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Au-delà des
besoins particuliers

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Au-delà des
besoins particuliers

Un enfant à découvrir,
une famille à réinventer

Francine Ferland

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Ferland, Francine, 1947-

[Enfant à découvrir]

Au-delà des besoins particuliers: Un enfant à découvrir, une famille à réinventer

Publié antérieurement sous le titre: Un enfant à découvrir. c2001.

Comprend des références bibliographiques.

Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).

ISBN 978-2-89619-832-0 (couverture souple)

ISBN 978-2-89619-833-7 (PDF)

ISBN 978-2-89619-834-4 (EPUB)

1. Enfants handicapés. 2. Enfants handicapés mentaux. 3. Parents d’enfants handicapés. I. Titre. II. Titre: Enfant à découvrir.

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Membre de l’Association nationale des éditeurs de livres

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À tous les enfants à besoins particuliers.

Puisse notre société s’ouvrir davantage à la différence et vous permettre d’y prendre pleinement votre place.

Merci d’être parmi nous: vous nous faites grandir.

Avant-propos

Cette deuxième édition n’aurait pas vu le jour sans Marise Labrecque, directrice des Éditions CHU Sainte-Justine, qui m’a proposé de faire une réédition de cet ouvrage, 16 ans après sa première sortie. Ce fut un bonheur d’y travailler. Merci, Marise, pour ta suggestion et pour tes précieux commentaires.

Mes remerciements chaleureux à tous les parents d’enfants à besoins particuliers que j’ai eu le bonheur de croiser au cours des dernières années. Vous êtes pour moi une source d’inspiration et vous suscitez toujours autant mon admiration.

Un merci tout spécial à Maurice, mon compagnon de toujours. Merci pour ta patience; je serai moins souvent devant mon ordinateur dans les prochains mois, c’est promis!

Table des matières

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE
Votre enfant, votre rôle de parent et les professionnels de la santé

CHAPITRE 1
Votre enfant est différent des autres

Devenir parent

Devenir parent d’un enfant différent

Les répercussions sur le couple

Faire face à une condition diagnostiquée en cours de développement

Les différences entre une condition visible et une condition invisible

Les facteurs facilitant la période d’adaptation

Trouver votre façon personnelle d’être parent

Laisser le temps faire son œuvre

L’interaction parents-intervenants

Les rôles distincts des parents et des intervenants

Éviter l’«overdose du handicap»

Le parent, un expert qui s’ignore

CHAPITRE 2
Votre enfant est avant tout un enfant

Ses besoins de base

Respecter son statut d’enfant

Reconnaître qu’il peut avoir les mêmes problèmes que les autres enfants

Votre enfant est unique

Miser sur les forces de votre enfant

CHAPITRE 3
Votre enfant apprend par ses sens

L’apprentissage par les sens

La vision

L’audition

Le toucher

Le sens de l’équilibre (le système vestibulaire)

Le goût et l’odorat

Préférences individuelles dans les stimulations sensorielles

Stimuler ses sens

CHAPITRE 4
Votre enfant progresse par étapes

La motricité globale

La motricité fine

Pour résumer, sur le plan de la motricité

Le langage

Le développement cognitif (acquisition des connaissances)

Le sens de l’humour

Le développement affectif

Viser l’autonomie

Le développement social

Les activités quotidiennes

Les activités journalières que vous faites avec votre enfant

CHAPITRE 5
J’observe mon enfant et j’analyse ses activités

Observer votre enfant

Un outil d’observation: l’analyse d’activité

Les composantes d’une activité de jeu

L’analyse d’un jouet

Jouer avec votre enfant

CHAPITRE 6
Le quotidien avec votre enfant à besoins particuliers

La déficience motrice

La déficience intellectuelle

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA)

Les difficultés de traitement de l’information sensorielle

Un déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H)

La déficience visuelle

La déficience auditive

Les effets secondaires de la condition de l’enfant sur son développement

CHAPITRE 7
L’enfant qui a des besoins particuliers, la fratrie et les autres enfants

Quand l’enfant prend-il conscience de sa différence?

Comment lui expliquer sa condition?

Les facteurs favorisant l’adaptation de l’enfant

Et les sœurs et frères?

Les réactions possibles

Et les autres enfants?

