À mes lecteurs qui, par leurs bons
commentaires, m’encouragent à poursuivre dans
cette incroyable aventure qu’est l’écriture.
8
Les gouttes de sueur ruisselaient sur son visage ; ses doigts recherchant de nouvelles prises dans le mur, Mathis escaladait avec peine l’un des versants de la tour.
La brèche empruntée par la chouette se situait maintenant à quelques mètres de sa position. Il étira la jambe droite pour planter le bout de sa semelle entre deux pierres et se hissa à l’aide de ses bras.
Dans un dernier effort, il parvint à atteindre l’ouverture creusée dans le mur. Quelques toiles d’araignée ballottées par le vent en barraient partiellement l’entrée, mais un simple revers de la main suffit à enlever les fils épargnés par le passage de la chouette.
Mathis se glissa dans l’ouverture et se retrouva dans un corridor secret ne faisant qu’un mètre de large.
— Je comprends pourquoi aucun garde ne s’est encore aperçu de cette brèche, dit-il en touchant le sol.
De l’eau ruisselait à partir du mur, tandis que de la mousse tapissait les pierres et que des excréments de rats tachaient le sol, dégageant une odeur pestilentielle.
Il arpenta ce corridor sur une vingtaine de mètres, puis, après avoir suivi un virage à angle droit, se retrouva face à un mur. Circonspect, il se mordit la lèvre en se demandant où le mécanisme d’ouverture se cachait. À force de tâtonnement, d’énervement et de coups distribués sur toute la surface du mur, Mathis eut raison de cet obstacle. Un déclic se produisit, et tout le panneau de pierres se mut sur ses gonds.
Étirant le cou, Mathis sortit sa tête dans le corridor adjacent, jetant un coup d’œil sur la gauche, puis sur la droite. Personne, pas même un rat, n’arpentait ce couloir.
Il se permit quelques secondes de répit pour reprendre sa respiration avant de poursuivre son exploration. Quel chemin devait-il prendre pour espérer retrouver Gontrand ?
Quelques secondes plus tard, un cri de terreur lui apporta la réponse tant espérée. Ce hurlement poussé par une âme en perdition lui indiquait la direction à prendre. Comme il pouvait s’y attendre, les geôles et leurs tortionnaires se trouvaient dans les tréfonds de la tour, là où tous les sévices possibles prenaient place !
Allant à la rencontre des pleurs et des gémissements, il emprunta un escalier en colimaçon qui le fit descendre dans les entrailles de la Terre. Des torches aux flammes dansantes diffusaient une lumière tamisée par instant, plongeant le reste de sa descente dans une semi-
obscurité.
À mesure qu’il se rapprochait du palier inférieur, les cris redoublaient d’intensité. En entendant toutes ces lamentations, Mathis hésita dans sa démarche. Chacun de ces cris lui donnait la chair de poule, le rendant moins enclin à avancer.
— Allez, songe à Gontrand, se convainquit-il, pense à lui, ne le laisse pas tomber !
Il secoua la tête, puisant au plus profond de son âme pour trouver le courage nécessaire.
Se raccrochant au souvenir de son tuteur, Mathis reprit son avancée, posant toutefois chaque pas avec crainte.
L’escalier déboucha sur une longue salle voûtée dans laquelle s’ouvrait une multitude de cellules. La plupart d’entre elles demeuraient fermées ; quelques portes ouvertes laissaient quant à elles entrevoir toute la saleté et l’aspect lugubre des geôles.
Des gémissements ponctués de pleurs émanaient de certaines cellules. Les cris les plus horrifiants provenaient d’un nombre restreint de pièces, se répercutant entre les murs en de longs échos. Il observa attentivement les lieux, mais dut se rendre à l’évidence que pas un seul garde, ni bourreau, ne se trouvait présent sur les lieux.
— Cela doit être l’heure de la pause, déclara-t-il en haussant les épaules.
Au beau milieu de cette sinistre symphonie, des murmures parvenaient aux oreilles du jeune garçon, venant chatouiller ses tympans. Mathis plissa les yeux, tentant de se concentrer pour affiner son ouïe.
