À chacun
son chemin
Les pas de sa vie
Du même auteur
Accueillir les besoins psychiques de l’adulte vieillissant
(Éditions du CRAM, 2009)
Vivre sa retraite avec sérénité – Un temps pour la rencontre de soi
(Éditions du CRAM, 2010)
Et si on enseignait l’espoir?
(Éditions du CRAM, 2010)
La peur de vieillir – Un pas vers l’euthanasie?
(Éditions du CRAM, 2011)
Cueillir mes petits bonheurs au quotidien
(Éditions du CRAM, 2013)
Soigner, c’est aimer l’autre et l’accompagner
(Éditions du CRAM, 2014)
L’ego au cours des âges de la vie
(Éditions du CRAM, 2016)
À chacun
son chemin
Les pas de sa vie
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Dépôt légal — 2e trimestre 2017
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Robichaud, Valois
À chacun son chemin: les pas de sa vie
Comprend des références bibliographiques.
ISBN 978-2-89721-128-8 (couverture souple)
1. Moi (Psychologie).2. Connaissance de soi.3. Vie. I. Titre.
BF697.R622 2017 |
155.2 |
C2017-940431-8 |
Table des matières
À chacun son chemin
Introduction
Les gens heureux n’ont pas d’histoire, un mythe!
Ma famille sur un chemin d’exil
Un regard de lumière
Savourer le silence
Choisir, c’est vivre
Accueillir ce qui est: marcher sur un chemin de transformation
Elle s’est rendue sur sa tombe
Et si on enseignait l’espoir?
Pourquoi pas le pardon?
Il attendait qu’on lui téléphone…
Il portait un lourd fardeau
Elle a subi l’inceste
La confidence d’une lectrice
«Jusqu’à la mort, accompagner la vie»
La Flambée
La maladie d’Alzheimer dans la famille
La solitude, un état, un chemin, une coupure d’humanité
La prière
La personne vivant seule
La naissance
La mort
Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle
Le chemin de l’accompagnement à 5 ans
Par le chemin de la foi j’apprends la confiance en l’humain
Le bénévolat, une semence d’amour pour l’humanité
L’autre c’est moi – Je suis l’autre
L’Université du troisième âge
L’homme au «moulin à coudre»
Comment réagir face aux symptômes de la démence?
L’enfant blessé par la pédophilie
Le suicide
L’empathie universelle – Nous sommes des personnes soignantes!
Le rêve
Par un beau dimanche d’octobre
Non, je ne suis pas un légume!
Ton papa
Ton long chemin vers la liberté intérieure
Me centrer sur l’essentiel dans ma vie!
J’ai manqué d’eau
Reprendre la route de la vie, de la mission
Mon travail, mon bonheur!
L’intimidation, reflet d’un ego blessé
«Les os me font mal!»
L’ego, ce territoire inconscient!
La réminiscence, se ressouvenir de sa vie!
La pauvreté chez les tout-petits!
Lorsque le cœur parle plus fort que la raison
Le second regard
Le baptisé, le croyant, un état, un chemin, un choix, une invitation!
Le chemin de la guérison
La toxicomanie et l’alcoolisme
La longue convalescence
Lorsqu’un être cher nous quitte!
Les saisons de ta vie
Conclusion
Épilogue
Bibliographie
Remerciements
J’exprime ma reconnaissance à Jacques Fortier de La Guadeloupe, Québec, pour le travail de relecture et de révision et à Olivier Sylvain Tine, analyste en sécurité de l’information dans le réseau de la santé de Montréal.
Avant-propos
Les lecteurs et lectrices se rendront vite compte que je leur partage mon chemin de vie. C’est avec pudeur et respect que je dépose ainsi mes pas sur les chemins parcourus, espérant que vous aussi vous fassiez de même. Que chacun entre dans sa lumière!
Introduction
Il est une heure du matin, j’ouvre la porte pour contempler la voie lactée et ses milliers d’étoiles, chacune a sa place dans la trajectoire de l’univers. Tout est silencieux. Je devrais déjà être au lit, mais un mouvement intérieur m’invite à poursuivre mon manuscrit.