Comment expliquer la déficience aux enfants?

DEUXIÈME PARTIE
Prendre soin de vous et de votre couple

Quelques chapitres pour vous

CHAPITRE 8
Mieux gérer votre énergie et votre stress pour ressentir moins de fatigue

Ce qui vous fatigue et draine votre énergie

Pour être moins fatigué

La gestion de votre énergie

La planification de vos activités

L’aménagement de votre environnement

La simplification des tâches

Gérer votre stress

La chimie du rire

CHAPITRE 9
Redonner du sens à votre quotidien

Le temps, ce tyran

Revisiter votre quotidien

Votre horaire est-il équilibré?

L’analyse de vos activités

L’importance des activités significatives

CHAPITRE 10
Prendre votre place dans votre vie

Prenez soin de vous

Prenez soin de votre couple

Et le parent solo?

Des organismes vous offrent du répit

Utilisez les ressources financières disponibles

CONCLUSION

RESSOURCES

Organismes, sites Internet

Albums jeunesse

Introduction

Si haute que soit la montagne, on y trouve toujours un sentier.

Proverbe afghan

La vie commence quand on décide ce qu’on attend d’elle.

Rafael Martin del Campo

Devenir parent d’un enfant qui présente des besoins particuliers amène un bouleversement majeur dans la vie de la famille. Le risque est alors grand que la condition de l’enfant occupe une place très importante dans le quotidien et compromette la qualité de vie familiale.

Comment éviter que cela se produise? Comment accompagner cet enfant dans son développement? Comment répondre aux besoins de ses frères et sœurs? Comment prendre soin de soi quand le temps et l’énergie sont si limités et la fatigue, omniprésente? C’est pour tenter de répondre à ces questions, en partie du moins, que ce livre avait vu le jour pour la première fois en 2001.

Il concernait alors essentiellement l’enfant qui présentait soit une déficience physique, soit une déficience intellectuelle. Dans cette nouvelle édition, les conditions de l’enfant qui sont retenues concernent toujours la déficience physique et la déficience intellectuelle, mais aussi les déficiences sensorielles, le retard global de développement, le trouble du spectre de l’autisme (TSA), le déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) et les difficultés de traitement de l’information sensorielle. Le terme générique «enfant à besoins particuliers» est utilisé pour désigner l’ensemble de ces conditions.

Cet ouvrage est divisé en deux grandes parties. La première concerne votre enfant: il y est question de son arrivée dans la famille et des réactions possibles qu’elle provoque; de son développement, avec ses difficultés, mais aussi ses possibilités; de ses besoins et de son caractère unique. Une réflexion sur l’interaction parents-intervenants a été ajoutée, de même que plusieurs nouveaux témoignages de parents. Un chapitre complet traite de l’accompagnement de votre enfant au quotidien en tenant compte de sa condition particulière.

Dans la deuxième partie, qui vous est consacrée, diverses stratégies vous sont proposées pour gérer votre fatigue, votre énergie et votre stress, pour redonner du sens à votre quotidien et y prendre votre place. Enfin, le dernier chapitre vous invite à penser à vous en tant que personne et en tant que couple.

Ce livre se veut un outil pratique pour vous accompagner dans votre quotidien, mais il vous propose aussi une philosophie de vie, une façon d’aborder la situation de façon plus sereine. Je vous invite dès maintenant à ne retenir de votre lecture que ce qui a du sens pour vous et à n’utiliser que les idées qui vous conviennent. De toute façon, si vous appliquez des suggestions auxquelles vous ne croyez pas ou qui ne vous rejoignent pas vraiment, elles n’auront aucun des effets souhaités: ce sera du temps perdu et Dieu sait que vous n’en avez pas à perdre.

Cet ouvrage ne répondra pas à tous vos questionnements, mais j’ose espérer qu’il vous permettra de vous sentir plus à l’aise dans votre rôle parental et d’avoir un peu plus de plaisir dans votre vie. Si tel est le cas, mon objectif sera atteint.

Bonne lecture.

PREMIÈRE PARTIE

Votre enfant, votre rôle de parent et les professionnels de la santé

CHAPITRE 1

Votre enfant est différent des autres

Si tu diffères de moi, frère, loin de me léser, tu m’enrichis.

