NOTES

 

 

1. L’époux de Diane de Poitiers.

2. Descendants mâles d’un roi de France.

3. Or potable utilisé comme élixir de jeunesse.

4. Auprès de laquelle elle a été élevée.

5. Costumes, habits.

6. Chaussures à hautes semelles de bois ou de liège, portées par les femmes de la noblesse.

7. Dans le traité de Cateau-Cambrésis, signé les 2 et 3 avril 1559 entre la France, l’Angleterre et l’Espagne, Henri II abandonna la plupart des conquêtes italiennes, sauf cinq places fortes, dont Pignerol.

8. À l’époque, la galerie était différente de celle qu’on peut visiter aujourd’hui.

9. Toute personne appartenant à un rang élevé se doit de paraître à la cour.

10. Reine d’Écosse, et nièce des Guise par sa mère, Marie de Guise.

11. Il s’agissait d’idylles rustiques et bucoliques, jouées par les dames d’honneur et les seigneurs.

12. Estrade.

13. Philippe II : roi d’Espagne. Les guerres en Italie entreprises par Charles VIII prirent fin sous Henri II. François de Guise avait fait une ultime tentative sur Naples en 1557 qui avait échoué et l’armée du connétable s’était fait écraser. Ce sera avec la paix de Cateau-Cambrésis que Montmorency sera libéré par les Espagnols.

14. Qu’on appellerait bientôt le roi-dauphin et la reine-dauphine, car ils allaient être dauphins de France et souverains d’Écosse.

15. Ce fut sa mère, Marie de Guise, qui l’envoya à la cour de France en rusant avec le roi anglais Henri VIII, qui voulait l’élever à la cour d’Angleterre pour lui faire épouser son fils, un protestant.

16. À une certaine époque, Henri III en portera tout le temps, même une paire par-dessus l’autre.

17. Marie Tudor avait épousé Philippe II.

18. Après la mort de Claude de France, sa première épouse et mère de ses enfants, François Ier épousa la sœur de Charles Quint pour sceller leur alliance et la fin de la guerre.

19. Laurent le Magnifique.

20. Expression utilisée par Rabelais pour désigner le sexe masculin.

21. Le futur Henri III.

22. Ancêtre du tennis.

23. Agrippa d’Aubigné était protestant.

24. Aujourd’hui l’hôtel Carnavalet.

25. Décoration qui quitterait bientôt le royaume, le président Ligneris devant s’exiler hors de France en 1560 à la suite de sa conversion à la Réforme.

26. Le château d’Anet appartenait à Diane de Poitiers par son mari, décédé en 1531 alors qu’elle avait 32 ans. À partir de 1550, Henri II fit reconstruire le château par les plus grands artistes du siècle.

27. Elle avait donné naissance à des jumelles mortes en bas âge en 1556 et avait failli mourir pendant l’accouchement.

28. Séance trimestrielle du Parlement qui avait lieu le mercredi.

29. À la suite de la signature du traité de Cateau-Cambrésis.

30. Le sacre du roi de France, qui en fait un quasi-prêtre, a toujours lieu en la cathédrale de Reims.

31. Jeu au cours duquel les cavaliers devaient décrocher des anneaux suspendus à un poteau fixe.

32. Le futur Henri de Guise, amant de Margot plus tard, qui participerait activement à la Saint-Barthélemy en août 1572.

33. En 1623, c’était Louis XIII qui était roi de France depuis 1610. L’héroïne a donc connu successivement les règnes d’Henri II, de François II, de Charles IX, d’Henri III, d’Henri IV et de Louis XIII.

34. Bande de dentelle plissée.

35. Calvin refusait la présence réelle du corps et du sang du Christ. À Genève, il n’y avait plus que deux sacrements : le baptême et la cène.

36. La désignation vient de l’habitude des nobles femmes de se retrouver pour caqueter.

37. Cette pratique, on l’appellerait dans tout le royaume la vengeance à la manière italienne.

38. Expression par laquelle on désignait les suivantes de Catherine de Médicis qui avaient des aventures avec les gentilshommes à sa demande.

39. Citation fidèle de Catherine de Médicis.

BIBLIOGRAPHIE

 

 

BERTIÈRE, Simone. Les reines de France au temps des Valois 1 – Les deux régentes, Paris, éditions de Fallois, 1996, 527 p.

