Notes


1. Voir L’atlas est de retour, tome 4, de la même auteure, collection Chat de gouttière, Soulières éditeur.

2. Voir la série des Atlas, de la même auteure, collection Chat de gouttière, Soulières éditeur.

3. Voir L’atlas perdu, tome 2.

4. Voir L’atlas est de retour, tome 4.

5. Voir L’atlas détraqué, tome 3.

L’atlas ne répond plus


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De la même auteure

De la même auteure

chez le même éditeur

L’atlas mystérieux, collection Chat de gouttière, 2004, 2e position au Palmarès de Communication-Jeunesse 2005.Finaliste au Prix Hackmatack 2006.
L’atlas perdu, collection Chat de gouttière, 2004, Prix Hackmatack 2007.
L’atlas détraqué, collection Chat de gouttière, 2005.
L’atlas est de retour, collection Chat de gouttière, 2009, 4e position au Palmarès de Communication-Jeunesse 2010.
L’île à la dérive, collection Chat de gouttière, 2008.

Chez d’autres éditeurs

Le chien du docteur Chenevert, collection Chacal, éditions Pierre Tisseyre, 2003. Finaliste au Prix Cécile Gagnon 2003.
Clone à risque, collection Chacal, éditions Pierre Tisseyre, 2004.
Anthrax connexion, collection Chacal, éditions Pierre Tisseyre, 2006.
Tout pour un podium, collection Chacal, éditions Pierre Tisseyre, 2011. Finaliste au Prix de la Ville de Québec 2012.
Tempête sur la Caniapiscau, collection Ethnos, éditions Pierre Tisseyre. 2006, Finaliste au Prix de la Ville de Québec 2007.
Le naufrage d’un héros, collection Ethnos, éditions Pierre Tisseyre, 2009. Finaliste au Prix de la Ville de Québec 2010.
Les saisons d’Émilie, collection Sésame, éditions Pierre Tisseyre, 2004.
Les gros rots de Vincent, collection Sésame, éditions Pierre Tisseyre, 2005.
La tisserande du ciel, collection Korrigan, Éditions de l’Isatis, 2005.
Mes parents sont gentils, mais tellement maladroits, Foulire, 2007. Lauréat du prix des abonnés du réseau des bibliothèques de la Ville de Québec 2008.
Mes parents sont gentils, mais tellement écolos, Foulire, 2009.

Diane Bergeron

L’atlas ne répond plus

(une aventure de l’Atlas… pour les ados)

case postale 36563 — 598, rue Victoria
Saint-Lambert (Québec) J4P 3S8

Soulières éditeur remercie le Conseil des Arts du Canada et la SODEC de l’aide accordée à son programme de publication et reconnaît l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour ses activités d’édition. Soulières éditeur bénéficie également du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion Sodec — du gouvernement du Québec.

 

Dépôt légal : 2012

Bibliothèque nationale du Canada

Bibliothèque nationale du Québec

 

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

 

Bergeron, Diane, 1964-

L’atlas ne répond plus

(Collection Graffiti ; 77)

Pour les jeunes de 13 ans et plus.

ISBN 978-2-89607-160-9

I. Titre. II. Collection : Collection Graffiti ; 77.

PS8553.E674A942 2012        jC843’.6         C2012-940590-6

PS9553.E674A942 2012

 

Illustration de la couverture : Sampar

Conception graphique de la couverture : Annie Pencrec’h

Conversion au format ePub : Studio C1C4 

 

Copyright © Diane Bergeron, Sampar

et Soulières éditeur

ISBN 978-2-89607-160-9 (version papier)

ISBN 978-2-89607-177-7 (version EPUB)

ISBN 978-2-89607-195-1 (version PDF)

Tous droits réservés

« Les plus grandes aventures sont intérieures. »

(Hergé)



À mes merveilleux enfants,

Guillaume, Marianne, Isabelle et Vincent,

pour que la traversée de leur adolescence

fasse d’eux des adultes libres et heureux.