Antoine de Saint-Exupéry

Je te prends. Je te prends comme tu es. Je te prends avec tes défauts, tes démons, avec ta loi de vie. Tu es ce que tu es. Comme tu es, je t’aime.

Romain Rolland

Devenir parent

Être parent n’est pas un état en soi: on devient parent au jour le jour. Être parent n’est pas non plus une science exacte, mais un art qui se pratique quotidiennement. Même si c’est un «métier» très exigeant, il n’y a malheureusement aucune formation conduisant à l’obtention d’une carte de compétence ni période de probation ou de chômage; l’enfant ne naît pas non plus avec un mode d’emploi.

À l’arrivée d’un enfant dans la famille, les conditions susceptibles de créer une situation stressante sont réunies. Selon le Centre d’études sur le stress humain1, quatre facteurs caractérisent une situation stressante:

ImageLe sentiment d’avoir peu ou pas de contrôle sur la situation;

ImageL’imprévisibilité (on ne sait pas à l’avance ce qui va se passer);

ImageLa nouveauté (on fait face à une situation qu’on n’a jamais expérimentée);

ImageLe sentiment que nos compétences sont mises à l’épreuve.

Ayant eu peu d’expérience préalable avec un enfant dans leur famille nucléaire, la majorité des nouveaux parents découvre ce qu’est un bébé avec leur propre enfant. Ils prennent conscience qu’un bébé, c’est un petit être imprévisible qui ne dort pas toujours quand on le couche, qui pleure parfois sans qu’on sache pourquoi ni comment le consoler. Dans cette situation nouvelle et imprévisible, les nouveaux parents ont l’impression de n’avoir aucun contrôle et peuvent douter de leurs compétences parentales. Devenir père ou mère représente un défi quotidien de taille.

Par ailleurs, dans notre société de performance, les attentes face aux parents sont élevées. Compte tenu de l’évolution des connaissances relatives au développement de l’enfant, on attend de la nouvelle génération qu’elle réussisse sa mission éducative mieux que la précédente. De plus, l’entourage (parents, amis) y va souvent de ses conseils et de ses recommandations sur la façon d’éduquer un enfant, même si ces avis ne sont pas sollicités. Cette pression sociale pour l’excellence représente une contrainte additionnelle pour les parents.

Enfin, l’amour parental n’est pas parfait et il peut être, parfois, ambivalent. L’enfant a beau être charmant, il peut susciter une certaine impatience chez ses parents quand il ne répond pas à leurs attentes, soulever des questionnements quant à leur façon d’agir avec lui et parfois même susciter un certain découragement quand ils n’arrivent pas à le comprendre.

Devenir parent d’un enfant différent

Si vous faites votre première expérience comme parent avec un enfant qui présente des besoins particuliers, cela complique considérablement les choses. Il va sans dire que le bouleversement causé par cette naissance dépasse largement en intensité ce qui est vécu par les autres parents. Non seulement, comme tous les nouveaux parents, ressentez-vous des sentiments intenses, mais en plus, vous n’avez pas de points de repère pour accompagner votre enfant au quotidien.

Même si vous avez eu d’autres enfants auparavant, vous faites face à une situation nouvelle et inconnue, car votre enfant déroge des normes. L’enfant rêvé fait place à l’enfant inattendu: c’est le choc. Personne n’est prêt à faire face à cette situation; personne n’est fait pour être le parent d’un enfant différent.

Le choc initial est suivi d’une période de négation: «Ce n’est pas possible; il y a certainement une erreur». On consulte de nouveau pour entendre autre chose ou bien on entretient l’espoir que tout va rentrer dans l’ordre. Il est normal que toute personne dans cette situation ait une telle réaction de négation et qu’il faille du temps pour s’adapter. Comme le miracle ne se produit pas, la détresse suit: on se sent impuissant, coupable, ambivalent face à cet enfant. On se sent coupable de la condition de son enfant, même si on n’y est pour rien, et impuissant à y changer quoi que ce soit. On ressent de la colère face à cette situation et aussi envers l’enfant lui-même; tous les parents éprouvent un jour ou l’autre de la colère envers cet enfant qui perturbe complètement leur vie et ce sentiment entraîne à son tour de la culpabilité: «Comment peut-on lui en vouloir?» On peut même souhaiter que cet enfant qu’on a tant attendu meure et, en même temps, on a peur qu’il meure. Une telle ambivalence est souvent présente, quoique peu souvent exprimée: on ne dit pas de telles choses.

