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Le massage

au-delà de la relaxation

Les pouvoirs thérapeutiques du toucher

Dr Michel Lorrain

médecin et massothérapeute

Le massage

au-delà de la relaxation

Les pouvoirs thérapeutiques du toucher

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Lorrain, Michel,

La massothérapie au-delà de la relaxation : les pouvoirs thérapeutiques du toucher

ISBN 978-2-89571-214-5

1. Massothérapie. 2. Toucher - Emploi en thérapeutique. I. Titre.

RM721.L67 2016615.8’22C2016-941198-2

Révision : Sébastien Finance et Thérèse Trudel

Infographie : Marie-Eve Guillot

Photos de l’auteur : Mylène Cousineau, Photo Laplante

Éditeurs :

Les Éditions Véritas Québec

2555, ave Havre-des-Îles

Suite 315 Laval, Québec H7W 4R4

450-687-3826

Sites Web : www.editionsveritasquebec.com

© Copyright :

Michel Lorrain (2016)

Dépôt légal :

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives Canada

ISBN :978-2-89571-214-5 version imprimée

978-2-89571-215-2 version numérique

PRÉFACE

Pourquoi écrire un autre livre sur le massage alors qu’il y en a déjà sur le marché ?

Sans doute parce que leur cible ne s’ouvre pas suffisamment selon moi sur la santé holistique… Depuis quelques années, je m’intéresse à une médecine du Mieux-être. Je ne trouvais pas dans la médecine traditionnelle toutes les réponses à mes attentes et parmi ma clientèle, les mêmes questionnements revenaient. Tout au long de mon cheminement à cet égard, je cherchais de nouvelles approches préventives et thérapeutiques qui pourraient s’intégrer dans une médecine globale. Je voulais d’abord sensibiliser mes patients au processus d’évolution de la maladie liée au mode de vie et leur faire connaître différents moyens d’améliorer leur état et leurs capacités. J’ai alors écrit un livre sur le sujet : Échec à la Maladie.

Je constatais également toute l’importance de certaines approches complémentaires dans l’arsenal thérapeutique du médecin. La physiothérapie, l’ergothérapie, l’ostéopathie, la psychothérapie, la sexothérapie et la nutrition… jouent un rôle déterminant dans la prévention et le traitement de nombreuses affections.

À titre de médecin expert en entreprise, je notais, lors d’évaluations d’accidents du travail et de maladies professionnelles, que certaines disciplines, notamment, la physiothérapie et la chiropratique, enrichissaient leur traitement de techniques de massage empruntées à la massothérapie. J’observais des tensions musculaires silencieuses non traitées chez de nombreux employés. Il n’en fallait pas plus pour éveiller mon intérêt pour cet aspect curatif de la massothérapie.

J’ai alors suivi une formation complète de plus de 1 200 heures en massothérapie. Une aventure qui m’a fait découvrir les bienfaits du massage sur la santé physique et mentale. Ma formation professionnelle en approche biomécanique et psychocorporelle m’a permis d’approfondir les mécanismes d’action de ces disciplines qui lui confèrent une place de choix dans plusieurs domaines de la santé. Mes recherches m’ont également permis de réaliser que la massothérapie trouve des assises solides en neurophysiologie de la douleur, en physiopathologie du système musculosquelettique et en neuroplasticité du cerveau.

Comme j’étais le premier médecin au Québec à avoir suivi une telle formation, j’ai décidé de partager mes connaissances auprès des groupes d’étudiants en médecine et des médecins en exercice. J’ai donné des conférences et rédigé de nombreux articles afin de leur faire connaître la massothérapie. J’ai senti un réel intérêt. Plusieurs médecins s’ouvrent à cette approche pourvu qu’elle réponde à certains critères scientifiques. Je crois que la massothérapie peut parfaitement répondre à leurs attentes.

Cet ouvrage s’adresse à tous ceux et celles qui veulent parfaire leurs connaissances en massothérapie, ainsi qu’au grand public qui pourra mieux comprendre les effets bénéfiques du massage sur l’organisme humain.

