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« Pour ma famille que j’adore,
qui m’a aidée et encouragée tout au long de mes trois ouvrages et surtout pour ma chère belle-mère
qui n’en aura jamais connu la fin. »

Chapitre 9

Isabelle se sentait excessivement excitée. Elle replaça sa robe en esquissant un sourire qu’elle ne put retenir malgré la tristesse de l’éventuelle séparation qui approchait. La jeune femme ne pouvait s’empêcher de donner libre cours à l’immense joie qui montait en elle. Elle allait revoir Thomas sous peu. Du moins, elle pouvait se permettre de l’espérer.

La période de grande noirceur, annoncée par Victoria, se trouvait derrière elle. Isabelle avait raté sa chance avec le Thomas qu’elle avait vu le mois dernier à Arcachon. Elle avait pleuré sur lui, imaginé les pires scénarios sur l’aboutissement de sa vie amoureuse, s’était posé maintes questions pendant des jours, croyait avoir perdu sa chance à jamais. C’était à cette noirceur, à cette tempête dans laquelle s’emmêlaient plusieurs sentiments, des incertitudes que Victoria avait fait référence. Et bien sûr, ignorant la réelle signification de cette parabole, énoncée par Victoria dans un élan de lucidité trompeuse sur son lit de mort, les habitants du village, connaissant les habiletés de la vieille dame, avaient paniqué.

Isabelle osait à présent croire que l’éclaircie annoncée arrivait enfin. Des réponses à ses questions, des explications sur l’étrange aventure qu’elle expérimentait depuis un an, ne tarderaient pas. Elle le savait, le sentait au plus profond de son être. Assise dans la calèche à côté de Marie-Sophie, elle souriait encore, les yeux fermés, seule avec ses pensées. Malgré son décès, la mère Victoria continuait de bien la guider vers son but, et Isabelle lui en était infiniment reconnaissante.

La calèche, conduite par Benitio, les amenait maintenant au port d’Arcachon. Sa tante, installée aux côtés de son fils aîné, bavardait avec lui dans un mélange de français et d’espagnol ou lui prodiguait mille recommandations pour le reste de son séjour. Pedro, silencieux, regardait défiler le paysage qu’il ne reverrait pas avant longtemps, les bras appuyés sur la bordure du chariot et songeant aux multiples jeux et taquineries qui avaient occupé ses vacances en compagnie de ses cousins.

Marie-Sophie, adossée à la malle de sa tante Sofia, fixait sa sœur et souriait légèrement en devinant ce qu’elle devait ressentir, heureuse qu’un peu de joie s’installe enfin dans son cœur. L’aînée lui souhaitait tellement de connaître un amour pareil à celui qu’elle partageait avec Jean de Castelnau.

Tante Sofia cessa son bavardage, et on n’entendit plus que le grincement du chariot, parfois secoué par les bosses que Benitio ne pouvait éviter. Bercés par le roulis de leur voiture, les occupants se laissèrent porter en silence pendant un moment.

Isabelle leva les yeux vers le ciel. D’un bleu limpide, il était agrémenté de quelques nuages blancs qui ne menaçaient nullement le temps clément qui régnait depuis quelques jours. Le voyage s’effectuerait donc au sec et sans tracas, pour le soulagement des voyageurs.

Isabelle inspira, savourant le moment présent, le silence tranquille qui les entourait. Les adieux avec ses parents s’étaient déroulés de façon très émouvante à leur départ. L’émotion leur était passablement restée en travers de la gorge, et tout avait été dit au cours des derniers jours. Voilà probablement pourquoi personne n’osait plus parler.

Ils avaient quitté la résidence assez tôt ce matin-là. Margarita, qui aurait dû être du voyage, avait jugé qu’il était préférable de demeurer à la maison afin d’aider son mari. Le travail d’une de leurs chèvres, qui ne devait pas mettre bas avant deux ou trois semaines, avait débuté vers la fin de la nuit, et la naissance du petit s’annonçait difficile.

Comme les époux auraient certainement besoin de bras d’homme au cours de cette journée, il avait été décidé, non sans lamentations, que les jumeaux resteraient également à Villandraut. Henri permettait cependant ce jour de congé à ses aînées pour les remercier de leur aide précieuse sur la propriété.