La confusion et aussi la frustration font également partie du quotidien: beaucoup de questions surgissent et beaucoup de temps s’écoule avant d’obtenir des réponses. C’est une période de grande douleur, de remise en question de ses valeurs et de son mode de vie.

Ces diverses réactions sont des réactions normales à une situation anormale. Quoique de prime abord négatives, elles sont saines et nécessaires puisqu’elles permettent à la fois d’exprimer sa souffrance, de s’en protéger et de mettre à jour ses ressources pour faire face à la situation. Peu à peu, le processus d’adaptation se met en marche: on apprivoise la déficience, on découvre l’enfant qui se cache derrière et on établit un lien affectif avec lui. En d’autres mots, graduellement, on prend de nouveau sa vie en main. Par contre, si on persiste à attendre désespérément une possibilité de miracle, à taire les sentiments ressentis, à se replier sur soi, il est alors difficile d’avancer et de s’adapter à cette situation.

Bienvenue en Hollande2

«On me demande souvent de décrire ce que représente l’éducation d’un enfant avec une incapacité, de manière à ce que les gens qui n’ont pas vécu cette expérience puissent la comprendre et imaginer ce qu’elle représente. Ça ressemble un peu à ce qui suit: Attendre un enfant, c’est comme planifier un fabuleux voyage… en Italie. Vous achetez un grand nombre de guides de voyage et vous faites de merveilleux plans: le Colisée, le David de Michel-Ange, les gondoles à Venise. Vous apprenez quelques phrases utiles en italien. Tout cela est très excitant!

Enfin, après des mois de préparation fébrile, le grand jour arrive. Vous faites vos bagages et vous partez. Plusieurs heures plus tard, l’avion atterrit et le commandant de bord annonce: “Bienvenue en Hollande.”

“Hollande?”, dites-vous. “Que voulez-vous dire par Hollande? J’ai pris un billet pour l’Italie. Je suis censé être en Italie. Toute ma vie, j’ai rêvé d’aller en Italie.” Mais il y a eu un changement dans le plan de vol. Vous avez atterri en Hollande et c’est là que vous devez rester.

Ils ne vous ont cependant pas emmené dans un endroit horrible, dégoûtant, sale, où il y a la peste, la famine et des maladies. Ce n’est qu’un endroit différent.

Vous devez donc sortir de l’avion et vous procurer de nouveaux guides de voyage. Vous devez apprendre une nouvelle langue. Vous ferez la connaissance de tout un groupe de nouvelles personnes, que vous n’auriez jamais rencontrées autrement.

C’est seulement un endroit différent. C’est un rythme plus lent qu’en Italie, moins exubérant aussi. Quelque temps après être arrivé et avoir repris votre souffle, vous regardez autour et vous commencez à remarquer que la Hollande possède des moulins à vent, que la Hollande a des tulipes… que la Hollande a même des Rembrandt!

Mais tous ceux que vous connaissez vont en Italie ou en reviennent et ils ne cessent de répéter qu’ils ont fait un merveilleux voyage. Pendant toute votre vie, vous vous direz: “Oui, c’est là que je devais aller; c’est ce que j’avais planifié.”

Cette douleur ne s’en ira jamais, jamais, jamais… parce que la perte de ce rêve est une perte très significative. Mais si vous passez votre vie à déplorer de ne pas avoir atterri en Italie, vous pourriez ne jamais être en mesure d’apprécier les choses très spéciales et très jolies… de la Hollande.»

Emily Perl Kingsley (©1987)

Les sentiments éprouvés au moment de la naissance peuvent resurgir à différents moments du développement de l’enfant; par exemple, au moment où il devrait marcher ou parler, où il doit utiliser une aide technique telle qu’un fauteuil roulant, au moment de l’entrée à l’école, en particulier si l’enfant doit aller dans une école spécialisée, au moment de l’adolescence. Les parents peuvent alors ressentir de nouveau de la détresse, de la colère, de l’impuissance ou de la tristesse. Ces différentes étapes peuvent être difficiles à vivre. Cependant, avec le temps, chacune d’elles est un peu moins intense et persiste un peu moins longtemps.

