Leer-e
PARTIE I
Le premier mois d’une nouvelle vie
1.– Diagnostic: 19 janvier 2011
2.– Quand avons-nous commencé à nous rendre compte de ce qui se passait? Les premiers moments
3.– Nous nous battons pour obtenir un rendez-vous: listes d’attente
4.– Mario à l’école: la solitude d’un enfant incompris, la tendresse de ses enseignantes
5.– Mon fils est atteint d’autisme
6.– Traitement? Risperdal?
7.– Un peu d’empathie et de sensibilité s’il-vous-plaît!
8.– Une lumière ténue nous attend au bout du tunnel
9.– Un problème après l’autre
10.– Quinze jours seulement depuis le diagnostic
11.– Nous suivons une formation pour nous charger de la thérapie pour Mario
12.– Des tests, encore et encore!
13.– Nous décidons de prendre à notre charge le soutien scolaire de Mario
PARTIE II
Semaine après semaine, jour après jour, minute après minute
Nous sommes abasourdis, sans voix.
– «Moi, je prescrirais du Risperdal et je lui ferais suivre une thérapie dans un centre spécial. J’en connais un d’ailleurs … Qu’en pensez-vous?», nous demande le neuropédiatre.
– «Mais…», dis-je, «Pourriez-vous nous expliquer ce qu’il a?»
– «Ah, oui, bien sûr! Eh bien, je dirais que votre fils est atteint d’autisme modéré à grave», répond-il.
Il prononce ce diagnostic sans ménagements, le visage impassible, la voix calme. Diagnostic qui ne suscite pas le moindre murmure ni commentaire de la part des six personnes qui observent fixement mon fils dans un coin de la pièce. Diagnostic qu’ils ont probablement entendu déjà pas mal de fois au cours de cette dernière année. Quelques minutes auparavant, ces personnes – que j’imagine être des médecins stagiaires, des invités d’autres cliniques ou des étudiants assidus «récompensés» par une classe magistrale – me souriaient, me félicitaient de mon niveau d’expression en français et s’exclamaient avec joie en voyant mon fils essayer d’attraper la petite souris mécanique qui courait dans tous les sens. Mais maintenant, par respect sans doute ou en raison de l’intensité du moment, ils se taisent, comme s’ils n’étaient même pas là.
– «Cela fait quelques années déjà que le Risperdal est utilisé chez les enfants; les résultats sont excellents», poursuit le neuropé diatre. «Bien entendu, ne tenez pas compte des effets secondaires repris dans la notice. Vous savez bien que toutes ces mentions y figurent au cas où… Prenez rien que le cas de l’aspirine: si vous lisiez bien la notice, vous n’oseriez même pas en avaler un seul cachet!»
– «Et pour la thérapie, le centre que j’ai mentionné est l’un des meilleurs qui soit», ajoute-t-il. «Et vous avez de la chance: il se trouve à Pampelune!»
Mon Dieu, pensé-je ironiquement. Et en plus il faudrait lui dire merci!
Je regarde mon petit Mario étalé de tout son long sur le sol, plongé dans son monde abstrait. Et, tout d’un coup, mon esprit se paralyse, des larmes inondent mon visage et mon cœur éclate en sanglots. Par la suite, je ne me souviendrai pas si c’est alors que je me suis tournée vers mon mari ou avant ou après. Mon seul souvenir sera celui de son visage lorsqu’enfin nos regards se sont croisés, l’écho du choc du verdict du médecin résonnant encore dans nos oreilles. Il n’y avait donc plus de doute, semble-t-il.
Le 19 janvier 2011 est le jour où notre vie change, pour toujours. Un neuropédiatre colle un nom aux bizarreries de mon fils, nous plonge dans un abîme d’ignorance et nous jette sur une voie semée de roses et d’épines.
Mon petit Mario, mon amour, la lumière de ma vie, est atteint d’autisme. Pour toujours. Il souffre d’un mal qui, aujourd’hui encore, ne peut être guéri, dont l’origine est inconnue et qui nous plonge dans une vie peuplée d’incertitude.
