Collection dirigée par Stéphane Ipert,
directeur du Centre de Conservation du Livre - Arles
Comité scientifique de la collection « Kitab Tabulae »
– Françoise Briquel-Chatonnet, directeur de recherche au CNRS (laboratoire Orient et Méditerranée)
– Paul Canart, ancien scriptor et vice-préfet de la Bibliothèque Vaticane
– Jeanne-Marie Dureau, conservateur honoraire des Archives de Lyon
– Empar Espinilla Buisan, Département de latin, Université de Barcelone
– Stéphane Ipert, directeur du Centre de conservation du livre
– Isabelle de Lamberterie, directrice de recherche au CNRS - CECOJI
– Raphaële Mouren, conservateur de bibliothèque, ENSSIB, Villeurbanne
Déjà parus
Saïd Bouterfa, Les manuscrits du Touat - Le Sud algérien,
Atelier Perrousseaux, 2005
Arab Abdelhamid, Manuscrits & bibliothèques musulmanes en Algérie,
Atelier Perrousseaux, 2006
CCL - IREMAM, Les manuscrits berbères au Maghreb et dans les collections
européennes, Atelier Perrousseaux, 2007
Gilles Éboli, Livres et lecteurs en Provence au XVIIIe siècle - Autour des David,
imprimeurs-libraires à Aix, Atelier Perrousseaux, 2008
Jane Greenfield et Jenny Hille, Les tranchefiles - De l’Orient à l’Occident,
Atelier Perrousseaux, 2009
Richard Parkinson et Stephen Quirke, Papyrus - Écrire dans l’Égypte antique,
Atelier Perrousseaux, 2009
Oliver Moore, L’écriture chinoise, Atelier Perrousseaux, 2010
Sous la direction de Raphaële Mouren, « Je lègue ma bibliothèque à… » -
Dons et legs dans les bibliothèques publiques, Atelier Perrousseaux, 2010
Ouvrage coédité avec le Centre de Conservation du Livre - Arles
© Atelier Perrousseaux, 2010
ISBN 978-2-911220-32-6 pour la version imprimée
ISBN 978-2-911220-80-7 pour la version ebook
La collection Kitab Tabulae (kitab : manuscrits, en arabe et tabulae : tablettes à écrire, en latin) est dirigée par le Centre de Conservation du Livre et publiée par les éditions Perrousseaux. Il s'agit d'une collection spécialisée dans les domaines du livre, des archives et des bibliothèques notamment dans l'espace méditerranéen mais aussi dans le monde entier.
Le CCL mêne en France et à l'étranger des actions de formations, d'expertises et de coopérations pluridisciplinaires dans les domaines de la conservation et de la gestion du patrimoine documentaire : collections de manuscrits, livres, archives, photographies, arts graphiques.
Les coopérations internationales, réalisées ou en cours de réalisation dans le cadre de plusieurs programmes européens, recevant le soutien financier de la région PACA et de l'Union Européenne, ont débouché sur d'importants projets : MANUMED, INTERNUM, EURINDIA, ARISTHOT, et BVM (Bibliothèque virtuelle de la Méditerranée).
ISSN : 1773-7125
Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Toutefois, l’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie (photocopie, télécopie, copie papier réalisée par imprimante) peut être obtenue auprès du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) - 20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris.
Introduction
1. LE LIVRE : ÉLÉMENT CONSTITUANT D’UNE BIBLIOTHÈQUE
A. Les lieux de conservation
1. Les bibliothèques des cathédrales.
2. Une bibliothèque de cathédrale atypique : Saint-Siffrein de Carpentras
3. Les bibliothèques privées
B. Enrichissement des bibliothèques
1. Les donations et les legs
2. Les achats
3. Un moyen d’acquisition marginal
C. Conditions de conservation et entretien
1. Le personnel en charge des bibliothèques
2. Les emprunts de livres
3. Entretien des livres
2. LE COMMERCE DU LIVRE MANUSCRIT EN PROVENCE
A. Le marché du livre neuf
1. Processus et coûts de fabrication d’un livre neuf
2. Le prix du livre neuf
B. Le marché du livre d’occasion
1. L’organisation du marché d’occasion
2. Le prix du livre d’occasion
3. LE LIVRE, UN OBJET DE SAVOIR
A. Répartition qualitative
1. Liturgie
2. La science de Dieu
3. Jurisprudence
4. Belles lettres
5. Sciences et arts
B. Répartition par type de bibliothèque
1. Bibliothèques des cathédrales
2. Bibliothèques des évêchés
3. Bibliothèques des évêques
4. Bibliothèques des chanoines
4. LES ARTISANS DU LIVRE À L’ŒUVRE
A. Les artisans du livre en Provence
1. La formation des apprentis
2. Les conditions de travail
3. Les chanoines au travail
B. L’œuvre des artisans et des artistes
1. Les œuvres à travers les inventaires
2. Les étapes de la copie et de l’ornementation : l’exemple des livres choraux de Saint-Sauveur d’Aix
3. Les manuscrits courants
4. Les manuscrits luxueux
5. UN RENOUVEAU DANS L’HISTOIRE DU LIVRE : L’INVENTION DE L’IMPRIMERIE
A. Diffusion du livre imprimé en Provence
1. Les premiers imprimés des bibliothèques privées
2. Les premiers imprimés des bibliothèques collectives
B. Les premiers livres imprimés des églises provençales
1.Prix-faits des premiers livres liturgiques imprimés aixois
2. Présentation matérielle des imprimés
C. Le devenir des bibliothèques de manuscrits
1. La production de livres manuscrits au début du XVIe siècle
2. La destinée des bibliothèques de manuscrits
Conclusion
Notes
Sources
1. Instruments de travail
2. Sources imprimées
3. Sources manuscrites
Bibliographie
Depuis plusieurs décennies, de nombreuses recherches ont permis de renouveler et d’approfondir nos connaissances sur l’histoire des livres et des bibliothèques françaises. La Provence, qui se caractérise par une pénurie de sources et plus particulièrement de manuscrits subsistants, a quelque peu été délaissée. Pour les provinces d’Aix et Arles, le bilan des recherches qui ont pu être menées est plutôt mitigé : de la fin du XIXe siècle à nos jours, des érudits et des chercheurs se sont intéressés à la question et ont étudié un grand nombre de textes d’archives. Le travail d’édition des sources a été très riche, en revanche les études analytiques sont quasiment inexistantes jusque dans les dernières décennies où des articles scientifiques ont été publiés.
