© Éditions Grégoriennes 2010
www.adverbum.fr
ISBN 978-2-914338-28-8
ISBN 978-2-914338-68-4
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Dans la même collection
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de la culture de mort
Michel Fromaget, La drachme perdue -
L’anthropologie « Corps, Âme, Esprit » expliquée
« Soyez sobres, et veillez ; car le démon, votre
ennemi, tourne autour de vous comme un lion
rugissant, cherchant qui il pourra dévorer.
Résistez-lui donc, en demeurant fermes
dans la foi. »
(I Pierre 5, 8-9)
« Possession diabolique » et « exorcisme »… Voici certainement l’un des sujets les plus délicats, les plus sensibles et les plus discutés de nos jours dans notre société ultra-matérialiste, rationaliste et libérale, société qui vit, depuis une quarantaine d’années, une crise spirituelle sans précédent. Celle-ci conduit, dans la majorité des cas, vers l’agnosticisme, l’athéisme, ou plus fréquemment vers une sorte de religion « à la carte » faite de « morceaux choisis » qui arrangent bien tel ou tel individu, bien installé dans ses petites habitudes. Pour beaucoup de gens, l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis font sourire : cela leur semble dépassé, rétrograde… Cela n’est qu’une pensée « moyenâgeuse »… L’Église nous mentirait-elle depuis deux mille ans ?
Si l’on ne croit pas en Dieu, comment croire en l’existence du démon ? Plus original encore : aujourd’hui, beaucoup de chrétiens pratiquants, et même de prêtres, nient l’existence du malin, ou, plus subtil encore, sont avant toute chose animés par la volonté de ne pas y croire. Comme nous le verrons, il est certain que ces gens n’ont rien compris à la théologie et à la doctrine contenues dans les Saintes Écritures et que l’Église a pour mission de garder et de transmettre depuis deux mille ans. Ont-ils seulement lu quelques passages de la Bible ? Saint Jean affirme dans son évangile que « c’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est venu dans le monde » (IJn, 3, 8). Dans la Bible, il est en effet question du démon plus de cent soixante-dix fois…
Pendant des siècles, les évêques ont confié le difficile ministère d’exorciste à l’un ou plusieurs de leurs prêtres, soit ponctuellement (uniquement pour un cas spécifique qui peut se présenter), soit pour une durée plus longue qui peut aller jusqu’à plusieurs décennies. Or, de nos jours, dans la crise générale de la foi, apparaît un réel paradoxe : les évêques nomment, dans chaque diocèse, un prêtre exorciste. La France, par exemple, en compte actuellement environ cent quarante. Mais parmi eux, beaucoup hélas doutent de l’existence du malin et font plutôt office de « psychologue », sans résultat probant d’ailleurs, dans bien des cas. Néanmoins, une petite partie d’entre eux, restée ferme dans la foi catholique, ne voit nullement la chose de la même façon et ose, si nécessaire, aller jusqu’au bout, c’est-à-dire pratiquer l’exorcisme, s’attaquer réellement au démon. Et ces prêtres obtiennent de réels résultats positifs et probants. Cela est donc bien révélateur de cette crise de la foi, catastrophique à bien des égards.
Aborder ce débat du démon et de l’exorcisme dans ce climat général semble donc une folie. Pourtant, cela est tellement à propos dans le siècle où nous vivons, dominé par l’orgueil, l’égoïsme, l’argent, le pouvoir, le paraître, la haine, la jalousie, le mépris, la guerre, la drogue, le suicide, l’injustice, l’apostasie, la multiplication des sectes et des sociétés secrètes, la confusion, le désordre général, l’absence de tout bon sens, la désinformation, l’ignorance, l’inculture, le mensonge et le sexe (sans oublier le Da Vinci Code et Halloween)… Tout cela ne serait-il que le fruit du hasard ? Serait-ce là l’œuvre du Saint-Esprit ?
De plus, notre société actuelle est persuadée que la Vérité (ce mot même fait frémir) est à la fois partout et nulle part, et aussi qu’en dehors de la Science, point de salut : tout ce qui ne peut être expliqué scientifiquement est inconcevable, impossible, voire inexistant : n’est-ce pas là de l’orgueil ? Le coup de maître de Satan ne serait-il pas justement de faire croire qu’il n’existe pas, alors qu’il est certainement, directement ou indirectement, à l’origine de tout cela ? « L’un des plus grands besoins de l’Église est de se défendre contre ce mal que nous appelons le démon. » (Paul VI, Audience générale, 17 novembre 1972) Croire à l’existence et à l’action du diable n’est en soi pas plus extraordinaire pour un chrétien que de croire en la présence réelle de Jésus-Christ dans le Saint Sacrement. Le démon fascine et fait peur à la fois : on préfère donc se convaincre qu’il n’existe pas, ou bien, si l’on croit en son existence, on fait en sorte de ne pas vouloir reconnaître son action chez un individu, par exemple, de peur (sans doute) d’être confronté à une affaire de « diablerie » et même de s’attirer les foudres du Prince de ce monde. Quel manque de foi, de courage et de discernement… Est-ce là la volonté de Jésus, notre Maître, lequel « vomi(t) les tièdes » (Ap 3, 16). Or, des personnes souffrent atrocement dans leur âme et dans leur corps, tourmentées parfois de façon extraordinaire par les puissances des ténèbres. Leurs proches ne comprennent pas, ne savent plus que faire ; les parents et les enfants vivent un véritable calvaire, s’enfuient souvent. Les relations familiales, amicales, professionnelles se détruisent peu à peu (le démon aime isoler ses victimes), tandis que les biens matériels peuvent aussi péricliter mystérieusement. Les gourous, les magnétiseurs, les psychiatres et les hôpitaux psychiatriques regorgent certainement de ces gens-là ? : les traitements prescrits, parfois très lourds, sont inefficaces et ne font généralement qu’aggraver la situation. Souvent, hélas, le suicide est la conclusion logique et fatale : c’est précisément ce que veut le démon afin de remplir le plus possible l’enfer d’âmes damnées. Pendant ce temps, les bonnes personnes ne sont pas là pour secourir, voire sauver ces âmes… Quel manque de charité ! Saint Paul nous met pourtant bien en garde : « Si je n’ai point la charité, je ne suis rien. (…) La charité est patiente ; elle est douce et bienfaisante ; (…) elle ne s’enfle point d’orgueil. (…) Elle supporte tout, elle croit tout, elle espère tout, elle souffre tout. » (I Co 13)