Ma démarche consiste donc à faire le pont entre les connaissances appliquées en médecine et la massothérapie, à montrer les ressemblances et les complémentarités qui les unissent tout en visant une amélioration des patients en recherche de solutions à leurs maux.

INTRODUCTION

Le massage suscite un réel engouement auprès de la population; il s’agit d’un paradoxe moderne, puisque le toucher relationnel est de plus en plus surveillé pour ne pas dire encadré... De plus en plus de gens recourent au massage de détente et au massage thérapeutique pour de nombreuses affections. Une étude commandée par la Fédération québécoise des massothérapeutes en 2010 a montré que 60 % de la population avait déjà eu recours aux services d’un massothérapeute.

La massothérapie s’implante en milieu de travail et de nombreuses compagnies d’assurances défraient une partie des coûts de massages prescrits par un médecin.

L’industrie des spas et des centres de santé vit une évolution remarquable au Québec. Il y a plus de 300 spas témoignant d’un souci constant de mieux-être offrant des soins et de la relaxation dans leurs établissements.

Je vais aller explorer la profitabilité du massage dans une médecine qui se préoccupe des sens, des sensations, des douleurs et des malaises afin de dégager ses principales applications pratiques. Il me semble que le lecteur pourra en mesurer toute son étendue et explorer comment cet outil peut s’appliquer. Il n’y aura pas dans cet ouvrage d’enseignement de manœuvres; je ne souhaite pas davantage faire la promotion des différentes disciplines en massothérapie. Je limiterai mes interventions à expliquer les différentes approches en laissant le soin à chacun de se documenter selon ses préférences.

Au cœur de ma démarche, j’affirme que le toucher a des vertus thérapeutiques. C’est un guérisseur puissant. Beaucoup de gens recourent à des touchers professionnels. Le médecin, le coiffeur, le pédicure, le manucure… ne sont-ils pas des intervenants aux mains expertes ? Le toucher professionnel le plus évident est le massage; le massothérapeute est le professionnel du toucher.

Comment s’amorce ce processus ? Le massage agit en profondeur sur la mémoire du toucher. En établissant le contact avec l’épiderme, le massage libère toutes sortes d‘émotions enfouies dans les souvenirs laissés par le toucher depuis la naissance. Est-il possible de modifier la mémoire du toucher des gens qui ont subi des sévices corporels ? Je le crois. Plusieurs expériences en témoignent.

Il existe plusieurs études se montrant en faveur de l’efficacité du massage. La base de données Cochrane contient toute l’information disponible sur l’effet du massage dans de nombreuses affections. Personne n’ignore ses effets immédiats sur la relaxation, le soulagement des tensions musculaires, les douleurs aiguës et chroniques.

Le toucher joue un rôle crucial dans le développement des bébés et des enfants. Certaines personnes âgées survivent difficilement au manque de contact. Les femmes enceintes et en travail bénéficient également des effets du massage. Le massage est largement exploité en médecine sportive.

Un nouveau champ de connaissances nous interpelle ici. Nous allons explorer la place de la massothérapie dans de nombreuses affections du système musculosquelettique et en particulier sur le traitement de la douleur chronique. Nous verrons comment le massage agit sur les mécanismes internes de modulation de la douleur. Ce point de vue est innovateur et, de ce fait, ce livre nous instruit et nous documente sur les applications nouvelles, d’avant-garde, en processus d’une expérimentation ouverte.

Le massage tire déjà son épingle du jeu dans des pathologies chroniques multifactorielles. Il est efficace à tous les niveaux de développement de certaines maladies liées au mode de vie. La massothérapie cadre bien dans une médecine intégrée.

Je souhaite faire connaître au grand public la massothérapie au-delà de ses vertus de détente. Et cet ouvrage permet de montrer de nouvelles façons de voir la massothérapie. Partager mon expérience et le fruit de mes réflexions dans ce domaine est mon principal objectif. J’aimerais développer les liens entre la massothérapie et la médecine en soulignant leur complémentarité.