De la fin du XIXe siècle aux années 1930, en parallèle des travaux de catalogage des fonds des bibliothèques et des dépôts d’archives, de nombreux ouvrages historiques ont été publiés. Certains se présentent sous forme de recueils et d’analyse de sources tels les volumes de la Gallia christiana novissima du chanoine Albanès ; d’autres sous forme d’articles dans des revues scientifiques. Il s’agit généralement d’édition de sources éparses et qui donnait lieu à de petites monographies. Ces éditions touchent en particulier les inventaires des bibliothèques des cathédrales pour lesquelles ce travail a presque été systématique1, et quelques bibliothèques privées signalées par des inventaires après décès ou des testaments. Les articles accompagnant ces éditions, bien qu’intéressants, sont souvent trop succincts et ne font qu’effleurer le sujet qui nous préoccupe. Paradoxalement, alors que ce travail d’édition a été très riche, nos connaissances sur les livres et les bibliothèques en Provence au Moyen Âge sont plutôt minces. Aucune étude n’essaie de faire une synthèse sur la question à l’exception de celle de Pierre Pansier sur l’histoire du livre à Avignon. Bien que de grande valeur, cet ouvrage se présente plus comme une accumulation de sources classées par thèmes plutôt que d’une véritable analyse : là encore, l’auteur ne va pas au bout de son raisonnement et nous propose une description de texte. Une autre étude importante est celle de Joseph Billioud sur l’enluminure provençale qui propose une histoire de cet art à travers les manuscrits conservés et réalisés dans la région.
Depuis une trentaine d’années, la problématique du livre en Provence a été entièrement revisitée. Parmi ces travaux nous pouvons citer l’étude d’Anne Chalandon sur la bibliothèque de la cathédrale d’Aix, les articles de Noël Coulet notamment sur les bibliothèques des archevêques d’Aix, le volume des Cahiers de Fanjeaux intitulé « Livres et bibliothèques (XIIIe-XVe siècle) », les recherches sur la bibliothèque de Saint-Victor de Marseille par Donatella Nebbiai-Dalla Guarda et les actes du colloque « Formation intellectuelle et culture du clergé dans les territoires angevins (milieu XIIIe – fin XVe siècle) ». En parallèle à ces études, un important travail d’édition a été mené sur les archives et la bibliothèque de la papauté d’Avignon par Marie-Henriette Jullien de Pommerol et Jacques Monfrin.
Au vu des travaux qui ont pu être menés, les pages qui suivent proposent une histoire du livre dans le milieu cathédral des provinces ecclésiastiques d’Aix et Arles de la fin du XIIIe siècle jusqu’en 1530. La limite chronologique inférieure s’est imposée d’elle-même : en-deçà de cette date, l’état des archives est quasi nul et ne permet en aucune manière d’envisager une histoire des bibliothèques. La limite chronologique supérieure a été fixée à 1530, date qui constitue pour les historiens du livre un véritable tournant, celui où la production de livres imprimés prend le pas sur la production de livres manuscrits. Pour la région étudiée, cela correspond également à une multiplication de livres liturgiques imprimés à la demande des chapitres cathédraux et à un abandon progressif des livres manuscrits.
Les études menées en différents lieux et milieux à travers la France2 ont démontré que chaque catégorie sociale et professionnelle (laïcs de haut rang, médecins, juristes, clercs…) et chaque confession ou ordre (franciscains, dominicains, juifs…) avait une bibliothèque type avec ses particularités, ses titres phares qui se retrouvent dans chaque collection ou presque, brefs ses orientations bibliographiques. De plus, les rapports au livre et les usages qui en étaient faits variaient d’une catégorie sociale à l’autre : le livre pouvait avoir un rôle ostentatoire ou de thésaurisation chez les uns, alors que chez les autres, il avait un rôle d’outil dans l’exercice d’une profession. Par souci d’homogénéité culturelle, cette recherche se limite à une zone géographique et à une classe sociale et institutionnelle bien précise : celle des membres des chapitres cathédraux, à leurs évêques et à leur siège dans les provinces ecclésiastiques d’Aix et Arles.
