Version ePub réalisée par :
Les Éditions du CRAM
1030 Cherrier, bureau 205,
Montréal, Qc. H2L 1H9
514 598-8547
www.editionscram.com
Les Éditions du CHU Sainte-Justine
3175, chemin de la Côte-Sainte-Catherine
Montréal, Qc. H3T 1C5
514 345-4671
www.editions-chu-sainte-justine.org
Conception graphique
Alain Cournoyer
Photo de la couverture
Vetta stock photo
II est illégal de reproduire une partie quelconque de ce livre sans l'autorisation de la maison d'édition. La reproduction de cette publication, par quelque procédé que ce soit, sera considérée comme une violation du droit d'auteur.
Dépôt légal — 1er trimestre 2011
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Copyright © Les Éditions du CRAM inc.
Les Éditions du CRAM reconnaissent l'aide financière
du gouvernement du Canada par l'entremise de son Programme d'aide
au développement de l'industrie de l'édition (PADIÉ) pour ses activités d'édition.
Gouvernement du Québec – Programme de crédit d'impôt pour l'édition de livres – Gestion SODEC.
Distribution au Canada : Diffusion : Prologue
Distribution en Europe : CEDIF/Daudin (France) ;
Caravelle S.A. (Belgique) ; Servidis (Suisse)
Catalogage avant publication de Bibliothèque et
Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Guilmaine, Claudette, 1949-
Vivre une garde partagée, une histoire d'engagement parental
Publ. en collab. avec Éditions du CHU Sainte-Justine.
Comprend des réf. bibliogr.
ISBN PDF 978-2-923705-68-2
ISBN EPUB 978-2-89721-009-0
1. Garde conjointe des enfants. 2. Rôle parental partagé (Divorce). 3. Parents et enfants. I. Titre.
HQ759.915.G84 2009 306.85'6 C2009-941824-X
À Claire, ma mère
À « mes grands » Mathieu et Ève-Marie
qui ont contribué à nouveau à la réalisation de ce projet,
cette fois avec leur regard et leur expérience de parents.
Au moment de ma rupture avec leur père, leur amour a
soutenu et guidé mon désir de partager et leurs réflexions
déjà empreintes de sagesse et de sensibilité ont éclairé le
chemin alors mal balisé de la garde partagée.
« La garde partagée, c'est ce qui peut nous arriver de
mieux dans le pire », disait Mathieu, alors âgé de 9 ans.
Et Ève-Marie qui venait d'atteindre ses 7 ans, « l'âge de
la raison », me confiait : « Toi, tu es triste parce que tu as
perdu papa, mais nous, on n'a perdu ni l'un ni l'autre ».
Et j'ajoute, après toutes ces années, à Lilianne,
Éloïse et Nathaniel, « mes petits »,
avec tout mon amour de mamie
Préface
Avant-propos
Introduction
Chapitre 1 : La garde partagée, qu'est-ce que c'est ?
Définitions et particularités d'ici et d'ailleurs
Avantages
Avantages ou inconvénients ?
Inconvénients
Chapitre 2 : Le jugement du roi Salomon… avec ou sans médiation
Les enseignements de Salomon
La médiation
Les mises en garde
La protection des enfants
La garde partagée pour mettre fin à la lutte ?
Mettre fin à la lutte pour entreprendre la garde partagée
Pistes de solution
Chapitre 3 : Préalables à la garde partagée pour en faire un heureux compromis
Des conditions gagnantes
Se faire confiance et se respecter comme parents
Faire équipe pour le bien de l'enfant
Choisir des lieux de résidence suffisamment rapprochés et un horaire de présence adapté aux besoins de l'enfant
Faire des concessions, mais jamais au détriment de l'enfant
Être capable de se parler, du moins en ce qui concerne l'enfant
Reconnaître et accepter les différences entre les parents
Faire confiance à l'enfant dans la mesure de ses capacités
Savoir se remettre en question et réviser le plan parental régulièrement
Chapitre 4 : Le bien-être des tout-petits
La question et la controverse
Un tableau personnalisé au lieu d'une peinture par numéros
De l'autre côté de la lorgnette
Attachement, développement et autres considérants
Un exemple d'aujourd'hui
Chapitre 5 : Eux l'ont vécue il y a 20 ans… Qu'en était-il alors ?
Jean-Pierre, la garde bien fondée
René, une garde bien en main
Nicole, le lien à départager
Jocelyn, une garde pour soi
Micheline, la garde sur ses gardes
Suzanne, la double garde partagée
Denis, la bourse ou la garde
Hélène, une conviction partagée
D'hier à aujourd'hui
Chapitre 6 : Pourquoi l'ont-ils choisie et pourquoi l'apprécient-ils ?
Importance de la relation entre parents et enfants
Mieux-être des enfants
Partage du rôle parental
Considérations financières
Avantages pratiques
Pourquoi les parents apprécient-ils la garde partagée ?
Chapitre 7 : Les dessous du partage au quotidien
Chapitre 8 : Questions, réponses et questions sans réponses
Chapitre 9 : Boîte à outils pour la mise en place de la garde partagée
Les précisions préalables
Le contrat de garde partagée
Le calendrier des séquences de garde
Le cahier parental
La communication
Chapitre 10 : Autres façons de simplifier la garde partagée
Les clés
Les valises ou non ?