Chapitre 10

Isabelle sentit ses jambes ramollir. Au bord de l’évanouissement, elle chancela. Marie-Sophie la rattrapa à temps. Elle la conduisit en direction de la mer, où il y faisait plus frais. L’air marin et la foule moins dense favoriseraient le retour de sa sœur à un meilleur état d’esprit.

Marie-Sophie aida Isabelle à s’asseoir en bordure du quai, puis s’installa à son côté, l’assurant que c’était l’endroit idéal pour reprendre son souffle. Elle dénoua le bonnet d’Isabelle, que cette dernière avait laissé pendre sur son dos, puis s’en servit pour éponger le front couvert de sueur de la malheureuse.

Chapitre 11

C’est moi que tu cherches, brigand ! fit une voix derrière Isabelle avant même qu’elle n’ait trouvé la riposte adéquate. Alors, laisse-la partir.

L’horrible individu cracha sur le pont, puis abaissa lentement son arme. Il empoigna plus fermement le bras de la demoiselle et la projeta contre le muret intérieur du navire, non loin d’une entrée, ouverte sur une pièce sombre. Son épaule droite heurta le mur de bois, puis elle s’affaissa par terre.

Soulagée de cette aide providentielle, mais pestant tout de même contre ce capitaine qui s’était fait attendre, Isabelle se savait néanmoins loin d’être sortie du pétrin. Saisissant tout de même cette chance, elle se déplaça le plus vite qu’elle put sur ses genoux jusqu’à l’entrée de la pièce. Une douleur intense lui traversait l’épaule, mais la jeune femme l’ignora, ne désirant que se mettre à l’abri. Parvenue au seuil de la pièce, elle enjamba la séparation de bois qui délimitait le pont de la pièce et se cacha dans un coin. Adossée sur une large latte du mur de bois, elle se recroquevilla entre le mur et ce qu’elle pensa être un petit secrétaire. Isabelle se sentit momentanément en sécurité et ne put réprimer un soupir de soulagement en songeant à la situation à laquelle elle venait d’échapper.

Il régnait une noirceur presque complète dans la pièce. Les yeux de la jeune femme, habitués à la lumière du jour, peinaient à transpercer l’obscurité. Tout en promenant son regard autour d’elle, Isabelle se massa l’épaule droite, meurtrie par sa chute forcée contre le mur qui ceinturait cette pièce. La douleur semblait vouloir diminuer.

À part le bureau, près duquel elle s’était glissée, elle put en distinguer un autre vers le fond. Plus grand, celui-là était entouré de quelques chaises en bois vieilli. Sur le dessus, Isabelle compta trois rouleaux de papier et crut distinguer un encrier, dans lequel trempait une plume. Elle déduisit donc qu’elle se trouvait dans une salle de travail. Le bureau du capitaine, probablement.

Elle n’avait pu voir l’homme qui l’avait sauvée de la lame du brigand, mais elle savait qu’il était également armé. Isabelle avait entendu le bruit qu’avait fait la lame de l’épée lorsqu’il l’avait dégainée devant le méprisable personnage. Une chaude lutte allait commencer entre les deux hommes, avait-elle deviné en se faufilant dans le bureau sans demander son reste.

À l’entendre, c’était le capitaine du navire, mais, pour l’instant, la jeune femme n’en avait cure. Tout ce qui lui importait était de rester à l’abri pendant qu’elle réfléchirait à un moyen de se sortir de ce cauchemar. Le bruit des lames de métal qui s’entrechoquaient ainsi que les cris que leurs propriétaires poussaient par intervalles atteignaient ses oreilles.

Au-dessus de sa tête, sur le mur contre lequel elle s’était blottie, Isabelle remarqua un interstice entre deux planches de bois. Elle se leva avec lenteur afin de ne rien bousculer qu’elle ne pouvait voir dans son mouvement. Elle avança la tête vers la faible lumière du jour et risqua un coup d’œil en direction des combattants. La fente n’était pas bien large, mais suffisamment grande pour permettre à son œil d’observer ce qui se passait à l’extérieur. Son regard s’arrêta bien au-delà des combattants. Elle eut un choc et recula aussitôt. Elle respira rapidement.