En premier lieu, nous allons explorer ce qu’est la peau et pourquoi le toucher agit en surface et en profondeur sur la personne qui subit un mal-être. Tout naturellement, les raisons d’être de la massothérapie se révèleront aux lecteurs, sans égard au point de vue qui l’interpelle.

Chapitre 1

Le massage est intimement lié au sens du toucher

Pour bien comprendre le fonctionnement du massage et la place qu’il occupe dans différents domaines de la médecine, quelques réflexions sur les sens s’imposent, et en particulier sur le sens du toucher, afin d’en tirer des applications intéressantes en massothérapie.

Nos sens nous permettent de prendre contact avec le monde qui nous entoure. Ils agissent comme des radars, des censeurs. Ce sont des sentinelles qui sonnent l’alarme au moindre danger. L’odeur de fumée nous avertit du feu; elle nous met en garde des gaz toxiques. La vue d’un animal sauvage nous éloigne du risque d’une morsure ou d’une attaque. Des bruits inhabituels mobilisent notre attention. Le goût d’aliments avariés nous préserve d’une intoxication ou d’un empoisonnement mortel. Enfin, le toucher nous avertit des changements de température et de pression. La douleur est un puissant signal d’alarme devant une foule de menaces visibles ou invisibles.

Contrairement à l’odorat, les autres sens ont besoin de stimuli particuliers : la vue a besoin d’images tandis que l’ouïe a besoin de sons. Le goût a besoin d’aliments ou de breuvages tandis que le toucher a besoin de contacts tactiles.

Les stimuli externes sont transformés en énergie électrique qui se rend au système nerveux central par un réseau de fibres nerveuses sensitives. L’information reçue est analysée; des sensations agréables ou désagréables sont perçues. « La façon dont nos sens nous ravissent varie énormément d’une culture à l’autre et d’un individu à l’autre. » (1) Le corps réagit ensuite suivant des réactions chimiques, endocriniennes ou autres, adaptées aux différentes situations.

Tous nos sens ont une mémoire. Ils nous relient intimement au passé. Si certains souvenirs sont associés à des sensations agréables, d’autres, liés à toutes formes de danger et de violence, laissent des souvenirs indélébiles dans la mémoire.

« Les sens de l’Homo sapiens se développent selon un ordre précis à savoir : le toucher, l’ouïe et la vue. Lorsque l’enfant approche de l’adolescence, l’ordre d’importance s’inverse. Les perceptions auditives et tactiles dans les premières années de la vie sont beaucoup plus importantes que les impressions visuelles. Ce n’est que lorsque l’enfant a acquis par ses sens tactiles et auditifs la conscience d’être humain, que la vue devient le sens le plus important. » (2) La vue et l’ouïe sont des sens de distance tandis que le toucher, le goût et l’odorat sont des sens de contact.

Relevons maintenant quelques particularités de chacun de nos sens.

La finesse des sens

L’odorat : commençons par l’odorat, le moins essentiel de nos sens. Nous sentons à chaque respiration les molécules en suspension dans l’air. Tout a une odeur. À ce chapitre nous n’avons pas l’acuité de certains renifleurs du règne animal. Peut-être, un jour, arriverons-nous à contrôler le pouvoir d’attraction des phéromones ?

Ce qui est particulièrement intéressant pour l’odorat, c’est qu’il a une mémoire phénoménale. La résonance magnétique fonctionnelle a permis d’établir des liens étroits entre l’odorat et les centres de la mémoire. L’odeur de hot dog et de frites me rappelle les piqueniques en famille à la plage. La senteur du parfum Eternity éveille en moi les souvenirs de danses lascives avec ma dulcinée. Par ailleurs, l’odeur des œillets me fait revivre mon premier contact avec la mort. On avait exposé le corps de grand-père dans le salon. Ça sentait les œillets et tout le monde pleurait. L’odeur du chloroforme me rappelle mes premiers contacts avec le dentiste et mes premières visites à l’hôpital. Chaque odeur se loge dans un répertoire, classifiant des souvenirs qui deviennent des empreintes figées depuis la naissance.