L’auteur de cette étude est un catholique pratiquant convaincu : mais ce n’est nullement pour cette raison, et encore moins animé par nos convictions personnelles, que nous allons aborder à présent le délicat problème de l’existence du démon. Dans la première partie de cet ouvrage, nous ferons d’abord le point sur l’enseignement de l’Église concernant le malin ; puis, nous tenterons de répondre à la grande question : comment savoir si quelqu’un est tourmenté par le diable, quels en sont les symptômes, comment cela se manifeste-t-il et que faut-il faire ? Selon les aspects abordés, nous renverrons aussi sans cesse vers des exemples et des récits présentés dans la deuxième partie de cette étude afin d’illustrer et de mieux comprendre les choses. Ces histoires véridiques sont volontairement de diverses époques afin que le lecteur puisse se rendre compte qu’effectivement le démon n’a pas changé et que ses stratégies, même si elles prennent des formes différentes, sont toujours les mêmes depuis la nuit des temps. Cela nous permettra de contrer une idéologie très en vogue aujourd’hui qui semble sous-entendre que Dieu et le démon ne sont plus comme hier, que leurs actions sont différentes de nos jours, et qu’il faudrait que cette Église « poussiéreuse » s’adapte enfin au monde moderne alors que c’est le monde qui doit s’adapter à l’Église, modèle suprême et immuable.
À travers tout cela, nous allons également témoigner, pour la première fois, de notre expérience personnelle du démon, ayant été confronté, dans notre famille, à plusieurs cas de possessions diaboliques. Dès lors, nous avons dû assister régulièrement à de nombreux exorcismes à titre de témoin, et seconder par là-même quelques prêtres exorcistes dans leur délicat ministère.
Par ce que nous avons observé, ce que nous avons vécu, ce que nous avons vu et entendu, et aussi par nos découvertes dans des archives et des livres rares (car nous sommes chercheur universitaire), nous osons affirmer que le démon existe et qu’il est actuellement déchaîné comme il ne l’a jamais été. Contrairement à ce que beaucoup prétendaient autrefois, les exorcistes les plus sérieux affirment de nos jours que les gens tourmentés de manière extraordinaire par le malin sont aujourd’hui nombreux, sans savoir, dans la majorité des cas, que c’est lui qui est à l’origine de leurs maux.
« Voici la croix du Seigneur, fuyez puissances ennemies. »
Introduction
Une réalité inchangée :
le démon et son action hier et aujourd’hui
1. Qui est le démon ? : l’enseignement de l’Église
2. La réalité des possessions démoniaques attestée par les Évangiles
3. Jésus nous a donné le pouvoir de chasser les démons?: seuls les prêtres peuvent-ils exorciser ?
4. Comment savoir si une personne est sous l’emprise du malin et a besoin du ministère de délivrance ?
5. Quels signes peuvent laisser supposer qu’une personne est victime du malin ?
6. Que faire en cas de doute ?
7. Les différents degrés d’emprise du malin sur l’Homme et les causes des tourments diaboliques extraordinaires
8. Comment se débarrasser du démon lorsque celui-ci a été détecté ?
9. Que faire si tout cela ne suffit pas, ou si le démon est suffisamment puissant pour empêcher la personne de mettre en œuvre tout cela ?
10. Histoire de l’exorcistat et des prières d’exorcisme
11. Quelles peuvent être les manifestations pendant un exorcisme ?
12. Quand et comment survient la délivrance ?
13. Le problème des lieux et maisons hantés
14. Lorsqu’on interroge les morts, répondent-ils vraiment ? Le problème du spiritisme
15. Peut-on être possédé par l’âme d’un damné et non par un démon ?
Une réalité inchangée :
possessions et exorcismes hier et aujourd’hui
1. Délivrance par la prière d’exorcisme
2. Délivrance lors d’un pèlerinage
3. Puissance de saint Joseph, « terreur des démons »
4. Délivrances accomplies par le Saint Sacrement
5. Délivrances accomplies par le pape
6. Délivrances faites par la Sainte Vierge et par le Rosaire en dehors des lieux de pèlerinage
7. Délivrances accomplies par un évêque
8. Possessions causées par des prêtres-sorciers
9. Le diable « apôtre » ou « instrument » pour la conversion des pécheurs
10. Un cas de possession prophétique annonçant la fin du règne de Satan
11. Des agressions diaboliques particulières : les esprits succubes et incubes
12. Des personnes ne sont jamais délivrées du démon
13. Les saints peuvent aussi être tourmentés par le démon
14. L’humilité, la foi et la sainteté de certaines personnes chassent le démon
Sources d’archives et sources iconographiques
Notes
« (Saint Michel Archange) combattez aujourd’hui, avec l’armée des Anges bienheureux, comme vous avez combattu jadis contre Lucifer et ses anges rebelles ; et ils n’eurent pas le dessus, et on ne trouva plus leur place dans le ciel. Mais il fut jeté, ce grand dragon, l’antique serpent, celui qu’on appelle le diable ou Satan, celui qui égare le monde entier : et il fut jeté sur la terre, et ses anges furent jetés avec lui. » (Ap 12, 8-9)
Depuis deux mille ans, et conformément aux Saintes Écritures, l’Église nous enseigne que Dieu a créé à partir de rien, dès le commencement du temps, deux sortes de créatures, la spirituelle et la corporelle, c’est-à-dire les anges et le monde. Les anges sont les messagers, les envoyés de Dieu. L’ange est un pur esprit que Dieu a créé pour sa gloire et pour son service. L’ange est une substance spirituelle complète, douée d’intelligence et de volonté à un niveau très supérieur à l’être humain. Mais il existe une hiérarchie céleste, c’est-à-dire une différence de perfection et de fonctions parmi les anges. Ils se divisent en neuf chœurs : les Séraphins, les Chérubins, les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Puissances, les Principautés, les Archanges et les Anges1.
