Symbolique
de l’image
et
anthropologie
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
de la présente édition française réservés pour tous pays.
© Henri Viaud, 1986 – Imprimé en France.
ISBN : 9782364030497
COLLECTION MÉDECINE ÉVOLUTIVE
J. F. FROGER
M. G. MOURET
Symbolique
de l’image
et
anthropologie
Éditions PRESENCE
“Écoute un homme d’expérience ; tu en apprendras plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les pierres t’en enseigneront plus que tu n’en pourras acquérir de la bouche d’un magister.”
Cette phrase de Bernard de Clairvaux, que nous plaçons en épigraphe à notre ouvrage, ouvre en effet le champ de notre recherche.
Comment constituer une anthropologie qui ne soit pas une théorie arbitraire liée à une culture marquée par le temps et les conditions particulières d’une société ? Quelles sont les conditions a priori d’une anthropologie ? d’une science de l’Homme qui le décrive en ce qui le constitue homme et non point comme telle ou telle réalisation historique de l’homme ?
La question est d’une singulière importance aujourd’hui — en ce XXème siècle finissant — où l’avènement de communications mondiales unifie les continents, au moins potentiellement, où les échanges de populations par les guerres et le commerce font côtoyer des hommes et des femmes de toute ethnie et de toute culture. Plus encore, l’extraordinaire foisonnement des sciences dites “humaines” façonne peu à peu une idée de l’homme dont les implications ne sont pas toujours conscientes et qui pourrait être monstrueuse si elle se réduisait à une nomenclature “éclatée” de rôles et de conditionnements. L’homme est-il “un animal raisonnable” comme l’affirmait Aristote, est-il le produit d’une évolution biologique hasardeuse, ou encore n’est-il que le résultat de la biologie mariée aux forces socio-culturelles, fruit d’un pur déterminisme historique ?
Qu’est-ce que l’homme ? Voici la question de l’anthropologie. Nous choisissons, pour y répondre, une voie expérimentale.
Nous possédons une immense documentation sur l’homme ! Tout ce qu’il a produit depuis qu’il existe : des graffiti des cavernes aux fusées interplanétaires, de la hache de pierre à l’intelligence artificielle, des récits mythiques transmis par la Tradition orale aux livres de psychologie et de psychanalyse.
L’homme est ce qui construit les pyramides, fait du feu pour se réchauffer l’hiver, chante et danse, tue et engendre, rêve et prie, travaille et détruit son travail… La première voie expérimentale consiste donc à considérer l’ensemble de la production humaine comme objet d’observation, de description et finalement de théorisation. Quelles lois, s’il y en a, président-elles à l’élaboration d’une si formidable production ? Cette voie supposerait une science universelle si extraordinairement encyclopédique qu’elle nous paraît impossible à parcourir.
C’est pourquoi nous proposons une seconde voie expérimentale. Elle renonce à décrire et à théoriser l’immensité des productions humaines au profit d’une autre observation.
L’homme en effet, tant qu’il est vivant, est un système auto-adaptatif plongé dans un réel extérieur : le monde. Aussi ferons-nous comme Bernard de Clairvaux ; c’est en regardant les pierres et les arbres, les rivières et le soleil, que nous apprendrons ce qu’est l’homme.
L’homme est en interaction avec tout ce qui l’entoure. Cette constatation première fournit la voie expérimentale que nous allons explorer. L’interaction est la loi fondamentale que nous posons comme axiome ; elle n’a de vérification que seconde, à savoir par la fécondité explicatrice qu’elle suscite.
Lorsque l’homme voit un arbre, toute la mémoire des expériences gestuelles qu’il a dû avoir lorsqu’il était enfant, va rejouer inconsciemment, même s’il ne reproduit pas les gestes qui lui ont permis de construire en lui-même l’image de l’arbre. Tout se passe comme s’il élevait la tête et qu’il étendait les bras… de telle façon que son interaction à l’arbre se manifeste en son corps par un mime. On peut dire qu’il incorpore l’arbre en un “mimème corporel”. Lorsqu’il nage dans la rivière, il lutte contre le courant, ou s’y laisse entraîner ; par le jeu de ses mouvements, il apprend la force de la rivière et sa propre force musculaire… etc… la puissance du flot est aussi la puissance de son corps.
Ainsi interagissant avec les éléments de ce monde qu’il voit, entend, goûte, touche et sent, toute chose trouve en lui un écho.
Nous nommons l’écho des choses en l’homme : le mimème. L’ensemble des mimèmes forme une connaissance analogique du monde.
C’est avec cette connaissance analogique que l’homme construit son langage et qu’il exprime les circonstances de son être-là-dans-le-monde, qu’il reconnaît sa propre existence. Ainsi le phénomène devient rétroactif. La boucle adaptative est formée. L’homme va pouvoir se décrire lui-même et ce discours de l’homme sur l’homme constitue l’anthropologie.
Le discours anthropologique utilisera donc fondamentalement les images analogiques issues des mimèmes formés dans le rapport premier de l’homme aux choses (les types) pour décrire la circonstance intérieure de leur reconnaissance ; cette reconnaissance est formatrice de la vie psychique (les archétypes).
Lorsque nous parlerons d’arbre, nous pourrons dès lors parler du “type” arbre, c’est-à-dire faire un discours directement descriptif, scientifique, qui relève de la botanique, mais nous pourrons également parler de la circonstance engendrée par le mimème de l’arbre reconnu sous la forme de la relation de la terre au ciel, qui relève du discours symbolique, celui des archétypes.
Ce discours de l’homme sur l’homme qui constitue l’anthropologie est de soi universel.
La voie expérimentale que nous suivrons est donc simple sinon facile. Il s’agit d’examiner l’usage que fait un homme de ces archétypes, de montrer qu’on les retrouve ici et là, tant dans les mythes grecs que bibliques, tant dans des textes du Yi-king que dans des dessins spontanés que l’homme produit.
La description des archétypes, l’analyse et la découverte des lois qui président à leur usage sur une série de dessins est une voie expérimentale.
