Des mêmes traducteurs
Saint Bonaventure, Intuition et raison - Choix de sermons,
Éditions Grégoriennes, 2006
Ouvrage publié avec l'aide
du Centre National du Livre
et de la Région Provence-Alpes-Côte d'azur
© Éditions GRÉGORIENNES 2010
www.adverbum.fr
ISBN 978-2-914338-24-0 pour la version imprimée
ISBN 978-2-914338-56-1 pour la version ebook
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Cet ouvrage fait suite à un recueil de sermons de saint Bonaventure, publié aux Éditions Grégoriennes en 2006. Les œuvres retenues offraient une diversité de thèmes théologiques :
– Sermon I de l’Annonciation : le mystère de l’Incarnation. « Parce que le mystère de l’Incarnation du Seigneur est un secret si profond que nulle intelligence n’a la force de le saisir, que nulle langue n’a la force d’en développer le sens, l’Esprit saint, s’abaissant au niveau de la faiblesse humaine, a voulu qu’il soit représenté au moyen de nombreuses métaphores grâce auxquelles, pour ainsi dire conduits par la main, nous pourrions parvenir à quelque connaissance de ce mystère. » Cette phrase fait apercevoir les bases de l’exemplarisme et du symbolisme de Bonaventure que nous retrouverons aussi dans le présent recueil.
– Sermon II de l’Annonciation : la théologie mariale.
– Sermon de la Vigile de Noël : la recherche du Christ par l’âme avide d’absolu.
– Sermons I et II de la Toussaint : réflexion sur la sainteté et sur la cité de Dieu, la patrie des saints.
– Sermon I de saint André : réflexion sur la Croix, croix de saint André et croix du Christ, à partir d’une des images essentielles de la symbolique de Bonaventure, l’arbre de vie. Cette image donne son titre, Lignum vitae, à un court traité métaphysique composé en 1260, avant le Sermon I de saint André daté de 1267.
– Sermon II de saint André : la théologie du Verbe. Ici, la réflexion théologique repose à nouveau sur une image symbolique : le pied. « Dieu éternel n’a pas de corps si ce n’est dans la personne du Verbe incarné…, mais demeurant invisible en lui-même, il est décrit à travers les figures et les métaphores des membres humains, non qu’il possède cesmembres mais parce qu’il peut correspondre à ces figures. »
Le présent recueil offre une thématique plus resserrée puisqu’il regroupe tous les sermons de la Nativité et de l’Épiphanie contenus dans les Sermons de diversis publiés en 1993 par Jacques-Guy Bougerol aux Éditions Franciscaines (tome I : sermons de tempore, présentés sous l’appellation de Sermons des dimanches et fêtes du Seigneur).
Il est souvent difficile de dater les sermons de saint Bonaventure et de définir le lieu où ils ont été prononcés. Nous sommes aidés en cela par les schémas des manuscrits qui nous en ont transmis le texte.
Les indications données dans l’édition de Jacques-Guy Bougerol permettent de situer les sermons de la Nativité et de l’Épiphanie entre 1254 et 1268 :
Sermons de la Nativité
– I. « La date… pourrait être fixée au 25 décembre 1268 à Assise dans la nouvelle basilique Santa-Chiara consacrée en 1265. »
– II. Pas d’indication de date. Le schéma du manuscrit de Milan mentionne : « … sermo fratris bonaventure editus parisius in domo fratrum coram universitate in die nativitatis de mane. » (…sermon du frère Bonaventure prononcé à Paris chez les frères devant l’université le jour de Noël au matin).
– III. « Il est possible que ce sermon ait été prononcé le 25 décembre 1268. » Mais cette date a été aussi proposée pour le Sermon I.
Sermons de l’Épiphanie
– I. 6 janvier 1268, Paris, devant l’Université, chez les frères.
– II. Pas de date connue. Paris devant l’Université, chez les frères.
– III. 6 janvier 1254, comme maître régent de l’école des frères.
En 1254, Bonaventure est à Paris depuis 1235. Il est d’abord étudiant à la Faculté des arts jusqu’en 1242 où il devient maître ès arts, grade nécessaire pour entrer à la Faculté de théologie. Pendant ces sept ans d’études, il fréquente les frères mineurs. Il y rencontre Alexandre de Halès, un des grands maîtres de la Faculté de théologie grâce auquel les franciscains avaient acquis une chaire en Sorbonne.
