Mort suspecte
au Yukon
Que vous soyez au Yukon ou ailleurs,
l’adresse de notre site est toujours :
www.soulieresediteur.com

Mort suspecte
au Yukon
Que vous soyez au Yukon ou ailleurs,
l’adresse de notre site est toujours :
www.soulieresediteur.com

De la même auteure
chez le même éditeur
Rhapsodie bohémienne, roman 2005
Sur les traces du mystique, roman 2010 (réédition)
Chez d’autres éditeurs
(pour les adultes)
Les dames de Beauchêne, tome I, Montréal, VLB éditeur, 2002
Les dames de Beauchêne, tome II, Montréal, VLB éditeur, 2004
Les dames de Beauchêne, tome III, Montréal, VLB éditeur, 2005
1704, Montréal, VLB éditeur, 2006
Lili Klondike, tome I, Montréal, VLB éditeur, 2008
Lili Klondike, tome II, Montréal, VLB éditeur, 2009
Lili Klondike, tome III, Montréal, VLB éditeur, 2009
L’escapade sans retour de Sophie Parent, Montréal, VLB éditeur, 2011
Yukonnaise, VLB éditeur, 2012
Mylène-Gilbert-Dumas
Mort suspecte
au Yukon
La 2e aventure d’Ariane Blackburn
case postale 36563 — 598, rue Victoria
Saint-Lambert (Québec) J4P 3S8

Soulières éditeur remercie le Conseil des Arts du Canada et la SODEC de l’aide accordée à son programme de publication et reconnaît l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour ses activités d’édition. Soulières éditeur bénéficie également du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion Sodec — du gouvernement du Québec.
Dépôt légal : 2012
Bibliothèque nationale du Canada
Bibliothèque nationale du Québec
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Gilbert-Dumas, Mylène, 1967-
Mort suspecte au Yukon
(Collection Graffiti ; 75)
Pour les jeunes.
I. Titre. II. Collection : Collection Graffiti ; 75.
PS8563.I474M67 2012 jC843’.6 C2012-940595-7
PS9563.I474M67 2012
Illustration de la couverture :
Sampar
Conception graphique de la couverture :
Annie Pencrec’h
Conversion au format ePub : Studio C1C4
Copyright © Soulières éditeur, Mylène Gilbert-Fumas et Caroline Merola
ISBN 978-2-89607-158-6 (Version papier)
ISBN 978-2-89607-175-3 (Version EPUB)
ISBN 978-2-89607-193-7 (Version PDF)
Tous droits réservés
Pour mes amis yukonnais
Il faut toujours douter. Ne jamais croire que les choses sont telles qu’elles nous apparaissent. Depuis mon enquête sur le mystique1, j’ai fait du scepticisme un mode de vie. Je me souviens avec nostalgie d’une époque où la brume n’était qu’un phénomène atmosphérique, où un cadavre portait les traces de ses blessures mortelles et où le meurtrier était toujours le méchant.
Ces jours sont révolus. J’en ai eu la preuve l’hiver dernier, quand un concours de circonstances m’a menée sur la piste d’une mort suspecte. Une mort dont la cause était pourtant bien établie, mais qui cachait encore tellement de mystère qu’il m’a fallu des mois pour l’élucider.
Ariane BlackBurn
Cet hiver-là, j’ai découvert le deuxième cadavre de mon existence. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il m’arrive d’ailleurs encore de voir la scène, quand une mauvaise digestion provoque des cauchemars, quand mon esprit agité par quelques doutes passe en revue la suite des événements à la recherche d’un détail qui m’aurait échappé.
J’avançais dans une ruelle silencieuse, et la neige crissait sous mes bottes. Ce n’était pas le jour. Ce n’était pas la nuit non plus. Entre chien et loup, auraient dit les anciens. Plus près du loup que du chien, aurais-je précisé si on m’avait demandé mon avis.
Les rues étaient désertes depuis un bon moment déjà. Pour s’aventurer dehors à -35 °C au crépuscule, il fallait une bonne dose de courage ou de folie. Je possédais sans doute un peu des deux. Afin de vaincre le froid, je marchais d’un bon pas. Mon ordinateur pesait lourd dans mes mains, et mes doigts s’engourdissaient à mesure que la pénombre s’intensifiait. J’avais relevé mon capuchon et remonté mon foulard, si bien que seuls mes yeux étaient exposés à la violence du froid. Malgré l’obscurité, mon regard portait loin, jusqu’au bout de la ruelle. J’essayais d’évaluer combien de temps il me faudrait encore avant d’arriver à la maison lorsqu’un mouvement a attiré mon attention. À l’entrée d’une cour, un chien montait la garde, un de ces gros chiens comme ceux qu’on voit dans les films sur l’Alaska. La face blanche, le corps gris et noir, le poil assez épais pour affronter un hiver dans le Grand Nord. De loin, on aurait dit un loup. De près aussi d’ailleurs, comme je m’en suis rendu compte en m’approchant.
