ZORIN
L’IMMORTEL
ZORIN
L’IMMORTEL
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Giroux, Diane, 1960-
Zorin l’immortel
Pour les jeunes de 10 ans et plus.
ISBN 978-2-89571-184-1
I. Titre.
PS8613.I764Z44 2015 |
jC843’.6 |
C2015-942130-6 |
PS9613.I764Z44 2015 |
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Révision : Sébastien Finance et François Germain
Infographie : Monique Moisan
Photo de l’auteure : Serge Roy
Éditeurs : |
Les Éditions Véritas Québec |
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2555, av. Havre-des-Îles, Suite 315 |
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Laval, Québec H7W 4R4 |
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450-687-3826 |
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Site Web : www.editionsveritasquebec.com |
© Copyright : |
Diane Giroux (2015) |
Dépôt légal : |
Bibliothèque et Archives nationales du Québec |
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Bibliothèque et Archives Canada |
ISBN : |
Version imprimée |
978-2-89571-184-1 |
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Version numérique |
978-2-89571-185-8 |
À Mariane, Éric et Caroline,
pour leur persévérance.
Jusqu’où nous mènera ou
nous ramènera un jour
la frénésie de ce désir pour la
longévité de la vie et du pouvoir ?
Chapitre premier
LE SOMMET
- Yon, viens m’aider !
- J’arrive, Zorin.
Zorin avait déjà été plus agile. Les années avaient eu raison de sa souplesse et de sa force physique. Il avait accumulé près de 700 années d’existence sur cette planète, appelée Axon. La marche ne le fatiguait pas trop, mais grimper des parois rocheuses, même peu abruptes, exigeait une force et une endurance qu’il perdait graduellement. Zorin était l’aïeul de Yon. Il l’avait pris sous son aile depuis la disparition de ses parents, il y a plusieurs dizaines d’années de cela, alors qu’il n’était qu’un gamin. D’ailleurs, les disparitions et les meurtres s’étaient comptés par centaines de milliers durant le dernier siècle. Yon et Zorin étaient des survivants. Ils avaient vécu avec d’autres fugitifs à l’intérieur des cavernes.
- Zorin, je me fais du souci pour toi. Tu aurais dû me laisser partir seul, lui dit Yon d’un ton calme mais inquiet. Allez, donne-moi ta main !
Yon hissait doucement son aïeul et l’aidait à s’asseoir près de lui. Il était très attaché à Zorin. Ensemble, ils avaient appris les rudiments de la survie en montagne et dans les grottes sombres et humides. Malgré les années qui s’étaient effritées et cette apparente accalmie sur le continent, plusieurs questions demeuraient sans réponse. Est-ce que l’ennemi s’était affaibli ? Préparait-il plutôt une nouvelle offensive ? Croyait-il avoir enfin dominé les habitants et qu’il régnait désormais en maître sur la planète Axon ? Yon et Zorin s’étaient donné comme mission de trouver des réponses afin d’agir pour améliorer leur sort et celui des fugitifs. Cette mission, leur dernier espoir, débutait par l’ascension de cette haute montagne, communément appelée le Sommet. Ils espéraient déceler quelques traces de vie sur le deuxième continent, en vue de recruter de futurs alliés.
- Merci mon grand, lui dit tendrement Zorin.
Il appréciait beaucoup la bonté de Yon. Il lui rappelait ses propres enfants, dont l’un d’eux était l’arrière-grand-parent de Yon.
Sur la planète Axon, les Axoniens étaient, en quelque sorte, hermaphrodites. C’est-à-dire que chaque Axonien possédait les deux organes de reproduction, soit mâle et femelle. Lorsqu’un couple décidait d’avoir un ou des enfants, il s’entendait, avant l’acte de fécondation, sur lequel des deux partenaires porterait l’enfant. Les enfants d’une même famille avaient habituellement deux parents et pouvaient donc avoir été portés soit par l’un ou par l’autre. Les Oxiliens, autre espèce vivant sur cette planète, étaient également hermaphrodites. La plupart des autres espèces animales s’accouplaient entre mâles et femelles.
- Bon, continuons, ajouta Zorin. Nous devons atteindre le Sommet avant d’être repérés.
Ils reprirent la route silencieusement, chacun nourrissant ses pensées. Leur quête commune les motivait : sauver leur race, présentement en voie d’extinction, tout en ramenant la paix. Outre leur motif commun, Yon chérissait l’idée de revoir ses parents vivants, tandis que Zorin souhaitait ardemment retrouver certains de ses vieux collègues, dispersés et cachés depuis la révolution, avec qui il avait partagé ses passions scientifiques pour cette planète, maintenant déchue. Zorin était peu loquace avec Yon par rapport à ses parents. Selon lui, les deux n’avaient pas survécu aux attaques de la révolution.