Le réseau social et le transport
Le programme de vie et les règles parentales
Les finances
Chapitre 11 : Test d'auto-évaluation pour les aspirants à la garde partagée
Chapitre 12 : Après cent cinquante-six fois : « Bonne semaine mes chéris ! »
De mon point de vue de mère
Du point de vue des jeunes
Du point de vue du père
Chapitre 13 : Garde partagée et famille recomposée
Les mythes
Les questions embarrassantes
L'histoire d'Émile et de Fannie
Chapitre 14 : Garde partagée et homoparentalité
L'homoparentalité en 1989
L'éloquente histoire de Christiane et de Maurice
Et les enfants de ces familles…
Chapitre 15 : Avec encore plus de recul…
Mathieu, Ève-Marie, Marcel et moi
Le témoignage de Marguerite
Le témoignage d'Isabelle
Le témoignage de François
Jacques et sa vie en auto
Deux parents, deux villes, deux visions : l'histoire de Luc et de son fils Marc-Antoine
Denise et la fierté partagée
Sylvain et la joie de la paternité
Marisol et l'amour en double
Chapitre 16 : Mosaïque d'avis professionnels
Sans conclure… trop rapidement
Quand ça va bien, ça va bien !
Ni noir ni blanc
Composer avec l'imparfait, mais tendre vers le mieux
L'enfant au cœur du projet parental
Remerciements
Bibliographie
Ressources
Annexes
I - L'orange
II - Attitudes de parents séparés qui nuisent aux enfants
III - Quelques exemples de partage du temps assortis de commentaires
IV - Pour vous parents qui traversez une séparation… Des conseils à la douzaine
V - Réévaluation de vos buts en tant que parents
VI - Les parents sont responsables de la vie familiale. Attitudes parentales préventives (Michèle Lambin)
VII - Schéma-synthèse des relations entre les facteurs qui ont une influence sur l'adaptation de l'enfant au divorce (Francine Cyr et Geneviève Carobene)
VIII - Partage du temps et des responsabilités parentales : dimensions à explorer avec les parents
IX - « Deux Noëls, deux fêtes, deux chambres… », par Geneviève Proulx
Beaucoup de connaissances ont été accumulées ces trois dernières décennies concernant les effets de la rupture parentale sur les enfants ainsi que les facteurs qui influencent leur adaptation.
Toutefois, en ce qui a trait à la garde partagée1, peu d'écrits existent en français pour renseigner les parents et les professionnels sur cette rupture, les effets de ce mode de garde sur la relation de chaque parent avec l'enfant ainsi que le développement global de l'enfant.
En ce début de siècle, l'auteur a mis à profit son expertise, son expérience professionnelle et personnelle pour faire une synthèse des principaux écrits contemporains et des pratiques sur ce sujet brûlant d'actualité qui soulève les passions et les débats. Ce document décrit avec lucidité les atouts et les écueils de la garde partagée ; il donne aussi l'heure juste en faisant un rappel des conclusions des diverses recherches et des tendances observables sur le terrain.
Qu'est-ce que la garde partagée ? Quelles sont les conditions de sa mise en place ? Quels en sont les avantages et les exigences ? Quelle est la distinction entre garde partagée et coparentalité ? Comment les enfants s'y adaptent-ils ? Quel bilan en font les parents et les enfants après le passage du temps et des années ? Les préjugés sont-ils encore aussi coriaces qu'on le prétend ? Quel rôle joue le médiateur ? Un enfant peut-il avoir deux figures d'attachement ? Comment favoriser la mise en œuvre de la garde partagée pour en faire un heureux compromis ?
Cet ouvrage répond à un besoin réel d'information sur cette modalité de garde qui gagne en popularité tant au Québec que dans le monde. Nul doute qu'il sera un outil précieux pour les parents qui envisagent la séparation ou une révision du partage de leurs responsabilités parentales et s'interrogent sur le meilleur modèle de garde à offrir à leurs enfants. Il saura aussi répondre à cette nécessité d'accumuler des données de la part des professionnels tant du monde juridique que psychosocial.
Il s'agit d'un travail colossal intégrant le point de vue de parents et d'enfants que Claudette Guilmaine a retracés, pour certains vingt ans après les avoir interviewés. En sus, un résumé de points de vue de médiateurs de divers pays de l'espace francophone, du Brésil et, indirectement, du Chili et de l'Italie, vient enrichir la réflexion et élargir le cadre de référence.
Nous souhaitons donc témoigner notre profonde gratitude à notre collègue travailleuse sociale pour ce livre qui comble le besoin de savoir et de comprendre des parents afin qu'ils puissent ainsi mieux agir et réagir lors d'une rupture.
Le livre provoque également la réflexion pour faire en sorte, comme le disait si bien l'auteure, que « les enfants demeurent au cœur du projet parental et que le souci sincère de leur bien-être guide les parents par-delà les méandres des émotions post-rupture et de la réorganisation familiale ».
Lorraine Filion t.s.
Médiatrice familiale
Chef du Service de médiation et expertise
Centre Jeunesse de Montréal
Présidente de l'Association internationale francophone des intervenants auprès des familles séparées (AIFI)
Les ruptures conjugales sont une réalité de plus en plus présente dans toutes les sociétés modernes et la traversée de ce passage douloureux a des conséquences immenses sur l'harmonie future et le bien-être des uns et des autres.
Le présent ouvrage s'adresse aux parents désireux de poursuivre leur engagement parental auprès de leurs enfants après une séparation ou un divorce. Il s'adresse aussi aux professionnels des milieux sociaux et juridiques ainsi qu'aux intervenants qui sont amenés à accompagner ou à conseiller des parents qui envisagent une rupture ou l'ont vécue.
Il se propose d'être un guide et une source de réflexion pour toute personne qui désire connaître davantage cette forme de coparentalité, que ce soit par intérêt personnel ou professionnel. Il est riche de témoignages de pères et de mères qui, pour la plupart, expérimentent la garde partagée depuis plusieurs années. Les tableaux qui s'en dégagent sont variés et des plus intéressants, puisqu'ils enrichissent notre conception de ce type de garde d'un éventail de possibilités d'application et de mises en garde préventives. Est-il nécessaire de préciser que les exemples n'ont pas pour but de généraliser, mais plutôt d'illustrer certains aspects à l'aide d'une véritable histoire vécue ?