Il est étonnant de noter que nous avons une obsession des parfums et de leurs effets. Il se dépense des sommes faramineuses dans ce domaine lucratif. Nous nous inondons de senteurs de toutes sortes. Nous parfumons non seulement nos corps et nos maisons, mais presque tous les objets qui font partie de notre vie. Y a-t-il un aérosol dans votre voiture ou dans votre bureau ? On est loin de l’époque où Napoléon invitait Joséphine à ne pas se laver avant qu’il ne revienne de mission. « L’odeur joue un rôle capital dans notre évaluation des choses comme des gens. » (3) Nous aimons nous entourer d’odeurs provenant de la nature comme le pin, le citron, les fleurs. Il est à noter que nous accompagnons fréquemment nos massages d’huiles essentielles, qui sont des composés odoriférants de plantes.

L’odorat et le goût jouent un rôle complémentaire. Les arômes qui se dégagent des aliments et des breuvages sont captés par les cellules olfactives des muqueuses nasales. Nous sentons souvent avant de goûter; et cela suffit à nous faire saliver. Sans odorat, nous ne pourrions apprécier les effluves d’un bon vin ou les arômes d’un bon plat.

Le goût comporte quatre saveurs : le sucré, le salé, l’aigreur et l’amertume. Tout le reste relève du mariage avec les odeurs. Le goût est notre sens le plus convivial. Ne souligne-t-on pas un anniversaire ou un événement particulier par un bon repas ? Ne concluons-nous pas une affaire autour d’une bonne table ?

L’ouïe est un sens jovial. « il n’est pas facile de garder son corps tranquille quand on écoute de la musique; il suffit de quelques mesures pour se mettre à taper du pied, remuer les mains ou se mettre à danser. Ce qui est merveilleux, c’est qu’on le veuille ou non. » (4) Nous réagissons à la musique sans avoir besoin de la comprendre ou de l’apprendre. Il y a de la musique pour tous les goûts et toutes les humeurs. Il y a aussi les bons mots pour stimuler et les mauvais pour faire mal. Captés dans l’utérus, les premiers mots de la mère préparent à toutes les formes de communication futures.

La surdité est un handicap plus marquant que la cécité. Le champ visuel ne dispose que de 180 degrés alors que les oreilles perçoivent les sons à 360 degrés.

La vue voyage à travers l’espace et le temps. Elle enregistre des tonnes d’informations convergentes. La beauté nous émeut. Les précipices nous font peur et rendent prudents. Quand nous nous représentons dans notre imagination des images du passé, l’émotion nous envahit. Une photo peut nous rappeler elle aussi de bons et de mauvais souvenirs. Le dicton « une image vaut mille mots » est tout à fait vrai.

Mon épouse et moi avons su agrémenter notre salle d’attente d’expériences sensorielles calmantes pour les clients : une musique de détente, des effluves d’huiles essentielles, des paysages évoquant une nature apaisante et parfois… des fruits et des petits gâteaux pour compléter le tout.

Les vertus du toucher

Avant d’aborder le massage et ses applications, attardons-nous quelque peu sur les vertus du toucher. C’est lui qui nous plonge au cœur du massage : il est intimement lié à la peau.

La peau est l’organe le plus étendu et le plus sensible du corps humain. Elle protège le corps des blessures physiques, des substances toxiques, des rayons nocifs et de l’assaut des microbes. La peau est vivante. Elle respire, produit la vitamine D, excrète des déchets métaboliques, nous isole de la chaleur et du froid, se répare si nécessaire, règle la circulation sanguine. « La peau sert de cadre à notre sens du toucher, nous seconde dans l’attirance sexuelle, définit notre individualité. » (5) Elle nous avertit constamment d’une exposition potentiellement dangereuse. Le coup de soleil n’est-il pas un signal d’alarme ? Notre peau est ce qui nous sépare du monde. Elle est le contact entre le milieu ambiant - l’extérieur – et notre individualité intérieure. Elle nous enveloppe et s’adapte à notre croissance et à nos modes de vie.