Il s’était avancé un peu en dehors de la cour. Cherchait-il simplement à attirer mon attention ou voulait-il m’effrayer ? À le voir droit, l’œil attentif et les crocs à peine dissimulés, je pressentais le danger qu’il pouvait y avoir à le dépasser. La ruelle n’était pas large à cet endroit. S’il décidait de m’attaquer, il n’aurait qu’à bondir et serait sur moi en moins de deux.
J’allais faire demi-tour quand son regard s’est rétréci. Il a poussé un gémissement, et j’aurais juré qu’il appelait à l’aide. Intriguée, j’ai jeté un œil derrière lui. Dans la cour de cette maison aux fenêtres placardées pour l’hiver gisait une forme allongée, blottie contre le mur. J’ai contourné le chien en lui parlant avec douceur :
— Beau toutou. Est-ce que c’est ton maître qui dort là-bas ?
Je savais bien que personne ne dort par terre à -35 °C. Le parka semblait raide, les jambes, plus raides encore.
Le chien n’a pas bougé. Il m’a laissée passer et je me suis agenouillée sans faire de bruit, comme si je craignais vraiment de réveiller le mort.
Le mort. Ce n’était pas la première fois que j’en trouvais un, mais je ne m’y habituais pas. La gorge nouée, j’ai allongé le bras et, du bout du doigt, j’ai tâté la jambe. Elle était plus dure que ce que j’avais imaginé.
J’ai inspiré profondément et, puisant mon courage dans l’air glacial qui s’engouffrait dans mes poumons, j’ai retourné le corps. Au moment où il retombait sur le dos, un croassement terrible a brisé le silence. J’ai levé la tête en cherchant d’où pouvait provenir un cri aussi puissant. Sur un poteau de téléphone, à quelques mètres de la maison, un énorme corbeau me regardait.
Il faisait tellement noir maintenant que, sans la pleine lune, j’aurais été incapable d’identifier le cadavre qui gisait devant moi. Or, il se trouvait que je connaissais cette personne. Je l’avais déjà vue deux fois. C’était une jeune fille de seize ou dix-sept ans, les cheveux blonds, le corps frêle, la peau aussi pâle que la neige.
Toujours grâce à la clarté de la lune, j’ai pu voir les déchirures de son parka. Tout le devant avait été lacéré comme si on avait essayé de l’éventrer. Dégoûtée, j’allais me relever lorsque j’ai remarqué sa main. À l’extérieur, entre le pouce et l’index, pendait une poignée de cheveux noirs.
Aujourd’hui, quand j’y pense, je me dis qu’il serait faux de prétendre que mon aventure a débuté le jour où j’ai trouvé le corps de Kitty. Je n’étais pas allée au Yukon par hasard. Et dès le départ, ce voyage m’avait semblé prédestiné.
Cette histoire avait commencé quelques semaines plus tôt, en décembre, à Québec. Deux mois à peine s’étaient écoulés depuis la disparition d’Erik Eriksson. Le temps des fêtes battait son plein, mais moi, je n’avais pas le cœur aux réjouissances. J’avais toujours de la difficulté à accepter ce qu’Érik m’avait raconté, ce que j’avais ressenti pour lui et ce qui m’était arrivé par la suite. Ma mère disait que je boudais. Je n’osais pas la contredire. La vérité l’aurait bouleversée.
La veille du jour de l’An, la parenté s’était rassemblée dans le sous-sol, chez mes parents. L’arbre de Noël se dressait dans son coin, et moi dans l’autre, insensible à l’esprit de la fête. Contrairement aux années précédentes, je n’avais pas apporté mon violon. Il faut être de bonne humeur pour apprécier la musique traditionnelle, ce qui n’était pas mon cas. Et puis il se trouvait toujours un oncle pour me demander de jouer une « toune » country, ce que je détestais royalement. En l’absence de musique live, mon père faisait jouer ses vieux disques, mes tantes dansaient, mes oncles s’affrontaient au poker, mes cousins et cousines se racontaient leur vie. De temps en temps, quelqu’un venait s’enquérir de mon état.