C’est en 1243 que Bonaventure entre dans l’Ordre franciscain de Paris, pour le compte de la Province romaine. De 1243 à 1248, il est étudiant en théologie, sous la conduite de divers maîtres : Alexandre de Halès, Jean de La Rochelle, Eudes Rigaud, Jean de Parme, Guillaume de Méliton. Au terme de dix semestres d’études, il devient bachelier biblique en 1248. Cette année-là, Albert le Grand, maître de Thomas d’Aquin, fonde la Faculté de théologie de Cologne. Thomas, qui avait suivi son enseignement à Paris, l’accompagne.
De 1248 à 1250, en tant que bachelier biblique, Bonaventure lit et commente les Écritures. En 1250, devenu bachelier sententiaire, il commente le Livre des Sentences de Pierre Lombard, manuel de théologie qui était la base de l’enseignement religieux.
En 1253-1254, Bonaventure franchit les dernières étapes qui le conduisent au titre de maître régent de l’Université. Il obtient la licentia docendi (licence d’enseigner). Il enseigne à l’École des frères mineurs de Paris.
Ainsi, quand Bonaventure prononce à l’École des frères le sermon de l’Épiphanie (Sermon III de l’Édition Bougerol) du 6 janvier1254, il est déjà un des maîtres importants de l’Université. Il a déjà rédigé des commentaires bibliques, des commentaires du Livre des Sentences, des Questions disputées.
1254 marque aussi le retour à Paris de Louis IX, après six années infructueuses de croisade en Terre Sainte. Le roi réorganise le royaume de France. Mais, en 1270, l’échec de la 8e croisade et la mort de saint Louis au siège de Tunis montrent les difficultés que rencontre la chrétienté en Orient. En décembre 1254 débute le pontificat d’Innocent IV.
En 1254 se manifestent les rapports complexes de certains franciscains avec l’Évangile éternel de Joachim de Flore. Un moine franciscain italien, Gerardo di Borgo San Donnino, publie à Paris l’Introduction à l’Évangile éternel où il prône, à la suite de Joachim de Flore, le retour à la pauvreté évangélique et où il annonce l’ère nouvelle pour 1260. L’ami de Gerardo di Borgo, Jean de Parme, maître de théologie et ministre général de l’Ordre franciscain, est soupçonné d’être l’auteur de l’ouvrage par les recteurs de l’Université de Paris, un des nombreux épisodes du conflit opposant les maîtres séculiers aux Ordres mendiants. Le livre, envoyé par l’archevêque de Paris au pape Alexandre IV, est examiné par une commission de trois cardinaux et condamné le 23 octobre 1255. Gerardo di Borgo est arrêté. Condamné à la prison à vie, il restera emprisonné jusqu’à sa mort, en 1276, sans jamais se rétracter.
En 1255, l’Université de Paris inscrit à son programme la totalité des œuvres d’Aristote. Tout en reconnaissant la valeur scientifique d’Aristote, utilisant parfois ses idées et ses méthodes, Bonaventure, formé à une théologie augustinienne, ne considèrera pas le rationalisme aristotélicien comme une voie vers la vérité dans la recherche théologique. Ceci le distingue de Thomas d’Aquin pour qui l’important, c’est la connaissance.
1255 est l’année du siège de Quéribus et de la chute des derniers bastions du catharisme occitan.
En avril 1256, une bulle du pape Alexandre IV constitue un nouvel ordre mendiant voué à la prédication : l’Ordre des ermites de Saint Augustin.
C’est aussi en 1256 que Thomas d’Aquin, revenu à Paris en 1252, obtient son doctorat de théologie. Il est nommé professeur de philosophie à l’Université de Paris.
Il convient de s’arrêter un peu sur les événements survenus en 1257 dans l’Ordre franciscain et dans l’Université de Paris. En voici, réduits à quelques lignes, les faits essentiels :
2 février 1257 : Bonaventure est élu ministre général de l’Ordre franciscain, lors du chapitre général de l’Ara Caeli, à Rome, en présence du pape Alexandre IV. Il doit reprendre en main un Ordre aux prises avec des divisions internes et affaibli par la démission de son ministre général, Jean de Parme, suspecté d’adhérer aux idées exposées par Joachim de Flore dans son Évangile éternel. Par son action décisive à la tête des franciscains, pendant dix-sept ans, Bonaventure apparaît comme le second fondateur de l’Ordre.