La peau perçoit les différents stimuli tactiles, les transforme en énergie électrique pour être ensuite transportés au cerveau afin d’en traiter la signification. À cet effet la peau est constituée de cellules spécialisées qui transforment les stimuli thermiques, mécaniques, chimiques ou électriques en signaux nerveux. La surface de la peau contient un nombre important de récepteurs sensoriels. Tous ses récepteurs transmettent sans arrêt de l’information au cerveau. La peau est branchée en permanence sur l’extérieur.

MÉCANORÉCEPTEUR

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Les zones les plus sensibles sont le bout des doigts, les lèvres et les parties génitales. Nous possédons tous des facultés de stéréognosie, c’est-à-dire la capacité de reconnaître les objets par le toucher. Palpez à l’aveugle des objets différents dans un sac et vous serez en mesure d’en identifier plusieurs. Une bonne sensibilité du bout des doigts est essentielle au massothérapeute pour détecter les tensions musculaires, aussi minimes soient-elles.

Tout au long de notre exposé, nous allons porter une attention particulière aux récepteurs du froid, du chaud, de la pression et de la douleur.

« Tout ce qui touche la peau peut avoir toutes sortes d’effets. La dichotomie humaine est consternante : quand on pense aux billions de dollars que les femmes dépensent en soins esthétiques de la peau, sous forme de lotions, baumes, crèmes et autres, alors que simultanément elles surexposent leur peau aux influences les plus néfastes, celles d’un excès de soleil en l’occurrence. » (6)

Il y a toute une gamme de variations possibles dans les sensations tactiles, selon leur qualité, leur fréquence, leur durée, selon qu’elles sont reçues par un nouveau-né, un bébé, un adolescent ou un adulte, et enfin selon les différentes cultures. Ces variations revêtent une importance capitale en massothérapie.

L’importance des fonctions tactiles de la peau dans le comportement humain est connue depuis la nuit des temps. Elle est traduite de façon évidente dans de nombreuses expressions du langage parlé. Pour amadouer quelqu’un, on parle de le flatter dans le sens du poil; la lecture d’un livre parvient à toucher le lecteur; on peut entrer dans la peau d’un personnage ou avoir quelqu’un dans la peau, etc.

Le toucher, le plus essentiel de nos sens : l’anthropologue et humaniste anglais Ashley Montagu en donne une définition intéressante : « Le toucher se définit comme l’action ou l’acte de sentir quelque chose de la main. » (7) Le toucher est le sens corporel le plus généralisé, diffus sur toute la peau. Comme l’écrivait le docteur Frederick Sachs dans The Sciences : « S’il est le premier sens à s’enflammer, le toucher est aussi le dernier à s’éteindre. » (8) Le toucher nous donne la notion de profondeur, d’épaisseur et de forme. Nous ne croyons à la réalité d’une chose que lorsque nous la touchons du doigt. Tout ce que nos autres sens nous font percevoir de la réalité n’est rien d’autre qu’une hypothèse à vérifier par le toucher. Le toucher témoigne de la réalité objective des choses. Il implique la présence conjointe et inséparable du corps que l’on touche et de notre propre corps, avec lequel nous touchons. Contrairement à la vue et l’ouïe, le toucher nous fait ressentir les choses à l’intérieur de nous-mêmes. Nous verrons dans le massage cette interaction très intéressante entre le donneur et le receveur d’un massage.

Le toucher est de loin le plus essentiel de nos sens. Il devient plus crucial lorsque les autres sens s’affaiblissent. Un être humain ne pourrait vivre sans les fonctions de la peau. Helen Keller était une écrivaine, activiste et conférencière américaine. Bien qu’elle fût sourde-muette au début de sa vie, et aveugle, elle parvint à obtenir un diplôme universitaire. On dit qu’elle se servait de ses deux autres sens de façon extraordinaire. Elle pouvait déposer ses mains sur un appareil radio en marche et reconnaître par la vibration certains instruments de musique. Sans le savoir, elle exploitait les pouvoirs de la neuroplasticité du cerveau, cette capacité du cerveau de se transformer au fil des expériences.