Chacun de nous est à sa place dans le plan universel, me dis-je. À chacun son chemin, sa trajectoire chaotique ou harmonieuse et pourtant, comme dans une fourmilière, nous sommes tous en marche sans entrer en collision. Guidés par notre cerveau1, nous retrouvons notre place, nous déambulons, mus par une intelligence intérieure qui nous conduit là où nous devons être, souvent sans en connaître consciemment le pourquoi.
À ma table de travail, j’imagine ces milliards d’êtres humains, différents par l’âge, la culture et la personnalité, qui se déplaceront aujourd’hui sur la planète sous des cieux et des climats aux multiples nuances. Nos petits pas seront des grains de sable dans l’engrenage de nos propres vies, jusqu’au jour où le dernier grain tombera au terme de notre existence terrestre.
Les astres rencontrent des météores et des astéroïdes, et ces chocs bouleversent leur environnement et leurs trajectoires; ainsi en est-il dans nos vies, lorsque des événements dramatiques et imprévisibles viennent briser le rythme, l’harmonie de notre petit univers personnel et nous ouvrir à de nouvelles trajectoires, de nouveaux chemins, changeant le cycle normal et habituel de notre évolution. Les épreuves, les peines et les déceptions deviennent des tremplins vers de nouvelles mutations psycho-affectives, sociales et professionnelles.
À mon clavier, je pense à vous, mes lecteurs et lectrices, où que vous soyez dans ce vaste monde, je pense aux enfants, à ceux qui meurent et ceux qui naissent; je suis profondément touché par la souffrance du peuple haïtien en ce moment. Comment demeurer insensible au moment du repas, alors que des frères et sœurs n’ont pas eu de nourriture depuis une semaine déjà?
Certains chemins de vie nous questionnent plus que d’autres car la raison n’arrive pas à saisir le sens des événements tragiques que vivent certains peuples, et tout près de nous, des êtres aimés. L’arbre fruitier devant ma maison, planté par ma tante Edna il y a bien longtemps, me relie à elle; ainsi je nous vois tous reliés sur ce chemin d’humanité.
Nous entrons dans la vie à chaque matin, avec notre réalité humaine faite de passion et d’élan pour la vie, où au contraire faite d’ennui, souhaitant prolonger notre sommeil, aimant notre inertie, ne sachant pas comment se passera notre journée. Nous marcherons en automates, où à l’inverse, nous saurons où marcher, quels gestes poser, quelles paroles dire pour faire advenir un monde meilleur et plus humain, tout en essayant d’abord de conserver notre équilibre personnel.
Fixé à ton fauteuil roulant, couché sur ton lit d’hôpital, dormant dans la rue ou enfermé dans une cellule de prison, tu espères un premier regard humain offert comme un soleil dans les ténèbres de ton âme qui peine à vivre et à respirer cette liberté d’être vivant. Tu te fermes à toutes rencontres humaines afin de te protéger, ou, inversement, tu ouvres les yeux de ton cœur, espérant recevoir l’amour.
Le destin aura choisi autrement le parcours de Pierre: séquestré, emprisonné, il subit les camps de torture; aux yeux de ses tortionnaires, il n’est plus un humain. Cœur et corps brisés, il ne peut que se réfugier au plus profond de lui-même, comme un retour à la mère-terre, pour y retrouver une étincelle d’amour et de réconfort.
À chacun son chemin fait l’éloge de ceux et celles qui ont cette capacité d’influencer positivement le cœur des personnes dont le chemin de vie appelle la lumière, la reconnaissance, la guérison; ce livre est aussi une invitation à rendre plus humain le quotidien des gens rencontrés, à être des soleils intérieurs pour réchauffer notre monde parfois si froid où tant de personnes attendent un sourire, une poignée de mains, un aujourd’hui de lumière et d’espérance.
Les lecteurs devineront que les chemins empruntés sont des cercles évolutifs tracés au firmament de nos vies. Seule la rencontre avec l’autre fait de l’être humain un être pour la vie!