Les provinces ecclésiastiques d’Aix et Arles sont de fondation ancienne. S’inscrivant dans l’héritage romain, elles correspondent aux provinces romaines de la Viennoise et de la Narbonnaise seconde dont les frontières ont été fixées à la fin du IIIe et au IVe siècle. Ces provinces couvrent de larges territoires. La province d’Arles était composée des diocèses de Saint-Paul-Trois-Châteaux et de Vaison au nord ; d’Orange, Carpentras, Avignon et Cavaillon pour les diocèses près du Rhône et de la Durance ; et de trois diocèses maritimes : Arles, Marseille et Toulon. Le diocèse de Saint-Paul avait été réuni à celui d’Orange au Xe siècle ; il en fut de nouveau séparé en 1115. De la province d’Arles relevaient l’enclave arlésienne de Vernègues dans le diocèse d’Aix et l’enclave marseillaise de Saint-Cannat dans le diocèse d’Aix. De la province d’Aix relevait dans le diocèse d’Arles l’enclave aixoise d’Istres. Tandis qu’Arles conserve sous son contrôle le littoral jusqu’à Toulon et la Provence rhodanienne, le siège métropolitain d’Aix affirme son autorité sur une large partie de la vallée de la Durance et sur la Provence orientale. La province aixoise était composée du grand diocèse de Gap, des diocèses de Sisteron, d’Apt, Aix, Riez et Fréjus auxquels il faut ajouter le petit diocèse d’Antibes qui dépendait du siège métropolitain d’Aix jusqu’en 1244, date à laquelle il fut transféré à Grasse (province d’Embrun). Ce découpage diocésain est valable du XIIe à 1475, date du démembrement de la province d’Arles dû à la création de l’archevêché d’Avignon. Cette nouvelle province comptait, en plus du diocèse métropolitain d’Avignon, les diocèses de Cavaillon, de Carpentras et de Vaison. Tandis que, outre le sien propre, la province d’Arles ne comptait plus que les diocèses de Marseille et Toulon, et les diocèses d’Orange et de Saint-Paul-Trois-Châteaux qui formaient une enclave arlésienne au-delà de la nouvelle province d’Avignon.
Carte des provinces ecclésiastiques d’Aix-en-Provence, Arles et Avignon (d’après E. Baratier, G. Duby, E. Hildesheimer, Atlas historique de Provence, Comtat, Orange, Nice, Monaco, 1969)
Les dépouillements menés dans les dépôts d’archives de la zone concernée ainsi que la consultation du précieux fichier de la section de codicologie de l’IRHT ont permis d’établir un corpus de près de 270 documents et d’une centaine de manuscrits provenant des cathédrales provençales ou de leurs dignitaires. Ces sources se composent de textes issus des archives capitulaires et comprenant des inventaires des sacristies, des registres de délibérations et des livres de compte ; de textes notariés regroupant des testaments, des inventaires après décès, des prix-faits ou des actes de vente ; et enfin d’inventaires après décès relevés dans les archives vaticanes.
Les séries G des archives départementales regroupent tous les documents antérieurs à 1790 qui avaient trait, de près ou de loin, avec la gestion de la cathédrale et du diocèse. Ces fonds ont connu des fortunes diverses et leur état de conservation est très variable selon les diocèses. Les raisons de ces disparités sont multiples : guerres de religion, incendies, Révolution…. Alors qu’il est très satisfaisant pour Aix, il est relativement bon pour Arles, Avignon et Marseille. Les archives de l’évêché de Sisteron sont relativement abondantes pour la Provence alpine. Celles de Forcalquier ont été éprouvées par le pillage des Huguenots en 1562, par les destructions de la période révolutionnaire et l’incurie du XIXe siècle. Des archives des cathédrales de Fréjus et de Toulon, il ne reste que des épaves. Les archives de l’église d’Apt auraient été détruites en 1571 et celles de Saint-Paul-Trois-Châteaux auraient subi la fureur des hérétiques qui brûlèrent sur la place la plus grande partie des livres en 1600.
Les archives provençales se caractérisent par un fonds notarié très riche. L’importance de ces fonds nous a fait exclure tout dépouillement systématique ; de plus, les répertoires numériques, se réduisant à un minimum d’information, ne nous ont été d’aucun secours. Par conséquent, les documents issus des séries E inclus dans le corpus ont été livrés par les références bibliographiques, par les travaux d’érudits locaux ou par les fichiers de l’IRHT.
Les guerres italiennes et l’insécurité qu’elles entraînaient avaient poussé les papes à s’installer à Avignon. Ce déménagement privait par la même occasion les souverains pontifes des revenus qu’auraient dû leur fournir leurs états de la Péninsule. Afin de remédier à ces problèmes, ils exploitèrent tous les recours que leur offrait le droit canon. Ainsi ils s’attribuèrent les bénéfices substantiels des sièges laissés vacants et s’approprièrent les biens et richesses de nombreux ecclésiastiques décédés. Ce droit de dépouille fut appliqué par des collecteurs apostoliques de la Provence à l’Angleterre et de la Sardaigne au Portugal (entre 1316 et 1412, 1149 cas de dépouilles ont été recensés à travers toute la Chrétienté). Les archives de la papauté d’Avignon, conservées au Vatican, renferment de nombreux inventaires de bibliothèques privées et collectives. Pour la plupart, il s’agit de rapports effectués par des collecteurs apostoliques en application du droit de dépouille (jus spolii) dont se prévalaient les papes d’Avignon. Ceux concernant les prélats français ont été publiés en 20013 ; 19 d’entre eux nous fournissent le détail de bibliothèques de la région (quatre bibliothèques d’archevêques, 11 d’évêques, deux de maisons épiscopales et deux de chanoines).
Le terme livre recouvre deux acceptions qui se chevauchent et qui sont inextricablement liées. La première correspond à la définition du mot codex : un objet matériel composé de plusieurs feuillets, réunis et protégés par une reliure. Né dans le bassin méditerranéen entre le Ier et le IIe siècle, le codex s’impose à partir du IVe siècle et remplace le volumen, le rouleau antique. C’est la forme de livre qui a prévalu durant tout le Moyen Âge et qui prévaut encore de nos jours. Par extension, le livre désigne le texte inscrit sur ces pages. L’objet matériel et le contenu intellectuel sont sous-entendus indistinctement dans le mot livre. Ce dernier a toujours été un auxiliaire précieux pour l’Homme comme support de sa pensée, de sa mémoire, et de ses activités, renfermant dans ses pages les doutes, les peurs, les espérances et les certitudes d’une humanité en perpétuelle construction et quête d’un idéal toujours remis en question. En parallèle à ces récits de l’histoire des Hommes, le livre a été et reste un exceptionnel témoignage de sa création artistique. Au Moyen Âge, la fonction première du livre en tant que véhicule privilégié de la transmission du savoir prend tout son sens. Son mode de fabrication artisanal lui confère également une certaine aura, faisant de chacun de ces objets un musée unique sur la pensée et le savoir-faire de l’humanité, chaque ligne manuscrite renfermant l’esprit de l’auteur et l’application à la tâche du copiste.