Prologue

EH MERDE ! CE SALAUD M’A EU.

JOHN-S ATTEND QUE LES PROJECTILES LUMINEUX CESSENT DE CRÉPITER AUTOUR DE LUI, puis s’approche avec précaution de Markus, son compagnon d’armes. Il éloigne les mains crispées du soldat de la plaie qui forme un cratère dans son abdomen. Sans exprimer d’émotion, le mercenaire sort un bandage de son sac à dos. Le blessé hoquette :

— Tu ne peux plus rien pour moi… Sauve ta peau, Johnny.

Le soldat expire dans une dernière convulsion de douleur. Markus avait dix-sept ans, tout comme John-S. L’adolescent réprime un soupir, pas tant pour la mort de son compagnon, mais parce qu’il se retrouve seul, dernier survivant de son commando.

Il s’empare du fusil de Markus et constate que le chargeur est vide. Il le lance au loin dans un geste de rage. Il n’a plus de munitions et les armes de ses adversaires sont inutilisables à cause du code de reconnaissance de l’ADN nécessaire pour retirer le cran de sécurité.

Ses ennemis qui, il y a un moment, illuminaient la zone d’un feu nourri, ont cessé de tirer. Ils s’approchent. Le dernier soldat du commando le sent aux vibrations du sol. Bientôt, ils seront sur lui et l’adolescent déglutit en pensant à ce qui l’attend : sa capture et une mort rapide et brutale… à moins qu’il ne tombe sur des zélés. John-S connaît bien la musique. Avant qu’on l’intègre à ce groupe d’élite, il avait été responsable des interrogatoires pour les prisonniers de l’autre camp. Depuis, il maîtrise toutes les techniques pour ramener à la mémoire de ses « clients » le plus infime renseignement. Il y a mis, disons, beaucoup d’enthousiasme.

Plié en deux, John-S se déplace en direction d’une série d’immeubles détruits par les bombardements. Il cherche le meilleur endroit pour se terrer. Il découvre enfin une trappe permettant d’accéder à une cave. Avec un bâton, l’adolescent pousse vers sa cachette le cadavre d’un chien, dont la puanteur à elle seule devrait camoufler sa propre odeur au mufle de ses ennemis. Ces êtres, mi-hommes mi-bêtes, issus de manipulations génétiques, ont été créés pour localiser les derniers humains qui tentent de se cacher dans les décombres des villes détruites. Nettoyage sanitaire, qu’ils disent.

Pourquoi a-t-il atterri ici, dans ce monde surréaliste et violent ? C’est toujours la bonne vieille Terre, mais elle est ravagée par une guerre sans fin, conséquence de la folie humaine. L’eau et maintenant l’air sont les enjeux économiques et politiques des puissants de ce monde. Or, Jean-Sébastien l’a choisie, cette destination. Elle ressemble à s’y méprendre à ses jeux vidéo dans lesquels il tente d’échapper à son quotidien d’adolescent blasé. Une fois ce monde intégré, il a eu des frissons de plaisir en enfilant la tenue de combat qui lui rappelle les avatars qu’il crée sur son ordinateur. Les armes ici dépassent tout ce que les concepteurs de jeux vidéo pouvaient imaginer dans son siècle. L’avenir – on n’est pourtant qu’en 2102 – a pris un virage technologique plutôt chouette à son goût. Bien sûr, pas de vies supplémentaires, pas de boucliers de protection ni de caches d’armes ou de médicaments. La « fin de partie » annonce réellement ce qu’elle est. Malgré tout, JS ressent, dans ce monde futuriste, la satisfaction de se réaliser à sa pleine mesure et le plaisir intense de faire éclater des chimères puantes. Et ici, pas de mère pour lui rappeler de fermer l’ordinateur pour venir souper, étudier ou pour se coucher.