J’offre à mes lecteurs un kaléidoscope de trajectoires leur proposant d’aller à la rencontre de leurs frères et sœurs en humanité. Peut-être rencontreront-ils quelqu’un qui leur ressemble, brisant ainsi la solitude qui isole cette personne sur son chemin. Rappelons ici que nous sommes tous sur un chemin de Compostelle, que des marcheurs nous précèdent et d’autres nous suivent, attendant de nous un «Buen Camino»!
J’ai voulu, comme humaniste engagé, réfléchir à la condition humaine en observant les chemins choisis, imposés ou subits par le coup du destin ou de la fatalité. Je crois pouvoir dire que la relation d’aide peut restaurer la dignité de l’autre et le mettre sur le chemin d’une transformation intérieure.
Par l’empathie, la considération positive inconditionnelle et la congruence, le sujet humain peut se découvrir et marcher sur un chemin nouveau, fait d’harmonie et de liberté intérieure.
1Un prix Nobel de science vient d’être accordé à des chercheurs qui ont identifié les cellules GPS de notre cerveau nous permettant de nous situer dans l’espace et le mouvement.
Les gens heureux n’ont pas d’histoire, un mythe!
Nous avons souvent entendu cette boutade, les gens heureux n’ont pas d’histoire, dans le sens qu’ils vivent leur vie sans trop de bruits, sans éclats, dans la simplicité du quotidien.
Tout être humain où qu’il soit sur la planète est une histoire en soi. La naissance, l’entrée dans la vie, l’éducation, la mère et le père, les grands-parents, les lieux géographiques habités, les décisions et les obstacles, les déménagements et les migrations, cet ensemble d’éléments façonne la personne, lui donne une identité, un peu comme son ADN culturel qui la rend unique en soi.
Les gens ont donc une histoire propre faite de hauts et de bas, comme tout le monde. Les déterminismes culturels et économiques ont joué en leur faveur, les conditions ont été favorables pour eux, comme un vent léger qui a poussé leur barque loin du port d’attache vers l’océan de la vie.
S’ils ont connu la chance, comme on dit, ils ont aussi maintenu leur barque face aux vents contraires des épreuves, de la maladie, des imprévus; il est plus que probable que leur fondation, s’il s’agissait d’un couple, était tellement solide que rien n’a pu ébranler leur projet de vie à deux au sein de leur famille. Et s’ils étaient célibataires, ils ont embrassé très tôt passions, métiers et arts qui sont devenus leur vie.
Qu’ajouter de plus aux nombreux témoignages de religieux et de religieuses qui ont consacré leur vie aux autres en vivant les valeurs évangéliques? Que dire de ces hommes et de ces femmes dans toutes les religions du monde qui ont comme valeurs l’amour du prochain, la paix et le vivre ensemble? Ne sont-ils pas le reflet d’une personnalité heureuse, vivante, combattante? Je pense à l’Abbé Pierre, à Mère Térésa. Nous avons aussi nos hommes et nos femmes chez-nous en Acadie et ailleurs qui, par le travail souvent loin de la famille et dans le labeur et le silence de leur maison, ont porté la vie, l’ont transmise, comme de véritables héros et héroïnes.
Ma mère me racontait sa joie d’aller ramasser les fruits sauvages dans les prés l’automne; pour ma part, je me souviens de ces temps où nous ramassions le bois pour le corder dans le garage en vue des grandes froidures de l’hiver. Cette trame de ma vie sent le bonheur.
Peux-ton considérer l’histoire heureuse de quelqu’un sans l’apport familial? Au sein de la famille, la mère façonne souvent l’esprit du lien, de l’appartenance affective chez ses enfants. Pendant mes voyages, j’observe les générations et les cultures, spécialement celle des Costaricains que je fréquente depuis quelques années.
Je suis toujours très touché par les liens tissés par les mamans avec les jeunes enfants. Elles offrent généreusement les caresses, la tendresse, exprimant leur amour sans retenue. Les enfants ont une ouverture sur la vie, la nature et les êtres vivants. Les jeunes démontrent un très bel équilibre dans les relations et ont une identité affranchie des asservissements. Les papas sont présents. Que de fois j’ai aperçu les papas jouer avec les enfants et les jeunes adolescents. Je n’ai jamais observé chez ce peuple les dérives de l’alcool ou des drogues sur une grande échelle.