Zorin avançait et observait le paysage sombre et terne que leur offrait dorénavant leur planète. Par le passé, cet endroit contenait une grande forêt aux mille couleurs, abritant diverses espèces d’animaux. Zorin avait acquis beaucoup de sagesse au cours de sa longue existence, mais il fut, avant tout, un scientifique émérite. Il dirigea et participa à maintes inventions formidables, dont le vaccin de l’immortalité. Ce vaccin possédait les propriétés de ralentir considérablement le vieillissement, ainsi que de préserver le corps de toute maladie. Cette découverte extraordinaire fut accueillie par la majorité de la population axonienne et connut un véritable succès. Cependant, année après année, Zorin assistait aux répercussions causées par ce vaccin, autrefois si vénéré par tous les habitants. Bien que le prolongement de la durée de vie des individus procurait maints contentements parmi les habitants vaccinés, il finit toutefois par entraîner une surpopulation. La planète subissait, jour après jour, les contrecoups de cette surpopulation. Les sols s’étaient appauvris, les cours d’eau, déjà rares, se desséchaient ou se polluaient. Plusieurs espèces s’affaiblissaient et leur survie dépendait de leur capacité d’adaptation à leurs milieux en transformation. Ce qui attrista davantage Zorin fut la dégradation des rapports sociaux. Lui qui avait travaillé avec acharnement à l’amélioration des milieux de vie, à la préservation des ressources accessibles à tous, il éprouvait une certaine désolation devant les changements de mentalité. Les gens s’adonnaient jadis aux activités sportives ou artistiques, telles que la course, la randonnée, la musique ou le théâtre… Tout cela n’avait pas survécu. La décadence de la société était-elle entièrement due au vaccin de l’immortalité ? La technologie électronique avait aussi grandement changé les rapports sociaux. Sur Axon, toute utilisation de papier fut prohibée pour sauver les arbres. Cette action tout à fait louable avait contribué à la disparition des livres en papier, véhicules d’une culture commune et créative. L’électronique avait définitivement conquis le champ des connaissances au détriment des conversations aux coins des rues, des rencontres entre amis ou du magasinage qui propageait de l’effervescence dans les villes et les villages. En fait, l’individualisme s’était développé sournoisement dans les comportements, rendant les personnes indifférentes aux autres. Zorin avait la nostalgie des fêtes foraines et des marchés publics où la joie régnait et où les rires fusaient de toute part. Le basculement de la consommation avait nourri l’effritement intergénérationnel, qui causa peu à peu une révolution. Zorin était tout de même déçu des proportions qu’avait pris l’individualisme, donnant des droits que certains acquéraient en utilisant la violence. Une soif de pouvoir se mit à grandir, aveuglant les révolutionnaires avec des intentions politiques basées sur le contrôle des populations. Il avait été témoin de la dégradation de l’organisation du système social et du déclin de la démocratie. Aujourd’hui, les Axoniens peinaient à subvenir à leurs besoins primaires et à ceux de leurs enfants. Cette réalité se répercuta également sur toutes les espèces animales. La fragilisation des classes de citoyens ouvrit la porte à des personnes aux intentions plus que douteuses, nettement dangereuses pour l’équilibre. La grande révolution engendra un cataclysme.
Les survivants de la révolution, nomades ou sédentaires, étaient tous des fugitifs ayant trouvé refuge dans des grottes ou des cavernes. Plus personne n’avait accès à des ordinateurs. La destruction des satellites entraîna également l’interruption des communications à distance. Les moyens de transport furent détruits ou confisqués par l’ennemi. Pour Zorin, cette situation avait assez duré.
Zorin et Yon tenteraient donc de sonder s’il y avait de la vie sur le deuxième continent. Axon était composée de deux continents. Un, très grand, couvrant la majorité de l’espace planétaire, et un deuxième, beaucoup plus petit et entièrement entouré d’une mer, aujourd’hui polluée. Le Sommet était l’endroit où la distance entre les deux continents s’avérait être la plus courte. À l’aide de lunettes d’approche sophistiquées, ils devraient être en mesure de discerner quelque indice de vie. Cette proximité pourrait également permettre de communiquer avec certains habitants par la pensée directe.