Parlera-t-il ou restera-il muet? Pourrai-je lui raconter des histoires? Les comprendra-t-il? Souffrira-t-il? M’aimera-t-il? Pourra-t-il me le dire? Aurai-je la patience nécessaire? Serai-je capable de l’écouter lorsqu’il tentera de me faire comprendre ses limitations? Saurai-je le comprendre quand il voudra sortir du nid? Aura-til d’ailleurs envie de nous quitter? Ou bien aura-t-il à jamais besoin de moi?
Je ressens une profonde frustration parce qu’il ne parle pas. D’autant plus que chaque fois que nous en avons parlé à la pédiatre, elle a minimisé les choses, nous disant qu’il était normal pour un enfant éduqué en deux langues comme cela était le cas de Mario, d’avoir un peu de retard. Et pourtant, avant, il utilisait plus de mots qu’aujourd’hui.
Je me souviens que, quand il était petit, lorsque nous nous rendions à la crèche, je lui disais le nom des couleurs des voitures qui circulaient sur la Cuesta de Larraina et montaient vers le quartier de San Juan. A neuf mois déjà, il prononçait son premier mot, “voiture”. Et puis, très vite, «papá, mamá», «Oui-Oui», «no»… des mots qu’il énonçait très clairement. Un mot qu’il ne disait pas, c’était «sí» en espagnol ou même «oui» en français.
Je me rappelle aussi que lorsqu’il avait commencé à dire «Oui-Oui», faisant référence à ce petit personnage des livres pour enfants, j’avais pensé: «S’il dit «Oui-Oui», cela signifie que, phonétiquement, il peut prononcer cette syllabe et donc, d’ici quelques jours il pourra dire «oui»».
Mais cela n’avait pas été le cas.
A deux ans et huit mois, il disait d’autres mots encore: «attend», «api» (pour que nous le prenions dans nos bras), «guaguau», «caca», «pipi», «mimí» (lorsqu’il voulait un câlin) et «pupi», un diminutif de “pupu”. Au total, une dizaine de mots. Il était aussi arrivé à en dire d’autres comme «abuelo» (grand-père), « abuela» (grand-mère) et «au revoir». Mais il ne les dit plus aujourd’hui.
Tous ceux qui connaissent Mario disent que sa forme d’autisme n’est pas «typique». Bien entendu, ces gens ne sont pas des experts et il est vrai que, même si certaines des caractéristiques qu’il présente sont spécifiques au spectre de l’autisme, d’autres ne le sont en aucune manière.
Mario est extrêmement tendre avec son papa et avec moi-même. Il joue avec nous (lorsque son esprit se trouve dans notre monde à nous, bien entendu), il donne des bisous et embrasse «Petite» (sa petite sœur de près de 10 mois). Il adore la gardienne de la crèche avec laquelle il a passé toutes ses matinées depuis l’âge de 4 mois.
Il vient vers moi, m’enlace, m’embrasse, m’appelle, en toute spontanéité. Il provoque son père pour qu’il joue avec lui, qu’il le chatouille… mais rien à l’égard d’autrui. Comme si les autres n’existaient pas. Lorsque nous sommes avec ses petits camarades et leurs parents dans la classe des deux ans, il regarde ailleurs. Lorsque nous nous rendons chez ses grands-parents, il les embrasse, obéissant à un ordre que nous lui donnons en ce sens. Pendant des mois et des mois, il avançait simplement la tête, il ne tendait pas la joue. Maintenant, il le fait, et à moi – si j’insiste beaucoup – il me donne un baiser en fronçant ses petites lèvres.
Ma belle-sœur avait obtenu pour nous un rendez-vous chez le neuropédiatre et quelqu’un nous avait prévenus:
– «Il est d’un abord un peu difficile, enfin c’est ce qu’on dit, mais c’est probablement un grand spécialiste».
