevée en garde partagée, il a créé une nouvelle famille avec France et sa fille, qui a des besoins particuliers.
Marcel et Marie-Josée
Malgré la complexité de la monoparentalité homoparentale, Marcel et Marie-Josée ont établi une coparentalité basée sur le respect et adaptée aux différentes phases de développement des enfants.
Josiane
Au milieu de la quarantaine, cette femme a adopté seule ses deux filles originaires de Chine et les élève en solo dans un univers plus féminin que masculin.
Aminatou
Originaire du Cameroun, cette mère a immigré au Québec avec sa fille aînée. Victime de violence conjugale, elle s’est séparée de son mari après la naissance de sa troisième fille et a réorganisé sa vie de famille.
Marc et son fils Marc-Antoine
Ce père monoparental et son fils ont traversé des épreuves, relatives au vécu de leur mère biologique.
François
Ce père s’est donné à 150 % en élevant seul sa fille.
Loïc et Martin
Ces deux ex-conjoints de Charlotte ont eu à s’occuper de leurs fils respectifs après que celle-ci soit retournée en France.
Roxanne
Ayant adopté seule trois enfants, cette mère doit composer avec les besoins particuliers de son fils Théo de même qu’avec certains préjugés sociaux.
Claude
À la suite du décès de sa conjointe, ce père a dû veiller seul sur son fils atteint de paralysie cérébrale. Il a su adapter son mode de vie en conséquence et s’investir dans la relation.
Laure
Devenue veuve à 62 ans, cette mère de 82 ans vit encore avec son fils handicapé.
Nathalie
Handicapée visuelle de naissance, cette mère élève seule sa fille, également handicapée visuelle.
Patricia
Monoparentale avant même la fin de sa grossesse, elle est devenue propriétaire d’un duplex avec sa mère, une solution avantageuse sur plusieurs plans.
Susanne
Cette mère en solo a fondé une coopérative d’habitation avec d’autres parents monoparentaux dans les années 1970.
Diane
Célibataire, elle a adopté un petit garçon et partage une propriété avec ses deux sœurs, ce qui permet à chacune de vivre ses rêves respectifs.
Manon
Après une longue attente, cette mère et grand-mère monoparentale se réjouit d’avoir sa place dans un HLM.
Évelyne et Marie-Andrée
Cette mère monoparentale et sa fille ont dû faire preuve de réalisme, de débrouillardise et de confiance pour affronter des difficultés financières et des problèmes de santé.
Julien
Ce père tente de faciliter la collaboration et les transitions de son fils entre les domiciles des parents.
Rosa
Malgré les contraintes liées au travail, cette mère monoparentale choisit la famille.
Stéphanie
Devenue mère en solo à l’âge de 15 ans, elle a reçu l’aide de sa grand-mère pour concilier famille, études et travail.
Pierre
Ce père solo a la paternité tatouée sur le cœur et insiste sur l’importance pour les hommes de demander de l’aide en cas de problèmes.
Jordi
Récemment séparé, ce père de 26 ans s’est endetté pour obtenir la garde partagée de sa fille et a dû retourner vivre chez ses parents le temps de réorganiser sa vie.
Danielle
Parmi les méthodes éducatives gagnantes qu’elle a mises en place, cette mère en solo a intégré sa fille en lui demandant d’évaluer ses propres écarts de conduite.
Danny
Ce père monoparental a fait en sorte de connaître ses limites et de savoir reprendre son calme avec les enfants.
Andrée
Cette maman en solo a trouvé du soutien grâce à sa foi et à une amie partageant les mêmes croyances religieuses qu’elle.
Pedro
Pour ce père monoparental, les valeurs spirituelles sont importantes et ont guidé sa paternité, du Mexique au Québec.
Conrad
Ce père en solo vit aujourd’hui certains effets négatifs d’une trop grande proximité affective avec sa fille qu’il élevait seul.
Pénélope
En cherchant à réparer son passé, elle a cédé à la compulsion de tout faire pour ses enfants jusqu’à l’épuisement parental, dont elle a dû subir les conséquences.
Kathy
Cette mère en solo a choisi de responsabiliser tôt ses enfants à propos de ses propres limites.