Dieu a voulu mettre à l’épreuve les anges en humiliant leur raison devant sa raison et en soumettant leur volonté à sa volonté. Dieu leur révéla enfin le mystère futur de l’Incarnation, et proposa à leur adoration le Verbe fait chair, Jésus Christ.
C’est alors que l’un des chefs du monde des esprits, Lucifer, refusa d’obéir à Dieu, et une foule considérable d’autres anges le suivit dans sa révolte (au moins le tiers des anges créés, qu’on appelle depuis « anges rebelles »). Face à ce péché d’orgueil par excellence, les anges restés fidèles à Dieu combattirent vaillamment pour les droits de Dieu. Au blasphème de Lucifer « je serai semblable au Très-Haut » (Is 14, 11-14), saint Michel archange, prince de la milice céleste, répondit : « Qui est comme Dieu ? » Alors il se fit un grand combat dans le ciel : saint Michel et ses anges combattaient le dragon ; de son côté, le dragon combattait, lui et ses anges rebelles, mais ils n’eurent pas le dessus et n’eurent plus leur place dans le ciel (Ap 12, 7-8). Dieu leur infligea alors, pour l’éternité, un terrible châtiment : l’aveuglement de l’esprit (Ez 25, 16-17), l’obstination de la volonté du mal (Ps 77), l’exclusion du séjour de la gloire (le Paradis : ils ne verront plus jamais Dieu, c’est-à-dire qu’ils ne jouiront plus désormais de la vision béatifique, II Pierre 2, 4), le tourment du feu : l’enfer (Mt 25, 41).
Les démons sont donc dans cette prison qu’on appelle l’Enfer. Mais, avec la permission de Dieu, ils peuvent, jusqu’au jour du Jugement dernier, venir rôder dans les airs ou sur terre, tout en portant avec eux leur supplice (Eph 6, 12). Ils passent leur temps à maudire Dieu, à blasphémer, à chercher à lui ravir l’adoration des créatures. Mais les démons tremblent devant Dieu (Jc 2, 19). Entre eux, les anges rebelles se méprisent et se détestent, ne s’accordant que pour le mal où leur volonté est obstinée. Ayant conservé leurs lumières et leurs forces naturelles (leurs grades dans la hiérarchie céleste à laquelle ils appartenaient), ils peuvent exercer un grand pouvoir sur la nature, subordonné toutefois à la volonté divine. Leurs pouvoirs se manifestent par des prodiges extraordinaires, de faux miracles, de fausses prophéties… Ces prodiges sont toutefois faciles à discerner par rapport aux œuvres divines. Avec la permission de Dieu, ils peuvent transporter les corps avec une grande rapidité, les tenir élevés dans les airs, faire toutes sortes d’applications des forces de la nature, produire de la lumière, de la chaleur, de l’électricité, agir sur les sens et l’imagination de l’homme. Mais ils ne peuvent lire dans la pensée des hommes et des autres esprits : ils ne connaissent que ce que Dieu leur révèle. Les deux caractéristiques dominantes du démon sont l’orgueil et le mensonge (dont il est le père)2.
Plein de haine contre Dieu et d’envie contre les hommes, il emploie pour leur nuire et les entraîner en Enfer tous les moyens laissés en son pouvoir, dont les tentations. Tout homme est tenté par le démon, c’est ce que l’on appelle l’influence ordinaire. Mais quelquefois, sur permission divine (toujours en vue d’un plus grand bien, tel qu’une conversion par exemple) certaines personnes sont tourmentées par le démon de manière extraordinaire par des obsessions, des vexations, des infestations (attaques généralement extérieures), ou encore (degré suprême) par des possessions. Dans ce cas, le démon se meut totalement à travers une personne. Sachant que dans tous ces cas (ou degrés), il y a des niveaux plus ou moins importants.
Le démon tente les hommes en troublant les sens et l’imagination, et en attisant toutes les mauvaises passions du cœur. Le grand artifice du démon est de nous montrer le bien comme chose désagréable et pénible, et le mal comme chose agréable et bonne3.
Par la grâce de Dieu. « Soyez soumis à Dieu et résistez au démon, et il fuira loin de vous. » (Jc 4, 7) Pour triompher du démon, il faut être vigilant, prier et se mortifier (« Veillez et priez afin de n’être point engagé dans la tentation », Mt 16, 41 ; « Ce genre de démon ne se chasse que par la prière et le jeûne », Mt 17, 20). Le démon fait peur, et il ne faut surtout pas en avoir peur, car en réalité c’est lui qui a peur de l’Homme. En effet, il y a deux domaines chez l’Homme où il n’a pas accès et contre lesquels il ne peut rien (ce qui l’inquiète beaucoup) : la raison et le cœur. Dieu seul se les réserve.
Cette question est d’autant plus incompréhensible aujourd’hui que la théologie moderniste nous présente Dieu uniquement sous son aspect miséricordieux : on a même l’impression que l’on peut commettre tous les péchés que l’on veut et que Dieu nous pardonne d’office, sans même que nous ayons soin de nous confesser. Ce n’est pas comme cela que l’on entre au Ciel. Il ne s’agit là nullement de la théologie catholique enseignée depuis deux mille ans. Notre Dieu est certes miséricordieux, il nous laisse toujours le libre arbitre, il n’oblige à rien (chacun prend ses responsabilités), mais il s’agit aussi d’un Dieu que l’on doit craindre : pour lui avoir désobéi, n’a-t-il pas précipité les anges rebelles en enfer ? À de nombreuses reprises, les Saintes Écritures disent : « heureux celui qui craint le Seigneur ». Dieu permet donc les tourments diaboliques :
1) Pour convertir et éprouver les justes, dont la vertu se purifie, se fortifie et s’enrichit de mérites. [10, 12, 14, 18, 48, 57, 58, 61 à 70]
2) Pour punir les méchants, car leurs péchés les rendent esclaves du démon dans ce monde et dans l’autre.
