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CODY GRANT

Le premier fantochromique

Tome III

JESSICA BRIDEAU

CODY GRANT

Le premier fantochromique

Tome III

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Brideau, Jessica, 1997-

Cody Grant : le premier fantochromique. Tome III

Pour les jeunes de 13 ans et plus.

ISBN 978-2-89571-238-1

I. Titre.

PS8603.R524C622 2016 jC843’.6 C2015-942535-2

PS9603.R524C622 2016

Révision : Sébastien Finance et François Germain

Infographie : Marie-Eve Guillot

Photo de l’auteure : Jean-Robert Pinet, Studio Fotogenik

Éditeurs :

Les Éditions Véritas Québec
2555, av. Havre-des-Îles
Suite 315
Laval, Québec
H7W 4R4
450-687-3826

 

Site Web : www.editionsveritasquebec.com

© Copyright :

Jessica Brideau (2017)

Dépôt légal :

Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada

ISBN :

978-2-89571-238-1 version imprimée
978-2-89571-239-8 version numérique

DÉCOUVRIR LA COLLECTION

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Étrange et fascinant, le monde de Cody Grant Amis ou ennemis, ces drôles de fantômes ?

Je vis dans une minuscule ville portant l’étrange nom de Macmon, avec ma mère Mary et mon père Girard. Ce ne sont pas vraiment mes parents, puisqu’ils m’ont adopté… Mes origines demeurent nébuleuses. Déjà que mon nom, Cody Grant, me rend un peu marginal. Je suis un solitaire et, malgré mon allure de guerrier Viking, j’ai peur, je reste constamment sur mes gardes, je crains cet ennemi qui a dévasté presque tout mon village. Ces fantômes auront-ils raison de moi, l’adolescent né avec un œil vert et un œil bleu? Pourquoi? Je cherche la réponse depuis 16 ans… Plus je veux savoir et plus ma vie déraille.

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Cody Grant pourra-t-il changer le cours de sa destinée ?

Comment déterminer où se trouvent ses vrais amis ?

Lorsque j’ai découvert que ma vie entière était basée sur des mensonges, parce que mon père avait toujours menti sur mes origines, ma vie a pris un autre sens. Ma plus grande frustration, en tant que CODY GRANT surnommé le monstre de Macmon par toute l’école, demeurait d’avoir un œil bleu et un œil vert, évidemment car ce fait ne pouvait être nié. Cependant, mes dons exceptionnels me semblaient bien plus spectaculaires, comme celui de pouvoir de passer à travers les murs sans effort.

À l’aube de mes dix-sept ans, il devenait urgent pour moi de trouver des réponses car mon père me prédisait que je mourrai d’ici trois mois, sans son aide. Voulait-il seulement me garder sous sa tutelle par ce chantage ? Comment le savoir…

Suis-je vraiment en danger de mort ? Avec mes alliés Kelly et Trey, je vais enquêter plus à fond. Est-ce que je suis seul au monde dans cette situation ?… Il y a quelqu’un d’autre qui connaît ce secret, et elle s’appelle Julie.

Chapitre 1

J’entendais des bruits étranges, indescriptibles. Je ne voyais rien, tout était noir, mais je savais qu’il se passait quelque chose. J’étais incapable de bouger, de parler. Tout ce que je pouvais faire, c’était écouter, immobile, sans même savoir où j’étais.

J’avais mal partout, surtout à l’avant-bras. Mais pourquoi avoir mal si je suis mort ? Je croyais que ça arrêterait, que je ne sentirais plus rien, et pourtant...

Les bruits autour de moi devenaient de plus en plus précis. C’étaient des voix. Deux personnes parlaient, ou plutôt se disputaient. Plus le temps passait, plus je parvenais à comprendre. C’était des voix de filles, et elles étaient deux. Évidemment, c’était Kelly et Julie.

— Il est mort, disait l’une d’entre elles d’une voix légèrement tremblante.

— Il respire ! Il n’est pas mort, je te le dis !

— Si c’est ce que tu veux, très bien, il n’est pas mort. Il va se réveiller dans quelques minutes, il va marcher, il va même donner l’impression qu’il peut respirer, mais ensuite il va te sauter dessus pour essayer de te bouffer !

À présent, j’arrivais à sentir mon cœur battre dans ma poitrine, je le sentis se contracter. Je ne savais pas qui entre Kelly et Julie avait dit ça, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle me prenait pour un zombie. Après tout, pourquoi ne le serais-je pas ? L’un d’eux m’a mordu. Peut-être que je suis transformé, mais si c’était le cas, je ne pourrais pas sentir mon cœur battre !

— Il faut le tuer, dit celle qui avait la voix tremblante. Avant qu’il nous tue en premier.

— Certainement pas ! s’écria l’autre. Je ne te laisserai pas faire !

Et maintenant, elles vont se battre pour savoir si oui ou non il faut me tuer. Je sais déjà que ce sera Julie qui gagnera, c’est évident, puisqu’elle a des super pouvoirs. Kelly, elle, a seulement un couteau. Et peut-être que c’est justement elle qui veut me tuer en m’enfonçant son couteau dans le crâne ?

J’essayais de parler, de dire n’importe quoi, puisque c’est la seule chose qu’un zombie ne peut pas faire, mais j’arrivais à peine à grogner, ce qui ne serait pas approprié dans ma situation.

Dans un effort colossal pour dire « je suis en vie », je parvins seulement à dire :

— Je...

Quelqu’un laissa échapper un cri aigu, l’autre fit « oh ! », ou peut-être que c’était la même personne qui avait produit ces deux sons. J’essayai d’ouvrir les yeux en deux petites fentes, et je vis, juste devant moi, une forme floue, un visage. J’arrivais à peine à la voir, mais je savais que c’était Julie, car la couleur brun foncé de ses cheveux semblait noire dans la nuit.

Kelly, avec ses cheveux blonds qui ne pouvaient pas me tromper, était un peu plus loin derrière.

— Je te l’avais dit, disait Julie, un grand sourire apparaissant sur son visage. Je te l’avais dit, il est en vie !

— Pas sûr, disait Kelly. Il a juste dit « je ». À ta place, je m’éloignerais de lui.

Devant mes yeux, les formes floues devenaient de plus en plus précises. Je voyais, dans la main droite de Kelly, sa lame de vingt centimètres de long, prête à intervenir en cas de problème.