Mais l’adolescent comprend que même cette réalité peut, à la longue, devenir banale. La mort qui l’attend ici n’a finalement rien de bien « chouette ». Malgré le danger que représentent les radiations et l’air toxique, le garçon retire sa combinaison de protection. Le masque à oxygène fait entendre un psst ! en laissant entrer l’air vicié. Contre sa poitrine, Jean-Sébastien a fixé, à l’aide de ruban adhésif, un objet particulier, issu d’une autre époque. Le garçon songe qu’il est temps de s’en servir et de dire adieu à cet hôte, John-S qui, de toute évidence, ne survivra pas très longtemps.

Bientôt, les grognements rauques des bêtes signalent qu’ils ont découvert sa cachette. D’un geste décidé, Jean-Sébastien actionne l’objet et s’échappe du XXIIe siècle.

Chapitre 1
Étrange réveil

JEAN SE RETOURNE DANS SON SOMMEIL, S’EMMÊLE DANS SES COUVERTURES. IL A L’IMPRESSION QU’UN POIDS ÉNORME L’ÉCRASE. Ses poumons ne peuvent se remplir et il bat l’air de ses bras comme s’il essayait de faire surface. « Je me noie », pense-t-il, ni tout à fait dans son cauchemar ni vraiment dans la réalité. Sauf qu’il manque un élément important : l’eau. Or, on ne peut pas se noyer sans eau… Il hoquette, lâche un grognement et inspire avec difficulté. Il émerge de son rêve, un mauvais goût dans la bouche. Il fait sombre dans la pièce et un coup d’œil au réveil lui indique qu’il est tout juste trois heures du matin. Il se lève avec l’intention d’aller à la salle de bain, mais ses pieds restent coincés dans ses draps. Il tombe de tout son long sur le plancher de bois franc.

Avec surprise, il s’entend proférer une série de jurons. Pourvu que maman n’ait rien entendu…

Jean ne se sent pas très bien. Il a l’impression d’être encore en train de dormir, tout en se sachant éveillé. Serait-il somnambule, comme son petit frère Junior qui s’échappe parfois de son lit pour errer dans la maison ? Un somnambule sait-il seulement qu’il l’est, ou bien la confirmation vient-elle des autres ? Perdu dans ses pensées, Jean a atteint les toilettes et a soulagé sa vessie sans même s’en rendre compte. « Oups ! la lunette des toilettes n’est pas relevée… j’aurai droit à tout un sermon si papa s’en aperçoit », estime-t-il en regardant son reflet dans le miroir.

Il reste là, planté devant la glace, comme s’il se voyait pour la première fois. Avec un certain malaise, il sent sa main passer dans ses cheveux brun roux rebelles. Les yeux écarquillés, il constate un air surpris, puis une moue dédaigneuse traverser son visage, comme s’il appréciait plus ou moins ce qu’il voyait. Il s’approche de la glace et inspecte ses taches de rousseur. Puis il s’éloigne du miroir, fléchit les avant-bras pour faire rouler ses biceps, bombe le torse et part d’un grand rire sarcastique.

Jean ne comprend pas. Il doit rêver, ça ne peut pas être autre chose qu’un rêve.

Il retourne vers sa chambre sans prendre la peine d’être silencieux, claque la porte et se lance sur son lit, à plat ventre. Il enserre son oreiller et s’endort aussitôt, un curieux sourire aux lèvres.

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— Jean ! Debout mon garçon. Il est sept heures trente. Tu vas être en retard à l’école.

Un grognement, puis le silence. En bas, la porte d’entrée se referme après le départ de Catherine, la mère de Jean. Quinze minutes plus tard, Junior saute sur le lit de son grand frère et se met à le chatouiller avec frénésie.

— Allez paresseux ! Tu vas manquer ton autobus !

Mais Junior ne comprend pas pourquoi, une seconde plus tard, il se retrouve projeté avec violence à quelques mètres du lit.