Après quelques tentatives, il parvint à discerner les premières syllabes.
— Ma…
— Mat…
Se fiant à son ressenti, il s’approcha de la source du bruit, demeurant pendu à ces murmures.
— Ma…
Le son devenait plus clair, puis, soudain, la voix résonna dans ses oreilles.
— Mathis.
Entendant son nom, il se figea. Gontrand se trouvait bel et bien ici ; il avait réussi à le trouver !
Un sourire commença à se dessiner sur son visage, mais s’estompa aussitôt que les appels reprirent de plus belle.
— Mathis…
La voix du forgeron paraissait fébrile.
Tendant l’oreille pour deviner dans quelle cellule Gontrand se trouvait enfermé, il s’avança lentement, se laissant pleinement guider par ses sens.
À mesure qu’il se rapprochait, les gémissements remplaçaient son prénom, la respiration du forgeron devenant de plus en plus difficile. Même si son tuteur était enfermé derrière un mur, Mathis parvenait à l’entendre et à le reconnaître. La douleur étouffait le pauvre homme, tout comme la tristesse. Pourtant, en se concentrant sur ses impressions, Mathis pouvait ressentir un semblant de joie naître chez le prisonnier.
Tout en oubliant le reste, il s’accrocha à ce sentiment, se précipitant vers la porte dans l’espoir de mettre un terme aux souffrances de son tuteur. Pour y parvenir, et faisant fi des dangers, il s’était jeté corps et âme dans le piège tissé par la sorcière. À présent, l’occasion rêvée s’offrait à lui, et une seule porte le séparait de son but !
S’avançant d’un pas décidé, il posa sa main sur la poignée et l’actionna, se préparant à sauver cet homme qui avait tant donné pour lui.
Se croyant au bout de ses peines, Mathis avait commis une immense erreur en sous-estimant la Baba Yaga, car une fois prise dans les mailles de son filet, aucune proie ne pouvait échapper à la veuve noire, et Mathis allait l’apprendre à ses dépens au cours de la minute suivante.
9
Sentant toute cette insupportable pression se dissiper, Zachary poussa un soupir de soulagement.
— Eh bien ! Moi, qui vous prêtais toutes les mauvaises intentions du monde, je me trouve fort niais en cet instant ! Permettez-moi de rire un bon coup ! s’esclaffa-t-il en levant son haut-de-forme dans les airs, ravi de l’improbable tournure que prenait cette rencontre.
Le druide passa son bras derrière son dos, de manière à poser sa main sur son épaule gauche.
— Allons, allons, jeune homme, le monde n’est pas si mauvais, dit-il en souriant avant de jeter un regard noir sur sa droite au gobelin.
Ni Amaryllis ni Zachary ne furent en mesure de voir toute l’animosité qui enflammait l’iris de ses yeux, les deux jeunes gens s’en allant gaiement en compagnie de leurs nouveaux amis tandis que le gobelin rebroussait chemin en tremblant de tout son être.
Le petit groupe s’engouffra dans une forêt plus dense, là où le soleil perçait difficilement de ses rayons tamisés de petits bosquets de fleurs. De charmants arômes se dégageaient de ces belles aux pétales colorés, leurrant des bourbons qui en repartaient quelque peu énervés de s’être fait berner par ces parfums imitant à la perfection l’odeur de leurs congénères de sexe féminin.
Sur leur chemin, les fées réapparurent, s’envolant des fourrés en de gracieux sauts. Ces petits êtres ailés s’empressèrent aussitôt d’envelopper Amaryllis dans un tourbillon d’étoiles scintillantes. Elle s’émerveilla devant ces minuscules visages dont la beauté équivalait à celle du panache de leurs ailes.
Élevant la main à la hauteur de ses yeux, Amaryllis observa l’une des jeunes femmes ailées.
— Oh, que vous êtes belles, vous et vos consœurs, leur déclara-t-elle entre deux sourires.