Le mot livre recouvre donc plusieurs aspects qui font de lui un objet multiforme : objet matériel, culturel, intellectuel, voire historique, dont la fonction principale est de transmettre un savoir. Bien souvent les études menées sur le livre, qu’il soit médiéval ou non, privilégient un de ses aspects : son décor, sa mise en page, sa reliure, le texte qu’il renferme, son auteur… Tout ceci conduit parfois à des aberrations : la plus flagrante étant l’oubli de la raison d’exister d’un livre – la transmission d’un savoir – et les hommes qui en sont à l’origine. Or le livre est le fruit d’un travail collectif allant de l’auteur au lecteur qui en garantit ou non son succès. Au regard des précédents travaux de recherches menés en Provence et des sources consultées, nous nous sommes attachée à reconstituer une histoire globale des livres et des bibliothèques dans le milieu cathédral provençal de la fin du XIIIe siècle à 1530. Nous avons tenu à ne privilégier aucun aspect du livre et des bibliothèques, mais au contraire d’embrasser toutes les définitions que recouvre ce vocable. Les sources ont permis d’étudier des aspects de l’histoire du livre très différents et complémentaires. C’est devant cette diversité documentaire qu’il est apparu pertinent de ne pas limiter ce travail à l’étude d’un des aspects du livre mais de le considérer dans sa globalité, de le traiter sous toutes les définitions qu’il recouvre et sous toutes ses formes, que l’on considère le contenant ou le contenu, l’objet matériel ou le support de la diffusion des pensées et des connaissances, le support de la création artistique ou le produit commercial issu d’une activité artisanale et, avec l’invention de l’imprimerie, d’une activité proto-industrielle.
Les documents qui évoquent le mieux les bibliothèques sont des inventaires tels ceux des Trésors des cathédrales, ceux qui étaient dressés lors d’un décès ou certains testaments contenant une liste d’ouvrages. De prime abord, il semble que les bibliothèques forment un tout homogène et indissoluble. En réalité, il s’agit de listes de livres, d’objets uniques faisant partie d’un tout. Ces textes n’apprennent que très peu de choses sur les bibliothèques elles-mêmes : comment étaient-elles organisées et conservées, comment se sont-elles constituées, que sont-elles devenues après le décès du possesseur… En revanche, si ces questions sont transposées aux livres considérés de manière individuelle, nous apprenons au détour d’un item dans quel coffre le manuscrit était rangé, son aspect, d’où il provient ou à qui il est destiné. Ce n’est que par extension que nous pouvons envisager les choses de manière globale, à l’échelle de la bibliothèque. De plus, un distinguo est à faire entre les bibliothèques institutionnelles et celles des personnes, que ce soit dans leur mode de conservation, dans la politique d’acquisition, de gestion ou dans le devenir de ces collections.
Aucune étude globale n’a été menée sur les lieux de conservation des livres au Moyen Âge. Jusqu’à présent, seuls deux aspects de cette question ont été traités de façon approfondie : le mobilier4 et le vocabulaire usité pour désigner une bibliothèque5. Les lieux de conservation dans les édifices ecclésiastiques n’ont été abordés qu’à travers quelques articles ou dans des monographies. Pour ce qui est des bibliothèques des cathédrales plus précisément, seules celles dotées d’une salle indépendante servant à la conservation des livres ont fait l’objet d’une étude plus détaillée tandis que les autres ont été évoquées de façon plus anecdotique. Il ressort de ces différentes études deux grands profils de bibliothèques de cathédrale : l’un a été largement illustré par André Masson6 et concerne les cathédrales pourvues d’une salle, généralement construite au-dessus d’une galerie de cloître, où sont rangés les livres ; l’autre concerne les cathédrales dépourvues d’une grande salle de dépôt, et dont les livres sont rangés en divers endroits. Cette absence de grand lieu de conservation est compensée par plusieurs petits dépôts. Cette pratique a déjà été constatée entre autres dans des abbayes7 et des cathédrales8.
Pour les cathédrales provençales, aucun témoin architectural ou archéologique laisse supposer l’existence d’une salle destinée à la conservation et à l’étude des livres. Faute de témoins matériels, la seule source d’information réside dans les textes d’archives. À la lumière de cette documentation, seule la bibliothèque de la cathédrale de Carpentras pourrait s’approcher des exemples décrits par André Masson. Enfin il reste à rappeler que les bibliothèques médiévales sont, du point de vue du nombre de volumes conservés, difficilement comparables avec celles que nous côtoyons, le plus grand fonds concerné par notre étude ne comptant qu’environ 200 livres.
Ces postulats exposés, où rangeait-on les livres dans les cathédrales provençales et qu’en est-il des bibliothèques privées ? Pour répondre à cette question, sur plus de 180 documents consultés datant de la fin du XIIIe siècle à la fin du XVe, seuls 22 nous renseignent sur les lieux de conservation : une douzaine concerne les cathédrales et une dizaine les habitudes des évêques et des chanoines. Un premier constat est qu’il n’y avait pas de lieu de conservation unique tant dans les cathédrales que dans les demeures privées : les livres n’étaient pas regroupés en une seule pièce mais dispersés en différents endroits et de préférence à proximité de leur lieu d’utilisation.