J’essayai de me relever, lentement, m’appuyant sur mon bras droit, le gauche me faisant encore trop mal. Je vis du coin de l’œil Kelly attraper le bras de Julie et la forcer à s’éloigner.

Après ce qui me semblait avoir duré une heure, je parvins enfin à m’adosser à ce qui était juste derrière moi, mais je ne savais pas de quoi il s’agissait. Et de toute façon, je m’en fichais. Devant moi, beaucoup plus haut, il y avait Kelly et Julie, attendant de voir mes réactions : leur sauter dessus et, pourquoi pas, essayer de les bouffer ? Pour le moment, j’essayais seulement de respirer normalement.

— Salut.

Ce simple mot me donna l’impression de terminer un marathon.

Julie laissa échapper un autre cri aigu et vint s’asseoir à côté de moi, me prenant dans ses bras, son visage disparaissant derrière mon épaule.

Je levai les yeux vers Kelly, qui était toujours debout. Elle se mordait la lèvre, évitant mon regard. Elle me tourna le dos pour ramasser son couteau dans son sac à main. Et là, je vis que la lame était sale. Il y avait quelque chose de noir et gluant dessus.

Je baissai les yeux vers mon avant-bras, où on pouvait voir clairement la morsure du zombie. Mêlée à mon sang qui s’écoulait lentement, il y avait cette même substance, noire et gluante. Pourquoi je n’étais pas mort ?

Julie arrêta de me serrer dans ses bras, s’éloignant pour mieux voir mon visage. Elle souriait toujours, comme si de me voir à moitié mort était plutôt drôle.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Julie.

C’était une bonne question. Moi-même, j’arrivais à peine à comprendre ce qui s’était passé. Je me disputais avec Girard, comme je l’ai fait assez souvent ces derniers temps. On s’est battu. J’ai crié. En criant, j’avais réveillé les zombies, qui ont tué mon père avant d’essayer de me tuer. C’est moi qui les avais alertés. Et je savais qu’en criant, je les réveillerais. Encore quelque chose qui est de ma faute. Entièrement de ma faute.

— Je l’ai tué, dis-je presque en murmurant, arrivant à peine à produire des mots. C’est moi qui l’ai tué.

Julie arrêta de sourire et fronça les sourcils. Elle donnait l’impression qu’elle s’apprêtait à me gronder. Kelly, quant à elle, restait en retrait, fixant le sol. N’osant pas les regarder, je fixai mon regard sur les trois zombies bien morts un peu plus loin. Eux aussi, c’était moi qui les avais tués, même si je m’en voulais beaucoup moins. À une vingtaine de mètres d’eux, il y avait mon père, lui aussi mort. Mais il était dans une position différente. Quand je l’avais vu mort pour la première fois, il était étendu sur le dos. Mais là, il était étendu sur le ventre. Je pouvais voir cette même substance noire sortir de derrière son crâne.

C’était Kelly qui lui avait enfoncé son couteau derrière la tête, parce qu’il était devenu un zombie. Encore à cause de moi.

Au moins, elle avait enfin trouvé une occasion d’utiliser son couteau, elle qui avait si hâte de me défendre pour vrai.

— Ne dis pas n’importe quoi, dit Julie en secouant la tête. Ce n’est pas de ta faute. Ce sont les morts...

Elle pouvait bien essayer, je sais que c’était de ma faute. Quand bien même que ce seraient les zombies qui ont porté le coup fatal, c’est moi qui les ai réveillés. C’est moi le coupable !

Mais je n’avais ni l’envie ni la force d’argumenter.

— Viens, je vais te ramener à la maison, dit Julie.

Avant qu’elle n’ait eu le temps de faire un mouvement, Kelly, toujours derrière, toussota nerveusement dans son poing.

— Quoi ? dit Julie d’un ton sévère en se retournant vers elle.

— Eh bien, ce serait peut-être une mauvaise idée, dit-elle sans oser me regarder dans les yeux. C’est bien qu’il n’est pas mort, mais, je veux dire... Regarde son bras... Peut-être qu’il est contagieux.

— Je ne suis pas contagieux ! m’écriai-je en me levant d’un bond.

Aussitôt, ma vue commença à se brouiller et mes jambes tremblaient. Je me retournai pour m’appuyer sur la voiture de Kelly qui était juste derrière moi. J’avais comme une impression que je n’avais pas été très convaincant.

— Je le ramène avec moi, que tu le veuilles ou non, dit Julie, toujours aussi sévère. Viens, Cody. Tu peux marcher ?

Je secouai la tête de haut en bas, même si j’avais de plus en plus de peine de m’empêcher de vomir.

Julie mit un bras autour de mes épaules et me força à me retourner face à elle et Kelly. Je me laissais faire, trop faible pour protester. J’avais envie qu’on me laisse tranquille, qu’on me laisse dormir.

— Viens, dit-elle pour la troisième fois.

À la vitesse où j’avançais, un vieux en déambulateur aurait été plus rapide que moi.

En ce qui aurait pu être un acte de gentillesse, Julie me prit le bras pour m’aider à avancer. Sauf que c’était le bras gauche, celui avec la morsure. Elle n’avait pas mis la main directement dessus, elle avait plutôt agrippé mon coude, mais la douleur me fit monter les larmes aux yeux.

— Désolée, dit-elle.

Elle prit mon autre bras et m’entraina jusqu’à sa voiture, qui était un peu plus loin. Elle ouvrit la portière pour moi, mais je me retournai pour voir Kelly, qui n’avait pas bougé d’un poil, n’osant toujours pas me regarder. J’aurais voulu lui dire quelque chose, mais j’avais l’impression d’avoir épuisé toute la réserve d’énergie que j’avais réussi à emmagasiner. Julie mit ses mains sur mes épaules, ce qui fut suffisant pour me faire tomber assis sur le siège passager, me faisant en même temps perdre Kelly de vue. Julie referma ma portière et contourna la voiture en ce qui semblait être fait en moins d’une seconde. Aussitôt, la voiture décolla, m’empêchant de regarder Kelly une seconde de plus.

Je voyais la route défiler droit devant. L’asphalte craquelé, sans ligne blanche ni jaune, était la seule chose que j’arrivais à distinguer à la lueur des phares, ce qui n’empêchait pas Julie de rouler à vive allure, genre deux-cents kilomètres-heure.

— Je te ramène à la maison, dit Julie. Tu n’as plus rien à craindre.