Autour d’elle, tout n’était que bonne humeur et rires. Écartée progressivement de la route par cet essaim de papillons humains, la jeune femme se laissa emporter par l’allégresse des fées tout en se coupant, le temps d’un instant, du reste du monde.
Zachary la regarda s’éloigner en haussant les sourcils, puis son regard descendit sur les gnomes et les lutins qui s’étaient agglutinés autour de ses jambes. En voyant leurs visages austères, leurs nez aussi tordus que des rameaux de bois sec et leurs yeux exorbités, Zachary ne put s’empêcher de grimacer.
— Eh bien, je crois que je vais devoir composer avec ce comité d’accueil des plus… souriants ! s’exclama-t-il.
Impassibles, les gnomes le dévisagèrent sans mot dire. À l’instar de leurs compères, les lutins, pourtant habituellement si agités, demeuraient silencieux.
Faisant face à ce public difficile, Zachary arc-bouta l’un de ses sourcils et poussa un petit rire satanique.
— Voyons voir ce que j’ai là, dit-il en plongeant sa main dans une poche de sa veste d’une façon fort théâtrale.
Une série de cliquetis métalliques retentit aussitôt, suivie de tintements de cloches, remplacés quelques secondes plus tard par d’étranges sons.
L’observant en prenant un air tantôt surpris, tantôt impatient, les gnomes et les lutins se trouvaient maintenant aux aguets.
— Oh, je crois que j’ai trouvé quelque chose, s’écria Zachary en exhibant un pot en verre contenant une substance rouge.
D’un geste bref, il ôta le couvercle et en sortit une petite cuillère d’argent.
Il la porta devant les petits êtres et leur fit miroiter la portion de confiture.
— Ceci, s’écria-t-il, est le plus charmant des plaisirs gustatifs que vous puissiez éprouver dans votre vie et qui, leur chuchota-t-il, vous permettra par la même occasion de vous soigner de vos toux et rhumes.
Les gnomes et les lutins accueillirent sa démonstration en applaudissant tels des enfants assistant à un spectacle de marionnettes.
L’un des lutins osa s’avancer, puis, après avoir échangé quelques regards avec le médium, comprit qu’il pouvait se délecter de ce produit. Il ouvrit la bouche, puis la referma sur la cuillère, exprimant aussitôt sa satisfaction en multipliant les onomatopées tout en se tenant le ventre.
— Mais… Pourquoi est-ce lui qui a le droit de goûter ! s’énerva son comparse.
— Oui, c’est vrai, moi aussi j’en veux ! répondit un troisième luron.
Le lutin ayant eu le plaisir de pouvoir déguster la confiture s’empara du pot et, après avoir tiré sa langue en une vilaine grimace, prit ses jambes à son cou. Courant à sa suite, ses congénères professaient jurons et menaces à son endroit.
Pour leur part, les gnomes demeurèrent sur place à observer Zachary, se gardant de prononcer le moindre mot. Ils échangeaient des regards circonspects, puis observaient le médium sans laisser transparaître la moindre émotion, telle une vache regardant un troupeau de touristes s’agglutiner devant son enclos.
— Eh bien, grimaça Zachary en voyant leur hébétement, je crois qu’une promenade me fera le plus grand bien, conclut-il en prenant ses jambes à son cou.
Il s’arrêta une vingtaine de mètres plus loin, jetant un coup d’œil en direction du groupe de gnomes. Ceux-ci n’avaient pas bougé du tout.
— Je comprends maintenant pourquoi les gens les plantent dans les jardins, se dit-il en réajustant sa veste. Bon, voyons ce que cette contrée nous réserve !
D’un pas alerte, il marcha droit devant lui, sans direction précise, souhaitant juste explorer cette forêt féérique.
Cinq minutes plus tard, Zachary avait retrouvé le sourire, s’émerveillant à la vue de ces joyeuses créatures. Les fées batifolaient dans les airs au rythme des flûtes de pan jouées par un groupe de satyres.