Octobre 1257 : Bonaventure et Thomas d’Aquin sont reconnus officiellement maîtres régents par les docteurs de l’Université de Paris. Mais cette reconnaissance fut particulièrement difficile.
Bonaventure était devenu maître en théologie en 1253, Thomas d’Aquin en 1256. Mais l’Université est alors agitée par un conflit opposant ses maîtres séculiers aux Ordres mendiants. Un maître de l’Université, Guillaume de Saint-Amour, avait rédigé en 1255 un violent pamphlet (Sur les dangers des derniers temps) attaquant l’idéal de vie des Ordres mendiants et remettant en question pour les religieux le droit d’enseigner. Bonaventure et Thomas d’Aquin lui répliquèrent par leurs écrits. Dès le premier semestre 1256, Thomas d’Aquin avait dû faire sa leçon inaugurale sous la protection des archers royaux. La candidature de Bonaventure à une chaire de l’Université exacerba le conflit.
Finalement, le pape Alexandre IV prit parti pour les Ordres mendiants. Guillaume de Saint-Amour fut exilé, son pamphlet fut brûlé. L’Université de Paris fut contrainte, par une bulle pontificale du 2 octobre 1257, de reconnaître, le 23 octobre, Bonaventure et Thomas comme maîtres régents, docteurs de l’Université.
En 1257, Bonaventure expose son savoir théologique et la théologie franciscaine dans le Breviloquium : exposé d’une science théologique qui ne se réduit pas à la raison et à la réflexion intellectuelle, mais où ces dernières sont vivifiées par l’expérience religieuse. De 1257 date aussi l’opuscule De reductione artium ad theologiam où il expose une hiérarchie des sciences qui conduit au plan supérieur de la théologie.
En 1258, Thomas d’Aquin commence la rédaction de la Somme contre les gentils, ouvrage achevé en 1264.
À partir de 1258, Bonaventure, ministre général de l’Ordre franciscain, accomplit de nombreux voyages. Il préside des chapitres généraux et provinciaux. Il prêche dans plusieurs universités d’Europe et continue de transmettre son enseignement dans ses nombreux sermons. Il prêche devant le pape, devant le roi saint Louis et occupe une place de plus en plus importante dans l’Église.
En 1259, Thomas d’Aquin est appelé en Italie par le pape Alexandre IV. Il y enseigne auprès des dominicains, écrit de nombreux ouvrages et commence la rédaction de la Somme théologique. Il reviendra à Paris en 1268.
De 1259 datent plusieurs traités théologiques de Bonaventure. L’Itinéraire de l’esprit vers Dieu, La triple voie de la purification, de l’illumination, de la perfection permettant à l’âme d’accéder à Dieu.
Tandis que Bonaventure, Thomas d’Aquin et d’autres théologiens édifient leur monument de réflexion et de sagesse religieuses en s’appuyant sur l’intelligence et la raison, des chrétiens se laissent gagner par l’émotionnel et la violence. Tel est le cas des flagellants dont les membres organisent des processions où ils se flagellent en public et annoncent que la colère de Dieu va bientôt frapper le monde corrompu. Le mouvement, parti de Pérouse, s’étend en Italie, en Hollande, en Pologne et en Allemagne où les flagellants s’en prennent aux Juifs. Ce mouvement prendra fin en 1261 après l’intervention des autorités religieuses et séculières. Il resurgira aux siècles suivants : en 1349, le pape Clément VI déclara les flagellants hérétiques. Le concile de Constance (1414-1418) les condamnera définitivement.
1260, année de naissance de Maître Eckhart, voit la consécration de la cathédrale de Chartres. Cette année-là, Bonaventure compose le Lignum vitae (L’arbre de vie), un de ses plus célèbres traités, où l’image symbolique de l’arbre sert de support à la théologie du Verbe.
Au chapitre général de Narbonne, en mai 1260, Bonaventure promulgue les Constitutions qu’il a rédigées, en aménageant les textes antérieurs, pour affermir la situation de l’Ordre. C’est à cette occasion qu’il reçoit la demande d’écrire une vie de saint François. Après avoir parcouru les lieux de la vie du saint, interrogé ceux qui l’ont connu, il revient à Paris et rédige en 1261 la Legenda major. Cet ouvrage sera approuvé par le chapitre général des franciscains du 20 mai 1263.
Le 29 août 1261, le pape Urbain IV succède à Alexandre IV.