Nous sommes d’accord pour dire que les gens heureux ont connu un lien d’attachement très tôt dans leur vie, par la présence amoureuse d’une mère et d’un père. C’est le début de la fondation qui accompagnera les gens heureux tout le long de leur vie; ils sont forts, car ils ont confiance en eux et aux autres, et surtout en leurs capacités de créer leur vie et de rebondir devant les obstacles. Leur cerveau travaille en harmonie, car il porte peut-être le gène du bonheur!
Les gens heureux vivent leur vie dans un élan créateur, partageant leurs talents au profit de la famille et de la communauté. Ce sont généralement des bâtisseurs, des bénévoles qui épousent des causes sociales et humanitaires.
Le bonheur pour eux est un travail continu poussant et repoussant les limites, ayant une force et une foi inébranlables en leurs ressources et en la vie. Ce sont des personnes qui prennent le flambeau laissé par les autres; ce sont des marathoniens et leur chemin s’inscrit dans la continuité de leur personnalité et de leur humanité en évolution.
Les gens heureux sont des bâtisseurs de cathédrales dans le sens figuré du terme. Leur personnalité est don et accueil. Ayant connu l’amour très jeunes, les expériences manquées ou mêmes douloureuses n’ont pas ébranlé leur confiance et n’ont pas altéré la belle image qu’ils ont d’eux-mêmes. Ils ne construisent pas leur bonheur aux dépens de leurs semblables en profitant de leur faiblesse et de leur vulnérabilité.
Il y a eu quelques vols au cours du verglas qu’a connu ma région, ce qui m’a profondément déçu. Des gens heureux n’agissent pas ainsi. Ces comportements répréhensibles proviennent d’un ego désordonné chez des personnes qui ont vécu un manque, une blessure, qui ont souffert d’être comparées aux autres et ont développé des sentiments de victimisation et de fausse pauvreté qui les autoriseraient, selon eux, à prendre le bien d’autrui.
Les gens heureux cultivent leur jardin, ils y mettent efforts et discipline et le résultat est la joie de vivre qui les caractérise. Ils communiquent leur motivation aux autres et ils sont des rassembleurs.
Mes observations m’amènent à dire que les gens heureux sont décentrés de leur personne, ils ont développé une philanthropie, un amour pour l’humanité et leur ego constructeur est fait de succès, de réalisations et leur sert de tremplin pour gravir, palier par palier, la montagne de la vie.
Je pense à toutes les personnes qui de près ou de loin m’ont laissé un témoignage d’engagement. Elles étaient appliquées à leur tâche et certaines me disaient, je ne travaille pas, je m’amuse. Le monde extérieur et leurs tâches ne faisaient qu’un, tant leur cœur était ouvert à la dimension de l’autre.
Une religieuse me partageait qu’elle avait passé plus de cinquante ans penchée sur ses marmites, à cuisiner pour les pèlerins. Arrivée en Acadie, elle avait offert un cours de cuisine à l’Université; cette femme rayonnait de bonheur car elle vivait l’instant présent, et c’est avec l’amour au bout des doigts qu’elle concoctait des plats si savoureux.
Mon beau-père Vincent, au cours de ses années de retraite, sculptait les outardes et les bernaches canadiennes. Il passait des heures à pousser son ciseau dans les entrailles de la bûche pour en extraire un oiseau vivant, lui insufflant un instinct de survie, un mouvement du cou, des pattes et des ailes. Au fil des années, il s’était offert un espace de création qui le comblait et qui transfigurait son regard et son sourire.
L’histoire des gens heureux est aussi faite de souffrances morales et physiques; c’est la condition humaine qui donne rendez-vous aux affections chroniques au cours des âges avancés de la vie. Personne n’y échappe. Dans une démarche de foi, un ami très souffrant se rendait à l’église pour prier avec l’aide d’un membre de sa famille. La flamme de son espérance est toujours visible, témoignage d’un vivant qui porte avec dignité sa condition sans trop se plaindre.