En effet, cette race d’humanoïdes possédait la faculté de communiquer par la pensée directe avec d’autres individus. Les ondes se propageaient en ligne droite entre deux personnes. Si quelqu’un se retrouvait entre les deux communicateurs au moment de la conversation télépathique, il pouvait capter les ondes ou le message. La maîtrise de cette compétence requérait beaucoup de pratique. Il fallait parvenir à comprendre et à retenir les codes de communication préalablement élaborés. Certains codes étaient universels, permettant des communications élargies, tandis que d’autres étaient plus spécialisés, limitant la communication entre des usagers spécifiques. Les communications directes pouvaient donc être interceptées par quiconque, mais leur compréhension dépendait de certaines connaissances, comme l’apprentissage de langues étrangères. Ce mode de télépathie permettait de déterminer assez facilement la position géographique du locuteur et c’est pourquoi les fugitifs avaient limité son utilisation afin d’éviter de se faire repérer et attaquer par l’ennemi. Zorin devrait être vigilant. Il tenterait sûrement un échange télépathique, mais étant donné qu’il serait sur le récif du Sommet et qu’un plan d’eau le séparerait de l’autre continent, le risque d’être capté était moindre. Très rares étaient ceux qui s’aventuraient sur la mer.
- Espérons seulement que nous arriverons à trouver des alliés, commenta Zorin. J’avais des amis scientifiques qui s’étaient réfugiés sur ce continent, il y a longtemps de cela, fit-il, nostalgique.
- Je comprends, Zorin, mais c’est très risqué. À tout moment on peut nous attaquer et, alors, aucune pitié pour nous, les immortels.
Zorin et Yon reçurent le vaccin de l’immortalité, c’est pourquoi on les qualifiait d’immortels. Quelques centaines de milliers d’habitants s’étaient prévalus de ce merveilleux vaccin, jusqu’à son interdiction. Les immortels furent spécifiquement la cible de l’ennemi lors de la révolution et un nombre important d’immortels furent tués ou emprisonnés. Différents groupes d’activistes voyaient d’un mauvais œil cette longévité. Ils craignaient que l’équilibre naturel de la vie sur la planète soit menacé. Ils n’avaient pas tout à fait tort. La grande majorité de ces militants, qui prônaient l’abolition du vaccin, étaient pacifiques. Suite à maintes négociations et discussions, l’accès à ce vaccin fut formellement interdit, il y a quelques centaines d’années. Cependant, les progénitures des descendants immortels possédaient dans leurs gènes une protection transmissible. À ce jour, nul n’était en mesure d’identifier avec exactitude le nombre de gènes qui se transféraient aux descendants, mais certaines recherches avaient pu démontrer que l’efficacité s’estompait à chaque génération. Ils furent surnommés les immortels, sans toutefois être à l’abri des têtes coupées. Leur corps vieillissait très lentement, mais, en revanche, certains de leurs sens s’amélioraient avec les années, dont la vue, l’ouïe et la pensée directe. Aujourd’hui, les habitants non vaccinés vivaient en moyenne jusqu’à 140 ans alors qu’ils ne dépassaient que très rarement les 90 ans, mille ans auparavant. Jusqu’ici, aucune personne vaccinée n’avait été recensée comme étant morte de vieillesse. Zorin était le chef des scientifiques qui avaient inventé, testé et implanté ce vaccin. Il fut d’ailleurs le premier à le recevoir. Il avait aujourd’hui plus de 700 ans. Yon, pour sa part, venait de passer le cap des 200 ans, mais il possédait le physique d’un jeune adulte. Sa peau, légèrement violacée, son corps droit et musclé, lui donnaient fière allure. Seule la peau trahissait le passage du temps, en devenant plus foncée et terne avec les années.
- Une autre journée de marche avant d’atteindre le Sommet, fit Yon. Le deuxième soleil va bientôt se lever. La chaleur et la clarté diminueront. Un peu de repos nous fera du bien, lança Yon en s’apercevant que Zorin avait ralenti la cadence.
- Je suis bien d’accord avec toi ! renchérit Zorin, qui ne remettait pas en question cette excellente suggestion.
- Laisse-moi trouver un endroit sécuritaire où nous pourrions nous cacher rapidement au besoin, dit Yon.
Même s’il traînait un peu le pas, tous les sens de Zorin étaient en éveil et il demeurait constamment aux aguets.
La végétation était très pauvre sur le continent en général. À l’approche du Sommet, sa dégradation s’accentuait et la rendait pratiquement inexistante. Les arbres étaient chétifs et dépourvus de feuilles et de fleurs. Jadis, les forêts regorgeaient d’arbres à feuilles multicolores. Plusieurs espèces d’arbres possédaient des fleurs à longueur d’année. Leurs variétés se distinguaient à leurs couleurs. Peu d’arbres matures avaient subsisté aux assauts de l’ennemi. Celui-ci prenait un vilain plaisir à les détruire afin de minimiser à la fois l’accès à la nourriture et les cachettes pour les fugitifs et les animaux.
- Cet endroit me semble convenable pour une pause. Qu’en dis-tu, Zorin ? lui demanda Yon.
- Parfait, répondit-il.
L’endroit était muni d’une grosse roche faisant face à un petit escarpement qui leur permettrait de s’installer confortablement, tout en étant à l’abri.