En 1263, Bonaventure compose le traité des Six ailes du Séraphin où il met en relation avec chaque aile les perfections dont doivent faire preuve les supérieurs des couvents.
Le 13 février 1263, lepape Urbain IV demande à Albert le Grand de prêcher la croisade en Allemagne. En juillet de cette même année a lieu la « Dispute de Barcelone » organisée par le roi Jacques Ier d’Aragon et Raymond de Peñafort, maître général des prêcheurs, entre le talmudiste Nahmanides et le converti dominicain Pablo Cristiani.
Le 2 octobre 1264, meurt le pape Urbain IV auquel succédera Clément IV le 5 février 1265. L’année 1265 est celle de la naissance de Dante.
Dans les années 1265-1268, Bonaventure continue de diriger l’Ordre franciscain, tout en poursuivant sa tâche de prédication dans ses sermons et ses écrits. En 1268, il prêche à Paris durant le carême, avec une série de neuf conférences consacrées aux Sept dons du Saint-Esprit où s’affirment la vigueur et la profondeur de la réflexion théologique que l’on retrouvera dans les sermons de ce recueil.
1268 est aussi l’année du retour à Paris de saint Thomas d’Aquin. Il y soutiendra de nombreuses controverses qui l’opposent parfois aux franciscains et à Bonaventure sur les thèses de l’éternité du monde ou de l’unicité de la forme substantielle. Mais il se trouve aux côtés de Bonaventure pour réfuter la thèse des averroïstes selon laquelle l’intellect ne serait pas une puissance de l’âme mais une forme séparée, unique pour tous les hommes. Il s’oppose notamment au philosophe français Siger de Brabant, chef de file des philosophes averroïstes, qui affirment l’indépendance de la philosophie par rapport à la Révélation.
Le 29 novembre 1268 meurt le pape Clément IV. Son successeur, Grégoire X, ne sera désigné que le 1er septembre 1271, après l’intervention des citoyens de Viterbe qui avaient enfermé les cardinaux, avec pour toute nourriture du pain et de l’eau. C’est là l’origine du conclave.
*
Tel est donc, vu dans ses grandes lignes et de façon schématique, le contexte dans lequel s’inscrivent les sermons prêchés entre 1254 et 1268. Pour une biographie plus complète de Bonaventure et une bibliographie concernant son œuvre, on peut se reporter à notre précédent recueil de sermons, mentionné plus haut.
À la bibliographie établie dans cet ouvrage, nous pouvons ajouter Saint Bonaventure. La joie d’approcher Dieu de Marianne Schlosser (Éditions du Cerf-Éditions Franciscaines, Paris, 2006) et la réédition de la thèse de Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, La théologie de l’histoire de saint Bonaventure (PUF, Paris, 2007).
Nous adressons de vifs remerciements à Michel Caille, o.f.m., dont la connaissance de la théologie franciscaine et de l’œuvre de Bonaventure ont guidé notre travail de traducteurs. Nous remercions également Josette Bonnet et Élise Bénézech, professeurs, qui nous ont accompagnés dans la lecture du Sermon II de la Nativité et nous en ont éclairé le sens.
25 DÉCEMBRE
Dans le tome I de l’édition des Sermons de diversis – Sermons des Dimanches et Fêtes du Seigneur – établie par Jacques-Guy Bougerol aux Éditions Franciscaines (Paris, 1993), figurent trois Sermons de la Nativité.
– Sermon I, pages 86-97.
– Sermon II, pages 98-109.
– Sermon III, pages 110-118 :
- 1re reportation, pages 111-115,
- 2e reportation, pages 115-118.
Pour la date de ces prédications, Jacques-Guy Bougerol donne les indications suivantes :
– Sermon I : « La date… pourrait être fixée au 25 décembre 1268 à Assise dans la nouvelle basilique Santa-Chiara consacrée en 1265. »
– Sermon II : Pas d’indication de date. Le schéma du manuscrit de Milan mentionne : « …sermo fratris bonaventure editus parisius in domo fratrum coram universitate in die nativitatis de mane. » ; … sermon du frère bonaventure prononcé à Paris chez les frères devant l’université le jour de Noël au matin.
– Sermon III : « Il est possible que ce sermon ait été prononcé le 25 décembre 1268. » Mais cette date a été aussi proposée pour le Sermon I.