Après deux heures d’attente (nous avons rendez-vous à onze heures et à treize heures, nous ne savons toujours pas quand il nous recevra), une des infirmières, chargée de la consultation en pédiatrie, nous appelle:
– «Je sais que vous attendez depuis longtemps, mais croyez-moi, une fois que vous le verrez, vous vous rendrez compte que cela en valait la peine».
Ce qui est sûr, c’est que si un enfant «sain» doit patienter deux heures dans la salle d’attente d’un médecin, il se fatiguera, piquera une petite colère et cherchera même à s’échapper. Pour un enfant atteint d’autisme comme Mario, cette impatience atteint un degré maximal étant donné que son esprit déstructuré l’empêche de se concentrer sur les activités que je lui propose pour lutter contre l’ennui.
Quelques minutes plus tard, nous sommes invités à entrer dans une petite salle et la doctoresse stagiaire, enceinte de huit mois jusqu’aux yeux, nous pose de nombreuses questions sur le passé médical de Mario et sur les symptômes que nous avons observés. Elle nous indique ensuite qu’elle va présenter un rapport complet au médecin et que nous serons ensuite reçus. Mario est alors déjà bien fatigué. L’heure du repas est déjà passée et si cela avait été une journée d’école normale, il serait couché sur son petit matelas pour la sieste. Enfin, nous sommes appelés et nous entrons.
Ce Monsieur au dos tout courbé vient de dire à ma maman que je ne suis pas conscient de ce qui m’arrive. Bon, je ne suis peutêtre pas le Superman de l’intelligence (enfin, peut-être que oui, on n’en sait rien), mais je me rends quand même bien compte de quelque chose! Surtout quand Maman a les larmes aux yeux et qu’elle me regarde comme ça, fixement. Je sais que si je la regarde à mon tour, je ne pourrai pas supporter sa peine et c’est pour ça que j’évite de le faire. Alors, je le fais du coin des yeux ; j’aimerais l’embrasser même si mon corps ne m’obéit pas aussi vite que je le voudrais. Je lui dirai plus tard, je lui dirai combien je l’aime!
L’autisme est un syndrome qui marque à vie, qui ne peut être diagnostiqué par bilan sanguin ou autres examens médicaux. Seules l’observation du comportement de l’enfant et la réalisation de certains tests permettent de déterminer si un enfant est capricieux ou si ses attitudes étranges témoignent d’un handicap particulier.
A cet égard, le médecin prend son temps. Pendant deux heures, il observe Mario, joue avec lui, essaie d’interagir avec lui, lui parle en français et observe ses réactions face à diverses stimulations comme le froissement d’un papier de caramel qui, selon ce qu’il nous indique, est un son qui couvre toutes les fréquences.
Vers le milieu de la consultation, le téléphone sonne; le médecin s’excuse et sort rapidement sans explications. Nous ne savons pas s’il court aux toilettes ou si une urgence grave s’est présentée. Ce qui est certain, c’est que les «invités» ne témoignent d’aucune surprise ce qui nous permet de savoir que c’est là chose habituelle.
Une quinzaine de minutes plus tard, il revient et reprend son travail d’observation comme si de rien n’était.
– «Comme je vous le disais», poursuit-il, «ce centre compte une thérapeute qui a été formée à la méthode TEACCH, aux États-Unis. Je l’appelle tout de suite pour savoir si Mario peut commencer dès que possible».
Le médecin téléphone au responsable du centre de thérapie. Il l’appelle directement chez lui, à l’heure du repas. Nous observons tout cela, quelque peu ébahis. En un clin d’œil, les choses sont faites: il nous dit de nous mettre en contact avec le centre l’après-midi même car la thérapeute lance justement un projet de stimulation pour enfants atteints d’autisme dans le cadre d’une thèse de doctorat sous la direction du propriétaire du centre. Et, en principe, Mario est un candidat idéal.
Ça alors, me dis-je, peut-être n’y a-t-il pas autant de diagnostics d’autisme que je le pensais!
