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Le

PARADOXE

du futur

Alain Robert Savoie

Le

PARADOXE

du futur

Tome 2 - La cité de l’Espoir

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Savoie, Alain Robert, 1997-

Le paradoxe du futur

Sommaire : t. 2. La cité de l’Espoir.

Pour les jeunes de 15 ans et plus.

ISBN 978-2-89571-174-2 (vol. 2)

I. Savoie, Alain Robert, 1997- . Cité de l’Espoir. II. Titre. III. Titre : La cité de l’Espoir.

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Révision : François Germain

Infographie : Marie-Eve Guillot

Éditeurs : Les Éditions Véritas Québec

2555, av. Havre-des-Îles

Suite 315

Laval, Québec

H7W 4R4

450-687-3826

Sites Web : www.editionsveritasquebec.com

© Copyright : Alain Robert Savoie (2015)

Dépôt légal :Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives Canada

ISBN978-2-89571-174-2 version imprimée

978-2-89571-175-9 version numérique

« La vie, une existence inexistante, fruit de notre conscience.

Elle nous donne limportance déviter lévidence.

De nier la vérité en déniant linévitable tant redouté Et despérer créer une destinée pour notre société, Voilà lévidence.

Dans limagination de la création de principes dinspiration, Dans la destruction ainsi que linnovation de notre évolution, Dans le mal que nous forgeons en haïssant profondément Et dans le bien auquel nous croyons faiblement Est présente lévidence.

Des histoires abracadabrantes nous sont racontées.

Elles ne facilitent que lévidence déchirante de notre destinée Mais ce nest quune illusion despoir que nous nous donnons.

Cependant rien ne nous empêche de franchir le pont de nos réalisations.

Telle est lévidence.

Le trajet est différent, les valeurs laissées sont notre choix, Mais la destination est la même pour nous tous.

Lévidence est lexistence, lexistence est inexistence, Linexistence est un mensonge établi par lévidence Dans le but dalterner la réalité.

Tel est le paradoxe. »

Alain Robert Savoie

Du même auteur :

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Quel sera le plus grand paradoxe du futur ?

Les bouleversements climatiques ?

La déshumanisation des peuples ?

Les catastrophes géothermiques ?

L’anarchie ? Les gouvernements corrompus ?

L’individualisme ? La barbarie ?

Bienvenue en 2160 !

Cette fiction est l’œuvre d’un jeune auteur de 17 ans résidant au Nouveau-Brunswick.

Ce roman d’anticipation est rapidement devenu un best-seller auprès des adolescents francophones.

Prologue

Le mal avait triomphé, la fin de l’humanité était-elle pour se réaliser ? Le chaos qui régnait sur les hommes aveuglés par cette noirceur le laissait présager. Les survivants avaient perdu une part de leur humanisme, corrompus par la haine qui les avait habités pendant trop longtemps comme une peste qui leur pourrissait les tripes. La population du globe avait subi d’énormes pertes. La moitié des habitants de la planète bleue avait perdu la vie. La Terre se transformait en un lieu rébarbatif, aussi inhospitalier que la planète Mars. Grise et polluée, la planète se dégradait à un rythme qu’aucun scientifique n’aurait pu prédire.

Cinq ans s’étaient écoulés depuis la grande bataille du mur des Lamentations, ce lieu devenu un vestige de la civilisation en déclin. La guerre religieuse, quant à elle, s’était aggravée. L’Amérique et la nouvelle Europe, l’Incipiens, avaient interdit à toutes personnes d’autres religions que le christianisme de vivre sur leurs territoires. L’armée islamiste dominait l’Afrique en grande dictature. Les bouddhistes, les juifs ainsi que les hindouistes combattaient ensemble pour survivre sur les terres interdites de l’ancienne Asie, l’Emparate. En quelques années, les non-croyants avaient disparu de la surface de la Terre. Tous les hommes de 18 ans et plus devaient, sans exception, rejoindre les armées religieuses. Cette obligation avait détruit le tissu social et ravagé l’économie. La pauvreté endémique s’était abattue sur le peuple puisque la main d’œuvre terrienne avait été remplacée par des robots qui surpassaient maintenant le nombre d’humains. Plus personne n’était à l’abri, plus personne n’avait d’abri, le grand génocide de l’humanité avançait comme un tank impossible à stopper.

Dans un ancien souterrain, un homme nu, entouré par du matériel abandonné par des mineurs, était suspendu par les pieds et attaché par des chaînes rouillées. Des rats se promenaient en dessous de lui et une odeur putride lui enlevait le peu de courage qu’il lui restait. L’homme entendit un bruit : quelqu’un se rapprochait en chantonnant. C’était une jeune fille, celle qui l’avait kidnappé. Elle avait les cheveux rouges comme les flammes du plus puissant des feux et une robe de soie blanche salie par le sol ocre et poussiéreux. Le prisonnier cria pour obtenir de l’aide, supplia qu’on le détache, mais personne ne pouvait l’entendre dans cette ancienne mine qui était à des kilomètres sous terre. Il devait se rendre à l’évidence, le Faucheur l’avait piégé. La femme le questionna en s’approchant.

— Où se cachent les autres ? demanda-t-elle d’une voix enfantine.

— Je ne le sais pas ! répondit-il, épuisé. Je vais mourir si vous ne m’aidez pas… Pitié !

La fillette fit apparaître une roche pointue et acérée comme une dent de requin dans sa main, puis l’enfonça tranquillement à l’intérieur de la poitrine de son détenu en la tournant pour amplifier la douleur dans les hurlements de l’homme. Du fond de sa gorge, une cascade de rires de plaisir remplit la grotte, formant un effroyable écho. Une rivière de sang commença à parcourir son corps jusqu’au bout de sa main gauche pour tomber en gouttelettes sur le sol.

— Où se cachent les autres ? redemanda-t-elle.

— Je l’ignore ! L’emplacement des membres de l’Ordre est secret ! pleura-t-il.

— Alors je n’ai pas le choix, je vous éliminerai un par un. Je sais que l’Ordre veut tuer l’enfant et je ne vous laisserai pas gâcher mon plaisir, ricana-t-elle. De plus, le sceau doit être brisé.