Les gens heureux ont gardé leur lampe allumée, leur regard est lumineux car il tire son origine de la profondeur de leur être, ce lieu de soi où l’ego n’a pas d’emprise; le bien-être des autres est devenu l’une de leurs préoccupations, leur agir étant orienté vers le bien commun.
Les chapitres qui vont suivre nous feront entrer dans des chemins inconnus ou peu fréquentés peut-être! Saurons-nous élargir notre être à la dimension de ces frères et sœurs en humanité pour accepter que leurs histoires côtoient la nôtre et que nous soyons tous reliés dans l’arbre de l’humanité?
Il n’y a pas de honte à chercher le bonheur malgré les coups du destin ou lorsque notre inconscience et nos blessures nous ont amenés à faire des choix obscurs sur des chemins fréquentés par la douleur, le désespoir et la mort.
Toute transformation chez l’être humain commence par une vraie rencontre!
Ma famille sur un chemin d’exil
En 2016, j’ai visité un cousin germain vivant tout près de Boston, et grâce à lui, j’ai découvert le chemin de vie de mon grand-père paternel Théophile Robichaud que je n’ai pas connu; il est décédé d’une pneumonie à l’âge de trente-trois ans, à la Baie de Petit Pokemouche, mon patelin; il laissait ma grand-mère Anna et six enfants en bas âge.
À cette époque, les hommes prenaient les décisions et ma grand-mère veuve n’a pas eu son mot à dire dans la suite des événements. Le curé du village lui a trouvé un nouveau mari avec trois enfants; les filles ainées de Théophile partirent chez une tante aux États-Unis pour, un jour, y trouver travail, mari et pays. Les plus jeunes, des garçons, dont mon père Georges, sont allés chez une tante à Shippagan. Orphelins de père, privés de la présence de leur mère, je réalise aujourd’hui que mon père et ses frères et sœurs ont subi un exil du nid familial qui n’a pas été sans laisser de traces profondes dans leurs chemins de vie et ceux de leurs enfants, dont je suis!
J’ai pris conscience soudainement en visitant un autre cousin, Roger, le fils de Léonie, sœur de papa, que ma famille paternelle avait été disséminée et je ressentais dans toutes les fibres de mon être la coupure, la déchirure et la brisure généalogique.
J’écoute mon cousin Roger me raconter son histoire de vie, et comment une tante l’a accueilli dans sa famille alors qu’il était bébé, et lui a fait connaître l’amour et la sécurité d’un foyer; ses autres frères et sœurs suivront leur père qui cherchera du travail entre Rouyn-Noranda et le Connecticut. Mes cousins et cousines nés aux États-Unis réussiront, pour la plupart, à entrer dans la vie mais non sans douleurs, l’absence de leur mère et les nombreux déplacements les ayant marqués, les uns plus que les autres. Quant à Roger, l’amour et la sécurité de sa tante à son endroit lui ont permis de trouver son chemin de vie avec moins de douleurs que ses frères et sœurs. En regardant les enfants de Roger et ses petits-enfants, je constate que la vie est forte et que chaque membre de sa famille a vécu une forme de résilience, cette capacité à rebondir quand des événements et des épreuves veulent nous tenir les épaules au plancher; chacun avait essayé de se réaliser et de trouver le meilleur chemin de vie pour soi-même.
À travers les regards échangés entre Roger et moi, c’est son âme qui venait à la rencontre de la mienne, et une communication s’établissait au-delà de nos propres parcours historiques pour nous dire que nous étions de la même grande famille, et que notre grand-mère Anna avait été pour nos cousins et cousines exilés aux États-Unis, dans les états du Connecticut et du Massachusetts, la gardienne des liens et de l’amour qui perduraient encore aujourd’hui.