Parce que vraiment, tout s’est décidé très, très vite.
– «Devons-nous continuer à lui parler en français?», demandéje.
En fait, la moitié de la consultation s’est déroulée en français car en m’entendant m’exprimer dans cette langue, le médecin a donné une grande partie de ses explications et s’est adressé à Mario en français sans y prêter plus d’attention et sans se rendre compte que ni mon mari ni les invités ne comprenaient rien. Pendant quelques secondes, il réfléchit.
– «Je n’y vois pas d’inconvénient», répond-il, «une deuxième langue est source d’enrichissement et il semble que Mario soit apte à codifier et à déchiffrer le langage».
Le retour à la maison est bien triste. Nous sommes malheureux, plongés dans l’incertitude. Sans nous rendre compte encore de la portée de ce diagnostic, nous savons néanmoins que le ciel nous est tombé sur la tête. Notre retour se fait à pied, Mario étant installé dans sa poussette.
Il est seize heures déjà lorsqu’après avoir repris la petite Leyre chez mes parents, nous arrivons à la maison. Mon «pèlerinage» a commencé chez mes parents lorsque je leur ai annoncé les dernières nouvelles, bien consciente de le faire de manière froide, et sans ménagements. Mais, c’est la seule façon de ne pas éclater en sanglots. C’était insupportable et je les ai quittés dès que possible.
De retour à la maison, nous organisons l’après-midi. A dix-sept heures trente, je dois participer à une réunion et je dois prendre sur moi pour me rendre à l’arrêt d’autobus comme si de rien n’était, me préparer à faire part de mes idées. Mon Dieu! Quelles formidables actrices sommes-nous parfois!
Je reviens tôt à la maison, pour être avec mes enfants. Mes beaux-parents sont là depuis un moment, mais ils s’en vont rapidement. Ce soir-là, nous suivons les routines habituelles: donner son bain à la petite, puis à Mario…. La nuit est longue. L’insomnie ne me quitte que pour laisser place à des moments d’éveil durant lesquels je me ronge les sangs en pensant à ce que nous réservera l’avenir.
A partir de ce jour-là, nous devons prendre de nombreuses décisions. Je me souviens qu’avant notre mariage, avant les enfants, les décisions les plus transcendantales portaient sur le restaurant où sortir dîner ou à quels grands-parents rendre visite le dimanche suivant. Avec la naissance de Mario, les choses s’étaient bien entendu un peu compliquées, mais elles n’étaient pas fondamentalement différentes en termes d’importance: quelle école fréquenterait Mario, où aller en vacances, quels vêtements lui mettre ou lui acheter…
A la naissance de la petite, les décisions quotidiennes sur lesquelles se mettre d’accord avaient à nouveau augmenté et, même si elles nous avaient semblé à l’époque revêtir une importance considérable, cela n’était en fait pas vraiment le cas. Mais, à partir de ce 19 janvier, le nombre de questions à discuter pour lutter au quotidien se multiplie à l’infini…
Tout d’abord, nous devons décider de ce que nous ferons au sujet du traitement pharmaceutique. Je pense que tant mon mari que moi-même aurions préféré avoir une deuxième opinion avant de nous lancer sur cette voie. Mais lorsque nous avons communiqué au médecin que nous avions rendez-vous le 31 janvier avec le neuropédiatre de la Sécurité Sociale, il nous a répondu que c’était une perte de temps, de temps précieux, et il nous a conseillé de commencer dès que possible.
J’entreprends donc de rechercher sur Internet tout ce que je peux trouver sur le Risperdal prescrit à des enfants aussi jeunes, mais je ne trouve quasiment rien. En effet, ce médicament n’est en général prescrit aux enfants qu’à partir de cinq ans et pas à n’importe qui, seulement à des enfants souffrant de comportements agressifs ou autodestructeurs ou de troubles du sommeil. Ce qui n’est en aucune manière le cas de Mario.