« Plus rien à craindre ». Pourquoi ces mots sonnaient atrocement faux ? Pourquoi je n’aurais plus rien à craindre ? J’ai été mordu par un zombie. Et quand bien même que, par cette horrible chance, je ne serais pas devenu l’un des leurs, pourquoi je ne serais pas contagieux ? Kelly avait sûrement raison. Elle aurait dû me tuer, comme elle semblait en avoir grandement envie.

Et il y a cette espèce de liquide noir qui sort de mon bras. Et si quelqu’un d’autre entre en contact avec, est-ce qu’il va devenir un zombie ? J’ai l’impression d’être le patient zéro d’une terrible contagion.

— On va où ? demandai-je.

— À la maison.

Je tournais la tête vers elle. Elle avait les mains crispées sur le volant, les cheveux ébouriffés, mais un maquillage parfait. Quelque part en moi, une partie en voulait à Julie de toujours être indifférente. Elle n’aurait pas pu au moins verser une ou deux larmes pour son pauvre frère agonisant ? Pourtant, l’autre partie disait merci, va savoir pourquoi... j’avais envie de lui dire merci. Et de m’excuser. Car je sais que, si je l’avais écoutée, rien de tout ça ne serait arrivé. Elle m’avait averti que j’allais le regretter si je ne retournais pas immédiatement chez moi, et je ne l’ai pas fait. Et maintenant oui, je le regrette.

— On va chez moi, dit Julie qui semblait enfin avoir remarqué que « à la maison » ne voulait rien dire. À Biti. Et il faudrait que je te dise... Ne juge pas mon père trop sévèrement. Ma mère non plus. Ce sont des gens bien, je t’assure. C’est juste que...

Elle prit une profonde inspiration.

— C’est eux qui m’ont dit que tu étais mort.

— Ils ont bien fait.

Elle eut un hoquet de surprise, puis se retourna deux secondes pour me regarder avec curiosité. C’était presque drôle; c’était toujours dans les moments les plus inutiles qu’elle montrait les bonnes réactions.

— Si tu avais su que j’étais en vie, dis-je, tu serais partie à ma recherche... Tu m’aurais trouvé rapidement. Et Girard t’aurait trouvée.

— Et alors ? répliqua-t-elle sur un ton de défi.

Je ne répondis rien, trouvant la réponse trop évidente pour prendre la peine de parler. J’avais déjà trop parlé pour ce que je pouvais endurer. Ma tête avait recommencé à tourner. Je fermai les yeux et me laissai aller sur l’appui-tête de mon siège.

Quand j’ouvris à nouveau les yeux, nous étions sorties de Wasilla. Juste à entendre ce nom résonner dans ma tête, je savais que je ne voulais plus jamais y retourner. Plus jamais.

Chapitre 2

— Cody ? Cody, tu es toujours là ?

J’ouvris les yeux, balayant du regard le décor autour de moi. J’étais toujours dans la voiture de Julie, côté passager. Par la fenêtre, je pouvais voir que nous étions dans l’allée d’une belle maison brune à un étage qui était entourée d’une grande cour.

Je reportais mon attention sur Julie. Elle était penchée vers moi et, visiblement, elle avait eu peur que je meure en chemin, ou quelque chose dans le genre. Je m’étais endormi seulement…

— Cody ? répéta-t-elle.

— Je vais bien, dis-je d’une voix très faible.

À cette heure-ci, sûrement qu’il aurait été possible de faire passer mon état somnolent pour de la fatigue, mais même avec mon faux bâillement, elle n’y croyait pas du tout.

Elle sortit de la voiture pendant que j’ouvrais ma portière. Le temps que je sorte dehors, elle était déjà à côté de moi, prête à me rattraper au cas où je tomberais.

— Je vais bien, dis-je à nouveau, les dents serrées, pendant qu’elle tendait les bras pour m’attraper.

Elle s’éloigna d’un pas et je me sentis déjà mieux.

Je m’avançai vers la porte de la maison, toujours suivi à un pas de distance par Julie. Peut-être que je n’avançais pas à une vitesse normale, mais au moins je pouvais bouger.

Arrivée à la porte la première, Julie sortit son trousseau de clés et s’en servit pour l’ouvrir. À l’intérieur de la maison, il faisait noir. Sa mère et son père dormaient, évidemment. Je ne savais pas quelle heure il était, mais je réalisais qu’il était très tard. Le ciel au-dessus de ma tête était parsemé d’un million d’étoiles. Je n’y fis pas vraiment attention, continuant mon chemin pour enfin franchir le seuil de la maison. Je m’arrêtai au milieu de ce qui était un salon, avec un grand sofa en coin, deux fauteuils et une grande télévision à écran plat.

Je n’eus pas le temps d’en voir plus, car Julie m’avait pris par le bras – après avoir vérifié qu’il s’agissait de mon bras droit – et m’entrainait vers une porte au fond de la maison. En chemin, je pus voir d’autres portes, dont deux alignées une à côté de l’autre, avec une autre en face, de l’autre côté du corridor. Deux d’entre elles, celles qui étaient du même côté, étaient roses, l’autre était une porte bleue. Celles qui étaient roses avaient chacun une lettre différente : « J » et « É ». L’autre, celle qui était bleue, avait aussi un « E » sur sa porte. Puis Julie m’entraina plus loin, devant une simple porte blanche, et nous étions dans une salle de bain.

Julie me lâcha aussitôt le bras et continua son chemin jusqu’à une armoire au fond de la pièce. Elle fouilla un peu à l’intérieur avant d’en sortir une serviette, des gants en plastique bleu et un pot, qu’elle emplit d’eau. Elle mit les gants puis se retourna vers moi en se mordant la lèvre.

— Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je.

— Assieds-toi, dit-elle en détournant son regard vers la porte.

Je n’avais aucune envie de lui désobéir. Même si elle m’avait demandé de me coucher sur le plancher et de dormir là, je l’aurais fait sans hésiter. Ce n’était pas l’envie qui manquait, de toute façon.

Je me retournai, cherchant un endroit où m’asseoir, et trouvai le rebord d’un bain.

— Tu me fais confiance ? demanda-t-elle en me regardant de haut, maintenant que j’étais assis et elle debout devant moi.

— Bien sûr, tu es ma sœur, dis-je en lui souriant.

Elle n’eut aucune réaction, autre qu’un hochement de tête, comme pour dire « oui, c’est vrai ». Par moment, elle était vraiment contrôlante, mais je me contentai de détourner le regard et faire comme si de rien n’était.

— Ça va te faire mal, dit-elle. Prends ça.