3) Pour tourmenter le démon lui-même dont les victoires éphémères sont suivies de défaites qui le remplissent de honte et de confusion (« Le démon, qui les séduisait, fut précipité dans l’étang de feu et de soufre, où la bête et le faux prophète seront tourmentés jour et nuit dans les siècles des siècles » Ap 20, 9). [25, 26, 28 à 37, 51, 71, 72]
À dix-huit reprises, il y est fait mention de possédés ou du pouvoir que Jésus, et, par lui, les Apôtres, avaient de chasser les démons. Tantôt il est parlé de cas particuliers : le possédé de Capharnaüm (Mc 1, 23-28 ; Lc 4, 33-37), les possédés de Gérasa (Mt 8, 28-34 ; Mc 5, 1-20 ; Lc 8, 26-39), le muet démoniaque (Mt 9, 32-34), le possédé muet et aveugle (Mt 12, 22-45 ; Mc 3, 20-30 ; Lc 11, 14-26), la fille de la Cananéenne (Mt 15, 22-28 ; Mc 7, 25-29), la femme courbée (Lc 13, 11-16). Tantôt Jésus est montré guérissant les malades et délivrant les possédés (Mc 1, 39 ; Lc 6, 18-19), guérissant des malades, des possédés, des aveugles (Lc 7, 21). Les formules employées par les Évangiles, les expressions par lesquelles le Christ revendique son pouvoir sur les démons sont trop nettes pour qu’on y puisse voir une accommodation aux croyances du temps qui attribuaient certains maux physiques, certaines maladies, à l’influence du malin4. On ne peut dire, d’autre part, que les démoniaques des Évangiles étaient de simples malades, comme les névropathes ou les hystériques de nos hôpitaux. Les Évangiles prennent soin de distinguer guérisons de possédés et guérisons de malades. Ce n’est pas à dire d’ailleurs que la possession ne puisse s’accompagner de maladies, soit que la possession se manifeste par des troubles organiques (ou tout au moins qui en ont l’apparence). Les Évangiles inclinent plutôt en ce sens. Le muet, le lunatique, la femme courbée sont délivrés de leurs infirmités en même temps que du démon : il y a donc des maladies d’ordre purement naturel, d’autres d’origine démoniaque5.
Le grand exorciste, c’est Jésus. Après son baptême dans le Jourdain, Il commence l’accomplissement de sa triple mission : mission royale qui l’engage dans la lutte contre l’esprit du mal, mission prophétique qui en fait le prédicateur infatigable de la Parole de Dieu, et mission sacerdotale qui le pousse à louer Dieu et à s’offrir Lui-même en rançon pour notre salut. Les Évangiles soulignent comment, juste après son baptême, Jésus est conduit au désert pour y être tenté par le diable (Mt 4, 1 ; Lc 4, 1 ; Mc 1, 12). Commencée au désert, la lutte contre Satan se poursuivra toute sa vie. Exorciser sera précisément une des activités principales du Seigneur, ce qui émerveillait le peuple à grands cris : « Il commande aux esprits impurs eux-mêmes et ils lui sont soumis. » (Mc 1, 27) L’Église tient donc de Jésus le pouvoir et le devoir d’exorciser.
En effet, le premier pouvoir que Jésus a conféré à ses apôtres, avant même qu’il ne les ordonne prêtres lors de l’institution de la Messe le Jeudi Saint, a été précisément celui de chasser les démons (Mt 10, 1), et donc à leur suite les évêques et les prêtres hier, aujourd’hui et demain. Mais ce que l’on oublie, hélas, c’est que Jésus a également étendu ce pouvoir à tout chrétien : « Ceux qui croiront chasseront les démons en mon Nom. » (Mc 16, 17) Donc, tout laïc, en vertu de son baptême et de sa confirmation, peut faire des exorcismes. Ce qui signifie que le Christ a donné ce pouvoir à ceux qui appartiennent vraiment à l’Église fondée par Jésus-Christ : l’Église catholique (sans oublier toutefois les rites non romains mais rattachés à Rome). Les autres communautés chrétiennes (luthériennes, calvinistes, anglicanes, orthodoxes) peuvent exorciser, mais les résultats sont très réduits, voire inexistants, car les aléas de l’histoire ont fait que ces communautés se sont détachées de Rome (elles sont devenues schismatiques) et ne sont donc pas en communion avec l’Église et son chef suprême, le pape, Vicaire du Christ sur la terre. Mais le démon peut aussi simuler, faire croire qu’en dehors de l’Église un exorcisme est efficace ou même qu’il y a libération. Les Pères de l’Église témoignent du pouvoir qu’ont les fidèles de chasser les démons au nom de Jésus et le présentent comme un argument en faveur de la divinité du Christ. Ils rapportent même que souvent les païens se convertissaient à la vue de ces prodiges. Les chrétiens d’aujourd’hui n’auraient-ils plus les mêmes pouvoirs ? Décidément, la doctrine et la connaissance historique manquent cruellement à bon nombre de nos prêtres et des fidèles d’aujourd’hui, y compris dans les milieux les plus traditionalistes : ce que Jésus a promis, il l’a fait et le fera jusqu’à la fin des temps. Nier cela serait ne pas avoir la foi, douter de la parole de Dieu, voire la rejeter. Étudions tous ces éléments dans le détail.