Mario est en effet un petit garçon tranquille, obéissant et tendre, dans le cadre de ses limitations bien entendu. Mon mari et moi débattons de la question de savoir si lui donner ou non ce médicament.
– «Ce n’est pas très clair pour moi», dis-je, «Sur Internet, ils parlent de nombreux effets secondaires et du manque de preuves quant à son efficacité».
– «Mais il faut que nous fassions un choix, que nous suivions une voie concrète», me répond mon mari, «et que nous nous y tenions autant que possible».
Finalement, nous décidons de lui donner ce traitement. Le jourmême, le 19, nous commençons.
Le 19… le jour du diagnostic de Mario. Le jour où nous commençons le Risperdal. Le 19, le jour où, tôt le matin, je suis retournée au travail après mon congé de maternité suite à la naissance de la petite Leyre …
Tout a commencé plusieurs mois auparavant. Lors de la consultation des douze mois, je me souviens que Mario n’avait pas réussi les tests indiqués par la pédiatre. Je ne sais plus très bien de quoi il s’agissait, mais c’était du style «faire au revoir de la main» ou dire «j’ai un an».
A l’âge de treize mois, je retournais avec lui chez la pédiatre et lui disais que nous pensions qu’il avait un problème d’ouïe. Elle lui avait fait passer quelques simples tests et m’avait indiqué que, selon elle, il entendait parfaitement bien. J’avais insisté: ou bien il n’entendait pas ou bien, s’il n’avait pas de problème de ce côté, il ne faisait pas attention. J’avais insisté entre autres parce que nous avions des antécédents de surdité dans la famille et que je souhaitais qu’elle nous envoie chez un ORL. En plus, Mario avait eu plusieurs otites, jusqu’à neuf en treize mois! Mais elle n’y avait pas prêté attention.
À l’occasion des consultations suivantes et chaque fois que nous avions rendez-vous avec la pédiatre pour un rhume, les amygdales ou d’autres maladies, nous avions continué à parler des symptômes: il ne parlait pas, ne jouait pas avec d’autres enfants, ne s’adaptait pas à la classe des deux ans, refusait de manger ou de faire la sieste à l’école… mais à chaque fois elle avait une réponse. S’il ne parlait pas, nous disait-elle, c’est parce que nous lui parlions en deux langues et qu’il lui faudrait un peu plus de temps. S’il ne jouait pas avec les autres enfants, c’est parce que la socialisation ne commence qu’à partir de trois ans. S’il ne mangeait pas à l’école, c’est parce que c’était un nouvel environnement pour lui ; s’il piquait des petites crises, c’est parce qu’il était jaloux de sa sœur …
Le 7 janvier, lors de la consultation des cinq mois de Leyre, j’avais commenté pour la énième fois à l’infirmière notre préoccupation à l’égard de Mario. Au cours des trois derniers mois, il avait attrapé trois infections et trois fois, il avait été traité aux antibiotiques. Je lui avais demandé des vitamines pour renforcer son immunité. Je lui avais répété qu’il ne parlait pas, qu’il ne voulait pas manger à l’école…Et à nouveau, la même sérénade: tout était normal. Et en lieu et place de vitamines, elle avait prescrit un médicament pour stimuler l’appétit.
Le 9 janvier 2011: les vacances de Noël étaient déjà passées et presqu’oubliées… mon père avait profité d’un moment seul avec nous pour nous dire d’un ton grave qu’il souhaitait nous parler.
-«Nous pensons qu’il y a un problème avec Mario», avait-il dit, «il faudrait lui faire passer des tests. S’il le faut, je peux en payer les frais ; s’il faut, je ne sais pas moi, un scanner ou autre chose», avait-il ajouté. «Mais je crois que vous devez le faire examiner parce que nous pensons qu’il s’est passé quelque chose à un moment donné, lorsqu’il avait environ 13 mois, il a commencé à régresser par rapport à une évolution normale».