Rémi
Éducateur spécialisé, ce père vit deux monoparentalités différentes avec son fils de 19 ans et sa fille de 4 ans.
Rébecca
Cette mère monoparentale a su intuitivement responsabiliser son fils en maintenant une image respectueuse mais réaliste de son ex-conjoint pour que son fils puisse développer une relation avec son père.
Myrlène
Ayant souffert de problèmes de santé mentale à la naissance de sa deuxième fille, Myrlène a dû prendre soin d’elle et contrer les préjugés et la honte avant d’établir une véritable coparentalité.
Gilles
Père monoparental de jeunes devenus adultes, il a immigré en Chine où il a vécu une recomposition familiale avec sa nouvelle conjointe et les jumeaux de celle-ci.
Maggie
Cette mère monoparentale a subi les difficultés de la recomposition familiale, notamment en ce qui a trait à l’éducation des enfants.
1. Dans la majorité des cas, les prénoms des personnes ayant témoigné ont été modifiés pour préserver la confidentialité sauf si ce témoignage était déjà public ou si la personne a fait la demande expresse de conserver les prénoms d’origine lors de la publication.
La vie, c’est ce qui nous arrive lorsqu’on
se préparait à faire autre chose…
John Lennon
Plusieurs facteurs font en sorte que chaque histoire de monoparentalité est singulière : l’âge auquel elle survient pour le parent, le contexte social et économique de celui-ci, le fait qu’il soit un homme ou une femme, les caractéristiques et l’histoire familiale personnelle qui le définissent, le nombre, l’âge, le sexe et les caractéristiques des enfants, la formule intensive à temps plein ou allégée à temps partiel, la durée et la trajectoire de l’expérience de parent solo et, bien sûr, le fait d’avoir arrêté ce choix délibérément ou de se le faire imposer.
Voyons d’abord ce qui touche au choix ou au non-choix. Nous avons identifié cinq types différents de monoparentalité : imposée, choisie, circonstancielle, transitoire et à temps partiel. Dans les faits, ces divisions sont un peu arbitraires puisque la complexité de la vie dépasse amplement ces catégories et que les choix des parents peuvent heureusement fluctuer au fil du temps et de l’expérience acquise. Le survol que nous proposons ici donne par ailleurs un aperçu des changements survenus dans les formes familiales et dans le regard que la société porte sur la monoparentalité.
Bien que tirés du passé, les deux premiers exemples auxquels nous nous attardons illustrent bien cette monoparentalité « non désirée » qui s’impose à la suite du décès de l’un des parents ou d’une rupture des conjoints et de l’abandon de la famille par l’un d’eux.
Récemment, j’ai rencontré Lucille, qui aura bientôt
80 ans, mais qui en paraît presque 20 de moins. « Ce n’est pourtant pas parce que j’ai eu une vie facile », précise-t-elle à la suite de mon observation. Après lui avoir mentionné mon sujet d’écriture, elle me confie :
« J’ai vécu ça, moi aussi, la monoparentalité… il y a plus de 50 ans. Quand mon mari est parti, je suis restée seule avec mes six enfants. La plus vieille avait 12 ans et mon plus jeune, 3 ans. Dans ces années-là, on n’avait pas d’aide. Mon mari n’a jamais versé de pension, ni pour moi ni pour les enfants. Il n’y avait pas autant de ressources qu’aujourd’hui. Les garderies subventionnées, ça n’existait pas. Il a fallu que je trouve du travail et quelqu’un pour s’occuper du petit. Plus tard, j’ai conclu une entente avec ma voisine qui tenait une petite épicerie et qui avait deux filles. Elle s’occupait de mes enfants quand ils revenaient de l’école jusqu’à l’heure du souper et moi, je m’occupais de ses filles la fin de semaine. »
Puis Lucille ajoute, songeuse : « Je ne comprends pas les parents qui ont un ou deux enfants et qui trouvent ça dur ! »
Ce premier témoignage nous donne un aperçu de l’évolution des valeurs sociales, de la dimension décroissante du nombre d’enfants par famille et des services qui se sont ajoutés pour les parents monoparentaux au fil du temps.