En effet, l’homme qui dessine réalise graphiquement un discours extrêmement complexe et complet qui “pictographie” sa circonstance intérieure et la traduit en termes d’arbre, de pierre, de maison et de rivière…
Qu’il veuille ou non représenter ces objets de façon objective, il s’en sert comme d’un vocabulaire qui a l’avantage sur le discours verbal de n’avoir pas de contrainte linéaire. Il peut signifier simultanément toute la complexité de cette “circonstance intérieure”. Nous préférons le mot de “circonstance” (ce qui se tient tout autour) au mot “état”, parce que la circonstance est changeante alors qu’un état est fixe. De dessin en dessin, nous voyons la circonstance vivre et se transformer. La constante — “en toute circonstance” — n’est jamais figurée par un objet quelconque mais par une “circonstance des circonstances” que nous appellerons le style.
C’est dans le style (du dessin, de l’habillement, de la langue, du comportement) que se laisse entrevoir l’identité de l’homme. Le style est ce qui caractérise l’individu, son temps et sa société ; il ne fait pas proprement partie de l’anthropologie parce qu’il relève de l’idiosyncrasie.
C’est donc en faisant abstraction du style propre à chaque homme ou à chaque époque que nous atteindrons les lois anthropologiques. Chacun parle une langue particulière, même à l’intérieur d’une langue collective relativement précise comme le français, le chinois ou l’hébreu… mais tous parlent une langue. La différence français/chinois/hébreu n’est pas d’ordre anthropologique, mais le fait commun que tous parlent une langue est un fait majeur de l’anthropologie.
Aussi verrons-nous que lorsque l’homme se trouve devant une pierre, il parlera sa propre langue pour dire “pierre”, ou “stone”, ou “even” mais il se référera au même objet et, par là, au même mimème fondamental qui l’habite à son insu depuis toujours mais depuis toujours aussi présent. Et l’analogie du mimème qui crée sa circonstance psychique le mettra en présence du même archétype. L’une ou l’autre langue pourra selon les “styles” laisser affleurer l’archétype au niveau même de la langue. Par exemple, les grecs diront Ψυχή pour le papillon et pour la psyché ; ce qui correspond dans notre exposition des choses à l’intussusception des objets qu’opère la psyché, par analogie ou butinage des sucs par les papillons.
Et l’on pourra constater dans une langue toute différente que le rapprochement qui existait verbalement dans l’une existe tout aussi bien au niveau des dessins.
Le matériel écrit des traditions mythiques nous fournira de nombreux exemples et illustrations de la vie pérenne des archétypes. Dans toutes les traditions humaines, l’homme est figuré par le nombre cinq, qui se représente par le dessin d’une croix et de son centre ou par celui d’une étoile à cinq branches. Même l’idéogramme chinois qui signifie homme est jen, constitué de cinq branches.
Nous rapporterons ce nombre cinq au cinq mimèmes fondamentaux : la Terre, l’Eau, le Feu, l’Air et l’Éther (la quintessence) ou bien, comme pour les chinois, l’Eau, le Feu, le Bois, le Métal et la Terre.
Nous retiendrons cette structure-type du nombre cinq qui nous paraît effectivement compétente dans la description de l’homme, selon le schéma suivant :
Le mimème TERRE est associé à tout ce qui de l’ordre de l’existence. Tout ce qui existe a une forme. Les minéraux constituent le premier règne.
Le mimème EAU y ajoute la dimension du vivant, des énergies vitales qu’on observe chez les végétaux et les animaux. Le végétal sera le signifiant du second règne, le vivant, associé à la couleur verte. (Quand on arrose le désert il devient vert). L’archétype lié au mimème de l’eau se nomme ANIMA. C’est l’énergie même de la vie qui se manifeste dans le corps vivant.
Le mimème FEU est l’écho de la lumière et de la chaleur. La lumière est ce qui permet de voir donc de comprendre ; la chaleur dilate et donne une force d’impulsion aux facultés psychiques que nous nommons ANIMUS (la Ratio des Anciens en ce qu’elle a de spécifiquement humain, et à laquelle s’allient la volonté-ordinaire et la mémoire des images).
Le mimème AIR, c’est le souffle, l’inspiration dans les deux sens du terme et la pénétration dans l’homme du subtil et du volatil qui parcourent le monde comme le vent. Nous nommerons l’archétype lié à ce mimème SPIRITUS.
L’archétype de l’ÉTHER ou de la quintessence repose sur un mimème très spécifique, puisque c’est celui du centre, du croisement des axes de la croix. Ce n’est donc pas un objet concret qui le symbolise mais le vide central, celui du moyeu de la roue, comme on le voit si souvent représenté en Orient.
L’objet de l’anthropologie est entièrement figuré par ce schéma, mais il reste à montrer que l’homme se structure effectivement selon ces cinq pôles ou, plus précisément, selon ces quatre pôles et ce centre.
Pour cette démonstration nous utiliserons quelques grandes figures mythologiques tirées de la Tradition, qui nous serviront à décrire les principales étapes du développement psychique et spirituel.
Ce développement et les difficultés auxquelles il achoppe sont admirablement résumés dans une parole mythique — celle de la parabole — qui peut précisément mettre en œuvre une imagerie relevant des archétypes, sous l’apparence d’un récit descriptif banal, de type métaphorique.
Ainsi la parabole du Semeur (Marc 4, 1-9) raconte des situations dont “chacun peut tirer profit ; les esprits les plus simples comme les plus subtils, les intelligences les plus communes comme aussi les plus hautes, chacun peut en prendre sa part… s’il veut.” (Catherine de Sienne).
« Il se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer et une foule très nombreuse s’assemble auprès de lui, si bien qu’il monte dans une barque et s’y assied, en mer ; et toute la foule était à terre près de la mer. Il leur enseignait beaucoup de choses en parabole et il leur disait dans son enseignement : “Écoutez ! voici que le semeur est sorti pour semer. Et il advint, comme il semait, qu’une partie du grain est tombée au bord du chemin, et les oiseaux sont venus et ont tout mangé.