Je m’étais retenue de dire quoique ce soit. A dire vrai, lorsque j’avais entendu les propos de mon père, ma première réaction avait été de rejeter cette ingérence. Pourquoi cela me faisait-il tant de mal qu’il se mêle de nos affaires alors qu’il le faisait par tendresse et parce qu’il était préoccupé? Mais comme toujours depuis que je suis née, les choses me laissent indifférente ou me blessent, et ce n’est qu’après que je réfléchis. Ce que j’avais fait à cette occasion. De retour à la maison, nous en avions parlé un peu et j’avais décidé de téléphoner à la pédiatre le lendemain. Je n’avais aucune idée de ce que je lui dirais et elle penserait sans doute «et en avant la même ritournelle!»
Le lundi 10 janvier, à 9 heures du matin, j’avais donc appelé la pédiatre en qui nous avions eu totalement confiance jusqu’à ce moment-là. Je lui avais répété les symptômes que nous observions chez Mario, mon souhait de voir un spécialiste. Allez savoir pourquoi, mais cette-fois, elle nous avait prêté un peu plus d’attention.
– «Si vous avez besoin de voir Mario», lui avais-je dit après lui avoir énuméré une fois de plus les symptômes, «je peux l’amener à la consultation».
– «Ce n’est pas nécessaire chère petite maman», m’avait-elle répondu du tac au tac, «Ce que vous me dites est suffisant pour vous aiguiller vers le psychiatre à l’hôpital.
– «Le psychiatre?», avais-je demandé, surprise. «Mais il n’a que deux ans!»
– «Notre cabinet peut transférer son dossier au psychiatre à l’hôpital pour que le psychologue clinicien procède à une évaluation», avait-elle ajouté. «Je vais téléphoner moi-même pour qu’ils l’envoient immédiatement vers le service de psychiatrie.»
– «Mais…», avais-je poursuivi d’une voix tremblante, «On m’a dit que lorsqu’il s’agit d’enfants aussi jeunes, c’est la Maison de la Petite Enfance qui est responsable».
– «De quoi parlez-vous?», avait-elle alors demandé, «Je ne connais pas cette institution; nous, nous transférons vers ce centre comme je l’ai dit et à leur tour, ils s’adressent au Centre médico-psycho-pédagogique où ils feront une évaluation. Je vous prépare aussi une lettre pour le neuropédiatre. Passez la prendre à 14h30 pour demander un rendez-vous».
Je n’avais pas voulu insister ni m’énerver car je m’étais rendu compte que la pédiatre ne comprenait pas de quoi je lui parlais. En outre, elle avait été assez agressive à la fin de notre conversation. J’avais mené ma petite enquête de mon côté et j’avais posé des questions à des connaissances; tout le monde m’avait parlé de cette «Maison de la Petite Enfance» chargée des enfants jusqu’à 3 ans, ce qui correspondait bien évidemment à notre cas.
De retour à la maison, n’étant pas du tout d’accord avec la solution offerte par la pédiatre, j’avais fait des recherches sur Internet et avais trouvé la page de la Maison de la Petite Enfance– et des informations sur ce qui s’y faisait. Je les avais appelés pour leur expliquer notre situation, leur disant que la pédiatre ne voulait pas m’envoyer chez eux, mais que selon l’information recueillie sur Internet, je pouvais m’adresser directement à eux. Ils m’avaient répondu que non, qu’en principe, cela ne pouvait se faire que suite au rapport d’un pédiatre, mais comme j’insistais, l’on me dit finalement que l’assistante sociale me contacterait cette semaine.
Vers quatorze heures, la pédiatre m’avait rappelée. Je ne sais pas, mais il m’avait semblé qu’elle était mal à l’aise ou qu’elle s’était rendu compte que la question était sérieuse parce qu’elle m’avait alors indiqué qu’elle avait elle-même fait les démarches et écrit une lettre et que j’avais rendez-vous le 31 janvier. Pour ce qui est de la lettre à la psychologue de l’hôpital, nous étions sur la liste d’attente.