Les hommes-boucs saluèrent le nouvel arrivant par des gestes chaleureux, l’invitant à se joindre à eux. Des coupes de vin et des amphores gisaient à leurs pieds, et une bonhomie certaine émanait d’eux. Nul besoin d’être devin pour comprendre l’état dans lequel ces jeunes gens se trouvaient !
Préférant le calme à l’atmosphère grivoise, Zachary les remercia poliment et poursuivit son chemin. Sa rencontre suivante fut tout aussi merveilleuse. Un bosquet de fleurs parlantes le héla sur son passage.
S’arrêtant sur-le-champ, immobilisant sa jambe dans les airs pour finalement pivoter sur lui-même quelques secondes plus tard, Zachary leur fit face en se laissant submerger par leur candeur.
Dansant sur elles-mêmes, les cypripedium reginae conversaient à propos de la pluie et du beau temps, s’émerveillant en suivant le vol d’un oiseau, fredonnant en sentant la chaleur réconfortante du soleil réchauffer leurs feuilles.
— Quelle belle visite que voilà ! s’exclama la plus grande d’entre elles. Bien le bonjour à vous, gentilhomme.
Se prêtant au jeu, Zachary les gratifia d’un salut respectueux, ôtant son chapeau pour effectuer une courbette.
Des effluves de parfums floraux vinrent chatouiller ses narines, le berçant d’une douce sérénité. Il se releva lentement, se trouvant quelque peu enivré par cette odeur si plaisante.
S’approchant d’elles à pas lents, il profita pleinement de l’instant pour contempler leur beauté saisissante.
— Quel endroit merveilleux, échappa-t-il à haute voix.
Au son de son compliment, les fleurs entamèrent une ritournelle, chantant cette mélodie avec entrain. Les yeux de Zachary s’ouvrirent en grand, sa bouche exprimant toute son incrédulité face à tant de lyrisme.
— Cela est digne d’un chant de sirènes…, se plut-il à comparer. Les sirènes ! hurla-t-il, plongeant aussitôt le bosquet de fleurs dans un lourd silence. Des sirènes ! Tout ceci n’a qu’un but : nous endormir ! Vous êtes des sirènes !
Pris d’un accès de folie, il s’éloigna en courant le plus vite possible.
À bout de souffle, il s’arrêta finalement une minute plus tard, jetant un regard effaré en direction du bosquet de fleurs qui dansaient au loin.
— Toutes ces choses n’ont qu’un but, s’écria-t-il en levant l’index en direction du ciel : nous faire oublier le but de notre venue ! se convainquit-il en serrant les dents. Il me faut à tout prix trouver de l’aide pour Mathis et m’enfuir d’ici au plus vite en compagnie d’Amaryllis !
Sur cette résolution, il reprit son avancée d’un pas décidé, s’enfonçant dans une allée bordée par de hautes fougères. De chaque côté de lui, les plantes étendaient leurs feuilles en de longs ports retombants, formant un véritable tapis à un mètre du sol.
Cette étendue verte frémit sur son passage. De minuscules colibris à gorge rubis volaient de plant en plant, poussant de courts gazouillis, bourdonnant autour des oreilles du médium dans l’espoir d’attirer son attention.
Poussant leurs manœuvres à leur paroxysme, les oiseaux-mouches se querellaient à quelques centimètres seulement de son visage, dévoilant toute la diversité de mouvement dont ils étaient capables.
N’accordant plus aucune importance à ces petits détails, Zachary poursuivit sa marche, se gardant de tomber de nouveau dans le piège que la forêt lui tendait.
Il marcha droit devant lui, porté par ses pas, ses yeux se voilant peu à peu. Une vision prophétique venait à lui ; il la sentait monter en lui à mesure qu’il s’éloignait du cœur de la forêt.
Ce phénomène le surprenait chaque fois, se diffusant dans chaque parcelle de son corps, l’emmenant voguer vers une contrée si lointaine. Ce don prophétique dont il était détenteur depuis son plus jeune âge le prenait de court ; toutefois, il se prêta une fois de plus au jeu et se laissa emporter par ce ressenti.