— Veux-tu une bière ?
— Veux-tu un sandwich ?
— Veux-tu de la tourtière ?
À chacun je répondais un « non merci » poli avant de me réfugier dans le silence. J’aurais préféré de beaucoup rester dans mon appartement, seule au-dessus de la buanderie déserte, à regarder le cimetière et à me souvenir d’Érik et de tous ceux qui étaient morts pour lui. Ma mère ne l’avait pas permis.
— Le jour de l’An, on fête ça en famille, avait-elle répété pour couper court à mon opposition.
Alors, j’étais seule, cette nuit-là, entourée de gens que je connaissais bien et qui, pourtant, me paraissaient étrangers. Je n’arrivais à prendre part ni aux conversations, ni aux blagues, ni aux jeux. Je n’avais pas envie d’être là, et ça se voyait. C’est sans doute pourquoi, à partir de 23 heures, tout le monde m’a laissée tranquille, ce qui m’a permis de m’éclipser avant les inévitables souhaits de Bonne année ! et autres échanges ou embrassades que je ne désirais pas plus que la grippe.
J’avais trouvé refuge dans mon ancienne chambre, à l’étage. Tout y était calme. Par la fenêtre, je voyais la neige tomber doucement sur Québec. Les toits pentus, les vieilles pierres et le château qui brillait dans la nuit m’ont fait penser au mystique et j’ai eu l’impression d’étouffer. Je me suis dit qu’il fallait peut-être que je parte, que je quitte ma ville natale pour essayer de trouver un équilibre. Pour oublier, peut-être aussi.
Comme je me faisais cette réflexion, on a frappé à ma porte. J’ai reconnu la voix de mon cousin Benjamin. Il ne m’apportait ni à boire ni à manger. Il venait simplement m’offrir une oreille attentive.
— J’ai déjà vécu ce que tu vis, m’a-t-il dit en s’assoyant au pied du lit. Une peine d’amour, ça ne s’oublie pas.
Il se trompait, mais comment aurais-je pu le corriger ? M’aurait-il comprise si je lui avais raconté la vérité ? Malgré la pénombre, son corps grand et mince se découpait sur le blanc de l’édredon. J’ai souri en apercevant la masse énorme de ses cheveux que je savais roux, longs et bouclés, et qu’il avait détachés pour provoquer son père. Benjamin le différent, Benjamin l’aventurier, peut-être me comprenait-il dans le fond…
— Si tu as envie d’aller voir ailleurs, tu peux venir avec moi au Yukon. Je m’occupe de la maison d’une amie pour l’hiver. Il y a deux chambres. Dawson est un village tranquille où tu ne connaîtrais personne. C’est l’idéal quand on veut repartir à zéro.
Comment expliquer qu’il soit monté me faire cette offre au moment où je pensais justement à m’en aller ? J’ai regardé la neige que le vent soufflait sur l’asphalte. Je savais qu’il faisait froid au Yukon. Plus froid qu’à Québec, disait-on. Pfff ! Dans mon esprit, plus froid qu’à Québec, ça n’existait pas.
— Je repars vendredi, a lancé Benjamin avant de refermer la porte derrière lui.
Était-ce le destin qui l’avait envoyé me chercher au fond de ma déprime et de mon chagrin ? Était-ce ma destinée d’aller à Dawson City cet hiver-là pour trouver un cadavre ? Si j’avais su… Si seulement j’avais su.
Il ne m’a fallu que deux jours pour acheter mon billet d’avion et faire mes bagages. Sarah, ma meilleure amie, m’avait promis de jeter un œil dans mon appartement une fois par semaine, histoire de surveiller les lieux.
Le plus difficile a été de me résoudre à annuler ma session à l’université. J’hésitais à arrêter mes études, même pour quelques mois. Je m’y suis résignée en me disant que j’aurais enfin du temps pour réfléchir, pour décider de ce que je voulais faire de ma vie, maintenant que je commençais à entrevoir le monde et ses mystères.
C’est ainsi que j’ai pris l’avion avec Benjamin la première semaine de janvier. Après une escale à Vancouver, nous avons atterri à Whitehorse, la capitale du Yukon. Et, dès le lendemain matin, nous partions pour Dawson City à bord d’un Hawker Siddley 748, un avion de trente-deux places. Avec ses moulures de bois et ses vieux sièges, on aurait dit l’appareil qui avait servi à tourner les films d’Indiana Jones.