Ce livre est en fait une nouvelle édition entièrement revue, corrigée et augmentée d'un ouvrage paru en 1989, qui avait pour point de départ une recherche exploratoire menée dans le cadre de l'obtention d'une maîtrise en service social à l'Université Laval de Québec. J'avais alors puisé dans mon expérience à la fois personnelle et professionnelle. Fascinée par le contenu des entretiens réalisés avec les parents interviewés, j'avais eu envie d'en faire profiter le plus de gens possible. Le fait d'avoir moi-même vécu une séparation et la garde partagée de mes enfants pendant plus de huit ans, ajouté à ma pratique professionnelle de travailleuse sociale et de médiatrice familiale auprès de parents séparés et de leurs enfants, ont été et demeurent de précieux atouts.
La présente édition permet de jeter un nouveau regard sur toutes les expériences parentales qu'il m'a été donné de partager depuis plus de 20 ans et de mettre cette richesse au service des lecteurs qui, peu importe où ils se trouvent dans le monde et quelle que soit la terminologie, cherchent des pistes de réponse à la question de la continuité parentale au-delà de la rupture conjugale.
Elle permet d'éclairer le chemin parcouru depuis 1989 et de mettre par écrit les réponses aux questions les plus fréquentes que les parents m'ont adressées à ce sujet ou que j'ai partagées avec d'autres médiateurs.
Ma pratique m'a gardée active au cœur de cette mouvance sociale des couples et des familles. J'ai eu la chance d'accompagner de nombreux parents dans les tournants et parfois les tourments de leur vie. Dans l'intervention auprès des parents, il ne faut jamais perdre de vue les enfants et l'impact des choix des adultes sur leur vie. Qu'en disent vraiment les parents qui vivent la garde partagée ou qu'en pensent-ils maintenant avec le recul ? Quelle est actuellement la perception des jeunes adultes qui ont vécu cette expérience lorsqu'ils étaient enfants ou adolescents ?
Certains récits de garde partagée m'ont laissée perplexe quant à savoir si cette formule était pour eux un « heureux compromis », comme cela apparaissait en sous-titre sur la page couverture de l'édition de 1989, ou une malheureuse solution pour sortir de l'impasse de « Qui aura la garde de l'enfant ? ». C'est pourquoi j'ai notamment enrichi le chapitre sur les préalables à la garde partagée et j'y ai joint des exemples de « conditions gagnantes » et également de « conditions risquées » pour mieux guider parents et intervenants dans leur réflexion et leur choix. Nous tenterons de tirer des leçons de la décision du sage roi Salomon…
Exception faite de mon histoire personnelle et de quelques personnes m'ayant autorisée à les identifier, j'ai modifié les noms, par souci de confidentialité, sans toutefois altérer les récits2.
En terminant, vous trouverez également dans cet ouvrage quelques avis professionnels prouvant que le concept de garde partagée a non seulement traversé l'océan, mais qu'il continue d'évoluer en prenant les couleurs de chaque pays.
Mon livre aurait pu porter le titre de « Parents pour la vie » puisque c'est l'esprit qui l'habite au-delà des modalités de partage du temps et des responsabilités entre les parents. J'ai souvent dit en boutade que le nombre de jours de l'enfant avec chaque parent relève du domaine de la quincaillerie alors que le plus important, le cœur du projet, c'est l'amour des parents pour leurs enfants et la qualité de la relation avec eux.
Bien que j'aie expérimenté ce type de garde pendant de nombreuses années, je n'ai jamais été et ne suis toujours pas une inconditionnelle de cet arrangement et je ne voudrais pas contribuer à en faire un modèle idéal ou une panacée, surtout à cette époque où il s'impose presque comme une norme.
Par ailleurs, je le considère encore aujourd'hui comme une solution très intéressante qui s'offre parallèlement à la résidence principale avec un parent. C'est la seule manière que les parents ont trouvée, après une séparation, de maintenir ou d'établir un engagement égal ou très semblable auprès de leurs enfants, dans une situation qui évite à ces derniers de devoir choisir et perdre un parent. Le partage de la garde n'est toutefois pas garant de la qualité de l'investissement.
Le parent qui opte pour cette formule se doit d'être aussi responsable que s'il assumait seul le bien-être des enfants tout en étant capable de partager sans crainte majeure cette responsabilité avec l'autre parent, en alternance.
J'approfondirai d'ailleurs cette notion, principalement dans les premiers chapitres et lorsque nous aborderons les préalables ou conditions gagnantes pour réussir une garde partagée. Les bémols qui seront alors apportés se veulent préventifs et non dissuasifs.
La garde partagée comporte ses avantages, ses restrictions, ses pertes, ses exigences et ses inconvénients, comme la garde unique. Il est intéressant de connaître les uns et les autres afin de faire un choix éclairé, d'éviter certains écueils ou de dédramatiser quelques difficultés inhérentes à cette modalité.
Bien que cette façon de réorganiser la famille après une séparation soit de plus en plus répandue et qu'il existe un peu plus d'écrits vulgarisés sur le sujet, nombre de parents et de professionnels ignorent à qui s'adresser quand ils se questionnent sur des aspects plus spécifiques ou sur le bilan fait par des médiateurs familiaux et des intervenants sociaux et juridiques après toutes ces années d'expérimentation.