Les répercussions sur le couple

La naissance d’un enfant à besoins particuliers n’a pas nécessairement le même impact sur chacun des parents. Le fait de s’aimer ne signifie pas que la manière de réagir et de s’adapter à une telle situation, qui représente un défi important sur le plan émotif et dans le quotidien, sera identique pour les deux conjoints. Des frictions et des divergences d’opinions peuvent surgir dans le couple et susciter de vives discussions.

Chacun des parents aborde la situation selon sa personnalité, son expérience, ses valeurs, ses espérances. Les deux parents sont affectés, mais les réactions de l’un peuvent être plus vives, plus intenses que celles de l’autre. Les difficultés pour chacun des parents ne seront pas non plus les mêmes: la dépendance de l’enfant sera la principale difficulté pour l’un alors que, pour l’autre, ce sera le regard d’autrui.

En général, la mère parle plus ouvertement de ses sentiments. Elle cherche à communiquer avec son conjoint et à obtenir son soutien; elle désire se rapprocher de lui. Cependant, beaucoup de pères réagissent en essayant de demeurer en contrôle de la situation, de résoudre rationnellement les problèmes et de cacher leur peine. Il importe que les deux parents aient entre eux une bonne communication de manière à pouvoir parler de ce qu’ils vivent et à comprendre leur façon respective de répondre à la situation. Si, par peur de heurter l’autre, par peur de discussions douloureuses, un conjoint évite d’exprimer ses sentiments, ses réactions et ses inquiétudes, le couple aura du mal à savoir où chacun en est rendu. Par contre, en échangeant entre eux, les parents s’apercevront que chacun réagit différemment et que les différences peuvent devenir des forces sur lesquelles miser.

Non seulement les parents ne réagissent pas de la même façon, mais ils ne s’adaptent pas à la situation au même rythme, ce qui peut être une autre source de problèmes. L’un pourra éprouver du ressentiment à l’égard de l’autre qui semble s’adapter tellement mieux à la situation. On ne peut forcer son partenaire à voir les choses à notre façon, pas plus qu’à réagir à notre rythme.

Le contact avec les autres constitue une autre source de difficultés. Souvent, les parents n’ont pas envie de parler à qui que ce soit et ils sont fatigués d’avoir à toujours expliquer leur situation. Ils ne savent pas quelle sera la réaction des autres et craignent, entre autres, le rejet ou la pitié. Comme le disait une maman, «la différence attire le regard», mais pour les parents, le regard des autres peut apparaître comme impitoyable alors que, souvent, il ne s’agit que de curiosité devant l’inhabituel. Facilement émus par la moindre marque de sympathie, ils peuvent également être profondément blessés par une remarque maladroite. Grande alors est la tentation de s’isoler et de rester chez soi avec sa douleur.

On comprend aisément qu’une telle situation puisse perturber, pendant un certain temps, toute la vie des parents. Elle remet en cause la hiérarchie de leurs valeurs et, conséquemment, elle les force à se remettre eux-mêmes en question.

Faire face à une condition diagnostiquée en cours de développement

Certaines conditions ne sont pas décelables à la naissance. Ainsi en est-il d’un retard global de développement, d’une déficience sensorielle (cécité, surdité), d’une déficience intellectuelle autre que la trisomie 21, des difficultés de traitement de l’information sensorielle, d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA) ou d’un déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H). D’autres problématiques peuvent survenir à la suite d’un accident ou d’une maladie.

Dans ce contexte, l’enfant s’est développé sans trouble apparent pendant quelques années, ce qui a permis à ses parents de le connaître et d’établir un lien affectif avec lui. Puis, alors qu’ils se sentaient comblés par la vie, ils commencent à soupçonner qu’il y a un problème, ils se questionnent et ils consultent. Ça peut prendre quelques mois, et parfois quelques années, avant qu’ils aient une réponse à leurs interrogations, et l’attente d’un diagnostic se vit dans l’inquiétude et l’anxiété.