Elle me donna la serviette qu’elle avait roulée pour lui donner la forme d’un cylindre.

— Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ?

— Mords dedans au lieu de crier…

— La mordre ?

Je la pris avec ma main droite, laissant mon bras gauche pendre inutilement à côté de moi.

— Fais-le, c’est tout. Faut pas faire de bruit ! Tu as dit que tu me faisais confiance.

Sans comprendre où elle voulait en venir, je mis ce paquet duveteux dans ma bouche et le serra fort entre mes dents.

Julie rajusta ses gants de plastique et me prit le bras gauche, regardant ma blessure. La douleur m’aurait arraché un cri si je n’avais pas eu la serviette dans ma bouche, mais je ne parvins qu’à produire un grognement étouffé. Je me disais que ce n’était pas si mal, que j’avais vu pire, comme douleur. Je pensais une seconde plus tard qu’elle voulait rendre la situation plus théâtrale avec la serviette dans ma bouche. Mais ensuite, elle a commencé à fouiller dans ma blessure, enlevant le liquide visqueux avec ses mains. Je sentais ses doigts s’enfoncer à l’intérieur de mon bras, se rendre jusqu’à l’os, le racler du bout des ongles à travers son gant... Ça, par contre, j’avais des doutes qu’il soit possible de connaître pires douleurs.

Je m’agrippais au rebord du bain de ma main droite, les yeux étroitement fermés et mes dents enfoncées bien profond dans la serviette, je sentais la sueur me couler sur le front et dans le dos en même temps… J’avais l’impression que j’allais m’évanouir d’une seconde à l’autre si elle n’arrêtait pas tout de suite. Je n’entendais plus aucun son, sauf mon cœur qui battait à cent à l’heure, et pourtant j’étais sûr que, malgré ma serviette, je criais de toute la force de mes poumons. Puis tout devint noir…

J’étais étendu dans un lit que je ne connaissais pas. Le lit était confortable, j’aurais pu y rester pendant des jours, et ce n’était pas l’envie qui manquait. Je n’avais même pas envie d’ouvrir les yeux, mais j’avais cette impression que quelqu’un me regardait. Je penchai ma tête de côté sur l’oreiller et ouvrit un œil.

Les murs de la pièce étaient gris et pleins d’affiches de groupes de musique que je n’arrivais pas à identifier. La porte d’une penderie un peu plus loin me montrait que cette chambre était d’ordinaire inoccupée, puisque la penderie était complètement vide.

Je tournai la tête de l’autre côté et, cette fois, je vis ce quelqu’un qui me regardait. C’était un homme. J’avais vaguement l’impression de l’avoir déjà vu quelque part. Il avait des cheveux noirs, des lunettes et un petit début de barbichette. Il me regardait en se mordant le pouce.

Je me redressai sur mon lit et lançai en même temps un regard à mon avant-bras gauche. Où il y avait la morsure, j’avais maintenant un grand ruban blanc taché de sang. Au moment où je relevai les yeux vers l’homme, il me prit dans ses bras, m’échappant une exclamation de surprise, et se mit à sangloter sur mon épaule.

Je ne savais plus quoi penser. Mais qui était cet homme ? En même temps, je n’avais pas besoin de chercher, c’était l’homme qui avait adopté Julie, ce fameux tonton Robert.

Il desserra son emprise et me regarda longuement sans dire un mot. C’en était presque perturbant, comme chaque fois que quelqu’un me regardait ainsi. C’est à cause de mon œil vert d’une couleur beaucoup trop intense pour être réel, accompagné de mon œil bleu trop clair.

— Ça va, tu te sens bien ? demanda-t-il. Je suis tellement content que tu te réveilles enfin…

Je hochai la tête en même temps que redescendre mon regard sur mon bras. Il est sûr que je me sentais beaucoup mieux, peu importe ce que Julie m’avait fait.

— Tu peux te reposer encore un peu, si tu veux, dit Robert. Prends ton temps. Je serai dans le salon.

Puis il s’empressa de sortir de la chambre, me laissant seul.

Pourtant, je n’étais plus fatigué, j’aurais pu me lever et le suivre, mais, à la place, je me laissai retomber sur les oreillers. Je tournai la tête où se tenait Robert, où il y avait maintenant une chaise vide. Sur le mur derrière, il y avait un grand miroir, que je n’avais pas remarqué avant puisque Robert était devant. Ce que je vis dans le miroir me fit sursauter, me remettant en position assise pendant que j’observais mon reflet.

Je me souvenais vaguement de la « guerre » avec mon père, mais tout le reste de mon esprit était occupé par les zombies. J’avais presque oublié le nombre de coups qu’il m’avait envoyé. Mon allure ne me ressemblait plus du tout. J’avais un œil au beurre noir, mon œil vert, ce qui ne l’empêchait pas de briller, ce qui donnait plutôt l’impression qu’il y avait une tache dans le miroir. Le coin de ma lèvre était fendu et était tout enflé, ce qui me donnait un ridicule bec de canard. Pour ce qui est du reste, j’avais plus ou moins quatre-vingt-dix pour cent de mon visage qui jouait entre le bleu et le violet. Une toile de Warhol.

Même David ne m’avait jamais défiguré à ce point. Peut-être se réservait-il l’honneur de toujours pouvoir m’appeler « beaux yeux ».

Malgré que j’avais envie de me cacher avec la tête que j’avais, je sortis du lit, m’avançai vers la porte pour explorer. Arrivé dans le petit corridor, je me retournai pour voir que j’étais dans la pièce de la porte rose « É ». En me retournant encore, je retrouvai le salon qui n’était pas loin. Là, il y avait le père et la fille, tous les deux assis sur le sofa en coin, la tête de Julie sur l’épaule de Robert. Quand elle me vit, elle bondit vers moi pour m’enlacer étroitement entre ses bras.

— Je suis désolée, dit-elle d’un ton qui laissait penser le contraire, la tête enfoncée dans mon épaule. Je suis tellement désolée...

— Ça va, je vais bien, dis-je en lui donnant des petites tapes dans le dos sans vraiment savoir ce que je devais faire. Qu’est-ce que tu m’as fait ?

Elle s’éloigna d’un pas, me dévisageant comme si elle essayait de compter le nombre de marques que j’avais au visage.