Je ne prétends pas que ce texte renferme toutes les réponses ni qu'il constitue une recension systématique des écrits. Mes synthèses se colorent d'impressions cliniques et de commentaires d'autres professionnels et c'est de cette expérience dont j'ai voulu faire profiter le lecteur. Lorsque j'ai opté pour la garde partagée, j'aurais aimé avoir accès aux témoignages d'autres parents. En somme, c'est le désir d'apporter ce que je n'ai pas trouvé et de le mettre à la disposition des lecteurs qui m'a amenée à écrire mon premier livre et à le mettre à jour aujourd'hui en y intégrant quelques « regards croisés », comme le disent les médiateurs français3.
Je crois au caractère unique de chaque histoire, mais aussi à la trame universelle des sentiments humains. Nous sommes faits de la même fibre. Chacun peut puiser dans la vie des autres matière à se reconnaître et se rassurer. Tant de parents m'ont confié : « Cela me fait du bien de savoir que d'autres vivent les mêmes choses. Jusque-là, je m'étais cru anormal ! » Anormal et souvent coupable. Prendre conscience que d'autres ressentent la colère, la tristesse, le ressentiment, nous donne le droit de les ressentir et, du même coup, libère une énergie qui, de manière paradoxale, provoque fréquemment de bons changements. Je souhaite que ce livre soit un moyen pour le lecteur de se situer, d'identifier ses besoins et ses attentes, de bien distinguer les besoins de son enfant et de trouver sa ou ses propres réponses au-delà des différences culturelles. Comme le chante joliment Francis Cabrel (auteur-compositeur français) : « Nous sommes tous des hommes pareils ».
« Définir, c'est limiter. »
Oscar Wilde
Définitions et particularités d'ici et d'ailleurs
Au Canada , la loi fédérale de 1985 sur le divorce ouvrait la possibilité d'attribuer la garde aux deux parents et confirmait le fait que les parents continuent d'exercer conjointement l'autorité parentale après une séparation ou un divorce.
Encore aujourd'hui, l'esprit de la loi favorise le maintien et la reconnaissance de la responsabilité et des devoirs des deux parents envers l'enfant. Feu l'honorable juge Mayrand4 parlait de cette responsabilité conjointe des parents comme d'un rééquilibrage de l'autorité parentale n'impliquant pas le déplacement physique de l'enfant entre les domiciles des parents. En droit civil québécois, l'autorité parentale est confiée aux deux parents et leur séparation ou leur divorce ne vient pas interférer avec ce pouvoir de prendre ensemble les décisions importantes concernant l'éducation, la santé, la surveillance, l'entretien et le bien-être de l'enfant.
Si l'on ajoute au partage des décisions le partage du temps, qui tend vers l'égalité, et l'alternance de résidence de l'enfant avec chaque parent se dessine une modalité dite de garde partagée ou de résidence alternée. Au Québec, l'appellation « garde partagée » est encore la formulation la plus répandue pour identifier la résidence en alternance de l'enfant chez chacun de ses parents. À l'instar de Me Michel Tétrault5, je crois que les termes de « garde » et de « garde partagée » sont appelés à disparaître, car ils seraient en soi sources de conflits. La loi de 1989 sur les enfants (Children Act 1989), en Angleterre et au pays de Galles, et la loi écossaise de 1995 sur les enfants (Children Scotland Act 1995), en Écosse, ont d'ailleurs remplacé le terme « garde » par celui de « responsabilité parentale ». Il en est de même en Australie avec l'amendement à la loi sur la famille concernant la responsabilité parentale partagée (Family Law Amendment - Shared Parental Responsibility Act 2006). La terminologie varie un peu d'un pays à l'autre mais les réalités se recoupent. À titre d'exemples, aux États-Unis, on retrouve les appellations « joint custody » et « shared-parenting » ; au Royaume Uni l'appellation « co-parental responsibility » ; celle de « custodia compartida » en Amérique du Sud (« guarda compartilhada », au Brésil) ; alors qu'en Belgique tout comme en France et en Suisse ce sont surtout les expressions « hébergement alterné » ou « résidence alternée (paritaire ou non) » qui ont cours, en complément de « l'autorité parentale conjointe ». 6 Ce partage du temps entre les parents doit nécessairement être associé au partage des responsabilités parentales. Qu'entend-on par parentalité? Des chercheurs la définissent comme étant « l'ensemble du processus permettant aux adultes d'exercer leur rôle parental c'est-à-dire de répondre aux besoins des enfants sur les plans physique, affectif et psychologique7. »
C'est pourquoi le concept de coparentalité est si important. Il réfère quant à lui à la coordination, l'implication, le soutien et la coopération entre le père et la mère, en ce qui a trait aux décisions et à la prise en charge de tout ce qui concerne l'enfant et ses différents besoins, et ce autant pendant la vie commune qu'après la rupture. La coparentalité est donc un aspect central de la vie familiale selon plusieurs chercheurs8 et, chez les parents séparés, un idéal à soutenir pour l'enfant9. C'est également, comme certains auteurs le soutiennent, un levier potentiel pour l'amélioration du fonctionnement familial et, par conséquent, pour le bien-être de l'enfant.
Concrètement, le partage du temps peut varier de séquences égales en séquences un tiers/deux tiers10, sans que chacune n'excède habituellement deux semaines (la séquence la plus rapprochée étant quotidienne soit quelques heures pour chaque parent auprès de l'enfant dans la même journée ou l'alternance jour/soir)11. Pour maximiser le temps de présence du parent auprès de l'enfant, le plan parental se doit de tenir compte de la disponibilité réelle de chaque parent. L'idée maîtresse est le maintien du lien et de l'engagement des parents dans le quotidien de l'enfant.