Leur campement était simple et consistait en une couverture thermique, aux vertus un peu spéciales, qu’ils installeraient au-dessus d’eux afin de les protéger de l’ennemi qui survolait l’endroit dans de petits engins à la recherche de fugitifs. Le contingent ennemi comprenait des Axoniens et des Oxiliens. La race oxilienne, plus costaude mais plus abrutie, était utilisée pour effectuer les rondes et les tâches exigeant moins de réflexion et de jugement. Leur vision était de courte portée et floue, c’est pourquoi leurs engins étaient munis d’un détecteur à infrarouges servant à repérer toute forme de corps en mouvement ou de chaleur au sol. La couverture thermique, utilisée par Yon et Zorin, se fondait dans le décor par sa couleur grisâtre, en plus d’avoir la propriété de déjouer l’efficacité de leur système de détection.
Zorin s’installa le plus confortablement possible en allongeant ses jambes puis en appuyant sa tête sur la paroi du rocher. Il avait à peine fermé les yeux un instant qu’il perçut un bruit au loin. Il s’écria :
- Yon, un engin ! Je l’entends, ils ne sont qu’à quelques kilomètres d’ici. Viens t’abriter !
Yon, à l’extérieur, faisait l’inventaire du contenu de son sac à dos. Il ramassa le tout, pêle-mêle, et se précipita sous la couverture isolante. Les engins survolaient habituellement le territoire à vitesse modérée, contrairement à celui-ci qui passa au-dessus d’eux à grande vitesse. Yon et Zorin entendirent leur radar atteindre une cible assez près d’eux. Auraient-ils été repérés ? Probablement pas, puisque l’ennemi ne revint pas sur ses pas. Yon sortit prudemment de leur abri et s’aperçut qu’un petit animal avait été mortellement atteint. Le pilote avait probablement déverrouillé le système de mitraillage automatique permettant à l’engin, dans un périmètre déterminé, de tirer sur tout ce qui bougeait ou dégageait de la chaleur.
- Ils ont tué un aurix ! s’exclama Yon. C’est tout de même surprenant qu’il en reste encore sur ce territoire, constata-t-il.
- Tu as raison, approuva Zorin. Surtout qu’ils n’ont pratiquement plus de nourriture. La force de la nature me surprendra toujours, philosopha-t-il.
- Allons faire notre sieste maintenant, conclut Yon.
Après un bon sommeil, Zorin et Yon reprirent la route. Le premier soleil se pointait à l’horizon et le temps s’annonçait plutôt calme. Un vent léger glissait sur leur peau. Après avoir vécu plusieurs années à l’intérieur des cavernes, la moindre brise caressante leur était fort agréable. La planète Axon tournait en orbite autour d’un soleil. Dans son mouvement de rotation sur elle-même, elle bénéficiait de la chaleur et de la clarté du soleil une partie de la journée. Par la suite, un deuxième soleil lointain, donnant moins de chaleur et de clarté, prenait la relève. Bénéficiant de deux soleils, il ne faisait jamais totalement noir sur Axon. Les habitants profitaient, néanmoins, de la période plus sombre et fraîche, offerte par le deuxième soleil, pour dormir et ralentir les activités quotidiennes.
Yon et Zorin marchaient en silence. Zorin s’apercevait qu’à l’approche du Sommet les nuages s’épaississaient de manière anormale. Rien de comparable à ces nuages de tempêtes de sable qu’ils avaient l’habitude de subir dans la vallée du Sud.
« Ce n’est pas habituel, pensa Zorin. Il se passe des choses étranges. »
Zorin s’arrêta sec. Il saisit Yon par le bras et lui demanda de sortir la couverture thermique du sac à dos. Yon obéit et la balança instinctivement par-dessus leurs têtes.
- Que se passe-t-il, Zorin ? demanda Yon d’un ton surpris.
- J’entends des voix à quelques centaines de mètres de nous, chuchota Zorin.
Yon n’entendait rien à cette distance, mais faisait aveuglément confiance à son aïeul. Il remarqua un espace creux entre deux roches assez rapprochées et fit signe à Zorin de le suivre.
Ils se blottirent dans cet abri de fortune pour analyser la situation. Yon n’entendait toujours rien, si ce n’était le bruissement du vent léger dans les quelques feuilles sèches pendantes aux branches de certains arbres. Zorin, par contre, entendait des éclats de voix sans toutefois pouvoir distinguer des paroles précises.
- Je n’aime pas cela du tout ! s’exclama-t-il. Nous allons demeurer sagement ici jusqu’au lever du deuxième soleil. Nous profiterons de la pénombre pour avancer.
- D’après toi, qui sont ces gens que tu entends ? demanda Yon.