Une autre est tombée sur le terrain rocheux où elle n’avait pas beaucoup de terre, et aussitôt elle a levé, parce qu’elle n’avait pas de profondeur de terre ; et lorsque le soleil s’est levé, elle a été brûlée et, faute de racine, s’est desséchée. Une autre est tombée dans les épines, et les épines ont monté et l’ont étouffée, et elle n’a pas donné de fruit.
D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit en montant et en se développant, et ils ont produit l’un trente, l’autre soixante, l’autre cent.”
Et il disait : “Entende, qui a des oreilles pour entendre !”. »
Les archétypes de l’AIR, du FEU, de l’EAU et de la TERRE sont mis en œuvre aussi bien que celui de la quintessence sous la forme du FRUIT.
Comme il s’agit de ces archétypes mis en scène dans le contexte difficile de la croissance d’une semence, nous disposons du modèle même des difficultés que nous observons dans la pathologie quotidienne.
La semence figure l’homme ; celle-ci est placée dans une circonstance particulière où l’une ou l’autre des fonctions archétypales de la psyché n’est pas équilibrée par les autres.
Ainsi, comme la semence, la psyché a quatre configurations typiques possibles dans son développement.
Elle peut, symboliquement, tomber au bord du chemin et être dérobée par les oiseaux ; tomber sur le terrain rocheux et se dessécher ; tomber dans les fourrés d’épines et être étouffée par la végétation ; enfin, tomber dans la bonne terre et donner tantôt trente, tantôt soixante, tantôt cent pour un.
Nous nous proposons, dans le premier tome de cet ouvrage, d’exposer trois séries de dessins qui illustrent le cheminement de patients correspondant aux trois configurations psychiques difficultueuses décrites par la parabole.
Ces dessins ont été réalisés librement au cours de séances de thérapie par stimulation musicale, pour, en quelque sorte, occuper les mains pendant la séance d’écoute ; ces dessins sont donc absolument spontanés, sans aucune indication émanant du thérapeute. Ils constituent un matériau de choix pour examiner le jeu des expressions symboliques des archétypes.
En outre, nous rappellerons quelques textes de la Tradition montrant le développement psychique et spirituel dans ses premières étapes.
CHAPITRE PREMIER : |
RENAÎTRE DE L’EAU |
CHAPITRE DEUXIÈME : |
L’INTELLIGENCE DU FEU |
CHAPITRE TROISIÈME : |
LES DANGERS DE L’AIR |
CHAPITRE QUATRIÈME : |
LE CENTUPLE |
CHAPITRE CINQUIÈME : |
LE MYTHE D’ŒDIPE |
– Les pieds du Roi |
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– La mère d’Œdipe |
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– Le bâton d’Œdipe |
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– L’interaction imbriquée ou la tempérance |
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– La mort d’Œdipe |
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– Les yeux crevés |
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– Homo mundus |
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– L’énigme du Sphinx |
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– La flèche d’Apollon |
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– Le glaive et la balance |
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CHAPITRE SIXIÈME : |
ÉCOUTER ET ENTENDRE |
– La loi fondamentale de l’homme |
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– La première écoute et ses aléas |
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– Une thérapie familiale : l’histoire de Tobie |
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– À l’écoute de la voix de l’Esprit |
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– Une réalisation spirituelle |
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CONCLUSION : |
ET TU MÉDITERAS CES PAROLES |
Dans la description que nous faisons des différentes configurations psychiques et de leur évolution, nous emploierons le concept fondamental de “sublimation”. Une pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée vers de nouveaux buts et que se trouve convertie une partie de l’énergie développée par la stimulation du besoin instinctuel.
La sublimation s’oppose au refoulement, opération par laquelle le sujet cherche à repousser ou à maintenir à distance du conscient des représentations (pensées, images, idées, souvenirs, etc…) liées à une pulsion. Ce n’est pas la pulsion, en tant qu’elle est organique, qui est l’objet du refoulement.
Habituellement, on peut faire l’hypothèse d’un refoulement lorsque une image-représentation de la pulsion manifestée provoque gêne, irritation, moquerie ou attitude de pseudo-indifférence distante. Lorsqu’un chien est enfermé dans une cave et qu’il entend passer un autre chien dans la rue, il se met à aboyer en écho. La gêne traduit le même rapport qui s’établit entre l’image manifestée et la représentation refoulée.
Dans les mythes, on montre que la sublimation s’opère par des rites sacrificiels qui consistent souvent en offrandes de prémices ou d’animaux.
Note :
On peut lire dans le “Vocabulaire de la Psychanalyse” de Laplanche et Pontalis (P.U.F.) :
“Dans la littérature psychanalytique, on recourt fréquemment au concept de sublimation, il est en effet l’index d’une exigence de la doctrine dont on voit mal comment on pourrait se passer. L’absence d’une théorie cohérente de la sublimation reste une des lacunes de la pensée psychanalytique. Freud a tenu pour essentielle la capacité de sublimer dans l’issue des traitements, sans d’ailleurs pour autant la montrer concrètement à l’œuvre.”
RENAÎTRE DE L’EAU
Le premier cas que nous allons observer est celui de la semence “tombée sur des endroits pierreux où il n’y avait pas beaucoup de terre. Et le soleil s’étant levé, elle fut brûlée et se dessécha.”
Nous sommes là devant un manque d’eau par excès de feu. Pas d’eau, pas de vie ! Pour le cœur de l’homme, ce que l’on peut appeler son “jardin intérieur”, l’eau de la vie ce sont les affections, les affects.
Les gens affligés d’un tel manque d’eau ont “le cœur sec”, un “cœur de pierre”, et leurs sentiments véritables se sont flétris et desséchés sous l’oppression des processus mentaux et d’une pensée excessivement calculante sinon calculatrice.
Ces personnes présentent une organisation psychique du “trop-comprendre”, elles sont idéalistes de l’ordre omni-présent, méticuleuses dans la collection d’idées ou de théories, substituant ces théories à l’éprouvé des expériences, préférant penser-la-vie, ou causer-sur-elle, que de laisser le flux vital les porter où elles ne savent pas, par où elles ne savent pas. Pour l’endiguer, elles ne manqueront pas de multiplier les rituels, privés ou collectifs.