Elle fit apparaître une autre roche dans sa main et la pénétra, cette fois-ci, dans l’œil gélatineux de son prisonnier sans détourner les yeux. Comme un œuf qu’on perce, du liquide visqueux s’échappa de l’œil. Il hurla de détresse pour quelques secondes, mais la pierre se rendit à son cerveau et le tua. La robe de la geôlière était maintenant maculée de sang.

— Un de moins, plus que 15…

***

En tenant précieusement son manuscrit sous son bras, une femme parcourait les rues désertes de Jérusalem. Plus personne ne vivait dans cet endroit aux bâtiments effondrés, aux chemins endommagés par d’énormes cratères où l’on apercevait partout des épaves de ces véhicules de guerre abandonnés. La pluie tombait sur cette personne qui portait un capuchon noir. Une rumeur circulait disant qu’un nouveau pape allait être élu dans peu de temps et elle devait se dépêcher avant que l’armée chrétienne prenne trop d’ampleur. La femme arriva devant une vieille demeure abandonnée et barricadée. Il y avait cette odeur nauséabonde dans toute la ville. L’odeur du sang pourri, depuis la dernière bataille, ne s’était pas encore complètement dissipée. La dame força la porte et entra dans cet endroit sinistre. Le plancher de bois craquait sous ses pas et l’exploratrice enleva son capuchon pour montrer son doux visage féminin. C’était une jeune femme âgée de 27 ans seulement. Ses cheveux blonds étaient noués en une longue tresse et ses yeux bleus retenaient l’attention. Sa détermination ne faisait aucun doute. Tous ses gestes démontraient son engagement envers sa tâche. Carra continuait ce que Veritas avait commencé : elle allait sauver ce monde en libérant les gens de l’emprise des Cavaliers de l’Apocalypse, comme elle l’avait fait en bâtissant la cité de l’Espoir, Esparas. L’Amérindienne avait changé depuis les cinq dernières années. Elle était devenue plus mature et était prête à faire tous les sacrifices nécessaires.

***

Sous la lumière mauve du ciel, dans un monde totalement différent de celui des humains, une vingtaine d’hommes étaient rassemblés pour collecter l’énergie indispensable à leur dernière chance de survie, ce que tous appelaient l’essence vitale. Tayeb, accompagné de son ami Jean Carlson, savait que c’était la seule solution pour tenter d’avertir les hommes de la menace qui se rapprochait. En dessous de la faible lumière de la Lune rouge, dans ce monde invraisemblable, ils tentaient de communiquer avec les autres pour les prévenir de la face cachée du plan des Cavaliers de l’Apocalypse. L’armée des martyrs arrivait.

Chapitre 1
La justice

Le jury était prêt, l’audience fut autorisée à entrer dans la salle circulaire, silencieuse. Le premier Cavalier de l’Apocalypse, métamorphosé en Joël Bourjois, était assis sur l’un des bancs qui flottaient à quelques mètres de hauteur dans les airs en scrutant les gens. Il avait des yeux grisâtres et un sourire hypocrite. L’accusé entra sous les regards méprisants de tous, jugé par tous dans cette ambiance lourde. Le prisonnier était menotté aux pieds et aux mains, ligoté comme une bête devant une foule qui voulait voir sa tête tomber. Il avait la peau noire comme sa barbe, portait des lunettes et une cicatrice de brûlure débutant à son œil et s’arrêtant en bas de son oreille. L’avocate de l’armée chrétienne, aux cheveux châtains soigneusement coiffés par vagues ondulées, selon la mode du moment pour toutes les femmes de sa classe, le suivait de près avec ses talons hauts, vêtue de sa jupe noire et de sa chemise bleue. Elle était renommée pour être la meilleure défenderesse de la Cour, puisqu’elle avait gagné toutes ses causes. Rachel William avait fait ses preuves dans le passé en tant qu’avocate de la couronne, car il n’y avait qu’un seul poste dans toute l’Amérique pour un avocat. Les autres étaient dans la rue, parce que peu de crimes se rendaient à la Cour. Habituellement, l’accusé était exécuté sans procès ou envoyé de force au combat jusqu’à la mort, dans un nouveau sport qui amusait les riches donateurs de l’armée. Seuls les cas extrêmement graves étaient entendus par un tribunal. La justice avait perdu ses lettres de noblesse dans le monde corrompu dans lequel elle vivait. Or, aujourd’hui, on allait entendre au grand jour la liste des crimes de ce monstre. Rachel jouait avec son collier en or qui possédait le symbole religieux chrétien; elle connaissait le dossier du prisonnier comme le fond de sa poche.

— Êtes-vous prête à procéder, Mademoiselle William ? demanda le juge.

— Oui, bien sûr votre honneur, affirma-t-elle.

Elle se leva et se plaça en face de l’accusé avec une autorité inébranlable. Le dossier signalait que l’homme ne voulait pas avouer sa culpabilité et avait inventé une histoire farfelue pour se défendre. Cependant, l’avocate savait comment s’y prendre avec ce genre d’ordures qui détruisaient la vie des autres, puisque l’un d’entre eux avait malencontreusement détruit sa propre vie. Le monde était déjà dans un état catastrophique et il n’avait pas besoin de plus de criminels dans les rues. Elle s’était donné comme devoir de les expédier derrière les barreaux.

— Marcus White, vous faisiez partie de l’équipe scientifique chrétienne dirigée par Daniel Smith, est-ce bien cela ? demanda-t-elle en marchant les mains derrière le dos.

— Oui, j’étais son bras droit… Peut-être même son bras gauche aussi, répondit-il toujours dans ce silence atroce.

— L’heure n’est pas aux plaisanteries. Daniel Smith était un homme respecté des citoyens chrétiens et dévoué dans notre religion. Il a perdu la vie dans la bataille du mur des Lamentations, le premier juin 2161.

— Vous n’avez pas à me rappeler sa mort tragique…

— Oui… bien sûr, je comprends. Si mes sources sont correctes, deux des équipes scientifiques qui sont mortes relevaient de votre commandement.