BILOGHI, Dominique. Philippe HAMON, Guy LE THIEC et Arlette JOUANNA. La France de la Renaissance, Paris, Robert Laffont, 2001, 1248 p.

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REYNAUD, Élisabeth. Chenonceaux, Paris, Éditions France Loisirs, 2010, 306 p.

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SOLNON, Jean-François. Catherine de Médicis, Paris, Perrin, 2003, 491 p.

SOLNON, Jean-François. La cour de France, Paris, Fayard, 1987, 649 p.

 

 

LINDA SAYEG

 

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À ma grand-mère Marie qui me manque tous les jours
Et à mes deux amours, Julia et Jérôme
 
 
 
 
 
Un grand merci à ma maman,
à monsieur Quintin qui a réalisé un rêve
et à son équipe qui a été géniale avec moi

PROLOGUE

 

 

 

 

La reine se leva et se dirigea vers le pied de son lit.

— Approche, Clémence.

Je la suivis, intriguée. Elle se mit à genoux et déplaça un bout de plancher bien découpé en une sorte de petite rondelle. Elle approcha son visage du sol et colla son œil gauche contre le trou. Se relevant, l’air satisfait, elle me fit signe de regarder à mon tour. Je me baissai et posai mon menton sur le plancher. Le trou donnait sur la pièce du dessous.

— Mais…

Mon incompréhension première se transforma en surprise au fur et à mesure que je compris ce qui se passait. La chambre de Catherine de Médicis était placée au-dessus de la chambre du roi. Cela, je le savais déjà. Mais ce que je voyais par le trou me troubla profondément. Il donnait directement sur le lit du roi qui s’y trouvait précisément, complètement nu. Diane de Poitiers était à califourchon sur le bas de son ventre, la tête renversée en arrière. Le haut de son corps restait couvert par une chemise blanche qui lui cachait la poitrine. Son bassin avançait puis reculait doucement d’avant en arrière. Elle poussait de drôles de gémissements, mais je voyais bien qu’elle ne souffrait pas. Je voyais pour la première fois un couple ainsi uni et je me sentis toute drôle. Et quel couple! Le roi et sa maîtresse!

Je me redressai. Bizarrement, je n’éprouvais pas de honte à avoir assisté quelques secondes à cette scène. Je me disais que la reine devait les observer régulièrement. Elle était ma souveraine. Alors, si elle le faisait…

« Que veut-elle me dire en me laissant voir cela? » Je la regardai droit dans les yeux. Émue, j’imaginais ce qu’elle devait ressentir en voyant celui qu’elle aimait, nu dans les bras de celle qu’elle haïssait. Pourquoi s’imposait-elle ce supplice?

— Ils s’accouplent, Clémence, lâcha-t-elle pour combler notre silence.

Elle boucha le trou et retourna s’asseoir. Je la suivis et me rassis à ses pieds.

— Imagine! J’avais ton âge lorsque je suis arrivée à la cour de France pour épouser le fils du roi, le duc d’Orléans.

J’ouvris grand mes oreilles, touchée et fière d’être la confidente de la reine de France.