Outre le fait qu’elle soit beaucoup plus répandue de nos jours, la famille monoparentale peut profiter de certaines politiques sociales et de services mis en place afin de soutenir le parent qui doit assumer seul les responsabilités familiales. Des regroupements comme la Fédération des associations des familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ)4 continuent de jouer un rôle clé dans la concertation et la revendication de politiques familiales et de services mieux adaptés pour les parents concernés. L’appartenance à un groupe d’action communautaire produit souvent, pour le parent solo, des effets positifs sur le plan personnel, facilite le réseautage et l’entraide, sans compter la lutte aux préjugés et la mobilisation qu’elle suscite.
À son époque, Lucille ne profitait pas d’un tel appui. Elle a dû se débrouiller avec très peu de ressources et faire preuve d’une grande détermination. La perception que son entourage avait d’elle était parfois teintée d’opprobre, bien qu’elle n’ait pas initié la rupture. De plus, sa famille élargie n’était pas toujours au rendez-vous pour soutenir ses efforts. Le récit de Marie-France, légèrement plus récent, semble confirmer les préjugés tenaces qui ont longtemps caractérisé la monoparentalité et directement affecté les familles touchées. Cette mère relate en effet avoir été victime de jugements négatifs il y a environ 40 ans, alors qu’on lui avait refusé un emploi parce qu’on lui accolait l’étiquette de « mère célibataire ». À cette époque, les enfants nés hors mariage et les « filles-mères » se heurtaient au regard culpabilisateur d’une société aux valeurs religieuses et morales très strictes. Et ces préjugés multipliaient les obstacles sur le chemin déjà difficile de la monoparentalité. Marie-France souligne que même si les « mères célibataires » n’avaient plus, à ce moment, besoin de se cacher comme celles des générations précédentes, elles étaient quand même susceptibles de subir un jugement social très fort et de vivre une forme de rejet5. Tout comme Lucille, Marie-France a dû composer avec l’absence complète de père pour ses enfants. Ni l’une ni l’autre n’ont vraiment choisi ce mode de vie familiale et elles ont vécu, tout comme leurs enfants, une forme d’abandon.
Marie-France mentionne que sa fille a particulièrement souffert de l’absence de père. Contrairement à son frère, la petite s’est montrée préoccupée et a commencé à la questionner dès son jeune âge. Même si Marie-France a clairement nommé cette absence, sa fille a continué d’en souffrir et son fils en a été aussi été affecté, ce qu’elle regrette en tant que mère. Une fois adulte, sa fille lui a même reproché sans ambages : « Tu aurais dû te trouver un mari ! ». Marie-France fait un rapprochement avec le vécu de sa grand-mère paternelle qui, devenue veuve, a dû élever seule ses 5 enfants, âgés de 6 mois à 12 ans, dans des conditions économiques encore plus précaires que les siennes. Elle souligne que ces enfants, dont son père, sont tous devenus des adultes accomplis. Elle se rappelle toutefois la force de caractère de sa grand-mère et le fait que les enfants, du moins les aînés, avaient eu la chance de connaître leur père.
Certains jeunes idéalisent le parent absent, surtout s’il est décédé. Il arrive aussi, comme pour Marie-France, que le parent présent ait à assumer la colère de son enfant et la peine rattachée au manque créé par l’absence de l’autre parent.