— Malheureusement, la première a péri lors d’un accident. À la suite de cette tragédie, j’ai proposé à Daniel de me retirer, mais il a refusé en disant qu’il allait me recontacter, ce qu’il n’a jamais fait. Quelques jours plus tard, cinq autres scientifiques sont arrivés sous l’ordre de Joël Bourjois. Après la mort de ma première équipe, les scientifiques restant au laboratoire de l’ancienne base chrétienne de Paris ont demandé d’être transportés d’urgence pour continuer les recherches et ils furent assassinés.

— Vous en parlez en connaissance de cause, puisque c’est vous l’assassin ! Vous travailliez sur un projet qui visait à éliminer la pollution au Mexique. Aujourd’hui encore, le problème n’est pas réglé. En quoi consistaient vos recherches exactement ? Pourquoi avez-vous mené cette expédition en Antarctique ?

— Nous avons découvert un volcan qui contenait du magma tellement froid qu’il brûlait tout ce qu’il touchait. Nous avons découvert que la Terre était en phase cryogénique et qu’un rapport avec la pollution à haute densité du Mexique était probable.

— Un volcan au magma glacé ? Vous êtes un homme de science, dois-je vous rappeler qu’une telle chose est impossible ?

— Maître William, il y a des choses que même la science ne peut pas expliquer, c’est pourquoi je crois en Dieu.

— Si vous êtes croyant, alors ne soyez pas pécheur, dites-moi la vérité. Que s’est-il réellement passé sur ces terres glacées ? le questionna-t-elle.

— Je vous l’ai déjà dit des milliers de fois…

— Nous voulons savoir ce qui s’est réellement passé et non ce que votre imagination a inventé, persista Rachel.

— Je n’ai rien inventé ! cria-t-il.

Des murmures dans la foule se firent entendre, personne ne croyait à son histoire et tous voulaient le voir pourrir en prison pour la trahison qu’il avait commise. Le juge tapa de son marteau pour que le calme revienne et Rachel continua son interrogatoire.

— Changez de ton je vous prie, dois-je vous rappeler vos chefs d’accusation ? Pour trahison, homicides au premier degré et terrorisme envers le christianisme. Nous croyons que vous avez mis les explosifs dans la base chrétienne de Paris, en ruine depuis la bataille du mur, et que vous êtes responsable de toutes ces morts ainsi que ceux de votre équipe. Vos empreintes digitales ont été retrouvées et…

— Non, non, non. C’est un coup monté, je n’ai tué personne, clama-t-il.

— Alors comment expliquez-vous que nul n’ait réussi à trouver votre soi-disant volcan ?

— Il a dû disparaître après que…

— Un volcan ne disparaît pas du jour au lendemain, le coupa-t-elle.

— Si vous saviez ce que j’ai vu…

— Racontez-nous.

— Très bien, mais ce n’est pas une histoire très plaisante. C’était un peu après que nous avions perdu la moitié de nos hommes dans le volcan, peu de temps après que j’ai subi ma blessure, me laissant cette cicatrice… C’était en plein milieu de la nuit, une des plus froides que nous avions connues. Mon équipe était encore sous le choc de la perte de plusieurs scientifiques et personne ne pouvait s’endormir. Votre honneur, en Antarctique, avec ce climat, je peux vous dire que ce n’est pas une partie de plaisir, le vent vous glace jusqu’aux os et le désert blanc ne réserve que la mort à tous les braves qui veulent s’y aventurer, y compris nous. Je me rappelle que j’avais des glaçons dans ma barbe et que chaque seconde me semblait être plus terrible que le pire des châtiments. Oui, c’est exact, peu importe ce que vous me réservez après ce procès, ce n’est rien comparé aux atrocités du Nord. Nous partagions tous la même tente isothermique avec une simple lampe au milieu de l’abri. J’étais celui qui s’était aperçu le premier que nous étions observés. Il y avait une ombre qui rôdait autour de la tente. À première vue, elle semblait être celle d’un grand oiseau, mais lorsque je l’ai observée correctement, je me suis aperçu que c’était l’ombre d’un homme… un homme ailé. Mon équipe s’est aperçue de ce phénomène et nous sommes restés silencieux. Personne ne voulait sortir. La peur nous avait envahis. Après ce que j’ai vu dans ce volcan où la lave bleue était tellement froide qu’elle brûlait un homme, j’étais prêt à croire que les hommes ailés existaient. Je suppose que je ne suis pas beaucoup plus courageux que mon mentor, Daniel Smith. C’est à ce moment que nous avons entendu une explosion qui provenait du volcan. Curieux, mais effrayés, nous avons décidé de nous rapprocher pour découvrir ce qui venait de se produire, ignorant l’erreur fatale que nous nous apprêtions à commettre. Nous nous sommes rendus au cratère du volcan et avons regardé à l’intérieur. L’homme ailé était là, devant la porte cristallisée que nous avions découverte au fond du volcan. Il avait dans les mains une urne qui projetait des rayons de lumière bleue, noire et dorée sur la porte. Elle commença à s’ouvrir. Nous observions, les yeux grands ouverts, ce qui se cachait à l’intérieur. Un homme en sortit et il n’avait rien d’ordinaire. Il était maigre, si maigre qu’on pouvait voir les os de son corps et sa peau était plus blanche que la mort. Il a levé la tête, il nous a vus. J’ai crié à mes hommes de courir, car je savais que ces deux êtres n’étaient pas normaux, toute l’équipe le savait aussi. Nous n’avions pas pu aller bien loin, puisqu’une force invisible nous a poussés sur la glace. Quand je me suis retourné, le visage du monstre était à quelques centimètres du mien. Ses dents étaient cariées, je n’avais jamais vu des dents si noires. Ses ongles jaunis par le temps étaient très longs et il ne possédait pas une paire d’yeux bleus ou bruns, son regard était jaune comme s’il était contaminé par une effroyable maladie. Ces cheveux étaient gris et longs derrière sa tête, mais il n’en possédait aucun à l’avant où son crâne brillait sans poils. J’avais si peur. Un des hommes qui m’accompagnait a sauté sur lui, ce qui m’a donné le temps de m’éloigner. J’avais regardé en arrière pour vérifier où étaient mes cinq hommes; deux d’entre eux s’étaient fait couper la tête, deux gisaient sans vie sur la glace et le dernier se débattait, tenu à la gorge par celui qui était apparu derrière les portes cristallisées. Le corps du survivant commença à se ratatiner et maigrir à vue d’œil jusqu’à ce qu’il ne reste plus que ses os, comme si la chose avait aspiré toute sa vie. J’étais le seul survivant. Les deux monstres se rapprochaient de moi; la terreur me paralysait. Je pensais qu’ils allaient me tuer, mais l’homme ailé m’a dit : « Je te laisse la vie sauve pour que tu dises à ceux de ta race que la peste est revenue, que la maladie va s’abattre sur les hommes, la véritable guerre ne fait que commencer. »

Rachel l’avait écouté sans dire un mot. Une telle histoire ne faisait aucun sens, mais il y avait tellement de détails qu’il était difficile d’admettre que cet homme soit schizophrène, comme le prétendait Joël Bourjois.