— Déjà, il me rejoignait peu souvent le soir. Mais, le comble, vois-tu, c’est que c’était cette putain qui le poussait à venir me rejoindre. Nous n’arrivions pas à avoir d’enfant. Diane est devenue notre conseillère. Je devais composer avec elle, faire semblant d’être son alliée. Elle disait au roi quelle position adopter avec moi, la position la plus adéquate pour que je tombe enceinte, selon elle. Dix ans à attendre, dix ans sans enfants où j’ai tout, absolument tout essayé, y compris la magie. Je ne me suis pas arrêtée à la seule science de l’astrologie, Clémence. J’étais désespérée. Mais ce désespoir m’a rendue patiente. Il a même fait ma force. C’est par ce trou que j’ai fait percer que je suis parfois leurs conversations. J’ai vécu les pires humiliations, mais, si je ne voulais pas être répudiée, je devais m’allier à elle. Quant à cette courtisane, la seule raison qui la poussait à encourager Henri à me garder alors que tous me croyaient stérile, c’était son âge. Elle avait peur qu’il se marie à une femme plus jeune et qu’il en tombe amoureux. Toute la cour parlait de répudiation, le conseil royal se montrait favorable au divorce pour assurer l’avenir du royaume, les Guise, fidèles à leurs ambitions, avaient proposé l’une de leurs sœurs pour me remplacer. La peur de se désavouer elle-même tenaillait aussi la duchesse, car il ne faut pas oublier qu’elle et son mari avaient souhaité mon mariage avec le roi. C’était au manoir d’Anet, chez Louis de Brezé1, grand sénéchal de Normandie, que le contrat de mariage avait été signé. Elle est talonnée par la crainte de perdre le pouvoir qu’elle détient sur le roi et qui lui permet d’en tirer un maximum, que ce soit en avantages pécuniaires, car elle est vénale, ou en pouvoir sur la cour. L’appréhension de perdre tout cela l’empêchait de dormir, tout comme moi. Je me suis donc alliée à la personne que je hais le plus au monde. Savais-tu, Clémence, que nous avons un lien de parenté, Diane et moi?

Catherine de Médicis partit d’un rire qui sonnait faux.

— Nos grands-parents respectifs étaient frère et sœur… Je lis l’étonnement dans tes yeux. C’est la putain et son époux qui sont arrivés à convaincre François Ier de marier l’un de ses fils à moi. De quoi aurait-elle eu l’air, si le destin avait prouvé qu’elle s’était trompée? Tout est question d’intérêt personnel dans cette cour de vautours. Et je suis assez laide, petite et grosse pour ne pas constituer une trop grande concurrence. C’est l’unique raison de son soutien. As-tu noté, Clémence? Bien sûr, tu as remarqué toutes les pièces qui leur sont accordées, mais aussi, à l’extérieur, sur chaque façade, leurs initiales entrelacées, H et D. Et je suis la reine. Une reine de pacotille! C’est cette garce qui dirige tout. Elle passera plus vite à la postérité que moi, avec ses initiales mêlées à celles du roi. Elle est sa reine, moi, pas.

Elle se tut quelques secondes, le regard perdu dans le vide. Puis elle me fixa :

— Sais-tu que tu peux être l’une de mes meilleures alliées en devenant une courtisane?

C’est là que tout a commencé. Non, en réalité, c’est quelques mois plus tôt que doit s’amorcer mon récit.

Mon nom est Clémence et je suis née fille du marquis de Lonjais. Difficile de se présenter en quelques mots quand on a le sentiment de ne pas avoir toujours été une seule et même personne. Je pourrais me présenter comme une femme qui a vécu dans les plus beaux endroits de France, une femme qui a eu une vie étonnante en suivant la cour du roi de France de Blois à Fontainebleau, du Louvre à Saint-Germain-en-Laye, de Chambord à Cheverny. Mais cela n’en dit pas beaucoup sur ma personne.

Mon existence n’a pas toujours été simple, au milieu d’événements dramatiques pour notre royaume. J’étais toute jeune quand les premières guerres de religion ont éclaté. Les personnes de mon âge encore en vie disent souvent qu’elles auraient préféré vivre à une autre époque et se plaignent d’avoir connu un siècle aussi sombre. Elles envient la belle époque du règne d’Henri II. Déjà, quand j’avais quinze ans, les anciens regrettaient les fastes de la cour de France du temps de leur verdeur, c’est-à-dire à l’époque du règne du grand François Ier. À y réfléchir, les ravages qu’ont causés les guerres de religion ont sublimé les règnes précédents par la comparaison qu’on en fait.

* * *

Et je suis là, ce soir, avec une irrépressible envie d’écrire. Mon grand âge, sans doute! Je me demande pourquoi je ne l’ai pas fait avant. Me voilà revivant ma propre vie. C’était il y a si longtemps que c’est à croire que c’était une autre personne que moi… Peut-être que quelqu’un lira ces quelques pages dans plusieurs siècles et découvrira l’histoire d’une femme qui a vécu à la cour de Catherine de Médicis, qui l’a connue comme personne.

