VALOIS ROBICHAUD
AUTRES OUVRAGES
DE VALOIS ROBICHAUD
AUX ÉDITIONS DU CRAM
Accueillir les besoins psychiques de l’adulte vieillissant
Cueillir mes petits bonheurs au quotidien
Et si on enseignait l’espoir ?
La peur de vieillir, un pas vers l’euthanasie ?
Soigner, c’est aimer l’autre et l’accompagner
Vivre la retraite avec sérénité - un temps pour la rencontre de soi
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Robichaud, Valois
L’égo au cours des âges de la vie : vers une spiritualité du coeur
(Psychologie)
Publié en collaboration avec Éditions du CRAM.
Comprend des références bibliographiques.
ISBN 978-2-924321-36-2 (Porte-bonheur)
ISBN 978-2-89721-113-4 (CRAM)
1. Moi (Psychologie). 2. Tranquillité d’esprit. I. Titre. II. Collection : Collection Psychologie (Éditions du CRAM).
BF697.R62 2016 155.2 C2016-940856-6
Imprimé au Canada
Je dédie cet ouvrage à Madame Colette Portelance,
fondatrice de l’ANDCMD, pour sa contribution exceptionnelle
à l’humanisation des relations personnelles
grâce à son approche et à ses travaux.
Je remercie Olga et Patrick Kauffmann, pour lesquels j’éprouve une profonde amitié. Olga, étudiante dans les années 85, au sein de l’institution fondée par Carl Rogers, m’a permis de la regarder œuvrer en tant que thérapeute formée à l’approche centrée sur la personne. Son art, son attitude, sa présence et sa confiance dans ses relations avec les étudiants qu’elle a formés m’inspirent encore aujourd’hui. C’est lors d’un congrès international à Rome, en 2010, que j’ai fait la rencontre de Kauffmann, président du PCAI-France (Person’s Centered Approach Institute-France). À quelques occasions, Patrick m’a invité à travailler avec le PCAI-France. Ce fut pour moi une plongée dans l’approche, créée par Carl Rogers, centrée sur la personne.
À vous deux, je tiens à témoigner toute ma reconnaissance.
Le psychologue américain Carl Rogers écrivait : « Chaque individu (…) peut puiser dans ces ressources (ses potentiels positifs), pourvu que lui soit assuré un climat d’attitudes psychologiques “facilitatrices” que l’on peut déterminer ».
Valois Robichaud s’inscrit dans une démarche qui s’alimente à une positivité voisine et que révèle le sous-titre de son ouvrage « Vers une spiritualité du cœur ». Il va nous faire voyager au cœur des processus qui marquent les moments importants de la construction de la personnalité de chacun.
Nous sommes si confiants dans les qualités humaines de notre ami Valois Robichaud que nous n’avons pas voulu rater ce voyage auprès de lui avec l’angle de vision qu’il nous propose.
Nous nous sommes engagés dans cette occasion de voyage, à l’exploration des fondements de la personne, tels des personnages d’une mythologie qui vont accomplir un périple autour du monde, mais qui là, devient un voyage au cœur de la personne confrontée à la vie. Périple semé d’embûches, de surprises, de peurs, de défis, de combats, d’ambiguïtés, de souffrance et de joies, d’effrois et d’apaisements.
Il va nous faire explorer quatre continents : le continent de l’enfance, le continent de l’adolescence, le continent de la personne adulte et le continent de la personne âgée.
Débarqués sur ces continents, il va nous en montrer les différents pays, les différentes régions avec leurs us et coutumes, leurs rites dont les impacts ne nous laisseront jamais neutres.
Nos tribulations vont nous amener à y rencontrer les multiples faces de l’ego en prise avec les différentes périodes de la vie.
Ces rencontres nous apprennent à découvrir qu’à partir des obstacles contrariant et têtus il est possible de lire ce qui les fonde et d’en dissoudre leurs côtés rugueux pour installer une fluidité que le premier abord cache.