Lorsqu’elles peignent ou dessinent, elles privilégient les représentations du monde dévitalisées ou minéralisées, fuyant l’eau et la couleur.
En effet, les couleurs manifestent la Vie, l’eau la fontaine de Vie, l’alliance avec Noé. Ce patriarche de l’Alliance vitale est la figure de l’alliance avec “toute chair, tout être animé de la terre”, sous le symbole de l’arc-en-ciel, faisant suite à un déluge d’eau.
Pour elles, le développement psychique se fraye une voie par des pleurs qui, arrosant le cœur, transforme ce cœur de pierre en cœur de chair. Elles passent alors d’un monde fantasmatique intérieur, dont la contemplation leur apportait une jouissance mentale, au monde sensitif des affections qui les mettent en relation avec le monde vivant des végétaux, des animaux et des humains : monde de l’empathie et de la sympathie, monde du vivre-avec et de l’aimance.
Cette ouverture au monde des affects passe nécessairement par une castration du regard mental et par l’éveil de l’oreille-du-cœur, au cours d’une véritable re-naissance, telle celle promise à Nicodème et à ceux qui lui ressemblent.
“En vérité, en vérité, je te le dis, nul s’il ne naît de l’eau et de l’esprit ne peut entrer dans le royaume des deux.” (Jean 2, 5).
Le royaume en question est, bien sûr, le royaume intérieur, où s’opère la régénération de l’homme, la réconciliation avec la vie et tous les être vivants.
IL ÉTAIT UNE FOIS…
Il était une fois un petit garçon de cinq ans qui avait quelques difficultés à parler en dehors du cercle familial. Très vite, il apparut que la personnalité du père gênait la maturation de cet enfant.
Le père s’engagea alors dans une démarche psychothérapique par la musique, les sons et le dessin. Il ne possédait aucune formation psychologique et n’éprouvait d’ailleurs aucun intérêt pour ce domaine.
Nous allons en suivre l’évolution à travers les dessins réalisés au cours des séances bi-hebdomadaires de sa psychothérapie. Tous les dessins sont présentés dans l’ordre chronologique d’exécution.
Avant de pénétrer dans ce monde de représentation imaginaire, nous avons avantage à garder présent à l’esprit ce que nous en dit Denis VASSE :
“La demande de thérapie est une demande de sortie de l’imaginaire parce que le sujet y est emprisonné. L’imaginaire ce n’est pas l’illusion, mais le rapport du sujet à son image et à tout ce qui s’imagine. (C’est-à-dire tout ce que l’on prend d’habitude pour la réalité). L’identité n’a pas d’image. Leur prison, c’est l’image. C’est à travers l’imaginaire déconstruit qu’arrive le sujet. La parole sera tout ce qui dans la vie d’un individu lui est adressé qui le libère d’une relation imaginaire qui l’emprisonne. Tout ce qui ouvre cette relation. La parole crée une brèche, une déchirure dans l’imaginaire, donnant passage à plus de vie, c’est-à-dire plus de légèreté dans la vie ; car c’est toujours l’imaginaire qui pèse.”
COMMENTAIRE DE LA PREMIÈRE SÉRIE DE DESSINS
Dessin n° 1
L’impression générale que donne ce dessin est celle d’une explosion au centre de laquelle se place une tête de mort, dont un éclat de rocher pénètre le maxillaire supérieur droit.
Le champignon de fumée-nuage, à gauche de la tête (à droite sur le dessin), contient un dessin : Un homme est assis sur une grosse pierre parallélipédique, il se tient la mâchoire avec la main gauche.
Une roche plus grosse, à droite, laisse penser (à cause de l’échelle) à un bâtiment dont le dessin rappelle un pêne de clef ou à un labyrinthe.
En-dessous, le paysage aride ressemble à ce que l’on voit en Arizona ou au Nevada. Une ville très moderne sous une coupole de verre, à laquelle on accède par une autoroute dont la bande centrale évoque une voie ferrée ou des marches d’escalier ; l’autoroute mène à une impasse (voir panneau de signalisation).
Des maisons anciennes, de chaque côté de l’autoroute, ont le toit en ruines. Nous voyons un arbre desséché dont l’arbre immense et déraciné, projeté dans le ciel, est la réplique.
À droite, une fusée marquée U. S. A. est reliée à un astronaute flottant dans l’espace comme l’arbre. Un message part de la fusée : “Good Luck ! ” (bonne chance !) L’astronaute relié par un cordon répond : “O.K. !”doublement souligné.
Le sujet ne parle pas sa langue, le français, mais l’anglais-américain. La référence à l’Amérique, à l’“American way of life” est très marqueé ; cette référence reviendra de nombreuses fois dans la série de dessins : douze fois sur soixante huit, surtout au début de la série.
D’autres allusions géographiques nous conduiront en Amérique centrale (dessin 11), et dans d’autres pays d’Europe.
Il semble que ce soit la fusée qui s’en va (Good Luck) qui ait provoqué l’explosion ; elle laisse l’astronaute seul, enfermé dans sa combinaison spatiale. La combinaison spatiale est à la fois le vêtement gui le protège et la disposition dans l’espace des différents déments de son dessin :
– un arbre desséché et déraciné,
– un rocher labyrinthe
– un crâne-cratère (les yeux caves),
– un homme assis réduit en fumée.
Le sujet flotte dans une parole dérisoire au-dessus du seul paysage qui lui reste : son propre point de vue figuré par une ville sous une coupole de verre dans l’aridité poussiéreuse du désert. On accède à cette ville-impasse par des degrés (comme les représentent les escaliers que nous verrons dans les dessins suivants).
Ce dessin donne un état des lieux extraordinairement précis : cet homme vit la désintégration de sa psyché dont il ne reste qu’un pôle, celui de la rationalité. Cette rationalité est réduite à un intellectualisme clos (la ville de béton sous une coupole de verre), sans contact avec l’extérieur voué au désert.
Quatre pitons rocheux occupent l’horizon comme si les quatre pôles de la vie psychique étaient pétrifiés par le dessèchement intellectuel.