Je ne changerais ma vie contre aucune autre, si cela était à refaire. Catherine de Médicis a été une grande reine. Ma dernière volonté avant de quitter ce monde serait que l’histoire lui reconnaisse ce mérite. Car beaucoup l’ont haïe. Elle est restée à tout jamais pour certains une étrangère en terre hostile. Témoin des premières loges, je l’ai vue se battre pour permettre aux protestants de vivre en paix avec les catholiques, en faisant ce qui était en son pouvoir pour éviter d’en arriver aux guerres. Tout ce sang qui a coulé n’est pas son fruit, comme certains osent l’affirmer. C’est celui des fanatiques, d’un côté comme de l’autre.

Aujourd’hui, je suis une vieille dame au crépuscule de son existence. Alors que Catherine de Médicis est morte depuis longtemps circulent encore des pamphlets l’accusant de turpitudes à tire-larigot, dont le massacre de la Saint-Barthélemy. Ces mensonges n’ont que trop duré. Avant de mourir, je veux trouver la force de laisser quelque chose pour elle.

Les protestants éprouvent le besoin naturel d’associer un coupable aux souffrances qu’ils ont endurées. Comme ils disposent d’excellents écrivains, ils s’en donnent à cœur joie et attribuent à cette grande femme tous les maux que la France a connus ces dernières décennies. Ils ne savent pas combien de fois elle est intervenue secrètement pour sauver l’un des leurs du bûcher. Ou ils l’ont oublié. Catherine de Médicis est chargée de tous les péchés. Sa vie durant comme après sa mort, elle fut traitée d’intrigante et d’empoisonneuse en série. Cela me brise le cœur.

Il est vrai qu’elle a dû parfois en passer par des actions violentes, mais ce fut toujours pour le bien du royaume et toujours en derniers recours, lorsque le choix n’était plus possible. Elle a donné sa vie entière pour la France. Oui, elle aimait gouverner, elle aimait le pouvoir, mais pas à des fins personnelles. C’était pour pacifier le royaume de ses fils. Elle reste innocente de beaucoup des crimes dont on l’accuse et c’est une monstrueuse caricature qu’on fait d’elle lorsqu’on la fait passer pour une criminelle.

Elle fut une grande femme d’État. Dieu fasse que les générations futures lui reconnaissent ses mérites.

 

I
RETOURNEMENT D’UNE DESTINÉE

Si j’étais Dieu le Père et que j’avais deux fils, je donnerais à l’un le Ciel et à l’autre la France.
D’après Charles Quint

La vie qu’on avait prévue pour moi était tout autre que celle qui m’attendait. La tradition chez les Lonjais était que la cadette prenne le voile dès son seizième printemps. Je serais donc entrée au couvent si mon père n’avait connu de longue date un certain André de Beauvois.

Ce personnage était issu d’une noble lignée remontant au XIe siècle. Il possédait quelques terres en Gascogne et un petit manoir. Point argenté par sa famille et célibataire, il travaillait pour Diane de Poitiers, la grande favorite royale à qui il était très attaché. Devenu riche à son service, il aurait pu décider de s’installer loin de la cour. Mais il préférait rester auprès d’elle. Il aimait la vie trépidante de la cour, qui était le centre politique et économique de tout le royaume. C’était là où tout se jouait.

André de Beauvois changea le destin de la jeune fille insignifiante que j’étais. Mon père et lui avaient vécu ensemble à la cour de François Ier. Ils avaient été les meilleurs amis du monde. À la mort de mon grand-père, père avait hérité des terres des Lonjais en Gascogne et du titre de marquis. Il avait quitté Paris jeune marié pour s’y installer définitivement. Ma mère et lui avaient eu cinq enfants dont je suis la dernière. Ma sœur aînée fut mariée à l’âge de dix-sept ans à un seigneur voisin des terres de Lonjais. Sa dot revint très cher à mon père, à savoir une infime partie de ses terres, mais presque tous les bijoux de ma mère, morte à ma naissance. Le premier de mes frères, René, était destiné à hériter du domaine de mon père. Le deuxième, Antoine, avait choisi d’entrer dans les ordres à l’âge de quinze ans. Il avait dit adieu à la vie publique pour un cloître à Bordeaux.