— Ce que je pense, M. White, est que votre esprit vous joue des tours. Les deux hommes que vous nous avez décrits ne peuvent pas avoir existé parce que de telles apparences… n’existent tout simplement pas.

— Ils n’étaient pas des hommes, Maître, mais des démons.

D’autres murmures se firent entendre dans la salle, le juge tapa de son marteau encore une fois pour faire taire les commentaires. Joël Bourjois regardait l’audience le sourire aux lèvres.

— Monsieur White, même si ce que vous dites est vrai, ce dont je doute fortement, alors pourquoi n’êtes-vous pas retourné auprès des chrétiens après l’incident ? Nous avons pris près de cinq ans avant de vous retrouver.

— Je ne suis pas fou contrairement à ce que les autres pensent. Je savais que si je me présentais à la base chrétienne, j’allais me faire jeter en prison.

— Oui, parce que vous savez au fond de vous l’étendue de votre crime. Vous avez 32 ans, il est temps pour vous de prendre vos responsabilités.

— Non, je savais que les hommes n’étaient pas prêts à accepter la vérité sur l’existence de ces démons. Car cela signifie que nous ne sommes plus l’espèce la plus puissante, que maintenant, c’est nous qui sommes en voie de disparition, chassés par d’autres entités démoniaques.

— Où étiez-vous pendant ces cinq dernières années ? dit Rachel en ignorant la dernière remarque.

— Je suis retourné à la base chrétienne pour raconter à Daniel ce qui venait d’arriver en Antarctique, mais, à mon arrivée, la base était en ruine et c’est là où j’ai rencontré Christian Bourjois, affligé de blessures partout sur son corps. Il se trouvait sur les débris de l’ancienne base chrétienne, cherchant des survivants plusieurs semaines après le drame.

— Mais Christian Bourjois, l’ancien chef de l’armée chrétienne, est mort depuis bien longtemps, dit Rachel. Une terrible perte que nous pleurons encore.

— Non, j’ai passé beaucoup de temps avec lui, répondit Marcus.

— Pouvez-vous me dire ce que vous avez fait avec lui ? demanda Rachel, emportée par sa curiosité, car elle aurait souhaité que son récit soit vrai et que Christian vive toujours.

— J’en ai assez entendu, je pense que nous sommes tous d’accord, dit le juge en regardant les membres du jury; Marcus White, vous êtes condamné à la peine de mort.

Le prisonnier baissa la tête. Au fond de lui, il savait que cela allait arriver un jour ou l’autre. Deux membres de l’armée chrétienne l’agrippèrent et l’emmenèrent vers sa cellule. Les gens quittèrent la salle en laissant Rachel presque seule, alors qu’elle ramassait ses documents. Elle avait entendu beaucoup d’histoires qui sortaient de l’ordinaire et qui ne faisaient aucun sens, mais personne n’avait jamais réussi à en raconter une avec autant de précision que celle-là. Joël Bourjois, le chef de l’armée chrétienne qui avait assisté au procès, se rapprocha de l’avocate. Bizarrement, durant les cinq dernières années, ses cheveux frisés n’avaient pas blanchi et il n’avait aucune ride sur son front. Pourtant, il se rapprochait de la soixantaine et paraissant un homme dans la trentaine.

— Bonjour, Rachel. J’espère que votre dernier dossier ne vous a pas trop troublée.

— Ne vous en faites pas, j’ai entendu des récits bien plus étranges durant ma carrière, je me rappelle encore d’un homme qui avait nié son crime, soit le meurtre de sa femme, en me racontant que c’était une bête de roche qui l’avait tuée en soulevant une montagne et en l’écrasant. Je ne pense pas que la peine de mort soit la bonne sentence pour lui, nous devons faire de ce système juridique un système plus juste. Que me vaut votre visite, Monsieur Bourjois ?

— J’ai besoin de votre expertise pour comprendre des criminels. Nous avons découvert une organisation assassine du nom de l’Ordre. Les membres de cette organisation sont très dangereux et doivent être mis hors d’état de nuire.

— Probablement un groupe de tueurs en série, notre société en est remplie dernièrement. Les victimes avaient sûrement un point en commun. Je ne sais pas, je ne suis pas détective.

— Oui, je sais, mais j’ai pensé que peut-être vous pourriez…

— Travailler sur le terrain ? le coupa-t-elle. Je vous ai déjà dit que je ne quitterais pas mon travail.

Rachel s’apprêta à partir, mais Joël lui agrippa le bras. Elle le détestait, mais ne pouvait pas lui dire sa façon de penser, car il était son patron. L’avocate ne pouvait pas supporter sa présence. C’était comme si chaque fois qu’il entrait dans une pièce, la lumière disparaissait et qu’une force maléfique rôdait. De plus, elle n’était pas sotte, Rachel supposait qu’il complotait avec l’armée musulmane, l’ennemi même ! En fouillant dans de vieux documents, pour trouver une information personnelle, elle était tombée sur un dossier qui expliquait des transactions de luraminanium, matériaux lunaires qui étaient tombés sur Terre après la destruction de la Lune. En effet, l’U.M.P. récoltait ce matériau pour le revendre et donnait les profits aux deux armées, mais pourquoi ?

— Je n’ai pas fini, il y a une façon d’éviter la peine de mort à Marcus.

— Et pourquoi voudriez-vous le sauver ? se méfia-t-elle.