- Difficile à dire. Probablement, comme nous, des curieux venus au Sommet pour trouver des réponses.
Zorin n’était pas lui-même convaincu de son explication. En réalité, il s’attendait à trouver un Sommet plutôt désert. Un peu nerveux, Yon passa son bras autour des épaules de son aïeul puis ferma les yeux. Lorsqu’ils se réveillèrent, la couche nuageuse était si épaisse qu’il était difficile d’identifier la période de la journée. Aucune importance, c’était idéal pour se remettre en route. Yon n’avait pas encore terminé de ranger ses trucs dans son sac qu’ils furent surpris par un engin qui passa à toute vitesse au-dessus d’eux. Zorin ne l’avait pas entendu venir. On aurait dit qu’il venait tout juste de décoller. Heureusement, Yon avait eu rapidement le réflexe de balancer la couverture par-dessus leur tête.
- C’est bizarre, il arrive du Sommet, remarqua Zorin.
Ils se blottirent l’un contre l’autre, sans bouger. L’engin revint.
- Ne bouge surtout pas, recommanda Zorin à Yon. Ils ont dû détecter du mouvement ou de la chaleur et ils ratissent le secteur.
L’engin demeura immobile quelques secondes, puis repartit aussi vite qu’il était apparu.
Zorin et Yon se remirent à avancer prudemment sous la couverture thermique. Juste avant de franchir le petit fossé qui les séparait du chemin, Zorin entendit des voix.
- Des Oxiliens ! s’étonna-t-il. Que font-ils ici ?
Au travers de la couverture thermique, même si les objets apparaissaient flous, Zorin et Yon pouvaient distinguer des formes. Ils furent stupéfaits par ce qu’ils virent.
- Incroyable ! fit Zorin. S’agirait-il d’un camp d’espionnage ? Une muraille a été érigée avec des fenêtres munies de lunettes d’approche. C’est sans aucun doute des installations servant à observer le deuxième continent, conclut Zorin totalement subjugué.
- En tout cas, plutôt bien gardé ce camp, renchérit Yon en voyant les gardes oxiliens postés à chacune des fenêtres. Regarde, Zorin ! s’exclama Yon, il y a aussi des Axoniens.
- Tu as raison, il s’agit sans doute d’un poste de garde faisant partie d’un clan bien organisé, supposa Zorin. Il nous sera impossible d’observer le deuxième continent à partir d’ici sans se faire voir, constata-t-il en se grattant la tête. Je vais tenter une communication directe. On ne sait jamais. Les Oxiliens sont inaptes à capter ces transmissions. Si ce camp a pris la peine d’ériger cette muraille, c’est sûrement parce qu’il y a de la vie sur l’autre rive.
Zorin examina discrètement les alentours, élabora son plan d’action puis l’expliqua à Yon.
- Nous descendrons le long de ce sentier jusqu’à la fin du mur, fit-il en pointant l’extrémité de la muraille. De là, nous nous faufilerons entre ces petits arbres longeant la falaise du côté de la mer, jusqu’au gros rocher. De l’autre côté de ce rocher, nous ne serons plus visibles par les sentinelles à partir du sentier. Il faudra faire vite !
Yon prit subitement le bras de Zorin pour l’immobiliser.
- Attends, Zorin ! Quelqu’un descend le sentier, chuchota Yon.
En effet, ils distinguèrent, à travers les mailles de leur couverture, deux personnes s’avançant dans leur direction. Une, de grande taille, et l’autre, plus petite. Il s’agissait d’Axoniens, tout comme eux. Le plus petit d’entre eux semblait nerveux. Son regard ne quittait pas le sol et, avec ses pieds, il frappait tous les cailloux qui croisaient son chemin. Ils murmuraient, mais Zorin arrivait à les comprendre.
- Tu dois cesser cet entêtement à ne pas obéir aux ordres, Jica. Fais un effort, sinon on nous retournera dans les cachots ou, pire encore, au bûcher, dit le plus grand d’entre eux.
- Je n’y peux rien. J’ai juste le goût de fuir, répondit le plus petit et, de toute évidence, le plus jeune des deux.
- Écoute-moi, nous partirons, mais au moment opportun. J’aurai un plan.
- Ça fait des années que tu me chantes la même chanson.
- Tu ne peux pas partir seul, Jica, tu n’as que treize ans… euh, quatorze ans maintenant, pardon. C’est tout récent, j’avais oublié. Allez, tu dois me faire confiance et, pour l’amour, fais ce qu’ils te demandent. Ah oui ! Et pardonne-moi d’avance lorsque je suis sévère et dur avec toi devant eux. Il faut jouer le jeu ! supplia-t-il en regardant le cadet dans les yeux.