De nombreuses expériences visant à déterminer les effets du toucher sur le comportement en public ont été faites. J’aime beaucoup celle où on a demandé à des serveuses d’un fast food de comptabiliser leur pourboire pendant une semaine de travail. Ensuite on leur a enseigné des façons subtiles, il va sans dire, de toucher leur client. On a constaté que la semaine d’expérimentation du toucher avait rapporté 25 % de plus de pourboire.

Dans une autre étude, « on a demandé à des bibliothécaires de toucher et de ne pas toucher alternativement la main des étudiants qui venaient faire enregistrer leurs livres. Les étudiants touchés faisaient état de sentiments plus positifs vis-à-vis de la bibliothècaire, alors que le contact n’avait duré qu’une demi-seconde et que la moitié des étudiants ne se rappelait même pas avoir été touchés. » (9)

À Boston, une chercheuse laisse de l’argent dans une cabine téléphonique – où elle revient quand elle voit quelqu’un empocher l’argent. Elle demande tranquillement à la personne si elle n’a rien trouvé. Si, en parlant, elle touche cette personne, même insensiblement (les gens ne s’en souviennent pas ensuite), les chances qu’elle a de récupérer son argent passent de 63 % à 96 %. « Un attouchement serait-il si subtil que l’on n’y prêterait pas attention, il ne passerait pas inaperçu du mental souterrain. » (10) On voit à quel point le toucher est un puissant communicateur.

Il y a différentes manières de toucher. Nous en reparlerons plus loin lorsque nous aborderons les différentes techniques de massage, ses applications et son rôle dans le soulagement de la douleur.

« Les recherches sur le toucher dans les instituts de recherche sur le toucher montrent que les niveaux de cortisol s’abaissent à la suite d’un massage. » (11) Le toucher se prête à la recherche tant du point de vue laboratoire que du point de vue imagerie comme nous le verrons plus loin.

Même s’il s’agit d’une sensation désagréable, la douleur est essentielle dans certaines situations. C’est un signal d’alarme qui peut prévenir des complications graves pouvant conduire à la mort. Nous allons consacrer un chapitre à son traitement. Nous verrons comment le massage agit sur les mécanismes de modulation de la douleur.

La mémoire du toucher

Posons un regard attentif sur la mémoire du toucher pour en dégager quelques aspects intéressants. « Si on avait besoin d’une preuve pour démontrer la mémoire de la peau, on la trouverait dans les capacités sensorielles des extrémités des doigts. Les récepteurs sensoriels des doigts captent les stimuli et les transmettent ensuite au cerveau sous forme de substances conductrices. À la longue, ces capacités deviennent des facultés qui permettent à l’individu de reconnaître précisément chaque sensation et de l’associer à sa signification propre. » (12)

Le corps est complice de nos activités. Il se souvient de ce qu’il a vécu. Il a une mémoire infaillible. Les sensations tactiles acquièrent une signification associée aux situations dans lesquelles elles sont éprouvées. Les mains comme les autres parties du corps ont une histoire à elles.

Chaque corps est unique de par l’histoire qu’il raconte. Les mauvaises expériences s’incrustent dans sa mémoire tout comme les bonnes. Toute forme de violence laisse des séquelles; que ce soit une opération, une blessure ou un accident. Que dire des gens qui ont été battus ou abusés sexuellement. La peau reflète les émotions refoulées. L’existence de la mémoire de la douleur ne fait aucun doute. Il n’est pas rare de voir quelqu’un avoir des réactions inusitées durant le massage ou se mettre tout simplement à pleurer. Nous exprimons par le corps tout un langage qu’il nous est souvent difficile d’exprimer par la parole.

De nombreuses personnes ont des problèmes avec le toucher. Elles éprouvent de la difficulté à toucher ou à se faire toucher. Leur corps réagit parfois de façon démesurée. Des souvenirs désagréables, enfouis dans la mémoire depuis longtemps, peuvent parfois ressurgir sans raison.

L’événement de vie mémorisé dans le corps peut ainsi refaire surface, dix, quinze ans après de façon spontanée et inattendue.

Nous verrons plus loin comment la massothérapie peut aider ces gens qui ont des problèmes avec le toucher.

L’approche du corps par le toucher

Notre incursion dans le monde du toucher nous amène à parler de deux approches particulières au toucher.