Thèmes des trois sermons
Sermon I : Luc 2, 15 « Transeamus usque Bethlehem et videamus hoc verbum, quod factum est, quod Dominus ostendit nobis. » « Passons jusqu’à Bethléem et voyons cette parole qui s’est réalisée, que le Seigneur nous a montrée. »
Sermon II : Jean 1, 14 « Verbum caro factum est. » « Le Verbe s’est fait chair. »
Sermon III : Luc 2, 10, 11 « Evangelizo vobis gaudium magnum quod erit omni populo, quia natus est vobis hodie salvator. » « Je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple : il vous est né aujourd’hui un sauveur. »
Remarque : les deux premiers thèmes contiennent le mot verbum : réalisation du « verbum/parole » et incarnation du « Verbe ». Le troisième thème est centré sur la joie que suscite la naissance d’un « sauveur ».
Selon J.-G. Bougerol, ce sermon fut peut-être prononcé le 25 décembre 1268 à Assise dans la nouvelle basilique Santa-Chiara consacrée en 1265.
Le texte présenté repose sur trois manuscrits : un manuscrit de Florence, un manuscrit de Todi, un manuscrit de Troyes. Le schéma d’un manuscrit de Milan déclare : « …sermo fratris boneventure ad moniales de sancta Clara in nativitate domini » (« … sermon du frère Bonaventure chez les moniales de sainte Claire le jour de Noël ». J.-G. Bougerol précise : « … la reportation livrée par Todi 182 est seule à nous donner la première partie du sermon. La deuxième partie, par contre, se trouve dans les trois manuscrits. Faut-il en conclure qu’il s’agit de la reportation d’un sermon prononcé le matin (Todi 182), accompagné de sa collation prononcée en soirée (les trois manuscrits) ? Rien, jusqu’ici, ne nous permet de l’affirmer, ni non plus de l’infirmer. »
Le sujet du sermon consiste en la reconnaissance d’un quadruple « passage » (transitus) conduisant à une quadruple « vision » (visio) de Dieu. C’est l’incarnation du Verbe, manifestée lors de la Nativité, qui rend possible la vision de Dieu.
Texte latin dans l’édition de Bougerol, aux Éditions Franciscaines. Sermons de diversis, tome I, pages 86-97.
Thème : « Passons jusqu’à Bethléem et voyons cette parole qui s’est réalisée, que le Seigneur nous a montrée. » Luc 2, 15. Vulgate : « Transeamus usque Bethlehem et videamus hoc verbum, quod factum est, quod Dominus ostendit nobis. »
Ce sermon, transmis sans prothème, présente dès le début deux niveaux d’interprétation du thème :
– le sens littéral : les paroles des bergers ;
– le sens allégorique (le § 2 parle de sens spirituel) : les paroles des contemplatifs.
Ceci va constituer la structure générale du sermon.
I. Le sens littéral (§ 1)
Après l’annonce des deux niveaux de sens, le § 1 traite du sens littéral.
Ainsi, le texte du thème va faire l’objet d’une première division, suivie de plusieurs subdivisions.
Première division en deux points :
les bergers | texte latin du thème | traduction | |
1 | dévotion fervente | transeamus | passons |
2 | pieuse profession de foi | verbum quod factum est | la parole qui s'est réalisée |
Puis dévotion et foi sont à leur tour subdivisées :
1 | dévotion | thème |
A | intention d'aller | passons |
B | désir de voir | voyons cette parole |
prolongements dans le texte de Luc (2, 16) | ||
A | intention d’aller | et ils vinrent en hâte |
B | désir de voir | ils trouvèrent Marie, Joseph et le nourrisson : ils ont mérité de voir |
2 | pieuse profession de foi envers : | thème |
A | l'incarnation du sauveur | cette parole qui s'est faite (réalisée) |
B | l'auteur de l'incarnation | que le Seigneur a faite |
C | la naissance de celui qui est incarné | que le Seigneur nous a montrée |
1 : Le texte du thème dit : « que le Seigneur nous a montrée. » Bonaventure paraphrase peut-être « cette parole qui s’est faite » pour adapter la citation à la démonstration.
pieuse profession de foi envers : | prolongements dans les Écritures | |
A | l’incarnation du sauveur | Le Verbe s'est fait chair1 |
B | l’auteur de l’incarnation | Ceci a été fait par le Seigneur2 |
C | la naissance de celui qui est incarné | ce que nous avons vu de nos yeux3 |
1 : Jean 1, 14.