— J’ai essayé de retirer ce qui était sur ton bras, cette espèce de truc dégueu... Je crois que j’en ai retiré beaucoup, mais il y a de fortes chances qu’il en reste encore un peu... Et... Je crois que ça t’a fait mal, dit-elle en fronçant les sourcils. J’avais à peine commencé que tu t’es évanoui... Mais avant, tu avais crié... Tu as réveillé toute la maisonnée... Les voisins aussi, probablement...

— Désolé...

— Oh non, ne le soit pas, dit-elle avec un mouvement de main voulant signifier « ce n’est rien, voyons ! ». Tout est entièrement de ma faute. C’est moi qui t’avais montré pour les fantômes. Si ça n’avait pas été de moi, tu n’aurais pas été dans cet état-là.

— C’est faux, rien n’est de ta faute ! m’écriai-je. Rien du tout, c’est entièrement de la mienne !

— Mes enfants, c’est la mienne, dit Robert.

Il était resté sur le sofa à nous regarder pendant tout ce temps, et il pleurait, seul dans son coin. Il se leva et, plutôt que de venir me prendre dans ses bras comme j’en avais l’impression, il se laissa retomber dans un fauteuil face au sofa. D’un signe de main, il nous incita à nous asseoir, Julie et moi.

Je ne savais pas exactement où il voulait en venir, mais j’obéis.

Robert retira ses lunettes, s’essuya les yeux, puis les remit. Il prit une grande inspiration, comme s’il s’apprêtait à raconter une très longue histoire.

— Tout est ma faute, dit-il en fixant le plancher, comme s’il craignait de croiser mon regard. Je suis parti sans toi... Je savais ce qui t’attendait, mais je t’ai laissé avec Girard, parce que j’avais peur de ce qu’il pouvait faire ! J’avais peur qu’il...

— Vous aviez peur qu’il vous tue, comme il a tué mon père et à peu près tous les habitants de Wasilla, dis-je à sa place. Je vous comprends parfaitement, vous n’avez pas besoin de vous en vouloir. Je trouve même que c’était une bonne idée de faire comme si j’étais mort.

Je me retournai pour croiser le regard de Julie, qui semblait dans ses pensées, loin de la conversation. Je me retournai cette fois vers Robert qui, lui, avait arrêté de pleurer. Il me regardait bouche bée, peut-être en se demandant comment je savais qui était réellement Girard, le grand responsable de mes problèmes passés, présents et peut-être aussi futurs !

Dans un effort considérable pour arrêter de me dévisager, il détourna le regard vers la porte d’entrée, comme s’il craignait que quelqu’un arrive d’une minute à l’autre. En regardant dans la même direction que lui, je remarquai qu’il y avait une petite fenêtre à l’intérieur même de cette porte, mais qu’un rideau était tiré devant. En regardant plus attentivement, je remarquai que toutes les fenêtres de la pièce, et probablement de la maison tout entière, étaient cachées par des rideaux sombres et opaques.

— Vous avez peur que Girard débarque ici ? demandai-je en reportant mon attention sur lui. Maintenant que je suis là, vous avez peur qu’il vous retrouve après toutes ces années ?

Robert ne répondit rien, se contentant de me regarder en recommençant à se mordre le pouce.

— Tu ne lui as pas dit ? demandai-je en me tournant cette fois vers Julie.

Elle secoua la tête de gauche à droite.

— Bah, il n’y a aucune chance qu’il vienne ici, dis-je en regardant Robert. Girard est mort. C’est même moi qui l’ai tué.

— Oh, merde ! s’écria une voix.

Je me retournai en même temps de sursauter, ne m’attendant pas du tout à ce genre de réaction. Un peu plus loin, entre le salon et le corridor menant aux chambres et à la salle de bain, il y avait un gars à qui je donnais peut-être dix ou douze ans. Il avait des cheveux très noirs, même qu’il ressemblait beaucoup à son père Robert, et même un peu à... Éveline. L’une des amies de Julie.

— C’est vraiment vrai ? s’écria-t-il en me fixant avec des yeux ronds. On a un meurtrier dans notre salon !

— Ethan, retourne dans ta chambre ! s’écria Robert.

— J’irai si je veux ! répliqua-t-il. Est-ce que tu l’as vraiment tué ? demanda-t-il en me regardant toujours avec ses yeux exorbités.

— Il ne l’a pas tué, dit Julie avant que j’aie pu parler. Ce sont les zombies qui l’ont tué.

Il articula silencieusement le mot « zombie » avec des yeux encore plus grands, au point qu’il semblait ne plus avoir de paupières.

— C’est géant ! s’écria-t-il. Je veux les voir !

— DANS TA CHAMBRE ! s’écria Robert d’une voix tellement forte que je suis sûr que les fenêtres en ont vibré.

Probablement qu’il n’avait pas l’habitude de crier ainsi contre ses enfants, car Ethan ne dit plus un mot. Il recula d’un pas avant de se retourner et se précipiter vers la porte bleue « E ».

Pour ma part, je ne pus m’empêcher d’échapper un petit rire quand un souvenir me revint en tête. « J’ai un petit frère de douze ans et c’est le même problème », avait dit Julie la toute première fois que je l’avais vue. Elle voulait comparer mon immaturité avec celle de son jeune frère Ethan...

Je me retournai vers Robert en même temps qu’il se retournait vers moi.

— Il est vraiment mort ? demanda-t-il d’une voix beaucoup plus calme.

— Oui, répondis-je en retrouvant mon sérieux. Et c’est...

— Ce n’est pas toi qui l’as tué, ce sont les zombies, dit Julie en soupirant.

— Ce sont eux qui l’ont tué, mais c’est moi le meurtrier...

— Tu n’y es pour rien, arrêtes d’essayer de mettre la faute sur toi ! s’écria-t-elle.

— OK, mais...

— Chut !

— Mais laisse-moi parler ! m’écriai-je.

— Non !

— Calmez-vous ! s’écria cette fois Robert. Arrêtons de parler de ça ! Tu as faim peut-être ?

À ce dernier mot, mon ventre se mit à gronder atrocement.

— Je meurs de faim, avouai-je.

Robert se leva de son fauteuil et partit en direction de la cuisine. On aurait dit qu’il n’aimait pas la tournure de cette conversation et qu’il avait sauté sur l’occasion pour être seul. Parce qu’il ne s’attendait pas à ce que Girard soit mort ! Moi-même, j’arrivais à peine à m’entrer dans la tête qu’il n’est vraiment plus de ce monde. Je l’ai vu et, pourtant, j’aurais pu me dire que ce n’était qu’une scène d’un film sans importance. Peut-être que les choses deviendront plus réelles pour moi quand je retournerai à la maison, seul avec ma mère.