Les mots employés pour désigner une bibliothèque sont armarium et libraria. Ce vocabulaire9, très usité de l’Antiquité au XVe siècle, a connu quelques glissements sémantiques. À l’origine, l’armarium est un meuble en bois muni de portes. Dès le haut Moyen Âge, il désigne le renfoncement aménagé dans un mur pour abriter ce meuble soit dans le cloître, soit dans une des nefs de l’église. Lorsque les collections de livres ont pris plus d’importance et se sont enrichies, entre le XIIe et le XVe siècle, le petit édicule aménagé dans un mur s’est élargi jusqu’à devenir une pièce, que l’on appelait toujours armarium. Du meuble qu’il désignait, ce terme a pris un sens topographique. Enfin, il s’est appliqué au contenu plutôt qu’au contenant et est devenu en même temps un synonyme de « fonds ». Les mots libraria et armarium ont été employés concurremment tout au long du Moyen Âge. Seul le contexte dans lequel ils sont employés ou les précisions topographiques nous permettent d’en préciser le sens. Par exemple, un inventaire des livres de l’abbaye de Silvacane daté de 1289 apprend que 21 livres liturgiques nécessaires à la célébration de l’office sont entreposés dans la sacristie et dans l’église et 102 autres volumes de différentes disciplines sont dans un armarium placé dans le cloître10.
Le mot armarium apparait dans trois inventaires du Trésor d’Aix11 datant respectivement de 1380, 1404 et 1407. Il est employé pour désigner l’armoire eucharistique de la nef latérale sud. Le terme libraria a été rencontré à quatre reprises. Dans la première occurrence datée du 22 septembre 1423, ce mot semble plutôt être un synonyme de fonds : dans son testament Guillaume de Littera fait part de son intention de léguer à la cathédrale d’Aix ou à sa bibliothèque tous ses livres de droit : « Item lego ecclesie Aquensis seu librarie eiusdem omnes libros meos utriusque juris et breviarium. »12 Dans la deuxième, il semble désigner un meuble ou une pièce : dans un registre de la cathédrale d’Aix13, une mention de juin 1439 signale que le chapitre a prêté un exemplaire du Nouveau Testament glosé par Nicolas de Lyre. Dans la marge, il est précisé : « Fuit restitutus et est in libraria. » Enfin dans les textes relatifs à l’installation de la nouvelle bibliothèque de la cathédrale de Carpentras en 1460 et dans le testament de Bérenger de La Roche daté du 17 avril 1492, il s’agit sans conteste d’une pièce14.
Enfin, l’inventaire de la sacristie de Notre-Dame-des-Doms rédigé en 1511 mentionne l’existence d’une bibliotheca15.
Les inventaires fournissent parfois des indications sur les lieux de conservation des livres. D’après les inventaires du Trésor d’Aix, la plupart des manuscrits étaient entreposés dans la sacristie avec le reste du trésor. Des textes plus tardifs attestent de la continuité de cette pratique. Les inventaires de la sacristie rédigés entre 1549 et 174916 apprennent que cette salle a toujours abrité des livres et une mention dans un registre capitulaire datée du 2 mai 161317 stipule qu’à la demande du maître de chœur les diacres sont priés de rapporter les livres dans la sacristie toutes les fois qu’ils n’en ont plus besoin pour l’office. Dans un souci pratique, une partie des livres pouvait être rangée près de leur lieu d’utilisation. Par exemple, l’inventaire d’Aix de 1407 mentionne un ordinaire (complément indispensable des livres liturgiques stricto sensu) rangé dans l’armoire eucharistique dite Corpus Christi, dans la nef latérale sud. À partir de 1404, l’ancienne sacristie de Saint-Sauveur abrite 19 manuscrits provenant du fonds de Notre-Dame-de-la-Seds18. Pourvus d’une ancienne cote, ces livres ont été réunis là en raison de leur détérioration et de leur vétusté. Mis à part ces documents qui en font allusion, aucun classement impliquant un système de cotation n’a été trouvé dans les autres bibliothèques.
D’après l’inventaire aixois de 1407, une quinzaine de manuscrits était rangée dans le chœur dont une dizaine était enchaînée. Pour certains d’entre eux, il est précisé s’ils sont entreposés dans le grand chœur ou dans le petit chœur19.La Scala coeli de Jean Gobi et 4 bréviaires y étaient également enchaînés. Plusieurs raisons pouvaient être à l’origine de l’enchaînement d’un livre à son pupitre ou à son lutrin. Cette pratique est apparue au XIIe siècle afin de permettre les lectures communes des livres liturgiques et éviter les déplacements des livres et ainsi, de lutter contre les vols. L’enchaînement pouvait être une exigence du légataire d’un manuscrit. Ces clauses testamentaires garantissaient au donateur que son livre siègerait en bonne place dans la cathédrale. Les livres mis ainsi en libre accès aux membres du chapitre pouvaient également être protégés contre les vols par des anathèmes. Ces formules écrites en début ou en fin de livre menacent tout contrevenant des pires châtiments. De telles formules n’ont pas été retrouvées dans les manuscrits du corpus. Cependant, dans l’inventaire de la cathédrale d’Avignon dressé en 151120, il est précisé que les livres présents dans la bibliotheca et qui n’ont pas été inventoriés sont protégés par des lettres épiscopales prévoyant que toute personne qui ne rendrait pas les livres empruntés à la bibliothèque serait frappée d’excommunication.