2 : Psaume 118 (Vulgate 117), 23 ; texte repris dans Matthieu 21, 42 et Marc 12, 11.
3 : 1re Épître de Jean 1, 1. Cette citation est accompagnée d’autres textes montrant qu’à la naissance du Christ (« naissance de celui qui est incarné»), l’invisible est devenu visible.
II. Le sens allégorique ou spirituel (§ 2-3)
§ 2. Le thème, « selon le sens spirituel », peut représenter « les paroles des contemplatifs, contemplant l’incarnation du Christ ».
Comme pour les paroles des bergers « au sens littéral », le thème est d’abord divisé en deux éléments.
1ère division en deux points :
1 | praeparatio dispositiva | préparation qui dispose (à la vision) |
2 | visio confortativa | vision qui conforte (le contemplatif) |
Le premier point, la préparation qui dispose à la vision, comporte quatre passages qui conduisent au second point : quatre visions. « Un quadruple passage disposant à une quadruple vision de Dieu. » Les verbes du thème : transeamus (« passons ») et videamus (« voyons ») sont les supports de ce système passage/vision. Il faut accomplir des passages pour accéder à la vision de Dieu.
– Le § 2 traite des quatre passages.
– Le § 3 traite des quatre visions.
§ 2 : les 4 passages :
4 passages (transitus) | |
1 | de l'ignorance à la sagesse ; sapientia : savoir et sagesse |
2 | de la faute à la pénitence ; paenitentia : pénitence et repentir |
3 | de la pénitence à la justice abondante |
4 | de la misère à la gloire |
Chacun de ces passages conduit à la vision correspondante.
§ 3 : les 4 visions :
4 visions | |
1 | vision par laquelle Dieu est vu dans la créature |
2 | vision par laquelle Dieu est vu dans la nature humaine qu'il a assumée |
3 | vision par laquelle Dieu est vu dans la conscience humaine |
4 | vision par laquelle Dieu est vu dans son essence |
Chaque vision entraîne une béatitude particulière :
Visions | Béatitudes correspondantes |
1ère vision | purifie de toute erreur par la lumière de la vérité infinie |
2e vision | écarte toute douleur par la douceur d’une suavité sans prix |
3e vision | met fin à tout labeur par la tranquillité d’un repos sans fin |
4e vision | chasse toute peur par la certitude d’une force inébranlable |
La « force inébranlable » qui soutient ce 4e degré de béatitude se résout aussi en beauté : « Il ne peut se trouver aucune crainte là où ils verront le roi dans sa beauté. »
Annexe §1
Comparaison entre « verbum/parole » et le « Verbum/Verbe »
* Il convient de remarquer ici la mention de l’intelligible, alors que dans tous les autres termes de la comparaison, il est question du sensible.
Autres remarques :
– Il est particulièrement important que le « verbum/parole », présent dans le thème du sermon, soit, dans la comparaison ci-dessus, l’image du « Verbum/Verbe ». Le latin a l’avantage d’utiliser un seul mot, là où le français doit recourir à deux mots différents.
– La correspondance n°3, dont les deux termes sont répartis avant et après la Nativité, nous montre ceci :
- avant la Nativité, le Verbe/Verbum est comme une parole/
verbum qui n’est pas exprimée par la voix ;
- après la Nativité, le Verbe/Verbum est à son tour exprimé,
comme une parole/verbum exprimée par la voix.
– Comme le verbum/parole s’exprime en revêtant la voix, de même le Verbum/Verbe s’exprime en revêtant la chair.
(Psyché, dans le mythe grec conté par Apulée, avant les épreuves qui la conduiront à la divinisation, est transportée dans le palais d’Éros où elle est servie par des voix sans corps.)
Thème : « Passons jusqu’à Bethléem et voyons cette parole1 qui s’est réalisée, que le Seigneur nous a montrée. »2
1. Ces paroles peuvent être exposées de deux façons, à savoir selon le sens littéral et selon le sens allégorique. Selon le sens littéral, ce sont les paroles des bergers qui sont exposées mais, selon le sens allégorique, ce sont celles des contemplatifs.
Selon le sens littéral, sont notées ici deux choses :
– la dévotion fervente des bergers, quand il est dit : « Passons » ;
– leur pieuse profession de foi, quand il est dit : « la parole qui s’est réalisée ».
En premier lieu, il s’agit de leur dévotion qui se manifeste en deux points, à savoir : leur intention d’aller et leur désir de voir. Le premier point quand il est dit : « Passons », le second quand il est dit : « voyons cette parole ».