Quand on lit les Pères de l’Église, on constate, avec l’évidence la plus absolue, qu’ils n’ont pas falsifié, encore moins contredit directement, le pouvoir réel de chasser les démons que le Christ a conféré à tous les croyants. En effet, dans l’Église primitive, l’exorcisme chrétien acquit rapidement un important prestige, car il délivrait même les païens qui en faisaient la demande. Il est clair que tout chrétien était effectivement habilité à exercer cette fonction. Ce rite était vraiment transparent au temps du Christ et librement exercé. Ce fut alors un ministère spécifique, un des signes les plus marquants du Royaume. Dieu a même contraint le démon lui-même de rappeler encore tout cela en plein XIXe siècle à travers la possession d’Antoine Gay [49] : « Toute personne quelconque a le droit de délivrer les possédés, pourvu qu’elle soit en état de sainteté. » Quel aveu ! En effet, le pouvoir de chasser les démons était courant et public dans les premiers siècles, alors que tous les chrétiens, clercs et laïcs, réussissaient à chasser les démons. Nombreux sont les témoignages contemporains à ce sujet, et ils nous indiquent que ce fait servait même aux apologistes comme argument de la divinité de Jésus et du christianisme. Ainsi, Tertullien attire souvent l’attention des païens sur ce fait, et il leur lance même un défi : « Qu’on amène ici, en présence de vos tribunaux, quelqu’un qui soit certainement tourmenté par le démon. Sur l’ordre qui lui en sera donné par un chrétien quelconque, cet esprit se proclamera démon en toute vérité, comme ailleurs il se déclare faussement Dieu. » (Apolog. 10. 23) Dans le même sens, saint Justin écrivait ce qui suit : « Vous pouvez comprendre ce que je vous dis, par les faits mêmes qui se produisent devant vos yeux. En effet, un grand nombre d’hommes, saisis par le démon, dans le monde entier et ici dans votre ville même, que d’autres adjurateurs et enchanteurs n’ont pu guérir, beaucoup des nôtres, je veux dire les chrétiens, les ont adjurés par le nom de Jésus-Christ, crucifié sous Ponce Pilate, et les ont guéris et les guérissent encore maintenant, désarmant et chassant les démons qui les possèdent. » (Apolog. 2, 8) On pourrait ajouter les témoignages de Lactance (P.L. 4, 334), de saint Hilaire (P.L. 10, 401B), de Firmicus Maternus (P.L. 12, 1013-1014), de saint Théophile d’Antioche (P.G. 6, 1016 B)… Les Pères de l’Église ont une grande confiance dans l’argument qu’ils tirent du pouvoir qu’ont les fidèles de délivrer les possédés par le seul nom de Jésus-Christ. D’autre part, de nombreux païens se sont convertis à la vue de ces prodiges. Sur ce point, on peut se reporter à saint Cyprien (De Idol. vanit.7), à saint Athanase (P.G. 25, 181), à Minucius Felix (P.L. 3, 323-327), à saint Jérôme (P.L. 23, 348C), à saint Ambroise (P.L. 16, 1024A)…6 Rappelons aussi ce texte très probant d’Origène qui parle de « ces démons que la plupart des chrétiens expulsent des énergumènes, et cela sans le secours de vaines pratiques magiques ou d’incantations, par des prières seulement et par de simples adjurations, dont l’homme le moins cultivé est capable. De fait, ce sont des ignorants, le plus souvent, qui font cela. » (P.G. 11, 1425-1426) Il est aussi intéressant, dans tous ces témoignages, de voir que les premiers chrétiens ne se posaient nullement la question que l’on entend systématiquement de nos jours : si je tente de chasser le démon des possédés, celui-ci ne va-t-il pas ensuite se venger sur moi ? Mais ne serait-ce pas là, déjà, une pensée suggérée par le malin afin d’empêcher les laïcs d’aujourd’hui et de demain (et aussi les prêtres) d’exorciser comme Jésus l’a pourtant ordonné ?7
Satan a été vaincu par Jésus, mais il continue de faire la guerre aux chrétiens qui lui sont restés fidèles. C’est la raison pour laquelle notre lutte contre les esprits malins se poursuit, et durera jusqu’au dernier jour, comme l’a annoncé le Christ lui-même. En attendant, chaque homme est un soldat, et la vie terrestre est pour lui l’occasion de prouver à Dieu sa fidélité, car le Royaume de Dieu est quelque chose qui se mérite et il n’est pas facile d’y entrer comme ne cessent de le rappeler les Saintes Écritures.
Nous avons vu que les orthodoxes et certaines confessions protestantes ont conservé bien vivante la pratique des exorcismes. Mais dans l’Église catholique, la mentalité qui prévaut est résumée dans le Code de droit canonique de 1983 en ces termes : « Personne ne peut légitimement prononcer des exorcismes sur les possédés, à moins d’avoir obtenu de l’Ordinaire du lieu une permission particulière et expresse. » (can.1172 §1)8. C’était reprendre, en substance, ce que l’ancien code, publié sous Pie XI, avait lui-même stipulé (can.1151)9. Dans l’interprétation du canon 1172, la confusion est presque généralisée. Cependant, le nouveau Catéchisme de l’Église catholique semble y avoir apporté une timide clarification, lorsqu’il indique que « l’exorcisme solennel, appelé “grand exorcisme”, ne peut être pratiqué que par un prêtre et avec la permission de l’évêque » (n°1673)10. Avant de parler de l’exorcisme solennel, il parle donc d’une forme « simple » de l’exorcisme, qui « est pratiquée lors de la célébration du Baptême ». En considérant que le Catéchisme parlait d’exorcisme « solennel », on aurait pu penser qu’il voulait se référer à la terminologie utilisée par les théologiens, qui distinguent entre exorcisme solennel et exorcisme privé. Mais le texte du Catéchisme demeure très ambigu et il est nécessaire d’y apporter quelques commentaires. Pour ce faire, il faut bien distinguer les différentes espèces d’exorcismes, car, comme nous allons le voir, ces notions ne sont que la reprise, de façon sommaire, des écrits de grands théologiens moralistes depuis, au moins, le XVIIIe siècle.