- D’accord. Je ferai un effort pour toi, Monix, mais j’ai tellement envie de ne plus me retrouver ici et…
Il fut coupé par un garde qui hurla après eux:
- Eh ! Vous deux, que faites-vous là ?
- Nous effectuons notre ronde, répondit Monix contrarié.
- Vous êtes rendus trop loin, respectez les limites ou je vous mets au trou, lança-t-il d’une voix autoritaire.
- Tu as entendu ce qu’il t’a dit ? lança Monix à Jica. Bougetoi et avance !
Jica détestait se faire parler sur ce ton, même en sachant qu’il s’agissait d’une simulation.
Le petit groupe s’éloigna en silence. Zorin et Yon, légèrement courbés sous leur couverture, se déplacèrent dans le sens opposé jusqu’à l’endroit où ils devaient traverser le chemin. Une fois rendus, ils se précipitèrent de l’autre côté et se rendirent derrière l’immense rocher au bord de la falaise. Cet endroit leur offrait un petit belvédère naturel avec une vue magnifique, en plus de leur assurer une planque à l’abri des regards. À peine étaient-ils dissimulés qu’un engin passa près d’eux. Avaient-ils été repérés ?
- C’est bizarre tous ces engins. J’ai l’impression qu’ils ont une flotte d’engins près d’ici, supposa Zorin.
- Tu as sûrement raison Zorin, renchérit Yon. Ces engins ne prospectent pas, ils ont plutôt l’air d’arriver ou de repartir, constata Yon.
- Laissons-les à leur besogne, alors. Moi, je m’installe maintenant pour ma communication directe, dit Zorin. Le premier soleil se lèvera bientôt et nous serons vulnérables. Je m’aligne vers le deuxième continent pour maximiser l’efficacité de l’échange télépathique.
Zorin se concentrait en regardant devant lui. Puis, le dos bien droit et les jambes croisées, il appuya sa tête contre le rocher et ferma ses yeux. Sa respiration ralentit puis s’ensuivit une expiration à peine audible. Il transmit un premier message, court et simple, afin de faciliter le décodage.
« Ici Zorin, recevez-vous ce message sur le continent deux ? »
Zorin envoya ce court message à répétition, sans succès. Il s’entêta à continuer jusqu’à ce qu’il reçoive finalement une réponse.
« Zorin, c’est bien toi ? Je n’ai pas cessé d’espérer… où es-tu ? » résonna dans sa tête la voix de son vieil ami Maxori.
Yon vit un sourire sur les lèvres de Zorin. Il devina qu’une réponse avait été captée.
« Je suis au Sommet, il se passe des choses bizarres et inquiétantes, Maxori. Yon est avec moi et… »
Zorin ne finit pas sa phrase. Il entendit d’autres voix qui s’approchaient d’eux. Pris de panique, il communiqua son désarroi à Maxori.
« Nous avons été repérés, ne communique plus avec moi pour le moment. »
Maxori risqua tout de même une dernière pensée directe.
« Zorin, c’est important, vous devez vous rendre à la caverne Landsia rencontrer Nandi et méfie-toi de… »
Zorin ne put entendre la fin de la recommandation. Il se tourna rapidement vers Yon, qui ignorait encore qu’ils venaient de se faire repérer et lui transmit l’information obtenue.
- Yon, écoute-moi et fais ce que je te dis. Tu devras redescendre du Sommet et te rendre dans les cavernes de Landsia. Tu diras à un certain Nandi que tu viens de la part de Maxori. Ne tarde pas trop et bonne chance !
Les voix étaient rendues au rocher, Zorin sortit de sous la couverture thermique, contourna le rocher et y laissa Yon, pantois, faisant croire qu’il était seul.
- Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Répondez ! lui cria par la tête un Oxilien enragé, accompagné de l’Axonien que Zorin avait surpris à chuchoter un peu plus tôt.
- J’erre, répondit calmement Zorin. J’espérais entrer en communication avec des amis sur le deuxième continent, continua-t-il naïvement. Je ne voulais surtout pas vous déranger. Je repars de ce pas.
- Pas question ! Et ne nous prenez pas pour des imbéciles, enfermez-le dans le cachot ! hurla-t-il à l’Axonien qui l’accompagnait.
- À vos ordres, répondit ce dernier. Allez, venez ! ordonna-t-il à Zorin.
- Eh ! Vous trois là-bas, cria l’Oxilien en direction des gardes qui discutaient un peu plus loin sur le sentier, faites une fouille et assurez-vous qu’il n’y a pas d’autres espions au Sommet.
Pendant que les gardes entamaient des fouilles, l’Axonien prit Zorin par le bras et l’emmena vers le cachot. Zorin tourna doucement la tête vers lui et chuchota :
- Vous êtes Monix, c’est bien ça ? Que faites-vous ici ? demanda Zorin.