Quand le diagnostic tombe, alors c’est le choc, la détresse et l’impuissance. «Pourquoi est-ce arrivé?», «Pourquoi nous?». Les parents éprouvent des sentiments semblables à ceux qui ont appris la condition de leur enfant dès la naissance. Ils doivent recréer une nouvelle interaction avec leur enfant en tenant compte de ses besoins particuliers.

Quand la condition de l’enfant est due à un accident, alors le sentiment de culpabilité risque d’être très fort: on avait le bonheur d’avoir un enfant normal et en bonne santé et on n’a pas su le protéger. Cette situation crée une douleur immense.

Les différences entre une condition visible et une condition invisible

Quand la condition de l’enfant n’est pas ou peu visible (déficience auditive, visuelle, intellectuelle, TSA…), cela peut prolonger la période de négation ou d’espoir d’un miracle. Comme rien ne paraît, ou si peu, peut-être y a-t-il eu erreur dans le diagnostic? Par ailleurs, lors de sorties, on n’a pas à subir le regard des autres, si éprouvant pour celui qui a un bébé avec une déficience visible.

Cependant, à mesure qu’il grandit, les attentes de l’entourage seront en accord avec l’apparence et l’âge de l’enfant. Comme rien de particulier n’est identifiable chez cet enfant, les autres risquent de ne pas comprendre ni accepter certains de ses comportements.

Quand la déficience de l’enfant est visible (trisomie 21, paralysie cérébrale…), la situation est plus claire. Bien sûr, il faut aller au-delà de l’apparence. Il est douloureux de voir la déficience sur le visage de son enfant et dans le regard des autres, mais alors, les difficultés qu’il présente ne causent aucune surprise.

Voici quelques témoignages de parents qui illustrent la façon dont ils ont vécu l’arrivée d’un enfant à besoins particuliers dans leur vie.

Témoignages

La mère d’un enfant handicapé, aujourd’hui adulte3

«Vers 30 ans, apprendre, jeunes parents, qu’on a un enfant gravement handicapé, oui, c’est l’invivable qui commence et l’on ne peut comprendre ce que c’est si on ne l’a pas vécu soi-même. Chaque famille d’une personne handicapée est passée par cette “révélation” à sa manière. Le plus souvent dans la solitude, la peur, l’incompréhension, la dénégation, la révolte, la dépression. Les “mots” pour dire cela humainement (c’est-à-dire complètement et doucement) ont souvent manqué aux médecins, aux psys, à l’entourage… […]. Quand vous avez un enfant handicapé, vous réalisez peu à peu que toute votre vie, tous les jours de votre vie, votre enfant dépendra de vous, requerra vos soins […], votre responsabilité, vos forces. Il n’y aura pas de vraie trêve. […] Chaque parent vit donc la blessure du handicap pour lui-même, mais aussi le couple et les autres membres de la famille la vivent.

Certains parents, pour se “reconstruire” ou “pour survivre psychologiquement”, choisissent de renforcer leurs énergies en les investissant dans des activités de bénévolat, d’entraide, de responsabilité au service des personnes handicapées. On les retrouve dans les associations de parents, les ASBL (association sans but lucratif), les bénévoles, les groupes, etc. Ils entreprennent ou participent à des projets […]. Il faut admirer leur courage et les remercier. Ces parents-là prennent le handicap de leur enfant – et celui des autres – comme centre de leur vie personnelle. Ils vivent “autour” de la déchirure et cela leur convient. […] Mais ils peuvent avoir choisi une autre solution prioritaire pour se “reconstruire” de la déchirure.

Leur chemin sera plutôt de s’excentrer, de s’éloigner partiellement de la plaie pour mieux la juguler. Se refaire une vie personnelle, recommencer des études, se concentrer sur un métier, garder des passe-temps, prendre du temps pour soi, pour sa vie affective, préserver sa santé, se permettre du plaisir, de la liberté… Certains choisissent cette optique de vie “pour tenir debout”. Et il faut oser dire à haute voix que cela est bien et qu’il est mieux pour une personne handicapée que son parent “reste en vie” comme une personne structurée, équilibrée, heureuse, et que c’est parfois le plus beau cadeau que je puisse faire à mon enfant, si je ne sombre pas dans la dépression ou la maladie, si je réussis à vivre bien. Alors je peux mieux l’aimer et l’aider, sans culpabilité névrotique, sans maternage exagéré, sans agressivité inutile.»