— Depuis que la Terre attire tous les objets de l’espace, il est impossible de placer un satellite autour de notre planète. Son aide pourrait être utile à l’armée puisqu’il a travaillé avec un très grand physicien dans le passé. De plus, je veux connaître son histoire. Après tout, il dit avoir vu mon fils, Christian.

Surprise de la proposition de Joël, Rachel pivota sur elle-même en le regardant droit dans les yeux. Le regard du chef de l’armée chrétienne était terrifiant, peu de gens pouvaient le regarder sans détourner les yeux ou baisser la tête en signe d’impuissance, car la haine de cet homme pouvait se ressentir à plusieurs kilomètres à la ronde. Cependant, l’avocate n’avait pas peur de lui, elle défia son regard en lui imposant le sien, plus fort et meilleur.

— Oui, je suis certain qu’il acceptera, j’ignorais que vous étiez si généreux.

— Oh, mais je ne le suis pas. Disons simplement que les plus forts ne devraient pas mourir. Maintenant que Daniel Smith est mort, Marcus White est probablement le scientifique le plus intelligent après Rachilde Adamovitch, le chef de l’armée non croyante disparu. Allez maintenant, vous devez vous reposer; j’irai lui annoncer la nouvelle personnellement, mais avant je dois aller m’occuper de mon petit-fils, Lucius.

L’avocate était très contente de la décision du chef de l’armée chrétienne. Elle détestait les sentences de peine de mort. Elle n’aimait pas vraiment son travail; ce que Rachel voulait profondément, c’était d’aider les gens qui en valaient la peine. Mais puisqu’elle n’avait pas d’autre choix, elle s’était dit qu’il valait mieux pour le monde de placer les criminels derrière les barreaux pour que les bonnes gens puissent sortir dans les rues.

Depuis les dernières années, la situation sur la Terre avait passé du point critique à catastrophique. Presque personne n’avait de travail, car les robots avaient remplacé la main d’œuvre en nombre et en compétence. Les hommes de 18 ans rejoignaient l’armée religieuse de leur continent. Ce n’était plus des batailles éparpillées partout dans le monde; désormais, les pays d’un même continent avaient fait une alliance avec l’une des grandes puissances religieuses pour avoir un peu d’argent. Ces traités avaient fait disparaître plusieurs grandes cités. Maintenant, il ne restait plus que dix grands territoires urbains où les gens pouvaient vivre, dont la capitale musulmane, Apocaly. White avait peut-être raison, les démons s’étaient infiltrés partout.

L’avocate quitta la salle d’audience pour se rendre chez elle. Lorsqu’elle entra dans son appartement, une surprise l’attendait. Tout était sens dessus dessous. La fenêtre était ouverte, un bandit s’était infiltré chez elle. Les chaises étaient tombées, ses photos avec son ancien mari avaient été brisées et ses armoires ouvertes. Qu’est-ce que ce malfaiteur voulait trouver ? Elle s’approcha de sa table et vit une carte noire avec un ange comme motif, et le mot « Justice » était écrit en dessous de celui-ci. Elle la retourna et vit une adresse. Une femme de son intelligence n’allait pas tomber dans un piège aussi grossier. De toute évidence, celui qui s’était infiltré chez elle voulait quelque chose, mais quoi ? Rachel espérait que ce cambriolage n’avait pas de lien avec les documents qu’elle avait trouvés au sujet d’un certain projet Hadès.

Chapitre 2
Le Colisée

La nuit était devenue sombre, bien plus qu’elle était censée l’être, la Lune avait disparu. Les ténèbres régnaient dans le ciel où de simples étoiles lointaines donnaient un peu de leur rayonnement. Les grandes villes, presque toutes devenues désertes, se languissaient alors que seuls les femmes, les enfants et les criminels y vivaient dans l’indigence. Les cités anarchiques constataient des taux de viol, de meurtre et de vol sans précédent. Les gens se barricadaient la nuit et sortaient peu le jour, car la terreur était devenue corrosive dans ce monde.

Baffis, un orphelin qui provenait d’une tribu africaine oubliée, regardait les flammes crépiter au-dessus de la poubelle métallique orangée grugée par la rouille et enfoncée vers l’intérieur par endroits, dans une petite ruelle. Âgé de 17 ans, il avait passé les cinq dernières années à vivre comme un itinérant. Dans quelques mois, il allait être obligé de rejoindre l’armée et Baffis en était effrayé. Le feu lui rappelait un terrible souvenir, celui de son village qui brûlait et les villageois qui criaient à l’agonie. Il se souvenait d’un homme armé qui le pointait avec un fusil en entrant dans la hutte de Minara, sa mère adoptive, qui s’était élancée sur lui pour le protéger et de Tayeb, qui lui avait dit de s’enfuir et de trouver un homme au nom de Patrice Carlson. Si un jour il réussissait à trouver la personne qui avait anéanti son village, il allait se venger, car maintenant, il était le seul survivant de sa tribu à pouvoir réclamer justice. Son entourage avait péri dans la guerre. Survivre, c’était sa priorité et il était prêt à faire le nécessaire pour y parvenir. Baffis avait désespérément cherché à retracer ce Patrice, mais n’avait rien trouvé. Durant ses cinq dernières années, il avait appris à parler la langue que tout le monde parle, car sa langue d’origine, le latin, avait disparu depuis longtemps. Seuls les membres de son village utilisaient ce langage. L’orphelin était très maigre, il ne possédait que de la peau sur les os comme la plupart des gens des cités ou des campagnes. La guerre affligeait toutes les populations. Il lui arrivait parfois de ne rien manger pendant trois jours, mais au moins il n’était pas un soldat dans l’armée. Baffis avait entendu une rumeur. Selon cet écho, certains hommes pouvaient éviter la loi absolue, celle de se battre pour le christianisme, s’ils avaient assez d’argent. S’ils payaient chaque mois une grosse somme, l’armée les laissait tranquilles. Cependant, peu de gens avaient les moyens d’échapper à la guerre. C’était son rêve, de devenir riche et de pouvoir choisir son destin, choisir de ne pas se battre. Il n’y avait qu’une façon d’y parvenir…

Depuis que la guerre avait débuté, les sports et les divertissements qui existaient avant, comme le cinéma, avaient disparu. Pour s’amuser, les quelques riches entrepreneurs avaient instauré un sport illégal entre les itinérants et les criminels qui ne voulaient pas faire partie des batailles dévastatrices. Des combats de rue jusqu’à la mort se déroulaient régulièrement pour leurs plaisirs sadiques. Le gagnant recevait une prime en argent, lui donnant espoir de pouvoir vivre un autre mois sans aller se battre sur les premières lignes. Le perdant, quant à lui, était jeté dans la mer. Cependant, les responsables de cet événement savaient pertinemment qu’il était impossible pour les pauvres de gagner assez d’argent pour les sortir de la misère durant le reste de leurs jours.

