Dans la même collection
Béatrice Vigot-Lagandré, Petit traité de l’omelette
Martine Agrech, Petit traité de la farine complète
Pierre-Brice Lebrun, Petit traité de la boulette
(Prix Cerise sur le gâteau 2009 du Festival des littératures gourmandes)
Mireille Gayet, Petit traité de la confiture
Mireille Gayet, Grand traité des épices
Prix Gourmand Awards Illustrations, 2010
Olivier Gaudant, Petit traité des sauces
Martine Agrech, Petit traité de l’huile d’olive
Illustrations : Mireille Gayet
www.lesureau.com
www.adverbum.fr
ISBN 978-2-911328-58-9, pour la version imprimée
ISBN 978-2-364020-85-6, pour la version ebook
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Abréviations
g : gramme
kg : kilogramme
cc : cuillère à café
cs : cuillère à soupe
cl : centilitre
l : litre
sec : seconde
min : minute
h : heure
mm : millimètre
Les pâtes ! Il en existerait six cents modèles différents – trois cents pour la seule Italie –, mais de manières de les préparer, autant que d’individus. On se transmet de bouche à oreille les recettes familiales, les secrets et les tours de main : d’un village à l’autre change la bolognese, se transforme le pomodoro et s’épice différemment l’arrabbiata. Les pâtes ! On en trouve des longues, des courtes, des farcies et des faciles à gratiner, des dures, des molles, des droites et des coudées, des fines et des joufflues, des creuses ou des rebondies, des torsadées, des concaves et des rainurées : afin de nous ôter nos complexes devant une telle profusion de variétés (ô gué, ô gué), on devrait nous donner des cours sur les pâtes ! Nous en apprendre la vie privée pour que nous puissions aisément nous jouer en cuisine de leurs secrets et de leurs spécificités. Vous saurez, après avoir lu ce livre, tout tout tout, vous saurez tout sur la pasta, vous pourrez en fabriquer vous-même (de toutes les couleurs), vous pourrez inventer, transformer, improviser des recettes : les spaghettis, les macaronis, les tagliatelles et leurs amis, bonnes pâtes, se prêtent à toutes les expériences, à tous les assemblages, à toutes les initiatives (certains peuples de Belgique servent même encore en dessert des macaronis sucrés). Les pâtes ! Plat populaire par excellence, on les apprête avec des restes, avec ce que l’on a sous la main : c’est ainsi par exemple que sont nées les carbonara. Les pâtes ! Elles se laissent cuisiner à toutes les sauces et s’apprécient aussi nature, sans autre forme de procès. Elles ne sont pas nées d’hier, mais elles ne sont pas plus italiennes que la tomate, qui nous vient du Pérou : comme l’alcool, la distillation, le droit et le parfum, elles ont vu le jour à Babylone. Les Siciliens, qui à l’époque étaient normands, sont les premiers Européens à s’en être nourris. Les Italiens ont ensuite érigé la pasta au rang d’Art, mais limiter aux pâtes la gastronomie italienne serait néanmoins une grave erreur : elle est du monde l’une des plus abouties. Nous aimons particulièrement – c’est une utile précision – la découvrir et la déguster au Cherche-Midi, un restaurant italien d’une rare qualité, installé à Paris 6e dans la rue éponyme.
Un classique repas italien se compose d’antipasti (charcuteries, légumes à l’huile, au vinaigre ou au sel, salades, fruits de mer, coquillages ou crustacés), de primi platti (pâtes, risotto, polenta ou minestrone), de secondi platti avec de la viande (secondi di carne) ou du poisson (secondi di pesce) accompagnés de contorni (salade ou légumes en garniture).
Il se termine par du formaggi (l’Italie en compte près de quatre cent cinquante sortes dont nous ignorons tout ou presque), des dolci, des biscotti ou des gelati : en Italie, la vita è una canzone, un piatto di pasta…
Les accords mets& vins proposés par cet ouvrage – fort subjectifs et toujours discutables – sont à consommer avec modération et délectation : le vin, disait Alexandre Dumas (qui connaissait bien le rayon), est « la partie intellectuelle d’un repas, les viandes et les légumes n’en sont que la partie matérielle ». Les pâtes en sont à mon avis le côté artistique.
Toutes les recettes s’entendent, sauf mention contraire, pour quatre personnes pourvues d’un appétit que nous oserons qualifier de normal.