L’exorcisme est l’invocation faite au nom de Dieu afin d’éloigner le démon d’une personne, d’un animal, d’un lieu ou d’une chose. L’exorcisme peut être privé ou public, et ce dernier peut être simple ou solennel.
1. L’exorcisme est privé lorsqu’il est pratiqué par un prêtre ou par un simple fidèle, selon le pouvoir et le droit d’exercer ce pouvoir, sans aucune autorisation, conformément à la collation de ce pouvoir par le Christ lui-même : « Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons. » (Mc 16, 17)
2. L’exorcisme est public (ou « solennel »), lorsqu’il est pratiqué au nom de l’Église, par une personne habilitée, conformément aux rites déterminés. A)L’exorcisme public est simple, lorsqu’il dépend d’autres rites, comme le catéchuménat ou le baptême. B)L’exorcisme public est solennel, lorsqu’il est pratiqué au nom de l’Église, et pour cette raison, il est pratiqué par un prêtre et avec autorisation de l’évêque. En conséquence, le canon 1172, §1, avec ses restrictions, ne peut s’appliquer seulement qu’à l’exorcisme solennel ; c’est ce qui sera prouvé, sans équivoque, dans les arguments qui vont suivre.
Ce dernier canon est l’objet de très graves confusions, même en hauts lieux, y compris dans les milieux traditionalistes, si bien qu’on interdit tous les exorcismes qui ne sont pas solennels… Ainsi, on empêche les fidèles de lutter contre le démon, par un moyen spécifique que le Christ a octroyé non seulement aux apôtres, mais aussi à tous les croyants, et ce moyen spécifique, c’est l’exorcisme. Or, cette interprétation du canon 1172, §1, se retrouve notamment dans la lettre que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi adressait à tous les évêques du monde entier, le 29 septembre 1985, interdisant aux fidèles de dire l’Exorcisme de Léon XIII, ainsi que dans la présentation du nouveau rite de l’exorcisme, que faisait le Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, le 26 janvier 199911.
Les remèdes contre les influences diaboliques sont : la prière, la pénitence, les sacrements, les sacramentaux et les exorcismes. L’Église a même institué, comme nous le verrons, l’ordre des exorcistes, qui était régulièrement conféré aux aspirants à la prêtrise. Ici, il faut distinguer l’exorcisme solennel et l’exorcisme privé :
• l’exorcisme solennel doit se faire, généralement du moins, dans une église ou une chapelle, avec l’étole et le surplis. Les prêtres seuls peuvent l’entreprendre avec une permission particulière de l’évêque du lieu;
• l’exorcisme privé est toujours permis, autant aux prêtres qu’aux laïcs. Ces derniers peuvent utiliser alors les prières du Rituel romain de 1614, ou des formules abrégées, dont l’Exorcisme de Léon XIII, mais ils doivent parler en leur nom propre (en tant que baptisés), et non pas au nom de l’Église.
Cette distinction est commune chez les plus éminents théologiens, mais elle est relativement peu connue, voire totalement ignorée, même chez les traditionalistes. Au XVIIIe siècle, dans son Praxis confessarii, saint Alphonse de Liguori conseille de « (…) se prémunir par des exorcismes particuliers. (…) Commencez par faire contre le démon au moins l’exorcisme privé ; il est certainement permis en cette matière. »12 Puis, beaucoup d’autres auteurs vont se baser sur les moralistes Antonio Ballerini (1805-1881, jésuite, professeur d’histoire ecclésiastique et de théologie morale à l’Université grégorienne de Rome, il fit l’adaptation du Compendium theologiae morales de son confrère français, le père J.-P. Gury) et Augustin Lehmkuhl (1837-1917, jésuite allemand, spécialiste de théologie morale et des cas de conscience). Ce dernier déclare : « Selon saint Alphonse de Liguori, et d’après la pratique de son époque, il n’est pas licite aux ministres de l’Église d’exercer publiquement l’exorcisme sans l’autorisation expresse de l’évêque : il semble communément qu’il y ait péché grave d’agir autrement à cause du péril de scandale, ou du moins quand il a été expressément défendu par l’évêque. Cependant il ne peut pas en être dit de même au sujet de l’exorcisme pratiqué en privé même par un ministre et pour les prières prescrites par l’Église selon la forme du Rituel, à moins que l’usage de cet exorcisme soit défendu par une loi spéciale du diocèse. Bien plus, il n’y a pas péché pour un laïc qui penserait probablement à une infestation de réciter uniquement les prières de l’Église contre le diable; mais cependant il ne peut, contrairement au ministre de l’Église, réciter ces prières au nom même de l’Église. »13
Le R. P. Aug. Poulain s.j., a écrit ce qui suit : « Les exorcismes peuvent être solennels ou privés. Les premiers sont ceux qu’on fait publiquement, dans l’église, en habit de chœur. Les prêtres seuls peuvent l’entreprendre ; il leur faut généralement la permission de l’Évêque. L’exorcisme privé est toujours permis, même aux laïcs, mais ceux-ci doivent parler en leur propre nom et pas au nom de l’Église. La forme n’est plus fixée. Certains confesseurs usent d’une formule rapide d’adjuration, lorsqu’ils trouvent un pénitent mal disposé ou attaqué de grandes tentations. Comme ministres de Dieu, ils ordonnent au démon de se retirer. On agira de même lorsqu’une personne présentera des symptômes probables de possession. Mais il vaut mieux faire cet exorcisme sans qu’elle s’en doute, pour éviter une suggestion qui rendrait la question plus obscure. Rien n’empêche, par exemple, de dire qu’on récite une prière latine contre les maladies. »14 Beaucoup d’autres auteurs ont encore écrit des choses similaires ou complémentaires d’où l’on tirera un remarquable enseignement. Face à l’importance de la question, en voici quelques exemples : dans son manuel de théologie morale, le théologien dominicain allemand, Dominique Pruemmer, dit : « Non seulement les clercs, qui ont le pouvoir des ordres, mais aussi les laïcs peuvent pratiquer l’exorcisme d’une façon privée et secrète. »15 Un autre moraliste réputé, le jésuite H.Noldin, a écrit : « L’exorcisme simple peut être pratiqué par tous ceux qui en ont le pouvoir, c’est-à-dire les prêtres ; même les simples clercs ordonnés exorcistes peuvent parfaitement les pratiquer à moins qu’une discipline de l’Église en vigueur ne l’interdise. (…) L’exorcisme privé peut être pratiqué par tous les fidèles : en effet, n’importe quel fidèle peut, par Dieu ou Jésus-Christ, commander au démon de ne pas nuire à lui-même ou à d’autres par les tentations ou les vexations.