Lorsque le soleil se leva, Baffis sortit de sa pitoyable ruelle où les débris et les cadavres lui donnaient du mal à avancer. Vêtu de vêtements déchirés, de gants troués et de souliers percés, il marcha pour se rendre au Colisée de Rome. Un groupe d’aristocrates avait déboursé une petite fortune pour réparer ces ruines provenant du passé afin que les combats s’y déroulent. Ces entrepreneurs finançaient l’armée chrétienne et c’était pour cette raison qu’ils n’étaient pas obligés de se battre dans cette guerre. Les gens qui regardaient ces matchs meurtriers étaient principalement des soldats et leur famille, ainsi que des gens immensément riches. À l’entrée du Colisée, un homme prenait les noms des personnes qui voulaient se porter volontaires. Baffis avait entendu que les criminels et les prisonniers de guerre étaient utilisés dans les combats et, malgré qu’il ne voulait pas se battre contre d’autres hommes, sa propre survie lui était plus importante que celle des autres. Il se mit derrière la ligne et attendit son tour.

Arrivé à la table d’inscription, Baffis vit l’ampleur de l’immense structure ancienne. Cependant, elle était maintenant modernisée et consolidée avec du luraminanium, un matériel vert. Le soir, quand les combats avaient lieu, il pouvait voir les lumières dans le ciel et les gens crier pour leur compétiteur favori. Il s’aperçut que l’homme qui était en charge des nouveaux venus n’avait qu’un œil, car l’un de ses yeux était en verre grisâtre et regardait d’une différente direction que son autre. Il avait une cicatrice sur la bouche et un bout de son oreille était coupé. Ses cheveux lui descendaient jusqu’au bas de la nuque et il empestait l’alcool. L’homme l’examina et se mit à rire.

— Tu penses vraiment qu’un maigrichon comme toi a une chance de gagner ? demanda-t-il en riant.

— Je n’ai pas d’autre solution, j’ai besoin d’argent.

— Quel âge as-tu ?

— 17 ans, Monsieur.

— Ah, je vois, tu essayes d’échapper à la guerre. Ne te fais pas d’illusions, un petit bon à rien comme toi va mourir à son premier combat. Mais si c’est la mort que tu recherches, tu arrives juste à temps, car il y a une bataille royale dans trois semaines, soit à la fin de ce mois de septembre.

— Mes chances de mourir sont encore plus grandes si je vais me battre contre les musulmans, Monsieur.

L’homme se mit à rire de sa stupidité, mais il le regarda à nouveau en détail, de la tête au pied, en l’évaluant pour calculer ses chances de gagner.

— Nous verrons bien. Allez ! Entre et attends dans les compartiments réservés aux combattants.

Baffis avança vers l’intérieur, il descendit l’escalier de pierre pour pénétrer dans ce qui semblait être un donjon. Il y avait une centaine de personnes, toutes séparées. Nul ne voulait se parler, car ils savaient que dans trois semaines, un combat mortel allait avoir lieu. La pièce était éclairée par des torches sur des colonnes de pierre. Baffis alla s’asseoir dans son coin sans regarder qui que ce soit, car certains d’entre eux étaient des meurtriers et il ne voulait pas se faire d’ennemis. S’il gagnait ce combat et devenait riche, il se rapprochait de ce mystérieux Patrice Carlson et de sa vengeance puisqu’en évitant la guerre il pouvait se concentrer sur ses recherches. Baffis observa les gens qui l’entouraient. Il y avait plus d’hommes que de femmes et quelques concurrents attirèrent son regard. L’un d’eux avait plusieurs perçages : trois sur la lèvre inférieure, cinq sur son oreille gauche et un sur son nez. Il était coiffé d’un mohawk mauve et avait du maquillage sur le visage avec de grands cernes sous les yeux. Il avait des vêtements noirs avec une tête de mort sur son chandail. Un autre, beaucoup plus musclé, avait le corps garni de cicatrices et portait des bagues sur chacun de ses doigts. Cependant, la personne que Baffis remarqua le plus était une femme asiatique. Ses cheveux noirs étaient attachés et elle semblait tenir dans sa main un katana. Le regard de Baffis et celui de la femme se croisèrent un moment et elle détourna les yeux.

Quelques heures plus tard, l’homme qui prenait les inscriptions monta sur un podium où tous les participants pouvaient le voir. Il était accompagné de deux autres personnes. Les participants se rapprochèrent de lui, sauf Baffis qui resta assis à l’écart.

— Vous n’êtes qu’une bande de hors-la-loi, de sans-abri et de froussards qui ont peur de marcher vers les champs d’honneur, commença l’homme au visage défiguré. Vous êtes environ une centaine et, entre vous et moi, personne ici ne mérite de survivre. Cependant, le plus fort d’entre vous connaîtra la gloire, sera acclamé par les spectateurs qui seront venus vous voir mourir et deviendra une légende. Je suis Carlos et je vais vous entraîner pour que dans trois semaines vous puissiez donner une bataille royale comme nous n’en avons jamais vu auparavant. Le combat sera divisé en trois phases, mais les détails vous seront donnés en temps et lieu, alors ne vous en faites pas. Bon, commençons l’entraînement, mais avant…

Le plancher commença à se séparer en deux, les gens se plaquèrent contre le mur et une arène apparut en sortant de la terre. Il y avait des armes à chaque extrémité. Il y en avait pour tous les goûts : lance, épée, hache…

— … mais avant, commençons les rondes préliminaires, sourit Carlos. Vous êtes trop nombreux, alors cinquante personnes seront pigées au hasard et vingt-cinq seront… éliminées avant même d’avoir placé le pied dans l’arène.