Les inventaires aixois signalent la présence de 2 volumes de la Bible dans la salle capitulaire où ils devaient servir à des lectures communes à haute voix. Toujours dans un souci de commodité, une partie des livres pouvait être rangée dans les chapelles. Par exemple, un inventaire dressé le 7 février 1380 répertorie 8 manuscrits à usage liturgique dans un coffre dans la chapelle de la confrérie des notaires de la cathédrale Notre-Dame-des-Doms21.
Parfois une partie des livres du chapitre était confiée à la garde de l’évêque, en ses lieux propres. Cet usage est attesté à Carpentras et à Marseille. Ces dépôts sont connus par des inventaires. Alors que celui de Carpentras semble, d’après le préambule, un réel dépôt de livres du chapitre, le cas de Marseille est plus nuancé. Cette bibliothèque semble avoir été constituée par les évêques successifs et le chapitre n’en avait la charge qu’en cas de vacance du siège épiscopal. Il était également le garant de sa pérennité, n’hésitant pas à demander des comptes à l’évêque qui semblait peu respectueux de cette collection.
Le document le plus ancien concernant la bibliothèque de la cathédrale de Carpentras est un inventaire du Trésor dressé le 5 décembre 132222. Celui-ci était sous la garde du sacristain et comptait 55 manuscrits. Un second inventaire rédigé le 22 mars 135723 concerne les biens, dont 61 manuscrits, que le chapitre avait confiés à l’évêque dans son palais. Parmi eux, il y avait quelques livres liturgiques mais surtout des commentaires de l’Écriture et des livres de théologie.
Le 4 novembre 1452, l’évêque Georges d’Ornos lègue sa bibliothèque à l’œuvre de la nouvelle cathédrale Saint-Siffrein, à condition qu’elle soit vendue et que le produit de la vente soit employé à la construction de l’église24. Aussitôt après la mort de l’évêque, les exécuteurs testamentaires livrent 46 manuscrits à son nouvel acquéreur25. Il semble que la dispersion de cette bibliothèque ait provoqué des protestations et des convoitises. Le 4 mars 1453, le pape réclame les livres du défunt26. Dès lors, on se préoccupe de conserver cette collection de manuscrits à Carpentras. Au palais épiscopal, une assemblée composée entre autres du nouvel évêque, de chanoines et de bénéficiers, des syndics et des conseillers de la ville, décide de conserver les livres qui n’ont pas encore été vendus et de les mettre à la disposition de toute personne qui voudrait les consulter pour son instruction. Le 20 novembre 145827, une délibération précise que les livres seront enchaînés dans le chœur de la cathédrale : « in dicto choro et incathenentur bene et firmiter cathenis ferreis. »
Depuis au moins 1322, les livres du chapitre étaient entreposés dans l’ancienne sacristie qui était très humide. Le nouvel évêque de Carpentras, Michel Anglic, inquiet de voir les manuscrits du chapitre conservés dans de si mauvaises conditions, propose au conseil de la ville de Carpentras, le 2 mars 1460, d’aménager une nouvelle bibliothèque au-dessus de la chapelle Sainte-Anne28. Cette chapelle, située près du chœur, était la seule qui fût assez vaste pour y accueillir la bibliothèque. De plus, on pouvait y accéder depuis l’extérieur sans être obligé de traverser la nef. Les travaux ont été menés rapidement et le 8 avril de la même année l’évêque fait une nouvelle proposition : regrouper les livres du chapitre et l’ancienne collection de Georges d’Ornos29. Cela a été accepté sous certaines conditions dont celle d’enchaîner les livres. Les livres ont été installés dans la nouvelle bibliothèque et enchaînés tandis que 3 volumes, sûrement afin de rappeler le souvenir de Georges d’Ornos, restent dans le chœur. À cette occasion, le 16 avril 1460, un inventaire des manuscrits a été dressé30. Dans le chœur, on trouve enchaînés les textes des Évangiles glosés par Thomas d’Aquin en 2 volumes, estimés à 100 florins et le commentaire de saint Thomas sur le second livre des Sentences, estimé à 25 florins. 22 volumes étaient enchaînés dans la librairie ; d’autres livres y étaient également conservés mais faute d’un nombre suffisant de chaînes ils n’étaient pas attachés.
La question du lieu de dépôt des livres chez les particuliers est souvent envisagée en fonction de leur statut social ou professionnel. Ainsi les « intellectuels » (médecins, juristes…) et les laïcs d’un haut rang avaient, en fonction du nombre de pièces dans leur demeure, des lieux aménagés pour abriter leur collection de livres. Dans les habitations urbaines, il s’agit généralement d’un studium qui servait à la fois de lieux de lecture et d’écriture. Outre les livres, on y conservait également les documents administratifs et familiaux tels que lettres, registres, livres de comptes ou de raison. Dans les maisons dépourvues d’un studium, il a été constaté que la chambre ou une pièce attenante à celle-ci comme la garde-robe faisait également office de salle d’étude. Les évêques et les chanoines possédaient souvent des livres personnels comme ceux qui leur ont servi lors de leurs études universitaires ou encore des ouvrages de dévotion privée. Les documents qui nous renseignent sur ces lieux de rangement sont tous des inventaires après décès : 5 concernent des évêques et 4 des chanoines. Chez les uns comme chez les autres, les mêmes pratiques que celles des cathédrales se retrouvent : même s’il existe dans la demeure une pièce considérée comme la bibliothèque et qui regroupe une grande partie des livres, nous constatons cependant un éparpillement des volumes. Comme dans les cathédrales, cette dissémination n’est pas due à la surabondance des ouvrages mais à un rangement fonctionnel.