Les passagers formaient un ensemble hétéroclite qui m’intriguait. J’ai tout d’abord remarqué les Amérindiens parce que, contrairement aux Hurons de Québec, ils me semblaient peu métissés. Chez eux, pas de cheveux châtains ni d’yeux bleus. Que du noir.
Il y avait aussi des hommes d’apparence rude que j’imaginais en mineurs creusant sous la terre − durant le vol de Montréal à Vancouver, Benjamin m’avait raconté l’histoire de la ruée vers l’or, et j’avais compris qu’il se faisait encore de la prospection à Dawson. À bord se trouvait aussi une adolescente qui voyageait seule. Blonde et menue, elle avait l’air habitué à prendre l’avion. Elle interpellait l’agente de bord par son prénom et parlait avec les autres passagers comme si c’étaient de vieux amis.
— La connais-tu ? ai-je demandé à Benjamin en désignant la jeune fille.
Benjamin a suivi mon regard avant de lever les yeux au ciel en signe d’exaspération.
— C’est Kitty Warren.
Puis, réalisant que ce nom ne me disait rien, il a précisé :
— Elle travaille à l’épicerie. Tout le monde la connaît.
Il s’est tu, et nous sommes retournés, lui à sa revue, moi au seul livre sur le Yukon que j’avais réussi à dénicher avant de partir. Construire un feu, de Jack London. Dans la préface, on précisait que l’auteur lui-même était parti chercher de l’or à Dawson quand il avait 21 ans. La coïncidence m’a fait sourire. J’avais 21 ans, moi aussi, et je me trouvais une certaine ressemblance avec le personnage, un jeune homme téméraire et un peu baveux qu’une vague de froid extrême surprend en pleine forêt tandis qu’il marche seul avec son chien. Moi non plus, je n’aimais pas qu’on me dise quoi faire. Et moi aussi, j’avais développé l’art de me mettre dans le pétrin. L’histoire se déroulait dans un paysage identique à celui qui se déployait derrière le hublot. Des collines, de la neige, de la roche, des épinettes et des crevasses qui formaient un réseau de ruisseaux et de lacs gelés. Somme toute, un territoire hostile où il ne devait pas être jojo de se retrouver seul en hiver, avec ou sans chien.
L’horizon disparut au bout de deux heures environ, quand l’avion s’est enfoncé dans le brouillard. J’ai senti l’appareil descendre.
— On arrive à Dawson, a murmuré Benjamin. Prépare-toi à atterrir au Far West.
J’ai regardé dehors. On ne voyait pas à dix mètres. Comment le pilote trouvait-il son chemin dans cette purée de pois ? Comme je me posais cette question, l’avion a repris de l’altitude. Parmi les passagers, la tension a monté d’un cran. Partout, on murmurait, on s’inquiétait. L’agente de bord a détaché sa ceinture et s’est rendue dans le poste de pilotage. Lorsqu’elle en est ressortie, je l’ai vu se pincer les lèvres et afficher un sourire faussement rassurant. J’imaginais le pire. Les autres aussi, sans doute, car personne n’osait parler. Seule Kitty Warren a eu le courage de l’interroger.
— Qu’est-ce qui se passe, Liz ? Pourquoi est-ce qu’on n’atterrit pas ?
Avant de répondre, l’agente de bord a repris sa place et bouclé sa ceinture.
— Il ne se passe rien. Les nuages sont un peu bas, c’est tout. Le pilote va se réessayer dans un instant.
J’ai regardé dehors. Tout en bas, on devinait à peine, derrière la brume inquiétante, les édifices d’une ville fantôme.
Je n’ai jamais compris comment le pilote a réussi à atterrir ce jour-là. S’il y a eu une éclaircie, je ne l’ai jamais vue. Quand nous avons touché le sol, je ne distinguais même pas les montagnes du ciel à l’horizon. C’est tout juste si on apercevait la ligne plus sombre de l’asphalte sous les ailes.
Nous avons quitté nos sièges en emportant toutes nos affaires et sommes descendus sur le tarmac. Il y avait à peine vingt centimètres de neige au sol. Décidément, on était loin des tempêtes de Québec.
Dans la minuscule aérogare, une foule bigarrée nous attendait. Des gens heureux de revoir des parents, des amis ou un amoureux depuis longtemps parti. Benjamin s’est dirigé vers un homme de notre âge, vêtu d’un parka rouge et coiffé d’un bonnet péruvien. Sous son manteau, il portait le même genre de vêtements que mon cousin, des trucs achetés dans une friperie ou dans un surplus de l’armée.