L’intérêt de son regard est de savoir reconnaître, sous les carapaces protectrices dont la société facilite la mise en place, la virginité fertile chez chacun.
Son savoir et sa sensibilité nous hissent à un niveau de confort pour nous faire traverser la vie. C’est assurément un passeur avec qui nous voulons rester reliés.
Nous n’allons pas ici vous dévoiler l’issue de ce voyage, vous vous la créerez à votre manière, mais nous pouvons vous dire qu’il a été auprès de nous le sage qui commente les difficultés du terrain, prévient des mirages trompeurs, réchauffe ou rafraîchit selon les humeurs du temps…
Olga et Patrick Kauffmann
Veigy-Foncenex, le 2 avril 2016
L’enfant a le cœur pur, son regard reflète son âme ; l’adolescent regarde les terres lointaines pour marcher et construire son humanité à sa manière, alors que l’adulte au mitan de la vie et au grand âge, rentre chez soi pour habiter son jardin intérieur.
Cet essai sur le rôle de l’ego1 dans le développement inachevé de la personne humaine se situe à la croisée de deux chemins : le premier me ramène au printemps 2014, alors que je donnais une conférence à des enseignants du primaire au Pérou sur la thématique de l’espoir ; j’avais longuement étudié le mouvement PRH2 et sa façon de parler de l’ego et de la place que cette instance occupe au cœur même de la vie ordinaire de l’individu. Le second chemin est mon histoire de vie, mon propre parcours de l’enfance à la vie adulte. En posant un regard inédit sur l’échelle des âges, je vais maintenant appréhender quelque chose de nouveau en sciences humaines : la présence de l’ego jusqu’aux âges avancés de la vie.
Comme je travaille depuis des années sur le terrain privilégié du développement global de la personne, de sa naissance à sa mort, je viens réfléchir avec vous, mes lecteurs et lectrices, afin de vous faire mieux saisir la dynamique de l’ego. J’emprunterai l’image du jardin intérieur – source de toutes les créations, de toutes les rencontres et de tous les possibles –, qui offre des rendez-vous. En cet endroit de l’Être règnent la confiance et la liberté, mais aussi un espace pour l’émerveillement, la reconnaissance, les rencontres humaines, l’amour, l’amitié et le tête-à-tête avec son Dieu. Pour y avoir accès, il faut ouvrir une porte devant laquelle est posté un gardien : celui-ci, armé, protège et défend l’entrée du jardin. Il s’agit de l’ego.
Ce gardien a pris sa place au cours de mes longues années de croissance ; de petite taille à l’enfance, il aura grandi à la mesure de mes expériences heureuses ou malheureuses ; sa fonction première est de protéger ma personne contre toutes les menaces. Plus il aura connu des états de guerre et de violence, plus il se sera bâti une haute et large carapace. D’où l’expression bien connue : « il a un gros ego ». Le gardien détient les clés de la porte du jardin. Lorsqu’il est en faction, il me constitue prisonnier de ma vie intérieure, de mon paradis ; je suis privé de liberté et de la vraie personne en attente de vivre. De nature méfiante et protectrice, le gardien a comme objectif ultime de protéger ma personne des agressions et des menaces, m’invitant à vivre sur le mode du « pilote éveillé ».
Je souhaite observer d’un peu plus près cette instance qui, tantôt en alliée, tantôt en ennemie, participe à la croissance de l’individu ou freine son développement pour plus d’harmonie et de liberté intérieure au cours de tous les âges de la vie.
De l’héritage judéo-chrétien, on retient que l’ego, c’est l’orgueil, l’un des sept péchés capitaux et qu’il n’est pas bon d’être orgueilleux. Mais attention : l’ego et l’orgueil ne sont pas synonymes ! L’orgueil est plutôt la manifestation d’un ego blessé chez une personne dont les besoins psychiques de reconnaissance et d’amour n’ont pas été adéquatement comblés dans son histoire de vie. Le chemin le plus difficile à emprunter3 demeure celui qui conduit à mon jardin intérieur. Pour trouver ce chemin, il me faut être au rendez-vous de l’ici et du maintenant, là, en cet instant, accueillant la météo intérieure : consolations, désolations, inquiétude, paix, peine, colère, rage, et j’en passe.