— Ferme-la, crevette !

Jamais son frère ne l’a traité de crevette. De putois, de ver de terre, mais pas de crevette. Surtout pas après la méchante réaction allergique qui l’a conduit aux urgences. Et jamais il n’a manqué l’occasion d’une bonne partie de chatouilles. Furieux, Junior sort de la chambre en frottant ses fesses endolories. Quelques minutes plus tard, c’est Roger qui entre et s’assoit sur le bord du lit. Il ne peut voir le visage de son fils, caché dans l’oreiller.

— Ça ne va pas, fiston ? Tu es malade ?

L’adolescent grogne sans prendre la peine de se retourner. Roger soupire et met sa main sur l’épaule de son aîné qui se contracte brusquement.

— Que se passe-t-il, mon grand ? Ça n’a pas été avec Magalie, hier soir ? Elle a refusé de sortir avec toi ? Tu sais, ce n’est pas la fin du monde, vous êtes encore jeunes…

— Laisse-moi tranquille, dit sèchement le garçon.

Perplexe, Roger quitte la chambre. Jamais son fils ne lui a parlé comme ça. Puis son optimisme reprend le dessus. Jean n’est pas un garçon difficile. Il viendra probablement s’excuser à l’heure du souper.

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Il est près de midi quand l’adolescent émerge de son sommeil. Il écoute d’abord les bruits qui viennent de l’extérieur : un « presque silence ». Son regard se promène sur les murs de la pièce, les détaillant avec attention. Sa vision est légèrement brouillée, et il tâtonne quelques secondes sur la table de chevet avant de mettre la main sur une paire de lunettes qu’il enfile en maugréant. À droite, une bibliothèque bien garnie occupe tout un pan du mur, du côté gauche sont accrochés plusieurs épées, fleurets, médailles et trophées. Quelques affiches de groupes musicaux occupent le reste de l’espace.

Il se lève et s’approche des armes. Il ignore le fleuret et décroche l’épée, la soupèse et fait quelques mouvements en pourfendant l’air. Satisfait, il la repose sur son support et s’empare de l’autre épée, un bout de métal tordu et rouillé. Un objet ancien de piètre qualité. Il réussit à déchiffrer les lettres gravées sur le métal : Destinée1. Il hausse les épaules et repose l’arme sur le râtelier. Le garçon porte ensuite son regard sur le trophée le plus imposant représentant un escrimeur en position de touche. Un nom est inscrit : Jean Delanoix, champion junior canadien 2009.

— Eh bien, murmure-t-il. On n’aurait pas dit ça à te voir, Jean Delanoix.

Puis il se dirige vers la fenêtre et écarte une lamelle du store. Dehors, il peut voir les toits des maisons, des rues, des jardins, des piscines. Le ciel, d’un bleu pur, se détache sur le vert des arbres. Le calme règne, un calme qui n’a rien à voir avec le monde qu’il vient de quitter. Trop calme, peut-être ?

Le son strident du téléphone le fait sursauter. Après une dizaine de coups, il se décide à répondre :

— Ouais ?

— Jean ? dit une voix de femme un peu alarmée. Tu dormais ?

— Ouais…

— Es-tu malade ?

— …

— Veux-tu que je revienne à la maison pour m’occuper de toi ?

— Non.

— Bon, reprend Catherine pour briser le laconisme inhabituel de son fils. Je téléphonerai à ton école pour motiver ton absence, mais ce soir, j’aimerais qu’on se parle.

Elle n’obtient qu’un silence obstiné. Catherine termine la communication, presque à regret :

— Je t’aime, mon grand.

L’adolescent raccroche en faisant la moue. Il retourne s’étendre sur le lit et replonge dans le sommeil en pensant que ça fait une mèche qu’il ne s’est pas endormi sans avoir peur que quelque chose n’éclate autour de lui.