Quant à Clarence, qui n’avait qu’une année de plus que moi, il nous avait quittés à treize ans, emporté par une pneumonie. C’était celui de mes frères de qui j’étais le plus proche, mon confident d’enfance. Nous n’avions pas besoin de parler pour nous comprendre. Mes souvenirs de Clarence ont sans doute été sublimés au fil du temps. Néanmoins, une petite voix m’a soufflé que j’aurais été différente s’il avait vécu, que, pour garder son estime, j’aurais refusé de m’adonner à certaines pratiques pour le bien de la France. Si Clarence était devenu adulte à mes côtés, n’aurais-je pas réagi différemment un certain soir de juin 1558, dans la chambre de Catherine de Médicis, alors qu’elle me confiait une mission quelque peu déconcertante? Peut-être Dieu l’a-t-il rappelé à lui pour me laisser accomplir cette étrange destinée auprès d’une grande reine, qui sait…

* * *

Janvier 1558 – Château de Lonjais, en pays de Gascogne

— Monseigneur, monsieur votre ami est là!

Bertrade releva ses jupons de toile agrémentés de dessins floraux pour courir plus aisément en direction du bureau de mon père. Ce dernier sortait tranquillement de sa salle de travail en lissant de la main sa moustache grisonnante.

— Il traverse la cour du château, monsieur le marquis. Il est sur un destrier tout blanc. Quel magnifique animal!

— Ne cours pas, ma bonne Bertrade. Il n’y a point d’urgence. Ne va pas te blesser en t’affolant de la sorte.

— Oh! mais je ne m’affole pas, mon bon seigneur! Seulement, malgré le soleil radieux, l’air est glacial à l’extérieur. Ce pauvre monsieur risquerait fort de prendre froid et de…

— Ta, ta, ta! Pas d’inquiétude. Mon ami en a vu de bien pires autrefois. Il était aux côtés de notre bon roi François pour traverser les Alpes en plein frimas et rejoindre l’Italie. Ce n’est pas l’hiver de la Gascogne qui risque de l’effrayer.

Père partit d’un rire tonitruant qui résonna dans le vestibule et qui sembla déplaire à Bertrade. S’étant aperçu de son air renfrogné, mon père essaya de se racheter en lui tapotant affectueusement la joue.

— Allez, Bertrade, tu as bien raison, je vais de ce pas accueillir mon cher André.

Alors qu’il s’avançait vers la porte, il se retourna subitement.

— Où sont donc mes enfants?

— Mais ici, mon cher papa, en ce qui me concerne! m’écriai-je. Depuis le début de l’après-midi, je suis près du feu à lire. Vous savez bien que cette grande pièce, même si elle n’est que le vestibule, reste ma préférée! Vous ne me voyez pas, trop occupé à vos discours!

Je le taquinais en me calant au fond du fauteuil. Les yeux de mon père s’illuminèrent en me découvrant, un livre à la main.

— Quant à René, repris-je, il est présentement affairé dans la salle des combats.

— Comme d’habitude! Sempiternellement l’entraînement! Il faudra pourtant bien qu’il se mette dans les comptes! Les terres de Lonjais sont loin d’être aisées à gérer. Il faut qu’il sache comment s’y prendre avant que je ne quitte ce monde.

— René a juré que tant qu’il ne frapperait pas avec précision le cœur du mannequin il ne cesserait l’exercice.

— Jouter contre un mannequin monté sur un pivot n’est pas un vrai combat, critiqua mon père. Il doit trouver un compagnon avec qui s’entraîner. Quand donc m’écoutera-t-il?

Il soupira bruyamment comme il le faisait chaque fois qu’il était contrarié.

En plissant les yeux malicieusement, je me levai pour embrasser cet homme que j’adorais. Je n’avais jamais connu ma mère et il était tout pour moi. Un baiser sonore sur la joue m’accueillit et les moustaches de mon père me chatouillèrent, ce qui me fit rire.

— Enfile un lainage. Nous allons accueillir comme il se doit monsieur de Beauvois.