Cependant, un mouvement est encore possible au sein de cette dévitalisation omniprésente : celui indiqué par l’homme en scaphandre (qui assure une survie provisoire) disant “O.K. !” à la proposition thérapeutique qui lui est proposée.
Dessin n° 2
On se trouve dans une construction fissurée dont le sommet est supposé être un phare. Y trouvera-t-on de la lumière ? C’est l’espoir de l’homme qui gravit les marches d’un escalier.
Le thème de l’escalier se retrouvera aux dessins n° 3, 4, 6, 11, 20 et 40 ; il est donc fort important.
Le sujet imagine que la solution de la difficulté actuelle se trouve au terme d’une montée par degrés.
Le phare donne une lumière qui permet de voir le paysage de loin ; or, le paysage qu’on entrevoit en bas et à gauche sous une arche est celui qu’il vient de quitter. Comme il est désertique, sa démarche est vouée à l’échec et au désespoir.
Derrière un mur, une foule d’hommes décharnés observent : ce sont les angoisses curieuses de voir où mènera cet effort.
Le sol carrelé indique que tout est ordonné minutieusement selon un canevas.
L’homme porte une valise ou une espèce de serviette : le sujet enfermé dans son monde imaginaire cherche une voie d’illumination, il essaye de trouver une issue vers le haut. Il est fréquent d’imaginer que la libération psychique puisse venir d’une clef donnée par le savoir intellectuel et de courir ainsi théoriciens, livres ou bibliothèques.
Nous voyons d’autre part quatre arches, dont celle de l’entrée qui donne sur la contrée désertique que nous voyions au dessin précédent.
Les trois autres donnent dans la nuit ; nous ne serons donc pas étonnés de trouver au dessin suivant un livre nocturne : “Les mille et une nuits”.
Dessin n° 3
L’escalier était son mouvement de passage. Au sommet, un livre : “Les mille et une nuits”.
« Les mille et une nuits que j’adore occupent plus d’un quart de ma tête “Stendhal”.”
Nous sommes au sommet de la tête, c’est dans l’enclos rationnel que nous pénétrons. On y trouve des contes. La référence au Moyen-Orient, donc à l’Islam, permet d’éclairer un drame intellectuel. L’Islam signifie en arabe “soumission”. Sept minarets dominent la vision. Sur un tapis volant nous voyons un sujet.
La soumission qui est décrite ici est celle de la femme-objet envers la force masculine. Cette femme va être exécutée par décollation. Elle est nue mais sa bouche est voilée par un tissu accroché aux boucles d’oreilles : la voix féminine est interdite.
L’homme et la femme jouent ici un rôle symbolique. L’homme symbolise l’animus et la femme l’anima.
Comme sa voix est interdite (occultée), il ne reste que son corps réduit à la jouissance sexuelle (les seins et le sexe sont mis en évidence).
La femme ne joue plus pour le sujet sont rôle symbolique, il en est séparé, il va la tuer.
Il s’ensuit que le rapport homme /femme est vécu comme un jeu : le sol est un damier. Jeu de dames, jeu d’échecs.
Des marchands occupent le damier, on y vend des cruches, on y circule avec des chameaux ; ainsi la vie relationnelle est réduite au marchandage, au calcul. Nous pouvons donc supposer une perversion de la rationalité.
Un autre escalier mène plus profondément au cœur de la ville islamique et nous entraîne vers le dessin suivant.
Dessin n° 4
Nous montons dans cette ville et y trouvons la foule de crânes de morts qui regardent avidement (les globes oculaires vides) une femme debout sur une estrade qui nous montre son dos, sa chevelure et ses fesses.
Les fesses (du latin fissum) montrent la fissure fondamentale (du fondement).
Cette fissure n’est pas le sexe féminin qui était montré au dessin précédent.
C’est la fissure du corps, de toutes les formes de l’Anima.
On la retrouvera dans les dessins n° 8, 16, 17 et 19 dans un dessin de fesses.
Mais également dans les dessins n° 25, 36, 45, 46, 47, pour la terre, n° 26 et 37 pour les constructions, n° 27 pour tout le sol et le corps féminin, n° 28 pour le rocher, enfin n° 30, 41 et 55 pour des miroirs, soit seize dessins.
C’est la plaie qu’il va falloir guérir ; nous verrons en effet au dessin n° 64 des personnages nus où cette fissure n’apparaît plus.
Cette fissure est nécessaire mais non en tant que spectacle. Or ici on la considère sur une estrade parce qu’il s’agit de mettre en évidence le problème : se défaire, rejeter, expulser des matières fécales (en latin faex = dépôt, résidu, rebut). Nous verrons au dessin suivant un chemin jonché de tels rebuts. Mais l’escalier monte encore jusqu’au sommet de la ville dans un dédale de rues qui annoncent le labyrinthe du dessin n° 11 et surtout du n° 20.
Il risque d’y avoir quelques insidiae (embuscade, ruse) avant d’arriver à un véritable siège ou fondement ! Nous sommes en effet, pour l’instant, en “état de siège” qui suppose une diminution importante des libertés voire leur annihilation. Cet homme présente une organisation obsessionnelle de la personnalité. Le mot obsession venant du latin obsedere = assiéger, nous voyons à quel point le jeu des représentations imaginaires correspond à une traduction concrète de ce que la psychologie nomme par des termes savants.
Dessin n° 5
Voici ce qui est l’objet de la fission et ce qui aliène la liberté : l’Amérique.
Les propos de ce sujet étaient hérissés d’épines acerbes à l’égard de la société et plus particulièrement celle d’“Amérique”.
Le premier de tous les griefs, ainsi adressés aux américains, était qu’ils avaient brûlé des enfants au napalm pendant la guerre du Vietnam.
Chez ce sujet, dont l’organisation psychologique est sur le versant obsessionnel, on peut dire qu’il a en quelque sorte été brûlé par l’excès de feu du désir maternel, devenant ainsi lui-même comme une terre brûlée.
L’Amerique, par un jeu phonétique, fait entendre que “la mère” est aussi l’objet de ses associations fantasmatiques.