La mère de Léa4

«Trisomie 21. Le mot m’est resté dans la gorge pendant des jours. J’étais incapable de dire: “Ma fille est trisomique.” C’était pourtant vrai. Après la joie infinie de tenir enfin ma fille dans mes bras, je vivais la pire souffrance de ma vie. Les questions se bousculaient dans ma tête, j’étais incapable de parler Pourquoi moi? Qu’est-ce que j’avais fait de mal? Je me suis écroulée sous le poids de la douleur et de la tristesse.

À partir de ce moment, j’ai décidé de vivre un jour à la fois.

J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour offrir le meilleur à Léa. Et j’ai l’immense privilège d’avoir une famille, une belle-famille et des amis qui ont toujours été là pour nous aider, nous réconforter, nous appuyer et nous aimer.

Aujourd’hui, du haut de ses 2 ans, Léa est un bébé adorable et parfait. Elle est affectueuse, toujours souriante et belle comme un ange. C’est une petite fille exceptionnelle qui nous apprend chaque jour que la vie est incroyablement belle.

Avec ses beaux grands yeux bleus, elle regarde partout, elle découvre, elle est curieuse de tout. Ses cheveux blonds lui donnent des airs d’ange, tout le monde succombe à son charme.

Un sourire suffit pour nous faire tout oublier.»

Marie-France, mère d’Arielle présentant une paralysie cérébrale5

Alors qu’Arielle a 4 ans, Marie-France connaît un épuisement psychologique qui la replonge dans l’acceptation du handicap de sa fille. Avec le recul, elle interprète cette période comme une étape importante.

«Tant que je pouvais traîner Arielle avec moi sur mon dos, ma vie pouvait ressembler à celle d’avant. Mais en grandissant, elle est devenue plus lourde et je ne pouvais pas avoir autant de mobilité. C’est alors que je me suis réellement sentie handicapée par les limites d’Arielle. Je me suis surprise à lui en vouloir, à la détester et à la trouver insupportable. Ce que je ne comprenais pas, c’est que cette hostilité provenait du fait que je m’en voulais d’être ce que j’étais devenue. J’avais tellement fait corps avec ma fille que son handicap était devenu le mien. Une pareille symbiose ne pouvait que m’amener à sacrifier une partie de moi-même».

Marie-France a alors pris conscience qu’elle devait modifier son attitude pour laisser davantage de latitude à Arielle et reprendre le contrôle de sa vie. Le fait de se détacher tranquillement leur a fait du bien et a aéré leur relation. Aujourd’hui, sa fille est toujours au centre de sa vie, mais son univers s’est élargi, donnant plus de place à ses intérêts et à ses ambitions personnelles. Marie-France puise toute son énergie dans l’amour qu’elle a pour sa fille. Un amour indestructible et sans limites. Un amour plus grand que nature.

Les facteurs facilitant la période d’adaptation

Caractéristiques familiales

Au-delà de la condition même de l’enfant, certains éléments contribuent à l’adaptation des parents: la satisfaction de leur vie conjugale et familiale, le soutien émotif mutuel, l’entente et l’entraide, l’attention accordée à chacun des membres de la famille, la capacité d’adaptation et d’organisation de la famille ainsi que sa sécurité financière. Le bien-être et le bon fonctionnement de la famille sont d’ailleurs davantage liés à la présence de ces caractéristiques qu’à la condition de l’enfant. Selon les personnes en cause et leur situation particulière, la réalité sera vécue plus ou moins intensément, plus ou moins difficilement.

Informations sur la condition de l’enfant

Il a été démontré que bien connaître et comprendre la problématique de l’enfant peut aider les parents à s’y adapter. Ces informations vous permettent d’apprivoiser la nouveauté de la situation et d’entrevoir les répercussions possibles de la condition de l’enfant dans la vie quotidienne. Cela vous aide à vous sentir, d’une certaine façon, plus en contrôle de la situation. Dès lors, les éléments susceptibles de provoquer du stress (nouveauté, imprévisibilité, sentiment de perte de contrôle) sont moins présents.