Lorsque je mets en lumière ce qui est là, présentement, l’avatar se déplace et je peux accéder à mon vécu, à mes ressources, à ma vie.
L’ego, c’est « le moi » et le « je » ; communément on voit l’expression le « moi-je ». Il a parfois une connotation péjorative et à d’autres moments, il est une construction positive désignant une composante de la personnalité du sujet ; à ce moment-là, le gardien enlève gentiment son armure, son masque et t’invite à entrer dans ton jardin intérieur, en ami, le tien, celui qui avec toi fait le va-et-vient de l’intérieur vers l’extérieur et de l’extérieur vers l’intérieur. En ce jardin, il fait beau, la chaleur et la tendresse t’y attendent.
Par ailleurs l’ego destructeur se tapit souvent à l’entrée de ton jardin ; ce gardien est imposant, ayant emmagasiné tout ton passé, et il scrute l’horizon pour entrevoir le futur. Il porte généralement une cotte de mailles très lourde, ayant accumulé sur ses épaules ton histoire, incapable de se désencombrer des fils métalliques que sont tes fausses culpabilités, tes ressentiments, tes manques et il est donc incapable d’accomplir des mouvements plus légers et harmonieux.
D’autres disent que le Moi, l’ego donc, c’est le pilote de ma vie, la tête ou encore le cerveau ; c’est le lieu d’où prennent leur origine les décisions, les actions pour peu que je sois présent à ce que je fais, à ce que je dis.
Rappelons-nous les expressions « tête folle », « tête agitée », « pas de cervelle », « tête de linotte », ou encore Gérard Depardieu disant à son fils, dans le film Aime ton père, « Pense, pense mon Dieu ! », invitant son fils à la pensée-réflexion, par un acte de la volonté.
Certaines personnes m’avouent avoir été inconscientes à certains moments de leur vie, ayant posé des gestes déplorables et contraires à leur harmonie et à leur équilibre, car elles vivaient éloignées de la présence-conscience qui habite leur jardin intérieur, là où résident la sagesse, le savoir-dire et le savoir-faire ajustés aux événements et aux personnes. Rappelons-le, le gardien géant à l’entrée de mon jardin-sanctuaire intérieur me renvoie tout de suite à ce dont j’ai besoin, c’est-à-dire au vide, pour apaiser mon désarroi, mon ennui, ce qui crie en moi. Ce gardien plus grand que nature n’est nul autre que le surmoi (tel que défini par Freud), qui surveille, interdit et me renvoie souvent à des scénarios apocalyptiques, loin du réel, de ma réalité subjective.
De l’innocence de l’enfant qui fait ses premiers pas à la témérité de l’adolescent, puis à l’entrée dans la vie du jeune adulte, nous parcourons ainsi les âges en présence d’une entité propre à notre personnalité, nommée l’ego. Comment donc cet ego se construit-il ? Comment suis-je passé de la fluidité et la transparence de l’enfance à la rigidité de l’adulte, et à nouveau, en avançant en âge, à la conquête de la beauté de l’Être et à la docilité à vivre avec lui ? Certains y arriveront mais pas tous, hélas !
Comment ai-je pu, à une période de ma vie, ne plus retrouver ce jardin de mon enfance où j’avais connu des espaces d’émerveillement faits de soleil, de rivages sans fin, de grands espaces, de rivières, d’oiseaux et de ciel bleu ? L’aurais-je perdu ou oublié parce que je l’avais enfoui dans mon inconscient en raison des malheurs que j’ai connus ou de ma difficile enfance marquée par l’indifférence et l’absence de mes parents, par des sentiments d’abandon et de rejet, voire de violence ou de guerre ?