Ainsi, en ce qui concerne leur intention d’aller, ils disent : « Passons ». Ce n’était pas des propos en l’air ni des mensonges, car il est dit ensuite : « et ils vinrent en hâte »3 ; et c’est précisément parce qu’ils se hâtèrent de venir, qu’ils méritèrent de voir. C’est pourquoi le texte ajoute : « et ils trouvèrent Marie et Joseph ainsi que le nourrisson posé dans une mangeoire. »4 Ainsi ce texte nous enseigne à rechercher le Christ avec empressement et hâte. Pour cette raison, la Glossa5 déclare sur ce passage : « Il ne faut pas rechercher la présence du Christ avec nonchalance ; aussi les bergers ne tardent-ils pas à le trouver car, animés par une foi qui n’était pas feinte, ils courent voir ce qu’ils ont entendu. »
Donc, la dévotion fervente des bergers se manifeste dans leur intention d’aller et dans leur désir de voir.
En second lieu, c’est leur pieuse profession de foi qui se manifeste quand ils disent : « cette parole qui s’est réalisée ». Ils ne disent pas : « voyons, du moins si cette parole correspond à la réalité », mais ils disent : « la parole qui s’est réalisée », en exprimant une affirmation, non un doute. Ainsi la Glossa dit : « En croyant aux paroles de l’ange, les bergers donnent témoignage », à savoir en faisant profession de foi envers le Sauveur du monde, le Verbe incarné, vraiment né. Ainsi, dans leur profession de foi, on peut relever trois points : en effet, ils font profession de foi envers l’incarnation du sauveur, envers l’auteur de l’incarnation et envers la naissance de celui qui est incarné.
Le premier point apparaît quand ils disent : « cette parole qui s’est faite »6, cette parole c’est-à-dire le Verbe du Père éternel dont on ne dit pas qu’il a été fait, car « c’est par lui que toutes choses ont été faites »7, mais on dit que : « le Verbe s’est fait chair »8.
Le deuxième point apparaît quand ils disent : « que le Seigneur a faite »9. Isaïe déclare : « C’est par le Seigneur que ceci a été fait »10. « Cette majesté toute-puissante a accompli trois œuvres et trois mélanges en assumant notre chair, actes admirablement singuliers et singulièrement admirables, tels que cela n’avait jamais été fait et ne sera plus à faire sur la terre. Sont en effet réunis Dieu et l’homme, la mère et la vierge, la foi et le cœur humain. Ces mélanges sont admirables. Dans le premier, vois ce que Dieu t’a donné ; dans le deuxième, vois par quoi il te l’a donné ; dans le troisième, vois en vue de quoi il te l’a donné. Or Dieu t’a donné le Christ par Marie en vue de ta guérison. Dans le premier mélange se trouve le remède ; dans le deuxième se trouve le secours, car Dieu a voulu que nous n’ayons rien qui ne soit passé par les mains de Marie ; dans le troisième se trouve la récompense, car, lorsque nous croyons fermement, nous en avons déjà la récompense et c’est dans la foi que réside la guérison. »11
Le troisième point apparaît par leur profession de foi envers la naissance de celui qui est incarné, quand ils ajoutent « que le Seigneur nous a montrée », de sorte que celui qui auparavant était invisible est devenu visible pour nous. De même qu’une parole que l’on se dit mentalement, qui n’est pas exprimée par la voix, n’est pas accessible aux sens, tandis que revêtue d’une voix elle leur devient accessible, de même également le Verbe incarné avant sa naissance n’est pas accessible à l’intelligence, tandis qu’après sa naissance, se trouvant exprimé de la même façon qu’une parole est exprimée par la voix, après avoir revêtu la chair, il devient accessible à nos sens12. Ainsi saint Augustin déclare au premier Livre de la Doctrine chrétienne : « Quand nous parlons afin que ce que nous avons dans l’esprit pénètre par ses oreilles de chair dans l’esprit de celui qui nous écoute, la parole que nous portons dans notre cœur devient un son et est appelée langage, et cependant notre pensée ne se change pas en un son identique, mais tout en demeurant entièrement la même, elle prend la forme d’une voix par laquelle elle pénètre dans les oreilles sans que cette transformation ne l’altère en rien. De même le Verbe de Dieu, sans subir de transformation, s’est tout de même fait chair, . 14 15 16 17 er 18