(Il est curieux de noter que dans les langues germaniques, IK = Ich = Je ; on pourrait donc entendre : “La mère-je”, c’est-à-dire que la mère est le dépositaire de son “Je”).
L’homme a les mains liées dans le dos par une corde ; autrement dit, l’usage des facultés est aliéné : il n’y a plus de liberté et l’organisation générale de la psyché est dérangée car la main représente aussi l’unification des cinq mimèmes fondamentaux.
L’état de siège suppose une guerre ou une insurrection grave contre l’autorité, celle déficiente de l’image paternelle que nous verrons au dessin n° 18 ou encore celle, insupportable, de la mère-qui-ricane (American).
L’arbitraire de cette autorité est représenté sur le dessin par la mort qui ne tient qu’un plateau de balance (l’autre n’étant que l’ombre du premier) ; elle porte en outre une faux dont la lame et le manche sont derrière elle.
La mort cache et révèle en quelque sorte la faux/le faux.
Au pied de la mort, nous voyons un sablier dont la partie supérieure est pleine : le temps n’est pas écoulé, cette situation n’est pas dépassée. Elle s’incorpore au sujet en s’inscrivant sur sa peau : le drapeau américain est tatoué sur son épaule droite.
Dessin n° 6
“Pendant ce temps à Tucson, Mortimer retrouvais Jackson” (sic)
Pendant le temps non écoulé du dessin précédent, qui est le temps de ce dessin, nous explorions en fait son rapport à la mort ; cela est signifié par le nom de Mortimer, la mère mortifiante.
Or ici le sujet représenté par le petit personnage que l’on voit en arrière plan se trouve face à un adversaire qui l’interpelle : “Tu es fait Jackson ! ta tête ne me fera plus d’ombre ! recommande ton âme au diable, coyotte !…”
Il existe dans l’organisation psychique un principe d’inertie, une “instance” qui s’oppose à toute transformation évolutive et s’efforce de maintenir le statu quo antérieur. L’adversaire, c’est ce qui se place en travers du chemin comme le diabolos que la Tradition qualifie de gardien du seuil. Dia-bolos, en grec, se dit également SHATAN, en hébreu, ce qui signifie obstacle.
Ici, l’obstacle, dont on ne connaît pas encore la nature exacte est déterminé par sa place géographique : la scène se passe à Tucson.
“Tucson” fait entendre le verbe to tuck qui est employé dans une expression américaine : “to tuck a child in bed” : border un enfant dans son lit. Il fait entendre aussi le terme “son”, le fils.
D’autre part, Jackson évoque directement le prénom du sujet (Jacques) et de nouveau “son”, le fils.
Nous pouvons en induire que la mère est mortifiante par son attitude maternante qui maintient son enfant dans un état de sommeil au niveau de l’intelligence (“ta tête ne me fera plus d’ombre”), d’où la révolte du sujet qui tentera d’échapper à cette emprise par un excès contraire.
Dessin n° 7
Changement de décor. Mais en fait approfondissement du dessin précédent. L’opposition à la transformation de l’enfant passe par une déformation de son nom, Jacques devient Jackson.
Cette opposition le touche. La clef nous en est fournie pas le même verbe to tuck qui signifie aussi toucher ; ce verbe vient du français toquer dont la racine a donné aussi le mot estoc, c’est-à-dire la rapière.
C’est précisément l’arme que le nouveau gardien du seuil tient en main (à gauche sur le dessin). Deux hommes sont face à face, chacun tenant une rapière, mais l’un a un bouclier et l’autre non ; cela rend le combat inégal et donc impossible.
Le pont-levis du château est ouvert, des gens observent depuis des crénaux de la tour et de la muraille (cf. dessin n° 2 et 4).
Dessin n° 8
Le tableau est cerné d’un trait noir qui l’encadre à l’intérieur de la page de dessin. La vie et ses vibrations, ses couleurs et ses sons, n’est donc pas cadrée comme la saisirait un photographe, mais en-cadrée dans l’image, c’est-à-dire dans l’imaginaire. La vie est imaginée, l’intellect au lieu de comprendre les images du monde invente ses propres images.
L’état de siège n’est pas levé, au contraire, deux fesses énormes se divisent encore plus que de nature : l’une est noire, l’autre est bleue.
Sur le tableau, nous voyons de nombreux instruments de musique dont on ne joue pas : la vibration propre à la vie est pensée dans le mental au lieu d’être vécue dans l’Anima. Cependant le jeu de la flûte et de la mandoline laisse espérer le réveil des autres instruments, comme nous le verrons sur le dessin n° 64.
Dessin n° 9
Nous continuons le voyage imaginaire. Nous sommes dans un pays tropical (très probablement en Amérique centrale).
Une femme dont la carrure est plutôt masculine montre du doigt une pomme rouge. Cette pomme est mise à l’index.
Une seconde pomme est suspendue un peu plus en haut, au-dessus de la tête d’un serpent qui tire sa langue bifide au niveau de la gorge de la femme.
Comme nous verrons au dessin n° 27 un index montrer clairement le sexe de la femme, on peut en conclure que la pomme mise à l’index ici, concerne le sexe et qu’en outre il entretient un rapport avec la gorge.
La pomme symbolise la connaissance mais le dédoublement que nous observons (la rouge et la blanche) marque une ambivalence que souligne la langue bifide du serpent parce qu’elle est liée à une question touchant la sexualité. La mise à l’index est aussi une mise en évidence.
Dessin n° 10
Une immense affiche est regardée par un tout petit homme qui figure le “je” du sujet en potentialité d’être. Sur l’affiche, l’image montre le “moi” imaginaire qui a récupéré à son compte toute l’énergie vitale.
Le rapport des deux figures montre celui de l’être au paraître.
(G.I. signifie Général Issue c’est-à-dire publication générale, c’est bien la volonté de faire paraître).
Le sujet donne à voir ce qu’il imagine de lui-même et ce qu’il pense de son imagination.
L’image est “éditée” par la C.I.A., c’est-à-dire par la Central Intelligence Agency. Elle est issue de l’intelligence centrale… du sujet. C’est l’intelligence inconsciente qu’il a de sa situation, “à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance Yankee”.