Quand l’annonce de la grossesse provoque la rupture, que la séparation s’avère inévitable et associée à un désengagement, qu’un parent s’efface complètement de la vie du jeune enfant, un lourd deuil débute pour l’autre parent : « Mon enfant n’aura pas de père/de mère à ses côtés et ce n’est pas ce que j’aurais souhaité. » Solange ne se résignait pourtant pas à cette conclusion. Son désir de maternité était initialement lié à un projet de couple et elle se sentait très coupable de la vie qui se dessinait pour sa fille :
« Je ne me pardonnais pas mon choix de père pour mon enfant. Je ne voulais pas partager ma vie avec lui, mais j’ai tout fait pour qu’il s’implique auprès de notre fille. Je l’ai aidé à s’installer dans son logis. J’insistais pour qu’il prenne Daphnée avec lui, quelques heures au moins. J’aurais aimé qu’il apprenne à la connaître, qu’ils s’attachent l’un à l’autre. Il n’avait jamais d’argent. Je lui envoyais des couches et de la nourriture déjà préparée pour faciliter sa tâche. Je suis allée jusqu’à lui acheter une voiture pour qu’il vienne plus facilement la visiter chez moi. Ça n’avait plus de fin. J’ai dû me raisonner et me dire que c’était son choix et que je ne pouvais pas le rendre responsable malgré lui ! Ça m’a pris du temps à lâcher prise… »
Le choix n’est pas toujours facile à faire quant à la place qu’il faut laisser à l’autre parent. J’ai reçu en consultation une jeune maman qui allait visiter, avec son petit bébé, le père de son enfant, de qui elle était récemment séparée et qui était incarcéré pour un délit criminel. Elle a mis du temps à faire le deuil de ses rêves. Elle craignait que le père de son fils, ou son fils lui-même, lui reproche un jour de les avoir empêchés de se connaître. J’ai entendu des propos similaires de la part de pères qui se sentaient démunis devant l’incapacité de mères peu adéquates.
Guy, fils unique, s’était toujours dit qu’il aurait plusieurs enfants. Brigitte et lui s’étaient connus durant leur adolescence. Personne n’aurait pu deviner qu’elle deviendrait, un jour, dépendante de la cocaïne et que leur existence en serait chamboulée. Au début de leur vie commune, Brigitte avait subi un avortement parce que le couple n’était pas prêt à avoir un enfant. Puis leur situation personnelle et financière s’était stabilisée et le projet de famille avait pu s’actualiser. Guy gérait sa compagnie et sa conjointe en était la secrétaire.
« Je n’ai pas vu venir ça ! Florence avait 9 mois. Je me levais à 5 heures du matin pour aller travailler et Brigitte n’était pas encore rentrée. C’est ma mère qui gardait la petite. Je croyais que c’était passager… que ça arrêterait. »
Guy a finalement envisagé la séparation quand Florence a eu 2 ans. Le temps a été divisé de sorte que l’enfant passe l’été avec sa mère. Le travail saisonnier de Guy l’amenait alors à cumuler de très nombreuses heures durant la période estivale, limitant ainsi sa disponibilité pour sa fille. Il était toutefois inquiet de cet arrangement. Ses craintes augmentaient quand il passait quelques heures avec elle : « Sa mère la laissait traîner dans les parcs. Florence avait le regard triste. Elle avait engraissé, était négligée. »
Ses inquiétudes ont poussé Guy à vouloir passer le plus de temps possible auprès de sa fille et à tenter de compenser, du mieux qu’il le pouvait, pour ce que Brigitte ne pouvait lui offrir.
Il se rappelle la période où Florence demeurait à temps plein avec lui avant d’appliquer de nouveau une garde partagée :
« Je l’aidais avec ses devoirs, je préparais le souper. J’en ai profité plus que bien des pères, parce que j’avais du temps, des réserves. Je faisais des muffins. Ça sentait bon dans la maison quand elle arrivait ! Ça a développé mon côté “maman”. Je faisais la lecture avec elle. Elle a toujours eu ses histoires, chaque soir. Je jouais avec elle, l’amenais à ses cours de nage synchronisée, vérifiais ce qu’elle faisait sur l’ordinateur. Tu fais les deux parents. Tu n’as pas le choix ! Ce n’est pas un “plus” d’être monoparental… Et le dimanche, quand je l’avais amenée chez sa mère, de voir sa chambre vide… ça me prenait au cœur. J’étais triste en rangeant ses jeux et en faisant son lavage. »
Comme plusieurs parents solos, Guy mentionne qu’il « n’a pas le choix » puisque l’autre parent ne peut assumer pleinement son rôle. Par contre, ces parents solos choisissent de se battre contre l’adversité et prennent les choses en main. Dans ce sens, même s’ils n’ont pas choisi l’épreuve, nous pouvons souligner qu’ils ont opté pour la réaction combative qui fait toute la différence.