- Comment connaissez-vous mon nom ?
- Je vous ai entendu chuchoter un peu plus tôt aujourd’hui avec ce que je devine être votre enfant.
- Nous sommes esclaves. Étiez-vous seul ?, demanda-t-il à Zorin.
- Nous étions deux, avoua-t-il, en lui faisant aveuglément confiance.
Ils n’eurent pas le temps de terminer leur conversation qu’on les arrêta.
- Eh ! Vous deux, vous vous croyez en balade ? Accélérez le pas et cessez de parler, leur cria par la tête l’Oxilien tout près du cachot.
Monix ouvrit la porte et poussa doucement Zorin à l’intérieur. Zorin n’avait aucune idée s’il reverrait Monix. Il le regarda droit dans les yeux et tous deux ressentirent un sentiment de solidarité l’un envers l’autre. La porte se referma sur Zorin et le calme revint au Sommet.
Pendant ce temps, Yon s’était étendu au sol recouvert de sa couverture thermique. Il était glacé par la peur. Il avait le cœur en miettes et se sentait abandonné. Yon souhaitait disparaître pour soulager son immense chagrin. La réalité le rattrapa lorsqu’il entendit à quelques dizaines de mètres les gardes frapper le sol à l’aide d’un long bâton, doté d’une pointe acérée à l’une des extrémités, à la recherche d’un ou plusieurs complices. Un seul coup suffirait pour transpercer mortellement quelqu’un. Les gardes s’avançaient progressivement vers lui. Yon avait juste eu le temps de déraciner un petit arbuste et, en une fraction de seconde, l’avait installé sur lui de manière à faire croire qu’il poussait sur la roche qu’il tentait d’imiter avec sa couverture thermique. Ce trompel’œil pourrait déjouer les Oxiliens avec un peu de chance. « Mais, sûrement pas un Axonien, se disait-il, et surtout pas en plein jour. »
Jica avait reçu l’ordre d’effectuer des fouilles avec les gardes. On ne lui donna accès à aucun instrument de recherche, sauf ses propres pieds.
- Tout indice doit nous être rapporté, ordonna l’Oxilien à Jica sur un ton autoritaire. Une seule manigance de ta part et tu retournes au cachot.
Jica, un peu lunatique, avait compris la consigne mais semblait peu concentré sur la tâche. Monix arriva au même moment.
- Me voilà de retour, lança-t-il avec aplomb. Je vais m’assurer que tout est passé au peigne fin par ici. Allez, fainéant, envoya-t-il à Jica, concentre-toi sur ta tâche et balaie le sol avec tes pieds en t’assurant que tous les racoins soient bien vérifiés.
Jica sursauta et maugréa une réponse que personne ne chercha à comprendre. Il jeta un regard à Monix qui le cloua sur place tellement la haine émergeait de ses yeux.
Monix profita tout de même de ce contact visuel et lui fit un clin d’œil suivi d’un léger coup de tête vers l’arbre posé sur la couverture thermique. Monix posa discrètement son doigt sur ses lèvres pour lui implorer le silence. Jica comprit alors l’attitude de Monix et répondit par un léger signe de la tête qu’il avait compris.
Yon entendait les pas se rapprocher vers lui. La sueur mêlée aux larmes lui coulait dans les yeux. Comment devraitil réagir s’il était pris ? Devrait-il abdiquer ou bien se débattre et tenter de fuir ? Quelles seraient ses chances de s’en sortir ? Aurait-il la gorge tranchée ? Ses pensées bifurquèrent un instant vers Zorin. Que feraient-ils de lui ? L’avaient-ils bien traité ? Yon se ramena vite à la réalité. On se rapprochait de lui. Malgré sa force physique, il savait qu’il n’était pas de taille à combattre seul contre tous ces gardes armés. Il lui fallait élaborer rapidement un plan d’évasion. Il avait constamment l’impression de trahir Zorin, s’il n’incluait pas sa délivrance dans son plan. D’un autre côté, Zorin lui avait dicté des instructions précises qui serviraient probablement mieux leur cause. Tout à coup, il se sentit s’effondrer lorsqu’une main se posa sur la couverture thermique. C’était Monix. Celui-ci tenta de le rassurer en disant d’une voix assez forte pour que les Oxiliens tout près l’entendent :
- Jica, sois prudent par ici. Le sol est mou et glissant. Un seul faux pas et tu dégringoles la falaise pour atterrir au campement central.