L’allusion historique est exacte puisque le dessin se place dans l’année 1976. Le sujet saisit cette occasion pour faire l’affiche ; il ne peut certes pas célébrer une indépendance qui n’est pas la sienne. Ce qui est montré par le contenu de la bulle : “Avec tes camarades G.I., sous la bagnère étoilée, tu vaincras ! engages toi dans les marines !…” (sic)
Le jeu de mots induit par l’orthographe de “bagnère” montre que la bannière étoilée figure le bagne, la servitude ; elle bouche tout le ciel.
En acceptant le bagne, il est difficile de concevoir une victoire, pourtant le sujet proclame : “tu vaincras”. C’est donc qu’il y a un autre jeu de mots. En effet, bagnière évoque le bagne, mais le mot bagne vient de l’italien bagno qui signifie le bain. C’est en allant aux eaux marines qu’il vaincra.
C’est ce que nous verrons au dessin n° 29 qui représente un bagne et au dessin n° 30 où l’on voit un homme prendre un bain dans la mer morte ; or ce sera la première lueur de conscience qui exaucera enfin l’ordre inconscient qu’il vient de se donner : “engages toi dans les marines !…” (sic). L’aboutissement nous sera montré au dessin n° 53-d où il dit et représente “du courage, il faut plonger sous la vague”, au dessin n° 57 où il prend les eaux et au dessin n° 58 où l’on voit une véritable alliance.
Mais, pour l’instant, il ne voit ni n’entend ce que son imagination lui dicte de façon dérisoire, il rit de lui-même. Aussi son “je” dit en bas (tout bas) : “pauvres cons de Yankee !”, autrement dit : je suis un pauvre con au niveau du “moi”.
Pourquoi la bannière est-elle étoilée ? l’allusion au drapeau américain est évidente, mais, en-deçà, il y a la perception d’un éclatement : c’est son miroir intérieur qui est étoilé. Tout devient pluriel en lui, l’atomisation que nous avons vue au premier dessin reste persistante. “Tous les camarades” sont tous ses “moi” éclatés qu’on voit curieux au dessin n° 2, avides au dessin n° 4, en camp de concentration au dessin n° 49.
Le soldat est casqué de telle façon qu’il n’a ni oreille ni yeux. Le sujet ne voit ni n’entend. Il est aveugle et sourd, il devra donc récupérer l’audition et la vision avant de retrouver son identité et l’alliance avec autrui.
L’enfermement semble complet. La seule énergie rayonnante est entre ses jambes et correspond à la ville sous coupole, une rationalité vide ici et qui ne fonctionne qu’en projetant des images fantasmatiques.
Cependant ces fantasmes disent la vérité avec une exactitude étonnante, une prévision parfaite. On ne peut fantasmer n’importe comment.
La psyché, même malade, produit ce qui révèle son véritable état et le remède qu’il convient d’apporter. Ici c’est bien aux bains qu’il conviendra d’aller, mais le sujet ne le peut pas encore. C’est le sens de la liberté figurée par la statue en bas à droite.
Dessin n° 11
Puisqu’il a qualifié lui-même l’ordre inconscient qu’il vient de se donner de “con”, il ne le suit pas mais achève son ascension provisoirement arrêtée au dessin n° 4.
Les six dessins que nous venons d’examiner décrivaient en effet le palier du dessin n° 4, à l’intérieur de la ville c’est-à-dire de sa rationalité envahie par l’imaginaire.
Le dessin n° 11 reprend l’ascension de l’escalier ; nous sommes toujours en Amérique centrale chez les Aztèques.
Voyage au centre de la mère mythique. Le centre est ici un sommet de pyramide.
Le choix de réaliser une bande dessinée n’est pas insignifiant, il figure un scénario mental.
En six étapes, le sujet est au sommet de la pyramide, au centre d’un soleil rouge : la lumière est devenue ténèbre — la prophétie de Mortimer (dessin n° 6) se réalise : il voue son âme au diable — son Anima au feu. Auto-sacrifice qui s’achève en 11-k par un suicide.
Au sommet (11-f), l’homme pensait être victorieux, un instant le soleil rouge devient soleil blanc (11-h) et /’homme les deux bras levés (11-h) signifie son sentiment de domination et de joie. ( en égyptien signifie joie, hauteur).
Alors se présente un index sur la gâchette d’un revolver (11-i). La situation se retourne, cette joie est évidemment usurpée ; un coup de feu éclate “PA WW” et l’homme s’écroule sur le dos dans le soleil rouge marqué “FIN”. Nous remarquons au dessin n° 11-k que la lumière qui éclaire le drame n’est pas celle du soleil rouge mais une autre qui vient d’en haut et hors du dessin.
Le coup de feu a touché l’homme au milieu du front dans le néo-cortex, centre de régulation consciente. Sa conscience est morte.
La sang (son âme vivante) s’écoule et tombe dans la ténèbre inférieure. L’autonomie de l’intellect était le fruit mis à l’index (dessin n° 9) et que l’index tue ici, en apparence.
L’abolition de cette autonomie, source de sa maladie, serait sa guérison ; mais il lui substitue l’abolition de sa conscience.
En effet, le scénario de la guérison est lui-même un fruit de l’intellect. Ce genre de confusion est habituel des auto-diagnostics et cela explique pourquoi l’auto-guérison ne peut pas venir de l’Animus. De même qu’on ne peut pas se sortir du bourbier en se tirant par les cheveux.
On comprend par là l’enflure vaniteuse qui se cachait sous la “C.I.A.” Central Intelligence Agency pour le bicentenaire de l’indépendance Yankee, cette indépendance est celle de son intelligence coupée du monde, des sons, des images réelles et du toucher ; il se suicide dans un feu, par le feu — comme sa mère le lui a appris par le feu de son désir — qu’il signifiait déjà au dessin n° 5.
Dans l’expression “Yankee go home”, Yankee est la corruption du mot “Yengee” en amerindien. Or le mot “Yen” en argot américain signifie un désir intense.
Nous allons retrouver une figure de ce désir dévorant dans le mot “cheyenne” du dessin suivant.