Le toucher relationnel, c’est le toucher pour communiquer, le toucher du contact. Il a été démontré que la privation de contact durant l’enfance a des effets délétères sur la croissance et le développement de l’enfant. Nous verrons plus loin les effets bénéfiques du massage chez les bébés et les enfants.

« C’est un contact dix fois plus fort que la parole ou les émotions. Et il joue un rôle dans à peu près tout ce que nous faisons. Il n’y a pas un sens qui puisse vous stimuler comme le toucher. » (13)

Ce ne sont pas tant les mots que les gestes qui transmettent les émotions. Alors que beaucoup d’intervenants dans le domaine de la santé se plaignent d’un manque de temps pour parler aux patients, tenir la main d’un malade prend tout son sens pour communiquer de la chaleur humaine, de l’empathie, une présence...

Le toucher sert aussi à réconforter, à rassurer et à restaurer l’estime de soi. Tenir une personne dans ses bras pour la réconforter, la serrer contre soi pour la rassurer et lui donner une tape dans le dos pour l’encourager ne sont-ils pas des témoignages essentiels de la chaleur humaine ? Toucher, être touché, que ce soit pour apaiser les angoisses, adoucir les souffrances, réconforter ou dans une perspective de véritable connaissance de soi, produit des effets bénéfiques.

Je me souviens d’une patiente âgée que j’accompagnais à la réception de mon bureau pour y prendre un rendez-vous pour de futurs examens; quelques pressions de mes mains sur ses épaules lui ont arraché un témoignage saisissant : « Vous savez, docteur, me dit-elle, il y a bien longtemps qu’on ne m’a pas touchée comme ça. Vous ne pouvez pas savoir comme ça fait du bien. »

Le toucher est notre sens le plus social. Les différentes façons de se saluer en se touchant sont évidemment des expressions directes d’affection. Dans notre société, elles se manifestent par l’accolade chez la femme et la poignée de main chez l’homme. On peut apprendre beaucoup de choses par une poignée de main. Je redoute l’étau; je n’aime pas non plus la main rapide ou trop tenace. Je rebute la main molle et humide. Voyez ce que vous ressentez quand vous serrez une main. Une belle expérience. Autant de personnalités, autant de mains. Retenez que la main du thérapeute a elle aussi une histoire.

Le contexte social actuel commande tout de même une prudence dans l’usage du toucher relationnel. On a tendance parfois à confondre les frontières entre les formes de toucher, véhicules d’affection, d’amour et aussi de sexualité. « Il semble que plus notre culture pose des restrictions au toucher dans les relations humaines, plus il apparaît de formes alternatives au toucher. C’est comme si nous avions besoin d’un minimum de toucher pour notre bien-être émotionnel et physique, de sorte que nous trouvons des modes acceptables – et parfois fonctionnels comme le coiffeur – de contact physique. »(14)

Le toucher thérapeutique : c’est celui qui a pour but de traiter une affection quelconque. Plusieurs médecines complémentaires utilisent le massage dans leur approche. Le massothérapeute est le spécialiste du toucher. Nous en reparlerons davantage dans les prochains chapitres.

« Le toucher est un guérisseur si puissant que nous allons chez des professionnels du toucher (médecins, coiffeurs, masseurs, professeurs de danse, esthéticiennes, gynécologues, podologues, tailleurs, kinésithérapeutes, prostituées et manucures) et fréquentons des lieux associés au toucher (discothèques, stands de cirage de chaussures, bains de boue). » (15) Il serait intéressant de savoir combien de temps les gens consacrent au toucher afin de pouvoir mesurer leur humeur à cet effet.