La falaise était effectivement abrupte et le sol instable à plusieurs endroits. En entendant ces paroles, les Oxiliens, qui s’étaient grandement rapprochés, eurent le réflexe de s’éloigner du bord de la falaise, laissant à Monix et Jica le soin de surveiller la partie la plus dangereuse. Yon comprit alors qu’il avait des alliés. Il saisit du même coup qu’un groupe de combattants ennemis étaient postés en dessous, sur le versant de la montagne. Voilà comment ils avaient pu capter la communication directe de Zorin, d’où sa capture si rapide un peu plus tôt. Ce campement n’était pas visible à partir du Sommet, la paroi étant trop abrupte. Zorin ne s’était pas douté qu’une autre instance se trouvait entre lui et le continent deux lors de la transmission de son message. En traînant ses pieds au sol, Monix simula une chute volontaire dans une racine, puis tomba de tout son long sur le sol à côté de Yon. Il lui chuchota rapidement, avant de se relever :
- Zorin est sauf. Il ne craint rien pour le moment. Jica partira avec toi au lever du deuxième soleil. Ne bouge pas d’ici. Il te rejoindra au moment opportun.
Jica avait compris et ses yeux devinrent brillants. Même si ce message lui semblait difficile à croire, son cœur battait à la fois de joie et d’inquiétude. Il quitterait cet endroit maudit, mais sans Monix. Yon, un peu rassuré, ne bougea pas, même si sa position devenait inconfortable et difficile à maintenir. Tous ses membres étaient ankylosés. Monix prenait un risque en confiant son enfant à cet inconnu. Il espérait de tout son cœur que Jica jouisse un jour de la liberté. Les comportements de Jica, ces derniers temps, mettaient trop souvent sa vie en danger, ce qui inquiétait Monix. Il lança d’une voix forte :
- À partir d’ici, l’espace entre la falaise et la muraille est trop étroit et trop abrupt. Impossible pour une personne de s’y camoufler.
- Dans ce cas, venez nous aider par ici, cria l’Oxilien de garde. Nous allons descendre vers le bord de l’eau. S’il y avait quelqu’un avec l’espion, il doit sûrement être rendu loin d’ici. Grouillez-vous !
Monix et Jica obéirent.
Chapitre deux
L’ÉVASION
Au lever du deuxième soleil, le temps était maussade. La ronde habituelle débutait pour Jica et Monix. Ils descendaient le sentier menant au rocher où Yon s’était caché la veille. Ils mettraient leur plan à exécution au moment opportun, évitant d’attirer l’attention des Oxiliens de garde. Lorsqu’ils furent près de l’emplacement, Monix lança d’une voix forte :
- Je ferai la ronde sur le sentier et toi tu longeras la falaise. On se rejoint à l’extrémité et nous reviendrons ensemble.
- Pourquoi est-ce moi qui me tape la bordure de la falaise ? questionna Jica.
- Tu es plus jeune et plus habile. De toute façon, ne discute pas mes ordres, dit Monix en haussant le ton.
Il avait le cœur gros, réalisant que ces paroles seraient les dernières avant son départ avec Yon. Il aurait préféré le prendre dans ses bras en lui soufflant des mots d’encouragement.
Jica lui jeta un regard plein de tendresse, sans rien dire, avant de s’éloigner. En quatorze ans, jamais il ne s’était éloigné du seul parent qui lui restait. Son cœur eut un grand vertige. Il resta quelques secondes à le regarder. Ce ne fut qu’une mince couche de baume sur le cœur de Monix qui lui fit baisser la tête pour ne pas laisser voir les larmes couler sur son visage.
Arrivé près du rocher, Jica eut du mal à repérer Yon qui, en s’endormant, avait laissé tomber le petit arbuste qu’il tenait dans ses mains la veille. Il posa délicatement sa main sur la couverture thermique sous laquelle Yon l’attendait. Celui-ci sursauta, mais se sentit en même temps rassuré. Il quitterait bientôt cet endroit. Yon souleva délicatement la couverture. Les deux firent brièvement connaissance. Ensuite, ils s’entendirent rapidement sur le modus operandi afin de quitter le Sommet le plus rapidement possible sans risquer d’être vus.
Ils mirent donc, sans tarder, leur plan à exécution. Recouverts de la couverture thermique, ils firent à l’inverse le chemin emprunté par Zorin et Yon la veille, puis se dissimulèrent derrière un amoncellement de roches près du sentier où ils avaient aperçu Monix et Jica la première fois. Ils prirent une courte pause pour s’assurer que personne ne les avait repérés. Rien à signaler. Rassurés, ils s’éloignèrent prudemment puis, rendus à bonne distance, ils descendirent aussi vite que leurs jambes pouvaient le permettre. À bout de souffle, Jica demanda à Yon de s’arrêter un instant. Il ne pouvait plus tenir ce rythme effréné. Yon s’arrêta et balança sa couverture thermique par-dessus leurs têtes.
- Nous ne pourrons pas nous arrêter bien longtemps, lui dit Yon. L’ennemi est sûrement déjà à nos trousses.