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— SORTEZ-MOI DE CE CAUCHEMAR ! hurle Jean sans que sa bouche n’émette le moindre son.

Il tente de déplacer un bras, de lever une jambe. Impossible ! Il se concentre de nouveau. Peut-être voit-il trop grand ? S’il pouvait au moins bouger son petit doigt… Malgré tous ses efforts, rien ne se passe. Il est… paralysé. C’est ça, il a dû subir un accident et il est paralysé. Même ses yeux refusent de s’ouvrir. Dans ce cas, serait-il mort ? Jean tente de se calmer et de réfléchir : s’il est mort, sa vie défilera devant ses yeux, une lumière se profilera au bout d’un tunnel, quelqu’un viendra le chercher pour l’accompagner vers… vers quelque chose de différent. C’est ce que disent ceux qui ont vécu une expérience de mort imminente. Il faut qu’il y ait un prolongement à la vie, sinon à quoi servirait toute cette mise en scène ?

Pourtant, ça ne se passe pas comme ça. Il a bougé tout à l’heure, il a même parlé. Il a examiné sa chambre, ses épées, son trophée. Il a regardé dehors, il a répondu au téléphone.

C’était sa voix, il en est sûr, mais ce n’étaient pas ses paroles. Jamais il n’aurait parlé comme ça à sa mère. Que se passe-t-il ? Devient-il fou ? Non, tout est possible en rêve, le subconscient joue parfois des tours abominables, mais ça reste… des rêves.

Sans qu’il l’ait décidé, Jean sent son corps se retourner et son bras s’allonger sous sa tête. Sa main rencontre un objet dur, rectangulaire, dont ses doigts tâtent un moment les contours. Un flash se produit dans son esprit. Pourtant, il refuse la conclusion qui s’impose.

— Non ! c’est impossible ! hurle-t-il en silence. Ça ne peut pas être vrai !

Chapitre 2
Un livre exceptionnel

LE GARÇON EST ÉVEILLÉ DEPUIS UN MOMENT. LE RÉVEIL INDIQUE TROIS HEURES DE L’APRÈS-MIDI. Il reste étendu, savourant la tranquillité de la maison. Son estomac gargouille bien un peu, mais il est habitué à l’entendre gémir de cette façon. Il se décide à se lever, prend un t-shirt propre et une paire de shorts dans la commode, les enfile et se regarde dans le miroir.

— Aucun style, ce gosse, fait-il avec une moue écœurée.

Il approche de la porte, puis change d’idée. Il revient vers le lit, fouille sous l’oreiller et en tire un objet.

Un livre. Grand comme une bande dessinée. Mais avec une couverture très spéciale, en bois. L’adolescent prend quelques secondes pour passer ses doigts sur les motifs sculptés. Il n’a jamais su ce qu’ils signifiaient. Il n’a jamais vraiment cherché à le savoir non plus. Des symboles d’une autre époque. D’une autre civilisation, peut-être. Des étoiles, des lunes et quelque chose ressemblant à un vaisseau spatial émergeant d’un livre ouvert. Des dorures encadrent cette sculpture un peu puérile et absurde. Au milieu de la couverture, ses doigts s’attardent sur une cicatrice ronde, comme si le bois avait déjà été troué à cet endroit.

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Jean-Seb a trouvé ce livre sur la table de chevet d’une personne âgée qu’il avait « visitée » une nuit, pour lui dérober quelques sous. La vieille dame, avec un éclat de regret dans ses yeux gris, comme si elle perdait un ami, lui avait révélé le fonctionnement de l’objet. Jean-Sébastien l’avait alors prise pour une folle. Le livre n’était qu’un livre, un peu original, mais un livre tout de même. Et il y a longtemps qu’il ne croyait plus aux histoires du Bonhomme sept-heures, au père Noël ou à la Fée des dents. Des histoires pour envoyer au lit les enfants naïfs.