Carlos pointa un homme dans la foule.

— Toi et…

Il pointa un autre homme.

— Toi. Montez dans l’arène et choisissez-vous une arme.

— Vous aviez dit que c’était pigé au hasard ! cria celui qui avait été choisi.

— Arrête de te plaindre si tu ne veux pas que je te tranche moi-même la gorge !

Ils montèrent donc dans l’arène. Le plus costaud, celui qui possédait des bagues sur chaque doigt, choisit une grande hache qu’il maniait à deux mains, et celui qui avait hurlé à Carlos prit une épée légère en tremblant. Le combat débuta, le plus grand et fort des deux s’élança sur le plus petit. Il para le coup avec son épée, mais reçut un coup de pied dans le ventre et tomba sur le sol. Sans hésitation, le costaud lui trancha la tête avec sa hache massive.

— C’est ce que j’appelle un combat rapide ! s’exclama Carlos.

Les deux hommes qui l’accompagnaient prirent le cadavre et le transportèrent hors de portée des autres combattants. La ronde préliminaire continua et les perdants étaient jetés comme de vieux déchets. Quand la dernière ronde fut arrivée, Carlos regarda dans la foule pour choisir les deux derniers combattants. Il posa ses yeux sur Baffis, fit un sourire et le pointa.

— Toi, dans le fond. Nous allons voir ce que tu as dans le ventre. Allez, viens.

Le jeunot se leva et alla dans l’arène, sans peur, avec confiance et détermination. Dans sa tribu, les hommes se battaient contre des sicavestres, des animaux féroces génétiquement modifiés par Rachilde Adamovitch. Baffis avait appris à se battre; malgré qu’il n’avait pas touché à une arme depuis cinq ans, il savait que son agilité n’avait pas disparu. En se basant sur les combats précédents, le guerrier savait que personne ici ne savait se battre convenablement.

— Ton adversaire sera toi, là...

Carlos avait choisi un homme colossal, qui avait de larges épaules, des muscles en béton armé et doté d’un regard froid, sans aucune compassion. Baffis ravala sa salive face à son opposant et sa confiance disparut d’un coup. Lorsque son adversaire se plaça devant lui, le jeune de 17 ans se rendit compte qu’il était beaucoup plus petit que ce géant.

— Choisissez vos armes, dit Carlos.

Baffis prit une lance, puisqu’il avait appris à chasser dans sa tribu avec ces armes. Il savait donc comment la manier depuis son enfance. Son adversaire avait dans les mains une gigantesque masse noire. S’il recevait un coup, c’était fini. Il n’eut pas le temps de bouger que le géant fonça sur lui. Le guerrier se pencha pour éviter le coup et tenta d’enfoncer sa lance dans l’abdomen de son opposant. Cependant, son ennemi agrippa son arme en laissant tomber sa masse juste avant qu’elle ne le touche et le frappa au visage avec son poing. Sans avertissement, le colosse enchaîna ses coups dans son visage et dans son ventre jusqu’à ce que Baffis s’écroule. Le gigantesque homme alla reprendre sa masse pour affliger l’attaque finale. Le jeune combattant n’avait plus d’énergie, les coups l’avaient mis au tapis. Le géant leva son arme dans les airs, mais juste avant qu’elle ne touche son corps, Baffis sentit une énergie nouvelle en lui. Il regarda son corps et crut voir une lumière mauve qui l’entourait. Cette énergie étrange lui redonna toutes ses forces et lui permit de faire une roulade pour récupérer sa lance. Le combattant attaqua à son tour et effleura le bras de son adversaire, puis, après avoir évité plusieurs coups, il enfonça la lance dans le ventre du géant. L’homme gigantesque tomba à genou et mourut au bout de son sang. Carlos se rapprocha de Baffis et mit son bras autour de ses épaules.

— Nous avons un gagnant ! Félicitation à tous les victorieux, mais ce que vous avez vu, ou survécu pour certains, n’est rien comparé à ce qui vous attend dans l’arène du Colisée. Je vais vous apprendre à vous battre avec des armes anciennes, à devenir des tireurs d’élite et même à arracher le cœur d’un homme à main nue quand votre vie en dépend. En trois semaines, je ferai de vous les plus grands guerriers de ce monde, mais pour aujourd’hui, allez vous reposer.

Baffis voulut quitter l’arène pour se trouver un coin bien tranquille, mais Carlos lui empoigna le bras.

— Je te félicite, je ne croyais pas que tu allais pouvoir survivre. Cependant, tu vas mourir dans les trois prochaines semaines. Tu ne possèdes pas la force pour gagner.

— Je ne vais pas mourir, Monsieur.

Carlos se mit à rire, mais reprit son sérieux après quelques secondes. Il regarda Baffis dans les yeux et une larme coula sur sa joue.

— Sais-tu comment j’ai eu ces cicatrices ? J’ai participé au premier jeu et j’ai vécu l’enfer. Pas seulement pendant les combats, mais aussi après. Des fois, durant la nuit, j’entends les cris des hommes que j’ai tués, je me revois trancher la tête de tous ceux que j’ai combattus et, quand je me regarde dans le miroir, je repense à celui que j’étais avant. Crois-moi, si tu réussis à survivre, tu vas souhaiter avoir péri dans le Colisée. Et je t’en prie, arrête de m’appeler Monsieur, tu as l’air pitoyable !

Carlos tourna les talons et marcha vers la sortie, les mains dans les poches.

— Je ne vais pas mourir, car j’ai fait une promesse et tant et aussi longtemps que je ne vais pas l’avoir accomplie, je ne peux pas mourir, lui cria Baffis.

— Une promesse ? T’es juste un sale gosse qui ne comprend pas ce qui se passe dans ce monde. On a tous une raison pour se battre, mais quand on gagne la bataille, on se rend compte que, finalement, comparé à toutes les pertes, ça n’en valait pas la peine, répondit Carlos sans se retourner.

Baffis sortit de l’arène en se dirigeant vers son petit coin, mais l’homme aux nombreux perçages lui barra la route. Décidément, son combat avait attiré l’attention.