Après m’avoir tendu mon manteau, Bertrade ouvrit la porte sur un soleil éclatant malgré les froidures de l’hiver. Le ciel était bleu à perte de vue. Il n’y avait pas une once de vent. J’aspirai l’air pur de ma région avec délice. Robin, le palefrenier, avait déjà mis au chaud le cheval de monsieur de Beauvois, qui gravit bientôt les marches du palier. Il avait les cheveux grisonnants coupés court et la barbe blanche, à la mode depuis le jour où François Ier avait laissé pousser la sienne pour cacher les cicatrices de son visage. Ses yeux noirs pétillants de malice me conquirent sur-le-champ. Sa démarche était devenue pesante avec les années, qui avaient laissé s’affirmer un certain embonpoint. Élégamment vêtu, il portait un pourpoint en velours noir agrémenté de dessins dorés compliqués; légèrement ouvert sur le devant, le vêtement laissait échapper une chemise en toile blanche agrémentée de broderies. Une cape noire doublée de velours l’avait tenu au chaud pendant son voyage. Voilà André de Beauvois tel qu’il était en ce début d’année 1558. Éclatant de rire en raison du bonheur qu’ils éprouvaient de se revoir, père et son ami tombèrent dans les bras l’un de l’autre en se pétrissant le dos de tapes amicales.

— Tu n’as pas changé, par ma foi, Gilbert!

— Et toi donc! Le même qu’à vingt ans! répondit mon père.

— Oh! oh! Tu exagères, mon ami, fit monsieur de Beauvois.

— Que nenni! Je te dis que tu es le même jouvenceau que celui qui aimait à écrire des poèmes aux belles donzelles! Te souviens-tu de celle-là? Celle que tu aimais tant, la seule qui t’ait résisté?

Mon père leva le menton, les yeux perdus dans le ciel bleu, comme si celle-là allait lui faire un signe pour lui remémorer son nom. Son ami, qui avait rejoint sa pensée, devint rouge pivoine, fait inattendu chez une personne de son âge, vivant à la cour de surcroît, où il était de notoriété publique que la timidité n’avait pas sa place.

— Comment aurais-je pu l’oublier, Gilbert? répondit-il malgré son embarras. Si je ne me suis point marié, c’est bien parce que je fus incapable de m’enticher d’une autre après elle, figure-toi. Encore maintenant… barbon que je suis!

— Quel était son nom, déjà? Bon sang que la mémoire me fuit!

— Adélaïde. Elle est morte en couches il y a bien longtemps. Mais n’en parlons plus, je te prie. C’était une autre vie.

— Ah! la belle vie! s’exclama mon père en poussant un soupir bruyant. Entre donc, André. Je manque à tous mes devoirs à te laisser parler ici.

Alors qu’ils passaient la porte d’entrée, André de Beauvois découvrit subitement une présence, cachée jusqu’alors derrière le marquis de Lonjais et qui attendait d’être présentée. Il eut un franc mouvement de surprise.

— Mais qui voilà? interrogea-t-il, l’air malicieux.

— Clémence, pour vous servir, monsieur, répondis-je en le saluant d’une inclination de la tête.

— Chère petite Clémence!

Il pivota sur lui-même pour s’adresser à mon père.

— La dernière fois que je l’ai vue, elle avait douze ans, si ma mémoire est bonne?

— C’est exact, confirma père. C’était il y a trois ans, lors de ton dernier passage en Gascogne.

— Ta fille a bien changé en trois ans seulement! Extraordinaire! Je vais te jurer quelque chose Gilbert, et tu sais que je tiens mes promesses.

— Pour ça, mon compère, il n’y a aucun doute. Mais fermons d’abord la porte, l’enjoignit le marquis. Bertrade avait bien raison, il fait un froid de canard.

Du geste, mon père invita son ami à passer au salon, attenant au vestibule que j’affectionnais tant parce que tous les portraits de nos ancêtres y étaient réunis, ainsi que celui de mon père; en outre, il y avait là une grande cheminée et des fauteuils coquets où je pouvais m’adonner à l’une de mes activités favorites, la lecture.

Nous nous installâmes confortablement autour de la grande table. Alors que Bertrade nous servait du vin et des biscuits, mon frère nous rejoignit. René était un jeune homme de vingt et un ans d’une grande beauté, avec ses yeux verts en amande et sa chevelure blond foncé. Il était d’un naturel calme et posé qui déplaisait parfois à mon père. Quelque peu fougueux, il ne se retrouvait pas dans le tempérament de son fils.

— C’est une joie de vous revoir, jeune homme, assura Beauvois en serrant la main de mon frère.