Dans certains établissements, au moment de la naissance, on remet aux parents une pochette contenant des informations sur la condition de l’enfant, dans laquelle sont indiquées les ressources existantes. Par ailleurs, plusieurs associations — par exemple celles de la déficience intellectuelle, de la paralysie cérébrale, de la surdité — ont des centres de documentation que peuvent fréquenter les parents. La plupart de ces associations sont gérées par des parents, donc par des personnes qui ont vécu une situation similaire: on peut dès lors compter sur une qualité d’écoute de leur part. Certains centres de réadaptation ont aussi des centres de documentation que vous pouvez visiter. Il ne faut pas hésiter à vérifier si de telles ressources existent dans votre région.

Il ne faut pas hésiter non plus à questionner le médecin ou les professionnels de la santé qui s’occupent de votre enfant afin de mieux comprendre sa condition.

Groupes de soutien

L’information sur la condition l’enfant est un élément important, mais ne suffit pas. Les parents ont également besoin de se sentir soutenus, appuyés dans leur tâche. Les groupes de soutien sont à considérer, car ils ont, jusqu’à ce jour, aidé de nombreux parents.

Diverses associations et différents centres de réadaptation offrent la participation à de tels groupes, composés de personnes vivant une situation semblable et généralement animés par un parent. Les thèmes abordés sont le plus souvent déterminés par les participants eux-mêmes.

Certains couples, craignant de se sentir mal à l’aise dans ces groupes, hésitent à s’y joindre, mais quand ils y participent, ils s’aperçoivent rapidement que les autres parents présents éprouvent les mêmes sentiments et les mêmes difficultés qu’eux et cela est réconfortant. Une mère nous raconte: «Nous sommes allés à une rencontre pour les parents. Mon mari ne voulait pas venir: j’ai dû le forcer. Mais il a réellement apprécié. Tous les deux, nous avons apprécié. Nous avons rencontré beaucoup de parents qui avaient les mêmes problèmes que nous. Ça nous a aidés à nous sentir, à nouveau, normaux.»

En présence de personnes qui savent exactement ce que vous vivez, vous pouvez exprimer librement vos pires inquiétudes, votre colère et votre frustration sans craindre d’être jugé. Le fait de savoir que vos sentiments sont partagés par d’autres personnes vivant la même situation vous permet de comprendre que vos réactions sont légitimes et normales.

Ces rencontres peuvent aussi être l’occasion d’apprendre des trucs qui faciliteront votre vie, de partager des ressources et de considérer votre situation avec un peu de recul. Il arrive aussi que des liens d’amitié se tissent entre certains participants, qui se voient en dehors des rencontres et se rendent mutuellement des services.

Certains parents se joignent à ces groupes peu après la naissance de l’enfant; d’autres n’en sentent le besoin qu’après plusieurs mois. Mais pour tous, ces groupes sont, à un moment ou à un autre, une ressource qui leur apporte aide et encouragement. N’hésitez pas à contacter les organismes communautaires pour savoir si de tels groupes existent dans votre région.

Réseau social

Nous avons déjà dit que, pour éviter le regard et les questions des autres, la tentation de s’isoler est grande. Il faut à tout prix y résister, car l’isolement grugera vos forces très rapidement. Au contraire, il est essentiel que vous vous entouriez de personnes qui pourront vous écouter et vous aider.

Parmi les parents rencontrés pendant la rédaction de ce livre, ceux qui se sont dits les plus satisfaits de la façon dont ils ont surmonté la situation ont tous souligné l’importance d’un bon réseau social. Toutes les familles ont besoin de soutien un jour ou l’autre, à plus forte raison celles dans lesquelles un enfant présente des besoins particuliers.

Certains pères éprouvent parfois de la réticence à accepter de l’aide. Ils érigent un mur autour d’eux pour éviter qu’on leur parle de la situation, tant à la maison qu’au travail. Ils peuvent penser qu’il est préférable de taire leurs sentiments, que les autres ne comprendraient pas, qu’en parler les ennuiera. Ils peuvent devenir d’un abord difficile, tant pour leurs collègues de travail que pour leur famille, et leur attitude peut engendrer des conflits et amener la discorde dans le couple. Ces pères se privent alors d’un soutien social et émotif précieux.