Ce type d'arrangement post-rupture est de plus en plus populaire. Selon Statistique Canada (2005), 30 % des couples divorcés y ont maintenant recours contre 10 % il y a dix ans. Au Québec, le pourcentage est plus élevé que partout ailleurs au Canada et la garde partagée y est aussi plus durable. Selon les chercheuses de l'ELNEJ, déjà en 2000, plus du tiers des enfants (37 %) dont les parents étaient divorcés avaient fait l'objet d'une garde partagée12. De plus, comme le précisent les auteures, ces statistiques ne portent que sur les parents divorcés et ne comptabilisent pas les parents séparés après avoir cohabité, alors que le Québec est aussi « champion des unions de fait ». Il faut également noter que les statistiques ne tiennent pas compte non plus de tous les divorces de parents d'enfants mineurs, étant donné que les ententes à l'amiable auxquelles parviennent les parents avant de divorcer ne figurent pas toujours dans les documents liés au divorce.
Il semble également que la garde partagée soit la formule qui répond le mieux aux aspirations des enfants, car ils peuvent ainsi maintenir un contact avec leurs deux parents13. La satisfaction des enfants semble conditionnelle au fait d'avoir une place bien à eux et au sentiment d'appartenir à une famille dont les membres réalisent des activités ensemble14. Francine Cyr, psychologue, chercheuse et médiatrice, apporte toutefois la nuance suivante, à savoir que la garde partagée peut être éprouvante pour trois types d'enfants :
Étant donné que le nombre de ruptures augmente17, de plus en plus d'enfants sont touchés par la séparation de leurs parents18. Comme ces ruptures surviennent plus tôt dans la vie des couples, de plus en plus de jeunes enfants vivent cette expérience : le groupe des zéro à cinq ans constituerait ainsi celui où le divorce des parents est le plus répandu en Amérique du Nord19. La mentalité et la tradition ont longtemps favorisé la garde de la mère, surtout pour les jeunes enfants. Certaines questions demeurent aujourd'hui en suspens quant aux impacts de l'alternance de résidence pour les tout-petits, à la capacité de chaque parent de répondre aux besoins spécifiques de l'enfant et à celle de certains enfants à s'adapter aux transitions fréquentes. Nous aborderons quelques pistes de réponses au chapitre 4.
Par ailleurs, avec les années, nous avons assisté à des décisions surprenantes des tribunaux qui ont ordonné la garde partagée pour mettre fin à des conflits alors qu'un seul parent souhaitait adopter la modalité de garde partagée. Certains cas recensés par la jurisprudence canadienne font mention de jugements de garde partagée alors que ni l'un ni l'autre des parents ne demandaient cette formule de garde. D'autres situations, dans lesquelles apparaissaient des symptômes liés au syndrome d'aliénation parentale, ont parfois aussi donné lieu à des gardes partagées imposées dans le but de rééquilibrer le pouvoir entre les parents, d'éviter l'aggravation du conflit de loyauté vécu par l'enfant et de ne pas le priver de la présence de l'un ou l'autre parent20. Nous reviendrons sur quelques exemples, que certains dénoncent comme des dérives, en abordant « le jugement du roi Salomon » au chapitre suivant.
Bien que cette modalité soit de plus en plus fréquente, nous sommes toutefois loin d'une présomption officielle favorisant l'application de la garde partagée, comme dans plusieurs États américains. Dans ces législations, ce sont les parents qui doivent, s'ils désirent une autre modalité de garde, démontrer que cette formule n'est pas à l'avantage de l'enfant. Certains États, comme la Californie, qui a été le premier État à expérimenter cette présomption favorable à la garde partagée, en 1979, ont toutefois rebroussé chemin après quelques années pour privilégier par la suite le cas par cas.
Dans différents pays21, plusieurs groupes de pères militants réclament encore cette présomption automatique de partage 50 %-50 %, souvent dans le cadre de campagnes dramatiques, mais des juges et intervenants sociaux insistent pour prendre pour balise le meilleur intérêt de l'enfant et considérer chaque cas comme unique.
Toutefois, un consensus assez généralisé se dégage, reconnaissant les parents comme étant habituellement les mieux placés pour prendre les décisions concernant ces enjeux post-rupture, si émotifs et personnels. Si les parents le souhaitent, leur entente sera entérinée par le tribunal. Comme nous le verrons dans les témoignages, plusieurs parents s'en tiennent à une entente à l'amiable. L'accroissement du nombre de gardes partagées s'est traduit par une hausse du nombre de jugements lui reconnaissant force de loi, même si plusieurs conjoints de fait continuent d'appliquer ce modèle sans demander l'homologation du tribunal22. Le Service de médiation à la famille du Centre Jeunesse de Montréal rapporte qu'en 2007, 45 % des dossiers fermés comportant une entente entre les parents se sont conclus par une garde partagée23. Selon certains médiateurs familiaux, le nombre de parents optant pour cette modalité de partage, tout statut légal confondu, atteindrait 70 % à 80 % de leur clientèle, ce qui dépasse de beaucoup les statistiques officielles. Il ne s'agit pas ici d'une étude quantitative rigoureuse, et je ne voudrais pas me mériter le reproche d'A. Sauvy qui nous rappelle que : « Le chiffre est un être délicat qui, soumis à la torture, se plie au moindre de nos désirs ». Tout en restant prudents, nous pouvons constater une nette progression de cette réalité.
Avantages
Présence dans le quotidien
Cette présence des parents dans le quotidien de l'enfant constitue l'un des avantages majeurs invoqués par les tenants de la garde partagée. Ils soulignent que c'est la formule qui ressemble le plus à la famille d'origine. Cette présence régulière et soutenue favorise le maintien de liens significatifs avec les deux parents, ce qui constitue l'un des facteurs déterminants de l'adaptation de l'enfant. De plus, une recherche longitudinale canadienne souligne que, quelle que soit son évolution au cours des années suivant la séparation, la garde partagée semble favoriser le maintien des relations à long terme entre l'enfant et ses deux parents24.