— Je suis honoré, monsieur, répondit René, visiblement flatté.

Après que les questions d’usage eurent été échangées, Beauvois se retourna vers moi. Il m’adressa un regard franc avant de fixer mon père et de laisser tomber :

— Revenons à ma promesse, si tu le veux bien, mon ami.

— Quelle est-elle? interrogea le marquis, piqué par la curiosité.

— Si vous êtes d’accord tous les deux, je m’engage…

Il marqua une pause, sûr de son effet.

— … à faire entrer Clémence à la cour de France.

— La cour de France! s’exclama René en s’étranglant avec son vin. Rien que cela!

Père échangea un bref regard avec moi avant de fixer à son tour son vieux comparse. Moi, je n’en croyais pas mes oreilles.

— Qu’en dites-vous? interrogea monsieur de Beauvois, encouragé par la réaction de mon frère.

Il nous observa, père et moi, à tour de rôle. Il ne semblait pas douter de notre réponse, à en juger par le sourire serein qui ne le quittait pas.

— Pour ma part, j’en serais ravi pour Clémence, mais la décision lui revient d’accepter ou non, dit enfin mon père. Elle a déjà une place réservée au couvent des Églantines, à dix lieues d’ici. Elle doit y entrer à ses seize ans. Mon unique exigence est qu’elle réfléchisse avant de décider de son avenir.

— Et toi, petite? demanda son ami en me regardant au fond des yeux.

— Oui, bien sûr, monsieur. Je serais ravie d’aller à la cour du roi, répondis-je sans l’ombre d’une hésitation dans la voix.

— Mais comment peux-tu être aussi sûr de toi? s’enquit père auprès de Beauvois. Une place à la cour de France, tout de même! Toutes les familles de la noblesse française en rêvent, mais il faut bien des appuis pour en obtenir une.

— Diane de Poitiers ne me refuse rien, affirma Beauvois avec une vigueur mélangée d’orgueil. Avec tout ce que j’ai fait pour elle… Et puis, quand elle verra Clémence, elle n’hésitera pas une seconde.

Sa voix s’adoucit et il renchérit :

— Entre nous, une aussi mignonnette demoiselle ne saurait passer sa vie à prier pour le salut des autres; conviens-en, mon ami!

— C’est la tradition dans la famille, tu le sais bien, protesta mollement mon père. La cadette se consacre…

— Oui! oui! l’interrompit Beauvois en agitant les bras dans tous les sens. La cadette au couvent! Au diable les foutues traditions! La cour est un endroit magique, bien mieux adapté à la jeunesse qu’un couvent où les jeunes filles meurent prématurément d’ennui. Comment peux-tu rechigner à l’idée de placer ta fille dans la maison de la femme la plus puissante de France? Elle bénéficiera d’une éducation mondaine, et peut-être pourra-t-elle réaliser un excellent mariage! Rappelle-toi ta petite sœur, Pénélope, qui s’était entichée d’un jeune homme qui l’aimait tendrement. « La tradition! » a clamé ton père, et on l’a enfermée dans une communauté de bonnes sœurs. Combien de temps a-t-elle vécu?

J’échangeai un bref regard avec René qui paraissait aussi captivé et surpris que moi. Jamais notre père ne nous avait raconté cette histoire.

— Mais elle est morte de la peste! Cela n’a rien à voir! répliqua mon père en accompagnant ces mots d’un geste de la main signifiant qu’il ne fallait pas revenir là-dessus.

— Cela a tout à voir! Si on l’avait laissée vivre sa vie et épouser celui qu’elle aimait, elle serait peut-être encore là aujourd’hui.

Mon père baissa la tête, vaincu. Sans doute avait-il toujours pensé de même, pour ne pas insister plus qu’il ne le faisait. Quant à moi, j’étais éberluée. Le ciel venait de me tomber sur la tête, un ciel somptueux, proche du paradis.

Je n’écoutais plus que d’une oreille les plaisanteries de mon père et de son ami, rêvant déjà à la nouvelle vie qui m’était offerte. Quelle meilleure fortune aurais-je pu espérer?