En 1295, Marco Polo (1254-1324) revient à Venise, après un exil asiatique de vingt-quatre ans : trois ans de voyage, dix-sept sur place et quatre pour le retour. Ils furent six cents à partir, mais dix-huit seulement arrivèrent place Saint-Marc. Il faut dire que, comme Ulysse, heureux d’avoir à faire un si beau voyage, Marco Polo, pas pressé, en profite pour visiter Sumatra, Ceylan, Ormuz, Bassora et Bagdad avant de rejoindre Damas à dos de dromadaire…
Sitôt rentré, il fait armer une galère équipée d’une pierrière, sorte d’archaïque canon, pour s’en aller combattre, des Vénitiens, l’ennemi de toujours : les Génois.
Il est fait prisonnier le 8 septembre 1298, après la défaite de Curzola, une île proche de la côte dalmate. Ironie du sort : revendiqué comme Vénitien, Marco Polo est dalmate, né probablement à Curzola.
Il profite de sa détention pour dicter à Rusticello de Pise, un écrivain italien familier de la cour du roi d’Angleterre, qui partage sa cellule, son Devisement du Monde, traduit alors en français sous le nom de Livre des Merveilles. Il y raconte que les Chinois utilisent le blé pour fabriquer « toutes sortes de pâtes ». Il précise qu’ils « n’ont pas l’usage du pain » et, selon la traduction de William Marsden (1818), qu’ils ne « mangent le blé que sous forme de vermicelles ou de pâtisserie ».
Gregory Blue, dans son article Marco Polo et les pâtes (in Médiévales, 1991), se penche sur les différentes traductions d’Il Milione, l’autre nom de l’ouvrage de Marco Polo.
A-t-il voulu vraiment évoquer les pâtes, la pâtisserie ou les pâtés ?
A-t-il réellement dit, comme le pense William Marsden, « vermicelles » ou « nouilles » ?
Rusticello de Pise a pris la dictée dans un drôle de sabir francopisan, francisé en 1307 par Thiébaud de Cépoy mais, dès que le manuscrit a pu quitter la cellule, il a été traduit en latin, en toscan et en vénitien par quantité de copistes : chacun y a mis son grain de sel…
Gregory Blue conclut que « rien ne prouve que Marco Polo a fait une quelconque mention de lasagnes ou de pâtes à propos de la Chine » et que « nous ne disposons d’aucun témoignage écrit […] pour étayer l’hypothèse qu’il rapporta de Chine de nouvelles sortes de pâtes ».
D’ailleurs, plusieurs documents évoquent dès août 1244 l’existence des pâtes à Bergame, Florence et ailleurs.
Mais alors, d’où vient-elle, cette tenace légende ? Des États-Unis, comme d’habitude ! Non contents d’avoir mixé notre Saint-Nicolas d’origine turque avec le bonhomme Noël des Irlandais, vert comme le trèfle de saint Patrick, pour habiller leur père Noël aux couleurs d’une boisson gazéifiée, ils ont tenté de nous faire avaler des sornettes sur nos coquillettes !
C’est le Macaroni Journal, organe de presse et de communication de la National Macaroni Manufacturers Association (devenue National Pasta Association en 1981) qui a lancé l’info dès sa création, en 1904 !
Aujourd’hui, sur son site internet (www.ilovepasta.org), le Macaroni Journal dément enfin : Marco Polo n’a pas découvert les pâtes ! Mais le mal est fait, mesdames, messieurs !
Pour se faire pardonner, la National Pasta Association s’est associée à l’International Pasta Organization (IPO), fondée en octobre 2005 à Barcelone lors du troisième congrès mondial des pâtes, pour créer la Journée mondiale des pâtes : la première édition a eu lieu le 26 octobre 2009 (www.worldpastaday.org) !
On affirme – mais allez savoir à quel point c’est exact – que Thomas Jefferson (1743-1826) a introduit les macaronis aux États-Unis.
Le troisième président des États-Unis (1801-1809) a d’abord été ambassadeur en France (1785-1789). Il s’est beaucoup « promené » en Europe.
Gourmet et œnologue, on raconte aussi qu’il a fait connaître aux States (je suis à bout de synonymes) les gaufres et la crème glacée. Il aurait découvert les macaronis à Naples et aurait aussitôt envoyé chez lui une machine à les fabriquer. Rappelons que c’est lui qui, le 4 juillet 1803, a acheté la Louisiane à la France : elle couvrait le quart du territoire des États-Unis et d’après Napoléon – un grand visionnaire –, elle ne valait rien…
Il aurait découvert les pâtes à Naples : il y en avait pourtant déjà pas mal en France.
Et depuis longtemps.