Partage des responsabilités
Bien qu'en alternance, chaque parent peut pleinement actualiser son rôle dans l'ensemble des tâches et des responsabilités qui lui incombent et non seulement comme parent de fin de semaine. Ainsi, la santé, le soutien scolaire et le développement global de l'enfant ne reposent pas sur un seul parent. On évite la dichotomie « un parent soignant ou parent principal » et « un parent absent ou secondaire ». La garde partagée est une manifestation spécifique de la coparentalité25. Ce partage, issu d'une vision plus égalitaire, a l'avantage d'éviter la surcharge et, habituellement, le contrôle excessif de l'un ou de l'autre, quoique certains pièges existent.
Gain de temps libre
Le gain de temps libre n'est pas à négliger. Il n'est pas surprenant que les mères soulignent plus souvent cet avantage : le point de comparaison est encore aujourd'hui la garde à plein temps assumée par la mère. Or, ce modèle traditionnel créait bien souvent des mères exténuées et des pères absents.
Plusieurs médiateurs constatent que, dans le rythme effréné qui caractérise nos sociétés actuelles, dans lesquelles les deux membres du couple sont habituellement sur le marché du travail et doivent concilier exigences professionnelles et familiales, la garde partagée devient parfois une solution de survie! Cette alternance peut réduire le stress en offrant un moment de répit à chacun. Et nous pourrions présumer qu'en ayant l'enfant à leur charge à temps partiel seulement, les parents ont plus d'énergie et d'amour à lui consacrer en formule condensée. De plus, le temps libre peut parfois faciliter la reprise en main de la vie personnelle. Pour apporter quelques bémols, je dois ajouter que j'ai, par contre, rencontré des mères, mais aussi des pères, qui affirmaient qu'égoïstement ils préféreraient avoir leurs enfants à plein temps avec eux, mais qu'ils ne voudraient pas les priver ainsi de l'autre parent !
On ne peut toutefois passer sous silence le fait que certaines demandes de garde partagée cachent paradoxalement un appel à l'aide ou un désir de désengagement partiel. Il arrive en effet que l'un ou l'autre parent soit trop pris par sa vie personnelle, qu'il vive un sentiment d'impuissance parentale plus ou moins avoué ou un essoufflement et un désir d'en faire moins. Il se peut aussi que l'un ou les deux parents rencontrent des difficultés majeures dans la réorganisation de leur vie ou face à un enfant, et que le partage du temps et des responsabilités leur apparaisse alors comme un moindre mal. Cette option pourrait alors se présenter comme une mesure de prévention en équilibrant, du moins un peu plus, les responsabilités et les charges de chacun. Comme le dit avec humour une consœur médiatrice, la garde partagée permet peut-être de garder le souffle pour le marathon des 18 ans, puisque la tâche de parent, c'est beaucoup plus qu'un petit sprint d'une année !
Égalité de pouvoir décisionnel
Même si, dans l'esprit de la loi, les parents conservaient, après le divorce, le droit de prendre les décisions importantes concernant la santé et l'éducation de leur enfant, dans les faits, c'était souvent le parent dit « gardien » qui s'appropriait ces domaines. La garde partagée efface cette distinction terminologique et rétablit, du moins théoriquement, l'égalité du pouvoir décisionnel des parents. Le terme désuet de « parent visiteur » ne pouvait que contribuer à creuser davantage le fossé entre les parents au lieu de créer des ponts si nécessaires à la coopération ! Il est intéressant de noter qu'il existe des expressions comme « ex-conjoint », « ex-épouse », mais que l'appellation « ex-parent » serait impensable puisque l'on est parent pour la vie. Certains pères apprécient beaucoup cette reconnaissance et ils sont de plus en plus nombreux à la revendiquer dès la rupture du couple et souvent même durant la vie commune.
Contribution aux dépenses de l'enfant
Il semble qu'en garde partagée les pères contribuent plus volontiers aux dépenses pour l'entretien et l'éducation de leur enfant puisqu'ils le font directement, ce qui peut constituer un autre avantage de cette formule. Et j'ajoute : quand la division des frais entre les parents respecte les capacités financières de chacun. Plusieurs médiateurs ont malheureusement constaté que, dans les cas où l'écart de revenus nécessite le versement d'une contribution à l'autre parent ou un partage inégal des frais, certaines résistances du parent « payeur » peuvent transformer cet avantage en source de tension. Le but recherché est pourtant de conserver pour l'enfant un niveau de vie semblable à celui dont il pouvait jouir avant la séparation, grâce à la contribution équitable des deux parents.
Pour ce qui est du respect des obligations alimentaires, je cite Paule Lamontagne, psychologue :
« Il est intéressant de penser que l'attachement fort et entretenu entre les enfants et leurs deux parents après une rupture amène un engagement monétaire plus soutenu comme si de voir et de vivre plus proche et dans un rapport de collaboration et d'égalité entraînait un investissement économique autant que psychologique dont les enfants bénéficiaient. »26
L'enfant ne perd aucun parent
Un autre gain majeur est que l'enfant n'a pas à choisir entre ses parents. Il ne perd ni l'un ni l'autre. Il ne pourra plus les voir tous les deux en même temps, sauf pour de courtes périodes ou pour des événements spéciaux si les deux parents se sentent assez à l'aise émotionnellement pour le faire, mais il aura la possibilité de continuer à vivre avec chacun à tour de rôle et de se sentir « à la maison » chez chacun d'eux.