* * *

Monsieur de Beauvois séjourna cinq petits jours sur les terres de Lonjais. À son départ, mon père lui donna son agrément, ravi finalement d’une si belle occasion qui pouvait m’apporter un beau mariage arrangé par Diane de Poitiers. Père m’avait longuement interrogée avant de s’engager auprès de son ami. Oui, oui, oui! je voulais aller à la cour et il n’était point besoin de réfléchir!

Beauvois repartit donc pour Fontainebleau, où résidait la cour à cette période de l’année. Nous étions en janvier 1558. Ce même mois, le fameux François de Guise venait de reprendre Calais aux Anglais, applaudi par le royaume entier.

André de Beauvois parla de moi à la grande maîtresse royale, Diane de Poitiers. Il ne se contenta pas de lui faire mon portrait physique; il mit surtout en valeur mon éducation au sein d’une grande famille française. Il parla de mes connaissances artistiques et littéraires, ainsi que de mes bonnes manières. Il n’oublia évidemment pas de mentionner que j’étais aussi bonne cavalière que mes frères – selon ce que lui avait dit mon cher père! –, que j’avais étudié le latin et que j’étais une chrétienne irréprochable.

J’appris tout cela de sa propre bouche le jour où il vint en personne nous informer que j’étais attendue à la cour pour un entretien avec la maîtresse du roi. C’était surtout ses derniers arguments, nous expliqua-t-il, qui avaient convaincu la duchesse de Valentinois, Diane de Poitiers, de me recevoir. Elle accordait beaucoup d’importance à l’éducation des jeunes filles qui représentaient la cour de France. Leur haute naissance était une condition nécessaire, mais c’était loin d’être suffisant.

Diane de Poitiers exigeait de ses dames d’honneur des manières irréprochables. Par exemple, de se toucher une partie du visage avec les mains était le signe d’une absence totale d’éducation; il ne fallait pas se curer les dents en public ou chanter si on avait le timbre faux; il fallait se retenir d’éternuer ou de tousser fort. La religion était aussi un critère primordial, surtout depuis la montée de l’hérésie en France; la duchesse n’aurait jamais admis à la cour une jeune fille susceptible d’embrasser la nouvelle religion, même si, c’était de notoriété publique, vivaient à la cour nombre de servants qui s’étaient convertis, bientôt suivis par des nobles. Mais la favorite luttait contre la Réforme et poussait Henri II dans ce sens. Le nombre des bûchers allumés sous le règne de François Ier avait explosé. Ils suppliciaient des centaines d’hommes et de femmes qui refusaient d’abjurer.

Depuis quelque temps, les prédicateurs calvinistes osaient s’établir en France pour gagner des adeptes. Cela inquiétait beaucoup Diane de Poitiers, mais plus encore la puissante famille des Guise. En 1557, l’année de mes quatorze ans, le roi de France avait décidé de demander au pape de lui envoyer la redoutable Inquisition. Tout le royaume avait frémi d’horreur à cette perspective. Le roi voulait se débarrasser de l’hérésie une bonne fois pour toutes. Cela ne se fit pas, Henri II étant alors trop occupé par la guerre contre les Espagnols.

Au début de l’année 1558, juste avant que je quittasse mon père pour entrer au service de ma future maîtresse, le pape avait envoyé un cardinal en France pour encourager la lutte contre l’hérésie. Toutefois les protestants continuaient à tenir leurs assemblées. Ils organisaient des rencontres pour prier et chanter des psaumes. Des dizaines de personnes y participaient. Dans le royaume, il y avait des localités où les calvinistes commençaient à être nombreux. Ils y seraient bientôt majoritaires et insulteraient les catholiques, qui riposteraient. Dans mon pays, la Gascogne, il y en avait déjà beaucoup. Mais je ne croyais pas qu’il s’en trouvât parmi mes connaissances.

À Paris, les protestants changeaient sans cesse de lieu pour se cacher. La capitale comptait plus de 300 000 habitants, c’est dire à quel point il leur était aisé de trouver un repaire. Ils devaient néanmoins compter avec la police et l’appât du gain qui motivait les délations. Petit à petit, un fossé se creusait entre deux factions de la noblesse et opposait déjà les partisans de la famille des Guise à ceux de Gaspard de Coligny, même s’ils restaient courtois pour sauver les apparences, pour le moment.