Mais la vieille avait poursuivi en le transperçant de son regard intense, au point qu’il n’avait plus prononcé une parole et s’était retrouvé assis au pied du lit de cette femme à l’écouter. L’atlas possédait un pouvoir, disait-elle. Un pouvoir fantastique. Il permettait à son utilisateur de voyager dans le temps et dans l’espace. Mais le voyageur n’était pas pour autant un touriste avec sa caméra au cou et son passeport en poche. Non, il devenait un visiteur de l’intérieur, les yeux remplis de curiosité pour le nouveau monde qu’il découvrait, mais aussi plein de maladresses pour une culture et des coutumes dont il ignorait tout. L’aventurier de l’atlas intégrait le corps d’un inconnu et devait apprendre bien vite à passer inaperçu, à se confondre avec la personne dont il empruntait la vie pendant un moment. Et à ne pas révéler l’existence de l’atlas. À défaut de se contraindre à ces règles élémentaires, les conséquences pouvaient être tragiques pour le voyageur comme pour son hôte. Selon l’époque et la culture, les gens pouvaient ignorer ces comportements étranges mais, le plus souvent, ceux-ci créaient un malaise profond susceptible d’envoyer le voyageur en prison, à l’hôpital, à l’asile ou… six pieds sous terre. Tant de prétendus sorciers et sorcières avaient péri brûlés sur des bûchers pour bien moins. Le risque n’était donc pas à prendre à la légère. À cela s’ajoutait le danger de perdre l’atlas ou de se le faire voler, ce qui signifiait que le retour dans le corps d’origine devenait impossible.

Ces mises en garde avaient séduit l’adolescent. Les sensations fortes dont il se nourrissait depuis quelque temps n’arrivaient jamais à le sortir de son marasme. Pourtant, il avait eu un doute, cherchant l’arnaque.

— Si j’utilise votre atlas, vous resterez coincée dans ce corps jusqu’à ce que je revienne. Ai-je bien compris ? avait alors demandé Jean-Seb, impressionné malgré lui par l’autorité de cette dame qui semblait vouloir lui confier un objet aussi invraisemblable.

— Je suis revenue à mon point de départ. Ce livre unique ne m’appartient pas, il n’a nul maître. Si tu es ici aujourd’hui, c’est que l’atlas en a décidé ainsi. Et j’oserais ajouter que si tu as assez de courage, tu seras le prochain aventurier de l’atlas.

Le sang fouetté par cette perspective, JS était reparti chez lui, l’atlas sous le bras. Enfermé dans sa chambre à côté de son ordinateur devenu « objet préhistorique », il avait feuilleté avec attention les cartes géographiques du livre. Son choix fait, il avait posé le doigt sur une carte de la mer des Caraïbes. Le soleil, la plage, l’océan et ses vagues… L’atlas l’avait aussitôt transporté vers sa première destination, le corps de Juan-Sebastián, apprenti pirate au temps des Conquistadors.

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Avec un sourire détendu, Jean-Seb se remémore quelques scènes de sa première vie d’aventurier. Ses rudes compagnons pirates, sa vie de mousse sur un trois-mâts en bois, les poursuites stupéfiantes sur des mers déchaînées, l’attaque des bateaux marchands riches de trésors qu’ils se partageaient ensuite. Une vie dure, toujours vécue à la limite de ce que ses nerfs pouvaient endurer. Et, pour terminer, le vent avait tourné et la chance lui avait échappé après qu’il eut trahi la confiance de son capitaine. Avouer le vol d’un bijou précieux lui aurait valu, au pire, quelques coups de fouet bien sentis, mais il avait préféré nier le tout et subir le supplice de la planche, le saut dans les eaux noires, à la merci des requins qui tournoyaient en permanence autour de la goélette. Peu importe, il n’y avait pas goûté lui-même, libérant juste à temps son esprit de ce corps d’emprunt. Juan-Sebastián avait dû avoir une fin plutôt pénible.