Dans son esprit, un vieil homme apparut. Il portait une longue barbe et une étrange coiffe aplatie. D’un geste lent, il leva le bras, visiblement pour l’avertir d’un danger, puis sa bouche s’entrouvrit.
Zachary s’arrêta net, plongeant corps et âme dans cette vision. Il demeurait pendu aux lèvres de cet homme.
— Je m’appelle Michel de Nostredame.
— Nostra… Nostradamus.
L’homme hocha la tête tout en gardant son regard fixé sur sa personne. Bien que cette apparition se déroulât dans son esprit, Zachary sentait le regard de cet homme se poser sur lui.
— Il est temps que tu découvres la vérité sur ce monde, sur ta destinée et sur… ta propre personne, notre personne !
— Qu… Quoi ?
— Je ne suis qu’un lointain reflet de ta véritable personnalité, poursuivit l’apparition. Je suis… Nous sommes Nostradamus…
Zachary rouvrit brusquement les yeux et n’eut pas le temps de se remettre de ses émotions, car il fit face au chef des druides. Ce dernier se tenait devant lui, fermement campé au milieu du chemin, les bras croisés et l’air menaçant.
Le sourire et la bonne humeur qui étaient siens lors de leur introduction dans la forêt avaient disparu.
Si petites, ses pupilles lui donnaient un côté pernicieux, son long nez aquilin ajoutant une touche prédatrice à son visage qui se voulait en cet instant des plus déplaisants.
— Vous ne devriez pas être ici, annonça Arawn de sa voix glaciale ; oh non, reprit le druide, nul ne ressort de la forêt sans mon aval. Et, vous concernant, la réponse sera toujours négative !
10
—
Comment ça, rester ici pour toujours ? s’enquit Amaryllis.
Terrifiée par les soudaines paroles des fées, la jeune femme demeurait bouche bée.
Ces propos lui donnaient l’effet d’une douche froide. Le ton sec employé pour prononcer cette sentence contrastait fortement avec leur attitude si bienveillante depuis leur arrivée dans la forêt.
— Mais… Mais comment cela est-ce possible ?
Les fées tournoyaient lentement autour de son visage, faisant pleuvoir de leurs baguettes d’incessantes pluies de poussière scintillante.
— N’êtes-vous pas bien ici ? lui demanda l’une d’entre elles dont les longues ailes ressemblaient à s’y méprendre à celles d’un monarque.
Reprenant progressivement ses esprits, Amaryllis concentra son attention sur le visage de la fée.
— Je… Enfin, là n’est pas la question. Zachary et moi sommes venus ici pour trouver de l’aide et pour repartir ensuite en direction de Belœil…
— Ça, c’est impossible ! la coupa-t-elle en donnant un coup de baguette à quelques centimètres de son nez, l’aspergeant de poussière étoilée.
Emportée par un éternuement, Amaryllis se couvrit le visage à l’aide de ses mains, puis, se bouchant les narines pour éviter de respirer les particules scintillantes qui, d’un coup, prenaient une allure bien moins plaisante, recula.
— Nous devons partir, et même si cela vous déplaît, nous le ferons, nous sommes libres…
— Non !
D’une voix caverneuse, la fée hurla son mécontentement en dévoilant une dentition digne d’un requin.
Ses yeux se voilèrent de noir, et son visage prit un teint cadavérique, accentuant ainsi la vision d’horreur à laquelle Amaryllis faisait face.
Toutes les autres fées demeuraient immobiles dans les airs, leurs faciès prenant une allure similaire à celle de la fée colérique.
Voyant l’allure menaçante des êtres ailés, Amaryllis se figea. Elle cherchait du regard son compagnon, espérant le voir apparaître tel un preux chevalier ; pourtant, les secondes défilèrent et, outre les gobelins venant grossir les rangs des fées, personne n’apparut.
— Mais…
Avant même qu’elle puisse appeler à l’aide, les petits monstres verdâtres se jetèrent sur elle pour la bâillonner puis la ligotèrent.