Ma mère... Qu’est-ce que je vais lui dire ? Qu’il est mort, tout simplement ? Des plans pour qu’elle me jette à la rue de la maison en disant que je suis fou... Non, je ferai plutôt comme si je n’étais au courant de rien. Le premier jour, ma mère demandera « où est-il ? », mais une semaine plus tard, ce sera bien plus compliqué... Une disparition. La police va s’en mêler. Je serais interrogé. Est-ce que je serai capable de leur mentir, ou bien ils en viendront à me soupçonner ?

Chapitre 3

J’étais dans la cuisine à manger du poulet. C’est ce qu’ils avaient mangé pour diner. Apparemment, j’étais resté couché plus de dix-huit heures, j’avais donc raté plusieurs repas en famille. Mais ça m’importait peu : j’avais tellement faim que je ne faisais qu’enfoncer les morceaux de poulet les uns après les autres dans ma bouche. J’avais l’impression de ne pas avoir mangé depuis au moins une semaine. C’était peut-être le cas…

Julie était assise en face de moi, me regardant bouffer comme un primate. Affamé comme j’étais, j’imagine que ce n’était pas très agréable à regarder, mais elle restait là sans broncher. Elle me tendit une bouteille d’eau, que j’attrapai et vidai d’un trait entre deux bouchées de poulet.

— Tu sais depuis quand tu n’as rien mangé ? demanda Julie.

— Je haussai les épaules, la bouche trop pleine pour répondre.

— Quatre jours, dit-elle.

Je secouai la tête de haut en bas, signe que j’avais compris, mais que ma bouche était trop pleine pour lui répondre quelque chose.

— Quel jour on est ? demandai-je après avoir péniblement dégluti.

— Le 15 septembre.

Elle hésita quelques secondes avant d’ajouter :

— Est-ce que tu as trouvé quelque chose ? Avec les fantômes, je veux dire... Tu as trouvé ça comment... ne pas mourir ?

Je secouai encore une fois la tête, cette fois de gauche à droite.

— Est-ce que tu vas y retourner ?

— Non, dis-je d’un ton peut-être un peu trop agressif. Je ne veux plus jamais remettre les pieds là-bas…

— Le contraire m’aurait étonné, dit Julie.

J’avais l’impression que parler de Wasilla aurait pu me couper l’appétit, mais je ne fis qu’enfoncer un autre gros morceau de poulet dans ma bouche, accompagné de quelques légumes.

— Mais il faudrait pourtant que j’y retourne, dis-je, à mon grand étonnement.

— Pourquoi ? demanda aussitôt Julie.

Je laissai échapper un soupir après avoir mangé mon dernier morceau de poulet.

— Juste une dernière fois, dis-je sans lever les yeux de mon assiette. Girard avait un moyen pour effacer des choses de la mémoire des gens, et ce moyen est juste , quelque part sur le sol à Wasilla. Ça pourrait m’être utile ou pratique de reprendre cet objet.

— Eh bien, ne compte pas sur moi pour t’y conduire, dit Julie en se levant de sa chaise. Si tu as encore faim, il y a du gâteau dans le frigo.

Puis elle partit en direction du salon, me laissant seul dans la salle à manger. Je ne savais plus quoi penser... Est-ce que je devrais y aller ? Sûr que ce pourrait m’être utile, de pouvoir contrôler la mémoire des gens, puisque j’en connais quelques-uns qui en savent peut-être un peu trop sur moi. Alex, par exemple. Celui qui m’avait espionné. Il n’en avait pas découvert beaucoup, mais par la suite, Trey m’avait obligé à lui parler. Et puis il y avait David. Lui, il sait que je ne suis pas normal, même s’il ne sait pas encore exactement pourquoi.

Je m’étais levé, à mi-chemin du frigo, quand je me figeai à ces dernières pensées. Alex et David... Avant de m’aventurer pour la dernière fois dans la forêt de Wasilla, j’avais reçu des drôles de messages venant de Trey et de Kelly. Et j’avais chargé Trey de surveiller Alex, et Kelly de surveiller David. Et ils disaient tous les deux qu’il y avait des problèmes, qu’il fallait que je revienne vite.

— Salut, dit une voix derrière moi.

Je me retournai en sursautant, surpris d’être si subitement arraché à mes pensées. Dans l’encadrement de l’entrée qui séparait la cuisine du salon se tenait une femme, grande et belle. Encore une fois, je fus surpris de voir des ressemblances avec Éveline, l’amie de Julie. C’était de plus en plus bizarre.

— Je suis Sandra, dit-elle en s’approchant de quelques pas. La mère de Julie.

— Pas seulement de Julie, hein ? demandai-je. Qu’est-ce qui en est d’Éveline ?

Elle sourit en secouant la tête de haut en bas.

— Mon autre fille, dit-elle en souriant.

— Donc... Julie et Éveline sont sœurs ? Est-ce que ça veut dire qu’Éveline est aussi ma sœur ?

— Si tu veux, tu as le droit de la considérer comme une sœur, mais réellement, c’est ta cousine.

— Ah ! m’exclamai-je. Bah, ça explique un tas de trucs.

— Julie n’est pas ma vraie fille, mais c’est comme si, dit Sandra en haussant les épaules. Et c’est comme si tu es mon fils. Tu as le droit de me considérer comme une mère, si tu veux. Mais pour moi, tu es mon fils.

Malgré son sourire, j’avais l’impression qu’elle était triste. Il est clair qu’elle aurait réellement voulu que je la considère comme une mère. Elle aurait voulu être la femme qui m’aurait élevé et appris tout un tas de choses, mais ce n’était pas le cas... À cause de Girard.

J’aurais voulu répondre : « Mais on ne se connaît même pas. Comment veux-tu que je te considère comme une mère ? » et probablement que je l’aurais dit d’un ton trop agressif. Je le pensais, mais je ne dis rien, me contentant de baisser la tête.

— Tu as le droit de rester ici autant longtemps que tu le veux, dit-elle. Tu peux considérer cette maison comme la tienne.

— Dommage qu’il n’y ait pas de porte bleue avec un « C » dessus, dis-je en laissant échapper un petit rire.

Elle se joignit à mon rire, mais elle donnait plutôt l’impression de réellement regretter qu’il n’y avait pas de porte bleue avec un « C ». Elle était gentille, mais ce qui est certain, c’est que je ne la présenterais jamais à Mary, ma mère adoptive.