Certains craignent que l'enfant vive davantage de conflits de loyauté dans son désir d'être juste face à ses deux parents. Selon la recension des écrits de Rodrigue Otis :
« Les mères qui partagent la garde affirment que leur fils se préoccupe beaucoup de loyauté (…).Néanmoins, les réponses des enfants aux mises en situation portant sur les conflits de loyauté révèlent que cette question ne préoccupe pas moins les garçons confiés à la garde de leur mère que les garçons en garde partagée. »27
Pour l'enfant, l'avantage de ne perdre aucun de ses parents est particulièrement précieux quand on sait qu'un lien de qualité entre l'enfant et chacun des parents est un gage de son adaptation après la séparation des parents.
Il en est de même de l'importance de la qualité du lien parental post-rupture. C'est pourquoi l'arrivée de la médiation familiale subventionnée par le gouvernement28 a été saluée avec joie par les intervenants et les parents québécois qui y voyaient un moyen de favoriser la collaboration parentale plutôt que l'approche adverse.
Quand les parents optent pour ce type de garde, les enfants ont la possibilité d'avoir un père réel, contrairement à d'autres situations où les enfants et les pères doivent se contenter d'un lien fluctuant et superficiel. Si le parent était compétent du temps de la vie commune, il ne perd pas ses qualités ou ses aptitudes lorsqu'il y a rupture. Comme le soulignent plusieurs parents, ce n'est pas parce que le couple se sépare que les parents veulent se séparer des enfants !
Occasion d'apprentissages complémentaires
Même pour celui qui n'aurait pas appris et appliqué le partage des tâches et des responsabilités parentales durant la vie commune, la garde partagée peut devenir une occasion d'apprentissage si ce désir repose sur une motivation sincère et le souci de l'intérêt de l'enfant et non sur une lutte de pouvoir et la revendication coercitive de ce que certains considèrent comme leur droit. Nous pouvons toutefois comprendre la déception et le sentiment d'injustice sous-jacents à ces propos maternels :
« Si leur père avait voulu s'impliquer davantage du temps de notre vie commune, nous ne serions pas en train de nous séparer ! Et maintenant que nos enfants sont plus autonomes, voilà qu'il veut s'en occuper ! ».
Bien que certains engagements parentaux paraissent tardifs, il n'en demeure pas moins que la garde partagée peut offrir aux mères comme aux pères le temps et l'occasion de réaliser des apprentissages différents et complémentaires.
Avantages ou inconvénients ?
Reconnaissance implicite des capacités des deux parents
Un autre avantage de cette modalité de garde, c'est qu'elle reconnaît implicitement la capacité et le désir des parents de jouer leur rôle auprès de l'enfant. Elle évite les étiquettes de bon, mauvais ou moins bon parent, de parent principal ou secondaire, de même que l'idée d'un gagnant et d'un perdant. L'enfant n'est pas considéré comme la propriété exclusive de l'un ou l'autre. Les deux parents sont reconnus et valorisés dans leur rôle complémentaire. Par ailleurs, cette présomption d'égalité peut constituer un piège si l'un des parents n'assume pas, dans les faits, sa part de responsabilités. Ainsi, des mères souhaitant une implication plus grande des pères déplorent l'iniquité de la prise en charge de l'enfant et des soins malgré le partage supposément égal des tâches et des responsabilités parentales en garde partagée29.
Valorisation sociale des pères
Il y a quelques années, certaines femmes se sentaient dévalorisées socialement dans ce choix de garde30 alors que les pères y trouvaient une revalorisation. Cette attitude s'explique lorsqu'on se réfère au modèle traditionnel dans lequel la mère prend en charge l'enfant et y trouve une confirmation de sa valeur, tandis que le père joue un rôle effacé. La garde partagée peut alors être jugée comme un modèle où la femme s'investit moins qu'avant et le père, beaucoup plus. Étant donné qu'une grande majorité de femmes sont sur le marché du travail et que la responsabilité des enfants doit nécessairement être confiée à des tiers, le contexte social actuel prête moins à disqualifier le choix de la garde partagée. En revanche, il semble que les hommes retirent encore de nos jours un fort sentiment de valorisation de ce même choix. Cette valorisation est-elle suffisante pour entraîner, comme le craignent certains médiateurs, une revendication narcissique de la garde partagée, pour le simple fait que c'est bien vu pour un père ?
Inconvénients
Les absences de l'enfant
Le fait de se séparer physiquement de ses enfants, d'être privé de leur présence, représente toutefois une souffrance réelle pour la majorité des parents, parfois davantage exprimée par le parent qui n'a pas choisi la séparation conjugale.
« En plus d'avoir été abandonné(e), il faudrait que je me sépare de mes enfants la moitié du temps ! »
Voilà en effet l'un des inconvénients de la garde partagée en comparaison avec la résidence principale avec un parent. Par ailleurs, dès que des parents séparés désirent rester impliqués dans la vie de leur enfant, il y aura nécessairement du temps sans lui, que ces périodes soient courtes ou plus substantielles. Ce deuil s'ajoute à l'autre, celui de la famille d'avant, et dépend de la façon dont la rupture est vécue par chacun.
L'adaptation à l'alternance
L'alternance constante des séparations, l'adaptation à deux styles de vie, une période avec les enfants, une autre sans eux, des allers-retours, des déplacements, des bagages31 à faire, à transporter et à défaire ainsi que des transitions difficiles pour chacun, tout cela peut à juste titre être considéré comme un problème, parfois encore plus difficile à vivre pour les enfants que pour les parents. Plusieurs craignaient que l'alternance de domicile ne perturbe les enfants, ce qui n'a pas été confirmé par la recherche :
« Par rapport aux changements de domicile (…), les enfants en garde partagée ne se montrent pas plus anxieux ou plus confus que les enfants confiés à la garde de leur mère. »32
Le déplacement de l'enfant d'un domicile parental à l'autre ne crée pas nécessairement d'instabilité pour l'enfant, mais constitue un inconvénient. Par ailleurs, des chercheurs australiens33 ayant étudié les arrangements parentaux post- séparation ont mis en lumière le fait que la notion de stabilité couvre plusieurs dimensions qui ne sont pas toutes nécessairement bénéfiques pour l'enfant.