— Les démons ont envahi notre Terre, ils vont nous exterminer. L’heure du retour de notre maître Satan est arrivée et toi, tu n’as pas ce qu’il faut pour survivre, pas assez de volonté. Le Tout-Puissant va purifier notre race en éliminant les faibles et je vais l’aider en t’éliminant lors des jeux, prononça-t-il de ses lèvres mauves.

Il le regarda sans dire un mot, terrifié par ce fanatique. Décidément, ce n’était pas tous les gens qui étaient incompétents au combat. On pouvait voir que cet homme avait de l’expérience et avait regardé la mort dans les yeux. Mais il vivait et se nourrissait de l’obscurité et non de la droiture, comme Baffis.

— Arrête de l’importuner, Derek, personne ne veut entendre tes sottises, dit la femme Asiatique.

Derek partit en l’écoutant comme un chien, le regard fixé dans le vide. Cet homme était terrifiant, il ne voulait pas se battre contre lui dans un duel.

— Merci, dit Baffis.

— Ne me remercie pas, si tu as le malheur d’être mon adversaire durant les jeux, je te tuerai sans hésitation.

La femme le quitta à son tour, sans plus d’information, dans un mouvement gracieux. Se battre contre une femme… il ne pourrait jamais faire de mal à une femme, c’était hors de question.

— Pourrais-je au moins connaître votre nom ? dit Baffis en la rattrapant.

— Je suis Yue; dans d’autres circonstances, j’imagine que nous pourrions faire plus ample connaissance.

Baffis était assis dans son coin, appuyé contre un mur. Il repensa à ce qui lui était arrivé, cinq ans auparavant. Le film de son passé commença à se dérouler sous ses paupières.

Après la destruction de son village, l’enfant effrayé s’était fait kidnapper et interroger par trois hommes. L’un d’entre eux parlait le latin. Son nom était Patterson et il lui avait mentionné qu’il était un ancien directeur d’école. Dans son ignorance, Baffis lui avait donné l’emplacement du trésor de sa tribu. Ensuite, Patterson, probablement mort maintenant, l’avait relâché dans un endroit inconnu pour lui où d’immenses immeubles dominaient le ciel, où des objets mécaniques, qu’il n’avait jamais vus, se déplaçaient à une vitesse incroyable et où des gens habillés d’une étrange façon marchaient dans les rues. Il ne pouvait pas parler la langue du pays. Il avait passé près de la mort, mais heureusement pour lui une femme aux cheveux bruns très courts l’avait aidé à survivre.

C’était lors de son troisième mois seul, alors qu’il marchait dans les rues en demandant à tous les gens qu’il rencontrait les seuls mots qu’il connaissait, « Patrice Carlson », qu’il la rencontra. Les adultes le regardaient en ayant pitié de lui et l’ignoraient. Rien d’étonnant, la plupart du temps, les gens ne s’arrêtent pas pour venir en aide aux personnes qui ne leur rapporteraient rien en retour. Le peuple humain était vraiment égoïste, incapable de donner la moindre chance aux autres ou de les accepter. Il se croit supérieur et est persuadé que personne ne lui arrive à la cheville. Cependant, dans une ruelle sinistre, il avait croisé une femme presque chauve avec une bouteille d’alcool dans les mains. « Patrice Carlson ? » lui avait-il demandé. Elle avait émis un petit rire étouffé et lui avait donné quelque chose à manger. Le temps passait et cette femme lui apprit à parler sa langue en pointant des objets et en disant ce qu’ils représentaient. Son nom était Alicia, la femme à qui il devait sa vie. Mais un jour, elle partit sans prévenir en le laissant seul au monde.

Carlos empoigna Baffis par le bras, il sursauta en revenant de ses lointains souvenirs. Le responsable des gladiateurs lui avait apporté son souper, des fruits, de la viande et de l’eau. Baffis se dépêcha d’avaler tout ce qu’il y avait dans son plat, car il n’avait rien mangé depuis quelques jours.

— Quelqu’un est venu te donner une lettre, dit Carlos.

Baffis ne savait pas qui pouvait être celui ou celle qui avait envoyé du courrier et même comment il connaissait son emplacement, mais il prit l’enveloppe jaune avec plaisir. Carlos était sur le point de partir, mais Baffis voulait savoir quelque chose qui l’intriguait depuis leur dernière conversation.

— Et toi, pourquoi te battais-tu ? demanda Baffis sans gêne.

— Pardon ?

— Tu as dit tout à l’heure que nous nous battons tous pour une raison, mais qu’après avoir gagné, nous nous apercevons que notre raison n’en valait pas la peine.

— Je me battais pour ma famille, répondit-il sur un ton macabre. J’avais un fils qui s’apprêtait à avoir dix-huit ans et une femme. Je ne voulais pas le voir partir à la guerre, car j’ai été dans l’armée chrétienne pendant trois ans et je connaissais les atrocités de la guerre. Alors, je me suis inscrit à ces jeux.

— Tu avais ?

— Oui, ils sont morts, dit-il tristement. Ils ont été assassinés.

— Je suis désolé. Connaissez-vous le responsable ?

— Non, mais si un jour je le retrouve, je vais le faire souffrir comme j’ai souffert, le tuer à petit feu pour qu’il voie la vie le quitter, dit-il sérieusement avant d’émettre un rire étouffé. Ce n’est qu’un mensonge que je me fais croire, la justice existe seulement pour ceux qui ont les poches pleines. Et toi, Baffis, pourquoi t’es-tu inscrit ?

— Parce que j’ai promis à quelqu’un que j’allais retrouver un homme du nom de Patrice Carlson. Il est peut-être mort, je n’en sais rien, mais je ne peux pas arrêter de chercher, car la personne qui m’a demandé cette faveur était à l’agonie et elle m’a sauvé la vie.

— Je vois; j’espère que tu vas le retrouver, mais avant, tu dois survivre. Fais bien attention à toi, même dans ton sommeil, dort avec un œil ouvert, tu ne sais pas qui sont les criminels et tu ne veux pas les mettre contre toi. Tu peux encore partir, tu peux sauver ta vie et retrouver ce Patrice sans risquer le tout pour le tout.