On pense qu’elles ont profité, pour y entrer, des guerres menées en Italie par François Ier entre 1515 et 1519 : des soldats français, qui sur place en ont été nourris, en ont rapporté d’entiers paquets. 1515 ! La fameuse bataille de Marignan (en italien Melegnano) s’est déroulée à 16 km au sud-est de Milan les jeudi et vendredi 13 et 14 septembre. Elle a opposé les Français et les Suisses. Le chevalier Bayard y a participé. Beaucoup la confondent – situant Marignan dans la Vienne – avec la bataille que le chef des Francs, Charles Martel, père de Pépin le Bref et grand-père de Charlemagne, a mené le 25 octobre 732 au nord de Poitiers pour arrêter une armée de musulmans menée par Abd el-Rahman, gouverneur d’Espagne. On raconte aussi que l’on doit à la Florentine Catherine de Médicis (et à son cuisinier Domenico Romolli, inventeur probable des saltimbocca alla romana) l’arrivée en France de ces mêmes pâtes italiennes : de peur d’en manquer – on la comprend –, elle en aurait emporté une grande quantité dans ses bagages lorsqu’elle a épousé Henri II le 28 octobre 1533 à Marseille. Nous pouvons donc raisonnablement en conclure que les pâtes sont arrivées en France entre 1519 et 1533 : elles étaient déjà très présentes depuis longtemps en Italie et en Catalogne.
La première usine de pâtes alimentaires américaine n’était pas italienne !
Elle a été inaugurée à Brooklyn en 1848 par Antoine Zerega, meunier français natif de Lyon (et au Canada, à Montréal, en 1867, par Charles-Honoré Catelli).
Monsieur Zerega avait installé un cheval dans le sous-sol de sa manufacture pour faire fonctionner sa machine. Il faisait sécher ses pâtes au soleil, sur le toit de son entreprise.
La société existe toujours, à la même adresse (www.zerega.com).
L’immigration italienne aux États-Unis a réellement débuté dans les années 1880, donc bien après la mort de Thomas Jefferson.
Elle a atteint son apogée entre 1900 et 1914 : elle représente aujourd’hui (recensement de l’an 2000) « le sixième plus grand groupe de population selon son origine, avec environ 15,6 millions d’habitants », soit 5,6 % de la population américaine !
Même Raymond Oliver – le célèbre Raymond Oliver ! – a repris à son compte ces niaiseries marco-poliennes : « la nouille remonte à la nuit des temps, probablement au troisième millénaire avant le Christ : ce sont les Chinois qui les fabriquaient et la recette en fut transmise de génération en génération jusqu’à ce que Marco Polo, de retour à Venise, apprenne à ses compatriotes à en modeler la pâte » (in Célébration de la Nouille, Raymond Oliver, Robert Morel, 1965).
Oui, Raymond Oliver a écrit Célébration de la Nouille.
Non, il n’a pas été adapté au cinéma par Marc Dorcel.
Si ce n’est pas Marco Polo, qui est-ce ? C’est ce que nous allons tenter de découvrir…
En fait, dans un premier temps, tout dépend de quelle pâte on parle : de la pâte aux pâtes, il n’y a qu’un pas. On peut raisonnablement affirmer que, très tôt après avoir « découvert » les céréales, l’homme a inventé la farine : très vite, il l’a mélangée avec de l’eau pour en faire de la pâte et très vite, il a eu l’idée de la cuire. La même pâte, ou à peu près, est donc devenue pâte à pain ou à pizza, pâte à nouille, pâte à tarte ou à tourte…
On sait qu’à l’époque romaine existait déjà la pizza.
On en a retrouvé par exemple des traces à Pompéi : des molles (artolaganum) et des croustillantes (tracta). On parle aussi de lasagnes, constituées de fines feuilles de pâte bouillie (lagana) dressées en alternance avec des couches de farce faite, semble-t-il, de restes de viande, de poisson, d’œufs battus, d’huile d’olive, de vin et de liquamen, une sorte de garum.
Ouvrons ici une courte parenthèse pratique. Nous apprécions tout particulièrement deux pizzerias que nous recommandons à l’aimable assemblée de nos lecteurs affamés : La Brace à Bruxelles (près du Berlaymont) et la Dolce Vita, aux pieds de l’arachnéen hôtel de ville d’Élancourt (Yvelines). Salivons ensemble et fermons cette courte parenthèse.
Les pâtes fraîches de type lasagnes étaient déjà connues des Grecs et des Romains : leur nom proviendrait du grec laganon (lagana au pluriel) et du latin laganum qui, en français, donneront peut-être « lasagne ».
Michel Field, dans son roman L’homme des pâtes (Bernard Barrault, 1989), avance une tout autre explication : « lasagne » viendrait de lasanum et non de laganum. Horace appelle lasanum « le support à pieds d’une une marmite […] qui plus tard sera remplie d’eau ». Il y voit la naissance de « la cuisson humide ». Notons aussi que le rouleau utilisé pour étendre la pâte s’appelle laganatura en dialecte napolitain… Un synonyme de lagana, itria, dérive des itriyyaOld cookwww.oldcook.comLes pâtes