Caresser distraitement un animal est un geste des plus calmants; on peut le faire sans y penser, tout en étant occupé à autre chose, en parlant à des amis ou en travaillant. Or cela a un effet curatif. « Toucher quelqu’un a autant de vertus thérapeutiques que d’être touché par quelqu’un. » (16)

Toucher l’avant-bras d’un malade alité ou prendre la main d’une personne âgée ont des effets apaisants remarquables

La médecine des sens

Nous avons vu qu’il fallait des stimuli pour exciter les sens. Certains stimuli sont à l’origine de sensations agréables, d’autres non. Il est possible de sélectionner les stimuli à l’origine de sensations plaisantes et d’éliminer le plus possible ceux à l’origine de sensations désagréables. Rappelez-vous que les sens ont une mémoire bien ancrée, toujours prête à ressurgir. Ainsi, emmagasiner des souvenirs utiles qu’on pourra retrouver lors de situations difficiles peut s’avérer très réconfortant.

On sait que la perception d’une sensation agréable s’accompagne d’une libération de dopamine, un neurotransmetteur qu’on retrouve dans le système nerveux central. Cette association entre plaisir et dopamine est une des découvertes les plus récentes dans le domaine de la neurologie. On peut certainement parler d’une médecine des sens. Voyons quelques applications.

L’odorat : des chercheurs du centre de psychophysiologie de Yale étudient le rôle des odeurs pour supprimer la tension et accroître le dynamisme. Entourez-vous d’odeurs et de parfums qui vous animent. Faites surgir dans votre mémoire des souvenirs agréables liés à des odeurs particulières. Aiguisez vos narines à de nouvelles sensations olfactives. De plus en plus de thérapeutes utilisent l’aromathérapie en massothérapie.

Le goût : partez à la découverte de nouvelles sensations gustatives. Tous les jours, des chefs vous donnent leurs secrets culinaires à la télévision. Faites-vous plaisir; décrochez des vieilles habitudes. Attention de ne pas trop engraisser : l’embonpoint mène au sédentarisme et au déconditionnement physique.

L’ouïe : des études scientifiques ont démontré que la musique aurait elle aussi des effets sur la sécrétion de dopamine. C’est elle qui provoque le frisson que l’on ressent lorsqu’on écoute nos morceaux préférés.

La musique est omniprésente dans notre vie : on la retrouve dans la nature avec le bruissement des feuilles, l’eau qui coule et le chant des oiseaux. Découvrez les subtilités de la musique Nouvel Âge et l’opéra. La cacophonie des bruits de la ville ne nous laisse pas indifférents.

La musique nous parle. Un passage musical peut nous faire pleurer ou nous agresser. La musique exerce sur chacun d’entre nous des effets non négligeables sur nos humeurs. Pour être branchés régulièrement sur la radio, nous avons tous vécu différentes émotions : certaines musiques nous agressent, d’autres nous détendent ou nous stimulent, et d’autres encore nous rendent nostalgiques ou romantiques. La trame musicale du cinéma nous plonge dans la joie comme dans la frayeur.

Qui n’a pas tapé du pied, tapoté des doigts ou ne s’est pas mis à danser sous l’effet de musiques tropicales ou de rythmes endiablés. On dit que la musique adoucit les mœurs.

« Comme les émotions pures, la musique se fait houle et soupir, se déchaîne ou s’apaise et, en ce sens, se conduit tellement comme nos émotions qu’elles seules savent les symboliser, les refléter, les communiquer à autrui vous affranchissant de l’ennui et l’imprécision des mots. » (17)

Elle est tellement importante dans nos vies qu’on s’en sert à des fins thérapeutiques. La musique aurait un pouvoir curatif. La musicothérapie est une science qui en étudie ses pouvoirs. Elle fait partie de l’arsenal thérapeutique du massothérapeute.

Enregistrez votre musique préférée; créez-vous une discothèque qui répondra à vos états d’âme. Vous avez besoin de relaxer, choisissez l’enregistrement qui vous convient. Vous avez une humeur massacrante, un peu de musique entraînante vous secouera. Agrandissez votre univers musical. Faites de nouvelles découvertes. Goûtez de nouveaux plaisirs. Faites vibrer vos tympans au diapason de vos émotions.

J’aime bien sélectionner des trames musicales apaisantes lors d’une séance de massothérapie. Les clients apprécient beaucoup ces sensations complémentaires. J’écoutais de la musique classique au bureau. On pouvait entendre et apprécier cette ambiance pendant que je complétais le dossier du patient.