Aujourd’hui plus âgée, Florence mentionne par ailleurs la difficulté pour un jeune de vivre avec les émotions contradictoires qui peuvent surgir quand un de ses parents traverse des difficultés graves. Elle souligne l’importance de pouvoir parler de son vécu6 :
« C’est important d’avoir quelqu’un à qui te confier. Moi, je me suis sentie très seule. J’en voulais à ma mère de faire passer sa consommation avant moi. J’ai longtemps senti que j’occupais la seconde place dans sa vie. Chez mon père, c’était différent. Mais j’ai gardé beaucoup de choses à l’intérieur de moi jusqu’à ce que j’en parle avec ma demi-sœur (du côté de ma mère) qui vivait la même chose que moi. »
Lorsqu’il fait le bilan, Guy est surpris d’avoir vécu plus de dix années dans une forme de famille « monoparentale totale » ou « presque totale ». Dans son parcours, il y a eu deux épisodes de recomposition familiale pendant lesquels il a quand même conservé le rôle de parent principal de sa fille. Comme il le précise, son histoire n’est pas « jojo », mais il ajoute :
« Je n’en ai pas honte et je suis même très fier de ce qu’est devenue ma belle Florence, qui aura 20 ans bientôt. Elle est bien élevée, polie, responsable. Elle étudie et elle a un petit travail. Elle va partir vivre avec son chum. Pour moi, ça va être une grande perte. On est encore content de souper ensemble, d’aller nous entraîner ensemble. C’est ma première séparation d’un être aimé… depuis longtemps. »
Comme les exemples précédents l’illustrent, la monoparentalité peut être subie au départ, mais être assumée par la suite. Elle peut survenir précocement ou très tardivement, comme nous le verrons à la lecture d’autres témoignages. Mais il est aussi possible, quoique moins fréquent, qu’elle soit choisie de façon délibérée.
Est-ce que la monoparentalité peut véritablement être choisie ? Nous savons avec certitude que des personnes seules peuvent éprouver un désir intense d’être parent, et ce, sans avoir de partenaire de vie pour partager ce projet. Les postulants solos à l’adoption sont sans contredit de ce groupe et peuvent en témoigner. Leurs récits, dans lesquels sont évoqués des défis particuliers, nous permettent par ailleurs de nuancer la notion de choix, car personne ne peut en connaître toutes les implications, sans compter que la vie est faite d’imprévus. Comme le dit si joliment l’auteur Jean-François Vézina : « La vie a infiniment plus d’imagination que nous7. »
L’adoption constitue une façon pour un homme ou une femme célibataire de devenir parent seul. La procréation assistée vient ajouter, pour certaines femmes, la possibilité de donner naissance seule. Ces situations, plutôt inusitées il y a une quarantaine d’années, s’avèrent plus fréquentes de nos jours.
Ainsi Marie, une jeune professionnelle séparée de son conjoint, souhaitait actualiser son désir de maternité malgré sa rupture et avant qu’il ne soit plus biologiquement réalisable. Son projet d’avoir un enfant avait priorité sur celui de vivre une relation conjugale. Marie se disait prête à tenter la procréation assistée comme ultime recours si elle ne trouvait pas de « géniteur » volontaire. Elle ne cherchait pas un « père » prêt à s’engager auprès de l’enfant, mais bien un homme en bonne santé et en accord avec cette démarche sans reconnaissance de paternité. Considérant la complexité des conditions et l’urgence pour elle d’actualiser sa grossesse, elle s’est tournée vers les nouvelles technologies de procréation9. C’est d’ailleurs grâce à elles qu’elle donnera bientôt naissance à ses jumeaux10 !
Les progrès médicaux dans ce domaine permettent d’envisager des scénarios jadis impensables, qu’il s’agisse d’insémination à l’aide d’un donneur (IAD), de fécondation in vitro, d’un don d’ovules et de fabrication d’embryon. Des enfants peuvent maintenant naître d’un père paraplégique ou même comateux. Certains auteurs parlent dorénavant de la « puissance des mères » alors que des bioéthiciens dénoncent parfois certaines de ces pratiques11. Un article récent, sous-titré : « Existe-t-il une plus belle preuve d’amour12 ? » relatait le cas d’un homme, dans un coma profond depuis plus de trois ans, dont l’épouse venait de donner naissance à leur fils. Bien que ce débat éthique soit loin d’être clos, il nous donne un aperçu de nouvelles alternatives possibles quant à la maternité et la paternité.