Elle repartit d’où elle était venue et me laissa seul à mi-chemin entre la salle à manger et la cuisine.

J’aurais pu repartir tout de suite à Macmon, mais j’avais cette impression que j’allais le regretter. Après avoir mangé un gros morceau de gâteau, j’étais retourné dans le salon avec, pour seule compagnie, Ethan, qui jouait au Xbox où il devait tuer tous les gens qu’il croisait. Chaque fois qu’il tuait quelqu’un, il lâchait un cri de guerre, et c’en était presque perturbant.

Tout ce que je voulais, c’était parler à Robert, mais je ne l’avais plus revu depuis qu’il s’était proposé pour me faire à manger. J’avais compris pourquoi j’avais eu cette impression de l’avoir déjà vu quelque part : il était dans l’un des souvenirs que m’avait montrés Gabriel. Robert était au lac de Sapigano quand la météorite était tombée.

— Hé, tu n’aurais pas une idée d’où se trouve ton père ? demandai-je à Ethan.

— Ha, ha ! s’écria-t-il en tirant à plusieurs reprises dans la tête d’un homme avec sa mitraillette. Quoi ?

— Ton père, répétai-je sans pouvoir m’empêcher de penser que si un jour je me retrouve dans la même pièce que lui alors qu’il a une vraie mitraillette avec lui, de me sauver au plus vite. Tu sais où il est ?

— Aucune idée, dit-il, les yeux rivés sur l’écran de la télévision. Mais, dis, est-ce que les zombies existent vraiment ?

— Peut-être. Tu n’as aucune idée où il est ?

— Peut-être, dit-il en tuant d’autres personnes dans le jeu. Mais, dis, est-ce que tu vois avec deux teintes différentes, avec tes yeux ?

— Non, dis-je presque en grognant.

— Est-ce que tu peux voir dans le noir ?

— Non.

— Est-ce que tu...

— Non ! m’écriai-je.

Il se retourna vers moi, les yeux ronds, mais au moins, cette fois, je pouvais encore voir ses paupières. Soudainement, l’écran de la télévision devint rouge.

— Oh, merde ! s’écria-t-il. Je suis mort, j’ai perdu ! C’est de ta faute !

— J’en suis tellement désolé, dis-je en pensant tout le contraire.

Il se retourna encore une fois vers moi, cette fois avec les sourcils froncés.

— P’pa est en bas, dit-il presque à contrecœur. Là.

Il pointa une porte que je n’avais pas remarquée avant. Il était assez simple de savoir où menait cette porte, avec la flèche pointant vers le sol qui était dessus.

Sans dire merci, puisque j’avais jugé qu’il ne le méritait pas, je me relevai du canapé et partis vers la porte. Là, je l’ouvris et vis, comme je m’y étais attendu, un escalier menant en bas. J’y entrai en refermant la porte derrière moi. Il n’y avait pas beaucoup de lumière dans les escaliers, mais je voyais au moins où j’allais.

Arrivé en bas, je vis un deuxième salon, plus petit que celui d’en haut, mais à coup sûr beaucoup plus chaleureux. Il n’y avait pas de fauteuil, seulement un canapé trois places, et une toute petite télévision. Plus loin, il y avait une grande chambre que je vis, puisque la porte était ouverte. Il y avait trois autres portes, toutes fermées. Je pris une chance et m’avançai vers la plus proche. Je cognai, puis attendit. Rien. Je cognai encore, juste pour être sûr.

— Il n’y a personne dans la salle de bain, si c’est ce que tu veux savoir, dit une voix un peu plus loin.

Je me retournai et vis Robert, la tête dépassant par l’entrebâillement de la porte d’à côté.

— C’est la porte des toilettes, dit-il comme s’il n’avait pas été assez clair.

— Oh, dis-je en m’éloignant de la porte. Ce n’est pas ce que je cherchais...

— Non, puisque c’est moi que tu cherches.

Il me lança un regard par au-dessus de ses lunettes, comme s’il me défiait de dire le contraire.

— J’avoue. J’ai quelques questions à te poser.

Il hocha la tête en laissant échapper un soupir. Il ouvrit plus grandement la porte, me laissant voir une portion du mur brun.

— Viens ici, entre.

J’obéis. À l’intérieur de cette pièce, il n’y avait qu’un bureau avec un ordinateur, et des chaises de chaque côté. Robert s’assit sur la chaise du fond de la pièce, face à l’ordinateur. Je m’assis de l’autre côté, en face de Robert et de son ordinateur.

— Vas-y, j’écoute tes questions, dit Robert en s’enfonçant profondément dans sa chaise.

Je laissai échapper un petit toussotement, autant pour m’éclaircir la gorge que pour mettre de l’ordre dans ma matière grise.

— Tu étais présent quand la météorite avait atterri dans le lac de Sapigano, n’est-ce pas ?

Sa bouche s’ouvrit, mais il ne répondit rien. J’imagine qu’il se demandait comment je pouvais connaître l’existence de la météorite, mais je ne crois pas que ça aurait été une bonne idée de dire directement « c’est le fantôme de mon père qui me l’a montrée ».

— En effet, finit-il par répondre.

Aussitôt, mon cœur se mit à battre deux fois plus rapidement. J’avais l’impression que je venais de gagner à la loterie.

— Explique-moi tout, dis-je en m’avançant sur le bord de ma chaise.

Il laissa échapper un autre soupir, détournant le regard vers l’écran de son ordinateur. Il n’avait clairement pas envie d’en parler, mais je m’en fichais. Rendu là, j’avais le droit de savoir.

— Ce n’était pas une météorite, dit-il. Je ne sais pas ce que c’était, mais ce n’en était pas une. Ça ne venait même pas de l’espace. Ça venait... D’ailleurs.

— Ailleurs, mais pas de l’espace ? demandai-je sans comprendre. Tu veux dire... Ailleurs, sur cette planète ?

— Nous ne sommes pas les premiers à avoir découvert cette chose. Est-ce que tu as vu sa trajectoire ?

— Oui.

Il fronça les sourcils. Apparemment, il ne s’attendait pas du tout à cette réponse. Moi, par contre, je commençais à comprendre.

— Girard avait dit : « les météorites ne peuvent pas changer de trajectoire comme ça ». C’est justement parce que ce n’en était pas une. Ça donnait simplement l’impression de changer de trajectoire, mais en réalité, c’est parce qu’il ne venait pas de l’espace, mais d’ailleurs sur terre.