Mémère Anna a rendu visite à ses enfants et petits-enfants entre 1946 et 1966 et les a en quelque sorte comblés de sa présence et de son amour de façon ponctuelle. Mémère a su mieux que n’importe qui donner son amour, son temps à ses enfants issus de deux mariages, grand-papa Théophile Robichaud et Gervais Hébert, son second mari.
Adolescent, j’observais mémère partir à pied avec sa petite valise, marchant environ un kilomètre avant de prendre le bus qui la conduirait à la gare ferroviaire de Bathurst. De là, elle se rendrait par train et bus jusqu’au Connecticut. J’étais fier de cette grand-maman; elle m’offrait le modèle d’un vieillissement autonome et en santé. Elle était pour moi le seul lien qui me reliait à la grande famille des Robichaud.
Jeune adulte, je ressentais une forme d’éloignement, un état d’exil à l’intérieur de moi; très jeune, je me sentais amputé, je cherchais mes racines, les parties manquantes de mon arbre généalogique; j’étais un enfant qui avait été arraché de sa terre et transplanté ailleurs. Il me manquait la sève nourricière que sont les regards, les marques d’affection et de reconnaissance de mon grand-père Robichaud et, par ricochet, de mon père. Nous étions comme retranchés, transplantés, sans racines; après le décès de son Théophile, notre grand-mère remariée n’avait pu, seule, garantir la continuité du lien perdu.
Papa et son jeune frère Armand avaient été confiés à la famille de Raymond Robichaud, beau-frère du patriarche Théophile. Imaginez la coupure, le déracinement vécu par ces jeunes enfants. Une tante me dira que papa en était arrivé à ne plus reconnaître sa propre mère. Quel chemin de vie pour mon propre père: orphelin de son papa en bas âge, il vit loin de sa mère. Une fois marié avec maman, je réalise qu’elle seule a pu comprendre l’homme avec qui elle a fait sa vie. Il a été le meilleur papa du monde avec ce qu’il était sur son chemin de vie, mais il était toutefois coupé de son affectivité.
Quand je relis mon chemin de vie durant la période de mes études, je constate que j’ai recherché inconsciemment des maîtres à penser, des modèles à suivre car je suis un orphelin historico-culturel et cela, depuis la grande histoire de la déportation des Acadiens qui se prolonge au cœur même de ma famille, qui s’est exilée ici et là pour survivre. Il m’est difficile de sentir mes racines, et qui sait, j’ai probablement acheté la maison de tante Edna Hébert à la Baie de Petit Pokemouche, parce qu’elle est construite sur le terrain de mon arrière-grand-père Léon Robichaud. C’est ici que j’écris, que je travaille mon potager en élevant quelques poules durant l’été. Je redonne à la terre ses droits, et en un sens, en travaillant la terre, je rejoins mes grands-parents, je m’en nourris, et je leur parle.
Les racines sont essentielles pour que l’arbre se nourrisse, croisse et donne des fruits en son temps. Ainsi en est-il pour l’être humain. Savoir d’où l’on vient permet de marcher sur un chemin d’avenir avec une certaine sécurité, avec assurance et espérance.
Inconsciemment, je me suis tourné vers le Père éternel, et j’ai ainsi trouvé l’assurance, le réconfort, l’amour absolu dont je cherchais des expressions et des manifestations dans une famille qui avait été amputée de presque toutes ses racines. Voilà pourquoi, très jeune, Dieu deviendra pour moi une personne accessible, vivante et aimante.
Un regard de lumière
Il s’assied en face de moi, au sein d’un groupe de sept participants lors d’une fin de semaine d’animation. Son regard a quelque chose de pénétrant, de tendre, de doux, comme une lumière qui émane de lui et se fraie un chemin vers mon intérieur. Sans rien dire, dans les minutes où les retraitants s’installent, je suis là, assis, accueillant et apprivoisant le regard des uns et des autres, temps nécessaire pour nous déposer avant de partager notre vécu en lien avec le thème de la retraite.
Or le regard de Bruno m’interpelle et me parle sans un mot. Avec discrétion, respect même, il regarde les autres membres du groupe, pour ensuite revenir vers moi. Et je l’accueille dans mon jardin intérieur, comme si une flamme venait éclairer mes ombres et dissiper mes résistances.