Dessin n° 12
Nous revenons dans l’aridité du désert nord-américain, non loin cependant du Mexique, en Arizona peut-être ou au Névada ?
Le sujet est redevenu un boy, un garçon. Au milieu des cactus piquants, le garçon crie : “Revenez, les cheyennes nous attendent au défilé du corbeau ! c’est de la folie capitaine !… Revenez !…”
Le suicide du dessin n° 11 était un suicide mental ; il reste des facultés complètement inconscientes qui crient au secours.
Elles préviennent de l’erreur commue : “c’est de la folie capitaine”. Le capitaine est celui qui est la tête (caput), il est à la tête. Va-t-il recommencer le suicide, et comment ? “Les cheyennes nous attendent au défilé du corbeau !”. Les cheyennes sont des indiens algonquins de l’Arkansas et du Missouri, ils ne vivaient donc pas dans ce type de paysage.
Leur nom est utilisé ici à cause du jeu de mots : les chez Yen.
Dans la désorientation actuelle de sa psyché, le seul mouvement possible serait de “se défiler”, mais partir, bouger serait revenir chez les Yen, chez la mère dévorante.
Cependant le défilé représenté est celui du “corbeau”. Le corbeau est un animal prophétique chez beaucoup de peuples anciens. Il prévient. Ici, il prévient donc de la présence, de l’omni-présence de la yen. Il est aussi le signe de l’œuvre au noir des alchimistes.
L’épousaille avec la mère est le commencement de l’œuvre au noir : assumer la décomposition, la mort qui va permettre la nouvelle germination.
Il est aussi l’indication et l’invitation à vivre de la beauté de l’Anima dans le corps.
Le corbeau, c’est encore “le corps beau” qui, par les limites qu’il représente pour l’esprit, fait fonction d’un défilé, castrateur pour l’imaginaire.
C’est pourquoi le garçon crie. Il crie pour ne pas dépasser l’énorme rocher aride et abrupt qui figure son propre intellect.
“Les cheyennes” sont sa propre identification aux images projetées par l’imaginaire maternel et constituent le “gardien du seuil”, sous les traits de l’indien perçu comme un personnage masculin paré d’artifices féminins évoquant l’indifférenciation sexuelle d’un personnage androgyne qui ne manque pas d’être aussi, par son aspect sauvage, plus près de la nature et moins civilisé.
Le côté naturel, qui est le propre de l’Anima, est donc connoté chez lui d’une notion de danger… comme s’il était dangereux de vivre. Effectivement, vivre naturellement dans la beauté de l’Anima, c’est ne plus être conforme aux images que la mère s’en est faite et risquer donc de perdre son amour ou d’encourir sa colère.
Dessin n° 13
Qu’est devenu le sujet après son suicide mental par le feu ? Un cyclope. Le coup de feu l’avait atteint au milieu du front, il est maintenant comme une mécanique aveugle qui écrase la personne réelle (sous le pied gauche du monstre).
Les cyclopes (χύχλωπες) sont fils d’Ouranos et de Gaia (le ciel et la terre) ; ce sont des géants n’ayant qu’un œil au milieu du front, d’une force prodigieuse. Ils s’appellent Brontès (tonnerre, stupeur), Stéropès (éclair, lueur éclatante) et Argès (éclatant de blancheur).
Nous reconnaissons sur le dessin l’éclair qui part de sa main gauche et la blancheur de l’armure.
Leur histoire nous fournira les éléments de compréhension du dessin suivant. “Enchaînés par Ouranos, ils sont délivrés par Chronos, puis enchaînés de nouveau dans le Tartare jusqu’à ce que Zeus, averti par un oracle qu’il ne pourrait remporter la victoire qu’avec leur aide, les délivre définitivement.
Alors ils lui donnèrent le tonnerre, l’éclair et la foudre ; à Hadès, ils donnèrent un casque qui rendait invisible, et à Poséidon un trident. Ainsi armés, les dieux olympiens défirent les Titans et les précipitèrent dans le Tartare. (Dictionnaire de la mythologie, P. GRIMAL col. 107).
La ceinture du géant porte un oméga Ω qui est la dernière lettre de l’alphabet grec, mais aussi la finalité à atteindre : la ceinture qui représente la maîtrise de ces trois puissances décrites par le mythe.
Derrière le géant se profile une forme de fesse qu’on va retrouver au dessin n° 16 et qui passe effectivement par le siège du géant. Le problème est d’asseoir une telle puissance à sa juste place.
“Kuklops”, c’est l’œil rond qui roule ; la forme ronde qu’on voit derrière le géant : l’œil du ciel, le soleil. C’est lui qui a desséché toute chose.
Dessin n° 14
L’homme aveuglé par le feu est rejeté dans la ténèbre, il est plongé dans l’océan des formes pour y être dévoré.
Mais comme Hadès, le personnage a reçu un casque et même une combinaison de plongeur qui le rendent quasiment invisible dans les ombres de la mer, Il s’agit bien de la mère de “Mortimer”, nous recommençons le scénario du combat (dessin n° 7) de la sortie du château (l’état de siège).
Mais cette fois l’homme est bien armé, il a un fusil marin et il est protégé par son casque et ses palmes.
Cependant, le “moi” extérieur rationalisant se dit “Ces amerloques n’importe quoi !” c’est-à-dire : c’est ta mère (qui) dit (loquor) n’importe quoi. Voilà une nouvelle erreur d’interprétation, aussi un pot de fleurs va lui tomber sur la tête ; on pourrait traduire : le pot t’assomme (ce qu’on retrouvera dans le dessin n° 49-b avec une variante).
Sur l’affiche le mot JAVV au singulier réfère certainement au mot anglais JAW qui signifie “mâchoire”, mais en argot : conversation quand elle est agressive (impudent talk).
JAW signifie encore une vague, une quantité considérable d’eau.
Par conséquent, l’interprétation en argot qui est justifiée par l’usage argotique que fait le sujet (comme “ces amerloques”), guide vers l’interprétation de JAW comme discours insolent.
Il ne va pas tarder à apparaître en français au dessin n° 17 !