D’après l’inventaire après décès de l’évêque de Marseille Adémar Amiel dressé le 2 janvier 133431, sa bibliothèque était composée d’une quarantaine de volumes. 8 livres liturgiques étaient dans la chapelle de la maison épiscopale, un livre des statuts dans la camera officialis ainsi que des cartulaires de l’église de Marseille. Dans une autre chambre, 4 coffres contenaient des documents et des livres. Dans la même salle, il y avait plusieurs boîtes dont deux conservaient des pièces d’archives.
L’inventaire après décès de l’archevêque d’Aix Jean Poisson32 dressé en 1368, nous renseigne sur les lieux de conservation de sa bibliothèque qui comptait plus de 200 volumes. Les livres étaient répartis entre plusieurs demeures épiscopales. Dans le palais d’Aix, 7 livres liturgiques étaient dans la grande chapelle ; 8 étaient conservés dans la chambre des parements, dans la chapelle Sainte-Marthe il y en avait 17. Dans un coffre, il y avait un vieux pontifical et dans les archives, des écrits divers. Au château de Puy-Sainte-Réparade, dans la chambre de la tour, il y avait 7 coffres dont un contenant 20 livres et un autre des documents de l’église d’Aix. Dans la garde-robe, il y a 41 manuscrits et 3 coffres contenant respectivement 7, 12 et 23 livres. L’inventaire se poursuit ainsi à travers les pièces.
L’évêque de Fréjus Guillaume de Rouffilhac possédait 48 volumes33. 5 livres liturgiques étaient rangés dans la chapelle Saint-André, dans la tour sud-est du palais épiscopal. Le reste était dans la grande chambre de la tour.
Le profil de la bibliothèque de Guillaume Le Tort, évêque de Marseille, est identique. Ses 67 volumes sont une fois encore répartis entre plusieurs demeures34. Au palais épiscopal de Marseille, il y avait 3 volumes dans la chambre principale, dont un grand missel relativement précieux orné de 2 fermoirs en argent doré et estimé à 35 florins. Une trentaine de volumes était dans la garde robe. Parmi les plus précieux, il y avait un missel à l’usage de Rome orné de 4 fermoirs en argent estimé à 50 florins, un Décret à 25 florins, un commentaire du Décret également estimé à 25 florins, un bel et grand exemplaire du Speculum morale en 2 volumes estimé à 80 florins. L’évêque possédait plusieurs caisses, certaines contenant des documents d’archives, d’autres des livres. Au château de Signe, il y avait 12 livres non identifiés à l’exception d’un roman. Au château de Saint-Cannat35, il y avait un livre dans le studium ; dans la chapelle, une boîte allongée renfermait des écrits ainsi qu’un ancien coffret rangé dans la chambre verte.
À sa mort survenue en juin 1443, l’archevêque d’Aix, Avignon Nicolaï, possédait 138 volumes36. À la cathédrale Saint-Sauveur étaient conservés 42 volumes appartenant au prélat et 96 se trouvaient au palais épiscopal. Les livres étaient répartis, entre autres lieux, dans la chambre de parement, le studium, la chapelle et la chambre de frère Isnard, attaché au service de l’archevêque37. La chambre de parement était ornée d’une armoire basse en noyer terminée par un lutrin, d’une armoire dans laquelle étaient conservés des livres et d’un petit escabeau à trois degrés probablement destiné à atteindre les livres qui devaient être posés à plat sur des tablettes. Dans le studium, les livres étaient dans un coffre. Le soin apporté au mobilier laisse transparaître un souci de conservation mais aussi, et les deux sont liés, de consultation : les ouvrages sont rangés dans différents meubles, un escabeau est à disposition afin d’en faciliter l’accès, et des pupitres et des écritoires sont destinés à la lecture comme à l’étude.
Les bibliothèques de deux chanoines arlésiens sont connues grâce à des inventaires après décès dressés respectivement en 1472 et en 1475. La plus riche était celle de Pierre Dieulefit38. Sa maison comptait neuf pièces dont une chapelle privée. Dans le studium inférieur, des livres essentiellement religieux ou en rapport avec l’administration de l’église d’Arles étaient conservés dans un coffre tandis que dans le studium supérieur, ils étaient dans une armoire. Le préchantre Antoine Escudier39 vivait dans une maison plus modeste comptant six pièces dont un studium. Ses livres (2 livres liturgiques et un vademecum) étaient conservés dans la chambre supérieure tandis que le studium n’en comptait aucun. L’inventaire des biens trouvés en 1482 dans la maison du prévôt d’Aix Honorat Flotte fait mention d’un studium mais, là encore, aucun livre n’est mentionné40.
L’inventaire après décès du bénéficier aixois Jean Choleti dressé le 27 mars 1493 mentionne une cinquantaine d’ouvrages41. 17 de ces livres étaient rangés dans un coffre en pin. Un autre coffre renfermait un petit livre. Dans le petit studium au-dessus de l’aula étaient conservés 25 titres. Enfin, un coffre déposé dans la chambre située super aula et infra studium, renfermait 6 ouvrages. Là encore, aucune logique thématique ou codicologique ne semble avoir guidé le propriétaire dans le classement de ses ouvrages : les dépôts contenaient aussi bien des livres liturgiques, théologiques, que de droit ; les livres manuscrits étaient mêlés aux imprimés et les livres reliés aux livres décousus.
D’une manière générale, ces documents ne laissent qu’entrevoir comment ces livres étaient conservés et il est impossible de dégager une évolution des usages dans les modes de conservation. Nous pouvons cependant constater que dans les bibliothèques tant collectives que privées, les volumes sont dispersés dans les locaux en fonction de leur utilisation. Même si une volonté de les regrouper est parfois constatée, comme dans le cas de la cathédrale de Carpentras, des lieux de dépôts secondaires coexistaient avec le dépôt principal. Ainsi, dans les cathédrales provençales, on dénombre trois lieux de dépôts principaux : la sacristie avec le reste du Trésor pour les livres considérés comme étant les plus précieux, le chœur pour les livres d’usage quotidien et qui y étaient, pour la plupart, enchaînés, et les chapelles pour les livres légués lors de la fondation d’un anniversaire. En l’absence de bibliothèque à proprement parler, c’est la sacristie qui était privilégiée pour y ranger les ouvrages.