L’efficacité de cet exorcisme ne découle pas de l’autorité ou des prières de l’Église, puisqu’il ne se fait pas au nom de l’Église, mais par la puissance du nom de Dieu et de Jésus-Christ. (…) Comme le dit Pesch, les démons redoutent les mystères de la foi, par lesquels ils savent avoir été vaincus ; c’est pourquoi à la vue de la croix, à l’écoute du nom de Jésus et d’autres choses semblables, ils tremblent et fuient. (…) Il faut vivement conseiller aux ministres de l’Église de pratiquer le plus souvent l’exorcisme simple, se souvenant des paroles du Seigneur : “En mon nom ils chasseront les démons.” Mais surtout sur ceux qui souffrent d’une tentation violente, et sur les pénitents chez lesquels ils remarquent des difficultés pour regretter ou examiner leurs péchés ou les manifester sincèrement. Ils peuvent ainsi prononcer cette formule ou une autre semblable : “Au nom de Jésus-Christ, je t’ordonne, esprit impur, de te retirer de cette créature de Dieu.” »16
Ad. Tanquerey précise que la fonction d’exorciste « ne peut être exercée d’une façon solennelle que par des prêtres choisis à cet effet par l’Ordinaire. Toutefois les prêtres peuvent faire des exorcismes privés, en utilisant les prières de l’Église ou d’autres formules ; les laïcs eux-mêmes peuvent réciter ces prières, mais non pas au nom de l’Église. »17
Citons encore le célèbre dominicain R. Garrigou-Lagrange : « L’exorcisme solennel ne peut être fait que par des prêtres choisis par l’évêque du lieu et avec autorisation spéciale de celui-ci. (…) De plus, l’exorcisme solennel ne doit se faire, généralement du moins, que dans une église ou chapelle. »18 Enfin, l’abbé Saudreau, dont les écrits sur les questions diaboliques sont particulièrement nourris d’expérience, de culture et de bon sens, dit clairement que tous les théologiens « sans aucune exception, déclarent que cette adjuration faite au démon et la récitation de prières, pour obtenir de Dieu la délivrance des victimes de Satan, tant qu’elles se font de manière privée, sont permises à tous. (…) Les laïcs, eux aussi, bien qu’ils ne puissent commander au démon comme représentants de l’Église, peuvent l’adjurer au nom de Dieu, de laisser en paix sa victime, et même rien ne les empêche de se servir des prières usitées par l’Église, en cas de probabilité d’infestation diabolique. (…) Cependant le Codex juris canonici obligeant à recourir à l’Évêque avant de procéder à des exorcismes, il ne faudrait pas sans autorisation spéciale faire des exorcismes officiels, c’est-à-dire réciter sur le patient, en se revêtant du surplis et de l’étole, les prières marquées au rituel pour la délivrance des possédés. Mais rien n’empêcherait de réciter à distance ces prières, pratique, il est vrai, moins efficace, capable cependant d’agir sur les démons, de donner des indices précieux et d’apporter du soulagement aux pauvres victimes. (…) Si l’on agissait de la sorte, on procurerait à des gens tout à fait dignes de pitié et plus exposés au péché qu’on le suppose, les soulagements qu’ils réclament et que trop souvent on leur refuse. »19
Nous pouvons donc conclure que d’après les paroles mêmes de Jésus conférant à tous les croyants le pouvoir de chasser les démons (Mc 16, 17), selon les enseignements communs des Pères de l’Église et des théologiens, il ressort très clairement que les laïcs peuvent faire des exorcismes privés, sans doute avec la prudence et la discrétion qui s’imposent. Ce pouvoir, octroyé à tous les croyants, conserve toute sa valeur de légitimité et toutes les interdictions ne peuvent être qu’abusives et invalides. C’est un pouvoir fondé sur la foi et la prière. Il convient de remarquer que, parmi les pouvoirs concédés à tous les croyants, l’exorcisme est mentionné en premier lieu. Cette fonction établie par le Christ est imprescriptible et elle jouit de la pérennité20.