— Ben ! s’est-il écrié en lui serrant la main. Il était temps que tu arrives. J’ai deux chiennes qui sont grosses. Imagine ! En plein au début de saison ! Il ne manquait plus que ça !
Comme je ne comprenais rien à ces propos, je suis demeurée en retrait à regarder l’accueil qu’on réservait aux autres passagers. Des éclats de rire, des accolades, des poignées de main. Partout, on parlait fort, sauf dans un coin où Kitty Warren embrassait à pleine bouche un homme barbu vêtu comme un bûcheron. Leur fougue m’a fait sourire.
Benjamin a discuté une minute avec son ami avant de se tourner vers moi.
— Ariane, je te présente Sébastien, mon patron. Sébas, voici ma cousine, Ariane Blackburn. Elle va passer un bout de temps avec nous autres.
— Je n’ai pas les moyens de prendre un autre employé, a grommelé ledit Sébastien en guise de formule d’accueil.
Benjamin l’a rassuré aussitôt :
— Elle ne s’en vient pas travailler, elle est en vacances. Elle va habiter avec moi chez Catherine.
— Dans ce cas, a soufflé Sébastien, visiblement soulagé, bienvenue à Dawson, Ariane.
Puis, se tournant vers Benjamin, il a ajouté :
— Bon, on n’a pas toute la journée.
Benjamin a acquiescé. Il ramassé son sac à dos, et moi, ma valise, et nous avons franchi la porte. À l’extérieur s’alignait une douzaine de camionnettes et d’automobiles dont les moteurs tournaient même s’il n’y avait personne à bord.
« Pis l’environnement ? » ai-je eu envie de m’écrier devant une telle négligence.
Ces véhicules produisaient autant de bruit qu’un gros camion, et l’odeur d’essence prenait à la gorge. Comme s’il avait deviné ce qui me troublait, Benjamin m’a glissé à l’oreille :
— C’est difficile de faire démarrer une auto quand il fait très froid.
— Il fait juste -5 °C, ai-je répondu aussi discrètement.
— Je sais, mais c’est une question d’habitude. Et puis comme les gens d’ici n’ont pas peur de se faire voler leur auto, ils laissent les clés dans le contact. Disons qu’il y a un peu de laisser-aller.
— Qu’est-ce que tu fais dans la vie, Sébastien ?
J’avais posé cette question pour changer de sujet, mais aussi pour être polie envers celui qui s’était déplacé pour venir nous chercher et que nos chuchotements laissaient à l’écart. Je savais que Benjamin s’occupait de ses chiens. Sébastien m’a répondu en ouvrant la portière d’un immense pick-up.
— Je suis musher.
— Musher ? C’est un métier, ça ?
J’avais l’air ignorante et probablement un peu effrontée, je m’en rendais compte, mais je ne comprenais vraiment pas comment des chiens pouvaient rapporter suffisamment d’argent pour faire vivre quelqu’un.
— Mon métier, c’est de gagner des courses, a expliqué Sébastien.
Parce qu’il savait que je ne connaissais rien dans ce domaine, Benjamin a ajouté :
— Sébastien se prépare en ce moment pour la Yukon Quest au mois de février.
Et tandis que nous nous engagions sur la route, il a poursuivi :
— La Yukon Quest, c’est la course de traîneaux à chiens la plus difficile au monde. Mille milles de long. Les années impaires, elle part de Whitehorse. Les années paires, comme cette année, elle part de Fairbanks, en Alaska.
J’assimilais l’information, perplexe. Mille milles, ça faisait 1 600 kilomètres. J’imaginais le gars sur son traîneau, au beau milieu de la toundra. Ça m’a fait penser au roman de Jack London que j’avais terminé dans l’avion. Le personnage avait les doigts tellement engourdis qu’il n’arrivait pas à faire un feu pour se réchauffer. J’ai osé une question.
— Il n’est jamais arrivé que quelqu’un meure gelé ?
Ils ont ri, mais Sébastien a lancé, pour me rassurer :
— Il n’y a personne qui est mort gelé au Yukon depuis longtemps !
Puis, comme s’il n’y avait rien d’autre à dire sur le sujet, il a allumé la radio. J’ai grimacé en reconnaissant les notes d’une vieille chanson country.
« Bienvenue dans le Far West ! » me suis-je dit, les yeux rivés sur le village qui venait d’apparaître à notre droite.