Maintenant, Robert me regardait avec les mêmes yeux que son fils.

— Mais comment peux-tu savoir tout ça ? demanda-t-il.

— J’ai mes sources. Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ?

— La suite ? répéta-t-il.

— Girard a ramené la météorite, ou peu importe ce que c’était, avec lui. Le liquide vert était à l’intérieur. Qu’est-ce qu’il en a fait ?

Il soupira, encore, détournant le regard vers le plafond.

— Ce n’est pas toujours bon de savoir.

— S’il te plait, insistai-je. C’est de l’histoire de mes parents qu’on parle. Et un peu de la mienne. Peu importe ce que tu vas me dire, j’ai vu pire.

J’étais encore incapable de m’empêcher de penser à la façon dont Girard avait tué mon père. À cause de moi. Et de la façon dont il avait été tué par les zombies. Encore à cause de moi.

Robert soupira, pour ce que c’était, je pense, la dixième fois.

— Très bien, dit-il d’un ton las. J’imagine que tu as déjà ta petite idée ?

— Oui, mais je préfèrerais être sûr.

— Très bien... Girard voulait voir quels effets auraient ce liquide sur une personne. Il croyait que ça ne donnerait rien de méchant puisqu’il avait déjà essayé sur un rat... Sauf qu’il s’est avéré que ce rat était une femelle enceinte... Ses bébés n’avaient aucun problème, mais ça restait des rats, alors on s’en est débarrassés...

— Vous les avez tués ?

— Évidemment, ce sont des rats ! C’est dégoûtant !

— Bien, soupirai-je.

J’avais déjà entendu quelque part une version des histoires de zombies qui auraient commencé par une morsure de rat. J’avais beau trouver ça cruel, ça me soulageait qu’ils les aient tués.

— La suite ? insistai-je.

— Oui, la suite... Donc, un peu plus tard, Monica est tombée enceinte, et Girard a vu là une chance pour voir si ça donnerait le même résultat. Ça... Ça n’a pas vraiment marché comme il avait prévu. Enfin, au début, oui, ça a marché, mais ensuite...

Je n’avais même pas besoin de lui demander qu’est-ce qu’il voulait dire. Ça a marché pour Julie, mais pas pour moi. Elle, elle a les super pouvoirs super cools, et moi, une mort imminente...

— Qu’est-ce qu’il a fait, exactement ?

— Tu sais ce qu’il a fait, dit-il en gigotant dans sa chaise.

— J’aimerais être sûr.

— Non, j’en ai assez dit ! s’écria-t-il en se levant de sa chaise. Tu sais exactement ce qu’il a fait, ne me force pas à le dire, à le revivre... Tu n’as pas mieux à faire ?

Il semblait être sur le point de fondre en larme. C’était étrange, selon moi, puisque je me rappelais bien ce que Julie m’avait dit il y a déjà plusieurs jours, mais qui me semblait n’être qu’hier puisque j’avais passé l’intégralité de ces « plusieurs jours » inconscient. Elle avait dit qu’elle n’avait jamais vraiment cherché de réponses... Que ses parents avaient tout dit. Encore une raison d’être jaloux... Elle a tout, et moi je n’ai rien...

— Désolé, dis-je en me levant moi aussi de ma chaise. Je ne voulais pas, heu...

J’avais beau essayer de le réconforter, j’ai toujours été nul dans ce genre de choses, et je savais qu’il valait beaucoup mieux pour moi ne pas essayer. Alors, je tournai les talons et sortis de son bureau aussi vite que je le pus sans paraître impoli.

J’arrivai dans le salon d’en haut et y trouva Ethan et Julie qui jouaient au Xbox. J’essayai de ne pas me faire remarquer pour aller en douce me prendre un autre grand morceau de gâteau dans la cuisine, mais aussitôt que Julie me vit, elle mit pause au jeu en ignorant les supplications d’Ethan pour reprendre la partie.

— Alors ? demanda-t-elle.

Je levai les épaules, sans rien dire. Elle fronça les sourcils.

— Tu devrais peut-être aller te reposer un peu, dit-elle en baissant les yeux.

Elle me prit le bras gauche, mais je reculai aussitôt en faisant la grimace. Mon bras me faisait beaucoup moins mal, mais j’en ressentais encore les élancements.

— Je vais bien, dis-je en me frottant l’avant-bras gauche. Tu pourrais me rapporter chez moi ?

— Là, tout de suite ? dit-elle en se mordant la lèvre. Je ne sais pas si...

— Je vais très bien, je te dis ! Allez, tu ne veux quand même pas manquer une occasion de voir Trey ?

— OK, allons-y.

Elle se retourna et partit en direction de la porte rose « J ». Sur le coup, j’étais incapable de m’empêcher d’éclater de rire. Julie avait accepté tellement rapidement que j’imaginais déjà Trey devenir mon « beau-frère ».

Chapitre 4

Finalement, j’eus le temps de me reposer deux heures, le temps que Julie se « prépare ». À mon réveil, quand Julie fut enfin prête, elle s’était frisé les cheveux, maquillée, et elle portait ce que je soupçonnais être ses plus beaux habits, soit des jeans très moulants et un haut sans bretelles laissant voir son nombril et le piercing qui y pendait.

— Tu vas lui faire peur, habillée comme ça, dis-je sans parvenir à m’empêcher de sourire.

Sans rien dire, elle se retourna et repartit dans sa chambre.

Je me recouchai sur le lit en enfonçant ma tête dans l’oreiller pour qu’elle ne m’entende pas éclater de rire. Je commence vraiment à avoir hâte de voir comment Trey réagirait face à Julie.

Elle ne revint que dix minutes plus tard. Elle avait toujours les mêmes jeans, mais au moins, elle avait maintenant un chandail où on ne pouvait pas voir son nombril.

En sortant de la maison, Julie lança un « au revoir » à sa mère et son frère. Son père, quant à lui, n’était pas là, ou bien il se cachait au sous-sol en attendant que je ne l’inonde plus de questions. En effet, j’en avais encore plusieurs qui restaient sans réponses... Des tonnes et des tonnes.

Ensuite, j’étais dans la voiture avec Julie. J’avais hâte d’arriver, j’avais l’impression d’avoir raté un moment important et que Trey pourrait m’éclairer là-dessus.

À côté de moi, Julie serrait le volant entre ses mains avec un regard parfaitement inexpressif, même si, en réalité, je savais qu’elle avait hâte de revoir Trey.