De nos jours, plus que jamais (mais ce n’est pas nouveau dans l’Histoire), les directives officielles des autorités ecclésiales ne tiennent aucun compte, volontairement ou pas, des enseignements des Pères de l’Église et des théologiens, et encore moins du pouvoir donné explicitement à tous les croyants par le Christ lui-même. Malheureusement, au nom de la théologie la plus authentique, il faut qualifier une telle attitude comme étant hérétique. En effet, comme le soulignent tous les grands auteurs spirituels depuis deux mille ans, c’est une hérésie de contredire des paroles formelles du Christ. Malheureusement, la grande majorité des membres du clergé, à tous les degrés, ignore qu’il y a deux espèces de dogmes : les vérités de la foi catholique, qui ont été définies par le Magistère, et les vérités de foi divine, qui sont clairement et explicitement exprimées dans l’Écriture Sainte. Or, les paroles de l’Évangile, par lesquelles le Christ octroie à tous les croyants le pouvoir de chasser les démons, constituent une vérité de foi divine, et, en conséquence, c’est une hérésie de contredire ces paroles du Christ. Comme il s’agit d’un pouvoir que le Christ lui-même a accordé à tous les croyants, absolument personne ne peut le contredire, même pas le Magistère actuel de l’Église, malgré les réformes post-conciliaires. En effet, la Constitution de Vatican II sur la Révélation divine rappelle que la « charge d’interpréter authentiquement la parole de Dieu écrite ou transmise a été confiée au seul Magistère vivant de l’Église, dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus-Christ ». Cependant, la même Constitution ajoute ce qui suit : « Ce magistère n’est pas au-dessus de la parole de Dieu ; il la sert, n’enseignant que ce qui a été transmis, puisque, en vertu de l’ordre divin et de l’assistance du Saint-Esprit, il écoute pieusement la parole, la garde religieusement, l’explique fidèlement. »21
Il convient de remarquer que, dans presque tous les ouvrages publiés sur le démon (et ils sont particulièrement nombreux), absolument aucune mention n’est faite de l’enseignement des théologiens. On voit aussi que les dicastères romains n’en tiennent aucun compte dans leurs directives, établies le plus souvent par des canonistes qui sont – faut-il l’admettre – des théologiens de métier. En effet, les canonistes tombent parfois dans l’erreur, à cause de l’ignorance de certains principes théologiques, ignorance due à une attention trop exclusive à leur spécialité. Il y a en fait très peu de vrais spécialistes du démon et qui ont de plus la pratique, la connaissance réelle, sur le terrain, des possessions et de l’exorcisme. Il est clair que la connaissance livresque et théorique ne suffit pas dans un pareil sujet. Il est nécessaire aussi de rappeler que la théologie n’est pas une science subalterne par rapport au Droit canonique qui lui est dépendant, en ce sens qu’il est constitué par l’exposé légal de certains principes théologiques : il doit donc s’élaborer d’après les principes mêmes de la théologie. Dans le Droit canonique, tout ce qui pourrait être contraire aux principes de la théologie comme telle doit être considéré comme étant erroné. C’est le cas de l’interprétation fausse que l’on fait du canon 1172, §1, qui s’applique seulement à l’exorcisme solennel, précisément parce que ce genre d’exorcisme est pratiqué au nom de l’Église. Il faut affirmer que toute extrapolation d’interdiction de ce canon à l’exorcisme privé est abusive et invalide, voire hérétique. Sans doute, tous ceux qui, jusqu’ici, sont tombés dans cette erreur, ne deviennent pas immédiatement et automatiquement hérétiques, à la condition qu’ils acceptent d’examiner sérieusement et honnêtement le problème en vue de quitter leur erreur. En effet, l’hérésie suppose l’obstination à nier une vérité dogmatique, qu’il s’agisse évidemment d’une vérité de foi divine, comme l’est la collation à tous les croyants du pouvoir de chasser les démons, ou d’une vérité de foi catholique, comme le sont tous les dogmes définis par le Magistère de l’Église et ceux qui sont de foi divine : le Droit canonique stipule que l’hérétique encourt une excommunication « latae sententiae » (canon 1364, §1).
L’abolition presque totale des exorcismes dans l’Église est donc tout à fait contraire aux Évangiles ; une telle interdiction sert directement la cause des démons… Comme preuve de ce désastre moral, on peut citer la lettre que le cardinal Ratzinger envoyait aux évêques du monde entier, le 29 septembre 1985, par laquelle il interdisait tous les exorcismes, sauf ceux qui sont pratiqués par des prêtres autorisés par les évêques, alors que ce genre d’exorcismes est presque inexistant dans l’Église entière… Il interdisait – et malheureusement il ne fut pas le seul à agir ainsi –, l’usage de la prière d’exorcisme rédigée par le pape Léon XIII : une telle interdiction ne fut certainement pas inspirée par l’Esprit Saint.
Pour vaincre le démon, l’exorcisme est l’arme spécifique et souvent victorieuse. Les exorcismes ne sont pas réservés à des spécialistes seulement ; sans doute, une certaine préparation est requise, mais la tradition biblique n’a jamais mis en évidence une technique des exorcismes. En effet, lorsque Jésus a transmis aux Apôtres et à tous les « croyants » le pouvoir de chasser les démons, il n’a pas ajouté de conseils invitant à la prudence, à l’analyse des situations diverses, à l’usage des techniques, à des réflexions qui n’en finissent plus, au recours aux médecins, aux psychologues ou aux psychiatres. Son mandat fut direct et concret : « Ces miracles accompagneront ceux qui auront cru : ils chasseront les démons en mon nom. » (Mc 16, 17)
Les autorités de l’Église interdisent presque totalement la pratique des exorcismes. Il ne faudrait pas oublier ici l’avertissement que Jésus adressait à ses disciples, qui n’acceptaient pas le ministère d’un homme chassant les démons au nom du Christ, sans faire partie de l’équipe des Douze. En effet, Jésus leur dit : « Ne l’en empêchez point ; car celui qui n’est pas contre vous, est pour vous. » (Lc 9, 50) Celui qui chassait les démons au nom de Jésus le faisait avec succès, ce qui prouve la puissance du nom de Jésus sur les démons. Les disciples voulaient interdire à cet homme d’user du nom de leur Maître. La raison de cette intervention était que l’exorciste ne faisait pas partie de leur groupe : cela paraissait être un emploi abusif du nom de Jésus et capable de diminuer l’autorité des véritables disciples aux yeux de la foule. Jésus fut moins intransigeant que ses disciples. Il ne voulut pas qu’on empêchât cet homme de continuer ses exorcismes. Il eût été dommage que cette leçon ne fût pas parvenue jusqu’à nous. En effet, dans l’Église actuelle, on fait parfois des défenses absolument abusives et injustes. Si aujourd’hui Jésus revenait en personne dans l’Église, il dirait certainement au Magistère : « N’empêchez pas vos fidèles de chasser les démons : c’est Moi qui leur en ai donné le pouvoir ; ne contredisez pas mon enseignement ! » Il importe grandement que l’Église retrouve le plein emploi des moyens que le Christ lui a donnés pour mener le combat spirituel contre le démon. Une fois de plus, le cas d’Antoine Gay au XIXe siècle est bien révélateur de cette situation et de la volonté de Dieu. [49]
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