Chez les évêques et chanoines provençaux, la multiplication des lieux de rangement était également de mise : les livres de dévotion étaient conservés dans les chapelles privées ou dans l’église où ils avaient une charge et leurs livres d’étude étaient dans leur studium ou dans leur chambre (où une pièce attenante). À travers les inventaires après décès des évêques, une autre pratique qui semble ne jamais avoir été constatée par ailleurs peut être relevée : celle d’éparpiller les livres entre plusieurs demeures épiscopales. L’inventaire après décès de Guillaume Le Tort est accompagné d’une estimation des biens. Ainsi, dans sa résidence principale, il y a plus de manuscrits et des manuscrits de plus grande valeur que dans les résidences secondaires. Sur 67 volumes possédés au total, 26 sont conservés dans la garde-robe avec un prix moyen de près de 17 florins, tandis qu’au château de Signe, il y en a 12, avec un prix moyen de 1 florin 5 gros.
Tant pour les bibliothèques collectives que privées, les données recueillies font état d’un mobilier relativement modeste et peu varié. Ce sont les coffres, meubles de rangement universel, qui se retrouvent le plus fréquemment avec les armoires. Ils renfermaient des livres, comme dans d’autres pièces ils pouvaient contenir des vêtements ou des ustensiles divers. La seule originalité se rencontre chez Avignon Nicolaï avec cette armoire surmontée d’un lutrin. C’est le seul qui possédait un meuble adapté au rangement des livres et à leur consultation. Quant à l’autre type de meuble constaté dans de nombreuses bibliothèques et largement présent dans l’iconographie, à savoir les étagères, nous n’en avons explicitement trouvé trace nulle part.
Les cathédrales comme les collectionneurs privés pouvaient acquérir leurs livres de deux façons : soit par don ou legs, soit grâce à l’achat d’un livre neuf ou d’occasion. Ces deux modes d’acquisition sont très différents aussi bien dans la démarche que dans le résultat. Les exemples faisant référence à des legs concernent plutôt le légataire que l’héritier. Lorsqu’un possesseur faisait un legs, plusieurs raisons pouvaient motiver son geste : le salut de son âme en échange de prières lorsque l’héritier était une église, le désir de transmettre un patrimoine familial, de pratiquer la charité, ou encore d’aider ses proches dans leurs études. Les exemples de réception de legs sont relativement rares en particulier chez les personnes physiques de telle sorte qu’il est difficile de savoir comment celui-ci était perçu : est-ce que le bénéficiaire possédait déjà des livres, se retrouvait-il avec des doublons comme c’était souvent le cas pour les cathédrales, conservait-il l’héritage ou le revendait-il ? De plus nous pouvons nous demander si le bénéficiaire avait été consulté au préalable pour savoir si l’ouvrage lui serait utile ou non. Toutes ces questions n’ont pas trouvé de réponses faute de documentation.
Dans le cadre des legs, l’enrichissement de la bibliothèque de l’héritier se fait de manière passive et se trouve tributaire de deux facteurs : des possessions et des dernières volontés du légataire. En revanche, dans le cadre d’un achat, l’acquisition d’un livre est précédée par une réflexion individuelle ou collégiale tant pour l’évaluation des besoins que pour le financement. Ainsi, alors que le premier mode d’acquisition est fonction de la générosité, du bon vouloir et des possessions du donateur, le second répond à une attente, un besoin précis.
Tout au long du Moyen Âge, le livre fait partie de ces objets qu’on ne manquait pas de signaler dans son testament. Si le défunt avait obtenu l’autorisation de tester, ses biens échappant ainsi au droit de dépouille, il pouvait disposer librement de ses livres. Nous pouvons distinguer schématiquement deux manières de léguer ses livres : en bloc (l’ensemble de la bibliothèque est léguée à une seule personne morale ou physique) ou par répartition (un ou plusieurs livres sont attribués à différentes personnes ou établissements). Ces dispositions variaient en grande partie en fonction des dimensions de la bibliothèque. Lorsque le testateur possédait peu de livres, il préférait généralement les léguer à une église pour la fondation d’un anniversaire, tandis que lorsqu’il en avait plusieurs, il pouvait se permettre de les distribuer entre différents héritiers. Lorsqu’il léguait ses livres en bloc, le testateur ne prenait généralement pas la peine d’énumérer les titres ni même d’en préciser le nombre, ne donnant ainsi aucune information sur la quantité et la qualité des ouvrages légués. Nous avons alors affaire à des formules globales telles que « je lègue tous mes livres à… », ou « je lègue toute ma bibliothèque à… », comme Guillaume Isnard, prêtre bénéficier et sous-sacristain du chapitre d’Aix, qui lègue en juin 1361 « tous ses livres à la sacristie »42 ou Guillaume de Littera qui, en 1423, cède à la cathédrale d’Aix tous ses livres de droit43.
Ces mentions de legs dans les testaments s’accompagnent souvent de clauses très strictes telles que l’enchaînement des livres. Par exemple en 1405 Jean Boniface, prévôt de la cathédrale de Marseille promu évêque de Glandèves, lègue à la Major un précieux bréviaire couvert de velours violet et orné de deux fermoirs de vermeil à condition que le manuscrit soit enchaîné dans le chœur et précisant que le chapitre non possit vendere4445Flores sanctorum46