J’écris sur l’ego au fil des âges car je souhaite faire jaillir la liberté (libérer la liberté, en quelque sorte) enfouie dans les profondeurs de l’Être ; ainsi, l’individu peut vivre avec moins d’inquiétude, plus de sensibilité, de présence à Soi et aux autres dans une attitude d’ouverture libre et confiante lui permettant d’accueillir son propre devenir, protégeant son système immunitaire par une hygiène de vie et quittant le paraître pour vivre enfin des énergies de l’Être.
Je demeure toujours habité par la théorie fondatrice de Carl Rogers4 sur l’actualisation de la personne, que voici : « (…) la tendance de l’être humain à s’actualiser pour devenir ses potentialités, une volonté de s’actualiser positivement ». Voilà la confiance qui m’habite en présence des êtres que je rencontre.
J’ai une confiance viscérale en l’autre, au mystère qui l’habite, et qui ne dépend pas uniquement de lui ou de moi, mais d’une force silencieuse, de la vie qui le porte, le déploie et l’actualise.
J’exprime ainsi la tendance directionnelle qui est manifeste dans toute vie organique et humaine : « l’envie irrépressible de s’étendre, de se déployer, de se développer, de mûrir, d’exprimer et d’activer toutes les capacités de l’organisme5 ou du self (…) existe dans chaque individu, et attend seulement les conditions adéquates pour être libérée et exprimée. »
En lecteurs curieux, nous aimerions comprendre la distinction entre l’ego et le soi. Qu’est-ce donc que le soi ? Voici un bref éclairage entre le Moi (l’ego) et le soi. Le petit Robert parle du soi en faisant état de la manière d’être, d’exister, de l’être conscient. Il y a donc une présence, une conscience. C’est ce que j’appelle le jardin intérieur. En poursuivant la réflexion sur le soi, dans le Soi, certains auteurs nous disent que le Soi, « c’est le lieu du Divin, la présence de Dieu, c’est Dieu vivant en soi, la Source, la Sagesse, la Vérité. »6
En littérature, nous rencontrons des expressions comme « le don de soi », « la réalisation de soi », dans le sens d’une conduite, d’une actualisation de soi à partir de sa propre intériorité, de sa profondeur nommée l’Être, une instance et un lieu en soi. L’Être est reconnu comme le lieu où baigne la source de l’infinie sagesse, où Dieu réside. L’Être et le soi sont synonymes.
Assis au salon, dans un fauteuil confortable, il me semble que je me laisse couler dans des moments de pur bonheur ; ce bonheur, l’avez-vous vécu, avec un livre, ou en conversation intime avec une autre personne, ou encore seul en méditant, en priant ? Cette sensation relationnelle avec la partie intime de moi-même est – à mon sens – un espace pour le Soi profond, l’Être, et pour la rencontre-relation avec mon Dieu. Pour y arriver, pour m’y déposer, une seule condition : la confiance qui s’est construite par l’attachement, l’amitié, l’amour.
Pour mieux saisir ce qu’est l’ego destructeur, j’emprunte l’image du grand manteau que j’ai tricoté au fil des ans pour affronter les froidures relationnelles et pour me protéger des autres ; ce grand manteau multicolore constitué des multiples fibres métalliques que sont mes peurs, mes angoisses, mes incertitudes, mes doutes, ma sensibilité et j’en passe. Le gardien du jardin s’est revêtu de cette armure métallique unique, au masque de fer tout noir, masquant la vraie personne, trop vulnérable.
Certaines personnes rencontrées, arrivées au temps de la retraite et de la maturité, me parlent de leur besoin de se désencombrer de cette longue parure qui avec le temps ralentit leur marche et prend trop de leur énergie. Je souhaite remplacer mon gardien de la porte par mon jardinier, c’est-à-dire par moi-même, en redevenant la personne que je suis, simplement. Je pourrai entrer chez moi à ma guise. Peut-être nous disons-nous quelque chose qui ressemble à ceci : Oh comme j’aimerais revenir à ma source, repartir vers des lieux inconnus, développer mes talents, donner et recevoir, aimer et être aimé, pour ne faire qu’un dans mon humanité avec les autres et avec la création.