Les poignets ceinturés par des cordages faits d’un lierre étonnamment résistant, Zachary reprit la direction du cœur de la forêt, escorté par une dizaine de trolls. Ricanant dans son dos, Arawn fermait la marche, s’appuyant sur un long bâton.
Zachary se laissa conduire vers les autres membres du conseil druidique. Ceux-ci formaient un demi-cercle sous l’ombre des chênes. Leurs longues barbes leur donnaient des allures de philosophes sortis tout droit de la Grèce antique ; toutefois, la comparaison s’arrêtait ici. À les regarder, le médium n’y voyait aucune sagesse, mais plutôt une méchanceté incommensurable contenue derrière un masque d’apparat.
— Ce n’est pas poli de vouloir partir sans prendre la peine de remercier vos hôtes, ricana l’un des druides ; mais, avant de commencer, nous nous devons d’attendre notre invitée d’honneur.
Quelques secondes plus tard, Amaryllis fit son entrée, surveillée par les gobelins.
Lisant tout son effroi sur son visage, Zachary ne put s’empêcher de baisser le regard, honteux qu’il était de n’avoir pas su protéger celle qu’il aimait.
— Voyons, voyons, mon cher, il serait dommage que vous ratiez le spectacle, déclara Arawn en le forçant à relever la tête à l’aide de son bâton.
Le druide lui adressa un sourire des plus hypocrites et s’avança ensuite vers ses consorts.
Après s’être assuré d’avoir toute l’attention de ses deux prisonniers, Arawn s’exclama :
— Permettez-moi, chers hôtes, de vous présenter les véritables habitants… et maîtres de cette forêt !
Il décrivit un arc de cercle de son bras gauche, une brise s’échappant de ses doigts, ouvrant une brèche dans un épais buisson épineux.
Quelques secondes plus tard, des rires sataniques et le bruit de bottes s’entrechoquant émergèrent de l’ouverture, puis un à un les elfes noirs apparurent.
D’un mètre cinquante de haut pour les plus grands, ces êtres à la peau aussi sombre que la nuit présentaient un teint violacé sous les rayons du soleil.
De fines tresses pendaient de leur longue chevelure, leur donnant un air raffiné qui contrastait avec le reste de leur apparence. Des tatouages tribaux représentant des grimaces menaçantes couraient le long de leur peau, et des pendentifs composés de canines de bêtes leur servaient de parure.
Zachary sentit ses jambes flageoler. La peur grandissait en lui, ses doigts fouillant nerveusement dans ses poches à la recherche de sa montre à gousset. Il sentit le contact glacial de son boîtier lui geler l’épiderme.
Déglutissant avec peine, il contracta ses mâchoires et s’immobilisa net lorsqu’il croisa le regard d’Arawn. Le druide plissa les yeux, ses deux pupilles noires le criblant de toute sa méchanceté.
En se voyant dévisager de la sorte, Zachary ne put réprimer ses tremblements. La moiteur rendit sa paume glissante, et il se trouva incapable de garder plus longtemps la montre.
En le voyant retirer ses mains de ses poches, Arawn poussa un petit ricanement.
Au même instant, le dernier elfe noir sortit des buissons et se posta aux côtés de ses congénères, formant une rangée compacte sur la droite des deux prisonniers.
Ils regardèrent Amaryllis et Zachary.
Plus personne n’osait parler, pas même les druides qui, en présence des nouveaux arrivants, perdaient de leur arrogance, préférant se tenir en retrait. Seul Arawn parvenait à garder sa froideur légendaire.
D’un geste lent, il leva ses bras dans les airs et, de son bâton, jaillit un éclair qui fendit la nuit.
— Cette forêt sera votre tombeau !
Sa voix se perdit dans le silence de la forêt tandis que la noirceur en recouvrait chaque parcelle.
L’aura de la Baba Yaga s’était étendue bien plus loin que l’avaient pensé Amaryllis et Zachary et, à son tour, Mathis allait le découvrir sous peu.