J’apprends ensuite que Bruno a beaucoup d’amour à donner sur son chemin de vie, et il le fait par son sourire et son regard. Travailleur social, il est victime à l’âge de vingt-neuf ans d’un grave accident d’automobile qui le laisse deux mois et demi dans le coma. Il nous partage ceci: «Jésus se met à me parler. Lui et moi, nous sommes constamment en dialogue». Cette rencontre, cette intimité avec Jésus se continue, nous dit-il, après ma sortie du coma.
Dans le métro, en bus, Bruno offre son regard, les gens le lui retournent bien. Lorsque les personnes sont plutôt fermées, comme un enfant intérieur, il dit à Jésus: «Et bien aujourd’hui, avec lui ça ne va pas, et ce n’est pas grave. On continue».
La foi de Bruno en ses capacités, malgré ses limites physiques, ne l’empêche aucunement de réaliser ce qu’il porte en lui, fidèle à son cœur. En échangeant longuement avec lui, il m’était plus facile d’être moi-même, d’accueillir mes vulnérabilités, mes lacunes et faiblesses, car sa présence si riche d’amour me permettait de vivre mes pauvretés sans être jugé. Mon ego était au repos.
Il nous arrive d’être en présence de personnes avec lesquelles nous ne pouvons expérimenter la confiance; nous demeurons alors à la surface de nous-mêmes.
Quel travailleur social me dis-je! Il continue son travail sur un nouveau chemin. La capacité d’écoute de Bruno est étonnante. Au sein de notre groupe il peut rire et pleurer au fil de son partage. Sa facilité à vivre ses émotions nous ouvre une porte pour rencontrer avec plus de facilité nos propres chemins d’humanité. Comme il vit un cœur à cœur en lui-même, c’est plus facile pour les participants d’aller vers eux-mêmes.
L’épreuve vécue par Bruno a dilaté les fibres de son être. La lumière de l’amour qu’il porte se donne à ceux et celles qu’il rencontre.
Merci Bruno. Tu as été l’ange dont le groupe avait besoin pendant cette fin de semaine de ressourcement.
Nous avons reçu beaucoup de regards dans nos vies. Tous les messages que livrent les yeux ont préparé la scène sur laquelle le tout jeune bébé construit son affectivité, sa sécurité et ses attachements.
Si le jeune enfant ne reçoit pas des regards d’approbation, d’amour et d’encouragement, il se met tout de suite en mode défensif, et il marchera sur son chemin de vie en portant en lui le doute, la non confiance, la gêne et la honte. Le regard accompagné de gestes d’amour est la véritable nourriture psychique qui crée l’empreinte dont le jeune cerveau de l’enfant a besoin pour grandir.
Lorsque ma sœur Madeleine, handicapée, m’offrait longuement son regard, sans rien dire, des rayons d’amour irradiaient mon âme; des profondeurs de son être, du meilleur d’elle-même, elle m’aimait sans limites. Cet amour m’a sauvé car au début de mon adolescence, j’avais l’étoffe d’un jeune rebelle! Rétrospectivement, je peux dire aujourd’hui que j’ai vécu l’amour inconditionnel de Dieu pour moi, grâce à l’amour de mes parents, celui de ma sœur, et plus tard, de ma conjointe et de mes enfants. Je suis un être profondément aimé par la Vie et par les personnes qui ont été mises sur mon chemin.
Je suis né pour aimer, bien certainement, je ne vois pas d’autres missions possibles pour moi. Je suis heureux lorsque je sème la joie et le bonheur autour de moi. C’est dans le regard de l’être souffrant que je vois un amour blessé qui me rejoint et m’appelle profondément à la rencontre de cette personne. «Ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez», demeure d’actualité; chez-moi, c’est un mode de vie, un style de vie.
Savourer le silence
En travaillant mes racines généalogiques, je constate que mon arrière-grand-mère est d’origine micmaque. On dit que l’Amérindien garde le silence lorsqu’il n’a plus rien à dire.