Toutefois, préoccupés par les difficultés d'adaptation que pourraient connaître leurs enfants, certains parents optent pour la formule dite du nid ou des « parents-valises »34. Les enfants demeurent alors à la même résidence tandis que les parents alternent auprès d'eux, tous les deux ou trois jours, toutes les semaines ou les deux semaines. Comme nous le verrons plus loin, cet arrangement peu répandu et souvent temporaire comporte lui aussi sa part importante d'adaptation !
Les contacts avec l'ex-conjoint
Parmi les autres difficultés mentionnées par des parents, il y a le malaise causé par la nécessité et les exigences de contacts réguliers avec l'ex-conjoint. Certains croient que la fréquence de ces contacts avec l'autre parent peut allonger le processus de deuil, ce qui n'a toutefois pas été vérifié empiriquement. Les contacts seraient-ils moins nombreux si le temps était partagé inégalement ? Pas nécessairement, sauf que pour être capables de concerter leur approche auprès de l'enfant, il est nécessaire pour les parents de savoir échanger afin de favoriser une transition en douceur entre les séjours. Le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez nous rappelle d'ailleurs que plus l'enfant est petit, plus la qualité du passage est importante35.
L'inconfort des transitions est souvent plus marqué dans la période qui suit immédiatement la séparation, lorsque le divorce émotif n'est pas encore achevé, une période qui, selon des études, peut durer, en moyenne, environ deux ans.
La mobilité géographique restreinte
La garde partagée oblige les parents à habiter la même localité ou région, ce qui peut restreindre leur mobilité personnelle et professionnelle36. Quand un conjoint a quitté sa région d'origine pour accommoder l'autre, la tentation peut être grande de retourner, après la rupture, auprès de ses propres parents et amis, au risque de compliquer ou d'empêcher la garde partagée. Il n'est alors pas facile de faire correspondre l'intérêt du parent et celui de l'enfant.
L'équité relative du partage des frais
Le partage des frais liés à l'entretien de l'enfant est aussi jugé par certains parents comme une question sensible. Il arrive que les mères soient désavantagées par l'égalité de partage des frais lorsque l'infériorité de leur revenu n'a pas été prise en compte, surtout si cette entente a été conclue pour acheter la paix et sans l'aide d'un tiers médiateur37. La motivation financière sous-jacente de certains pères, plus favorisés que les mères sur le plan monétaire, est souvent mise à nue en médiation lors du calcul de la répartition des frais relatifs à l'entretien de l'enfant. Ceux qui croyaient faussement se départir de leur responsabilité économique en assumant la garde à temps partiel de l'enfant apprennent que, même en garde partagée, la contribution respective de chaque parent est établie en fonction de leur capacité financière, qu'il y ait ou non présence de nouveaux conjoints.
Les exigences de la parentalité à temps partiel
La perception du temps diffère aussi selon le sexe. Lors des interviews réalisées en 1989, des mères disaient avoir l'impression d'avoir plus de temps à elles grâce à la garde partagée, tandis que des pères s'en sentaient privés. Ce même mi-temps, perçu comme un avantage par les mères, devenait un désavantage, voire une contrainte, pour certains pères lorsque ceux-ci n'avaient pas appris à composer avec les exigences de la conciliation famille/travail. Il arrive aussi que les parents trouvent stressant d'avoir à répondre à toutes les demandes et tous les besoins des enfants dans le temps restreint qui leur est consenti.
Les fausses bonnes raisons38
Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, les motivations de ceux qui optent pour ce type de plan parental peuvent être complexes, multiples, variables dans le temps et parfois inavouables. Elles peuvent donc constituer des désavantages pour l'un ou les deux parents et, par ricochet, pour l'enfant, par exemple lorsque le plan parental vise à acheter la paix ou à conserver une relation forte avec l'ex-conjoint(e) dans un contexte de conflit, de vengeance ou de deuil difficile à assumer, ou lorsque la motivation sous-jacente est davantage un argument de négociation d'ordre financier. Ces raisons ont tendance à éloigner ou interférer avec le réel désir du bienêtre de l'enfant.
En conclusion , la garde partagée, ici comme ailleurs, vise la coparentalité après la rupture. Elle présume donc que l'enfant a deux parents qui désirent continuer d'en prendre soin, de l'éduquer et de l'aimer. C'est une modalité de plus en plus populaire, revendiquée par les pères et parfois crainte par les mères de jeunes enfants et par certains professionnels. Cette coparentalité comporte ses avantages et ses exigences et, si elle n'était pas appliquée du temps de la vie commune, elle doit s'apprendre progressivement.
« Celui qui sourit plus qu'il n'enrage
est toujours le plus fort. »
Proverbe
japonais39
Ce chapitre porte davantage sur des situations très litigieuses qui ne surviennent que dans une minorité des cas de rupture, mais qui sont souvent fortement médiatisées.
Rencontrons d'abord ce bon roi Salomon à qui l'on fait aujourd'hui porter la fausse paternité de bien des jugements rapides mais combien éloignés de sa sagesse !
Les enseignements de Salomon
Salomon, fils et successeur de David, était roi d'Israël de 970 à 931 avant Jésus-Christ. Dans la Bible, il est écrit que Salomon a demandé à Yahvé une sagesse pratique, non pas pour en bénéficier lui-même mais pour en faire bénéficier le peuple.