Martine, pour sa part, est devenue maman par le biais d’un processus spécial d’adoption. De plus, elle porte les chapeaux de mère et d’intervenante, ce qui est loin d’offrir que des avantages ! Son fils Félix a été retiré de sa famille biologique par la Direction de la protection de la jeunesse et placé chez elle. Martine avait été évaluée et faisait partie de ce qu’on appelle, au Québec, la banque-mixte13, c’est-à-dire des candidats prêts à accueillir un enfant ayant de fortes probabilités d’être confié en adoption, mais pouvant aussi réintégrer sa famille d’origine si l’évolution positive de la situation le permet. Les parents solos sont admissibles et Martine avait postulé. Travailleuse sociale de formation, elle se sentait confiante et outillée pour faire face à différentes situations. Il y a cinq ans, elle a vraiment choisi sa monoparentalité, mais sans pouvoir anticiper toutes les surprises qui y étaient rattachées. Martine est dans la jeune trentaine et son fils Félix a maintenant 8 ans.
Sur le coin de son bureau, des photos de son fils et une tasse humoristique intitulée : I hate mornings !14
« J’ai acheté cette tasse lors d’un voyage avec mon fils parce que je ressemble à Grognon, un des nains de Blanche-Neige, et que l’inscription me parlait beaucoup ! C’est difficile pour moi de me lever le matin, surtout quand Félix a été en crise une partie de la nuit. J’ai toujours été une “dormeuse” avant d’avoir un enfant. C’est pour ça que je finis par tomber… C’est comme l’adrénaline qui s’installe. Je suis hyperactive. Je vais toujours plus loin que ma limite. Je pousse mon corps. On finit par crasher. »
Martine mentionne qu’elle a dû prendre deux congés de maladie de plusieurs mois durant les cinq dernières années. Félix, cet enfant adorable qu’elle me montre sur la photo, se réveille encore souvent la nuit. Il lui arrive aussi de faire des crises « sans se réveiller ». Il ne garde habituellement pas de souvenirs de ses terreurs nocturnes, sauf un sentiment de mal-être, un peu comme après un cauchemar. Il souffre de troubles de l’attachement et d’un haut niveau d’anxiété. Félix avait 3 ans lorsqu’on le lui a confié. Il avait déjà vécu de lourds traumatismes, il était sous-alimenté, sous-stimulé et il ne parlait pas. « Son sac à surprises était pas mal plein ! », dit Martine.
Il est bien vrai que plus l’enfant est âgé au moment de l’adoption, plus son « bagage » est imposant. Pour reprendre une allégorie de la travailleuse sociale et auteure Johanne Lemieux15, le « petit ruban » de sa vie risque d’avoir subi plus d’une coupure affective et les nœuds pour rattacher le tout ne sont pas toujours solides… Le parent qui accueille un enfant ayant d’autres parents biologiques doit composer avec les informations disponibles et a souvent l’impression qu’un volet important de la vie de son enfant lui échappe. Plus cet enfant est âgé, plus cette impression est forte et bien réelle. Même si un enfant plus âgé est théoriquement plus avancé dans son développement, il peut aussi avoir accumulé des retards plus difficiles à corriger. Sans compter que l’attachement de ce petit être n’est pas garanti ! Les difficultés vécues par le parent d’un enfant souffrant de troubles de l’attachement sont bien réelles. Néanmoins, il y a une possibilité de « réparation »16.
Dans l’histoire de Martine et de Félix, les choses se sont bousculées lors du placement.
« Félix est arrivé comme un cheveu sur la soupe. On m’a avisée qu’il y avait un enfant pour moi. J’ai devancé mon déménagement. Heureusement que j’ai eu de l’aide ! J’ai annoncé la nouvelle à mon patron et à mes clients presque en même temps. Le dimanche soir, la peinture était finie, les ustensiles dans le tiroir et les rideaux posés. Le lundi, je rencontrais l’intervenante qui me présentait un résumé de la vie de Félix. Le mardi, je passais une heure avec lui. Le mercredi, il y avait un consentement à l’adoption. Le jeudi, j’allais le chercher pour toujours. En une semaine, j’étais “tombée maman” à temps plein !