Ce gardien à la porte de nos propres jardins c’est l’ego de l’ombre qui se protège des autres, l’ego qui porte de grandes peurs, qui s’inquiète démesurément, l’ego, tel un avatar7 qui me dit que j’ai manqué d’amour, d’attention, de valorisation ; cet avatar ne pense qu’à lui, à ses affaires, il accumule des trucs, il s’encombre, il s’appesantit de l’intérieur, comme un corps inerte, ne vivant que pour satisfaire ses besoins primaires : manger, dormir, se reposer, se bâtissant une vie dorée narcissique à l’abri des imprévus. Généralement, ces bonnes personnes se satisfont de peu, voguant d’un désir à l’autre, car l’ego les emprisonne dans son giron de manques et, par conséquent, les confine à une vie larvaire très limitée. Oui, ces bonnes personnes cherchent comment répondre à leurs besoins inassouvis.
Prenons aussi conscience de notre monde où la performance, la beauté, la force et la réussite sont mises au premier plan ; il n’est pas rare de voir ces jeunes adultes adopter des comportements qui ne reflètent pas ce qu’ils sont profondément. Ces adultes vivent dans leur personnage, tiraillés entre les obligations de l’environnement culturel et l’autre part d’eux-mêmes qui, elle, voudrait maintenir une santé holistique en étant délivrée de contraintes insupportables. Le silence est la denrée la plus rare, celle dont on a peur, car elle n’est que présence à ce qui est.
Les parents de ces jeunes adultes doivent être patients. Certains ne savent pas encore ce qu’ils veulent, comme si leur désir d’être et de faire était englué dans une marée de stimuli où ils leur est bien difficile d’entrer dans leur jardin, d’être à l’écoute de leur monde intérieur. Leur vie se déroule en périphérie de leur être, leur cerveau nécessitant au moins une trentaine d’années de maturation avant qu’il y ait un début de réflexion-analyse de leur vécu expérientiel. Et puis, il leur faut répondre aux normes, ils doivent trouver un groupe d’appartenance. Combien de ces jeunes adultes s’offrent des voyages, des plages, des haltes pour aller à la découverte du monde, symbolisant la recherche d’un jardin intérieur perdu en quelque coin de leur monde.
Je veux marcher plus légèrement et librement en respirant à pleins poumons, comme l’enfant qui court à nouveau dans les champs ? Alors je deviens « simplement moi » en me rapprochant de l’Être, de mon jardin, en enlevant mes protections, ma cuirasse, mes défenses qui en quelque sorte me coinçaient autour du ventre et entravaient ma respiration et mes mouvements.
C’est pourquoi le long manteau de l’ego, du gardien donc, n’a plus sa place dans mon armoire ou mon placard. Je veux marcher allègrement mon chemin de vie en choisissant et en assumant mon existence.
Je prends soudainement conscience qu’au-delà du mitan de la vie, je souhaite vivre résolument sans être restreint par des « contentions » sociales, morales, idéologiques, psychiques ou physiques.
Le jour où mon corps ne pourra plus se mouvoir facilement et avec aisance, ce seront les voiles de mon Être qui me porteront et me feront goûter à la vie en me conduisant sur d’autres rivages, dans d’autres contrées.
Un religieux me confiait récemment : « Que vais-je faire ? Ma mémoire flanche, comment me sentir utile ? » « Cher ami, lui ai-je répondu, quel chemin nouveau se présente à vous ? »
Encore un pas de plus. Qu’entendons-nous par l’ego ? C’est le Moi, le Je, qui une fois intégré pendant la tendre enfance, ne cessera de former la manteau-personnage de l’homme et de la femme dans leur parcours de toute une vie. L’ego n’est pas la conscience et n’habite pas non plus celle-ci. Lorsqu’il y a la conscience, la pensée présente, l’ego – ou le Moi-Je – apprend à se libérer de la contrainte, de la crainte, des préoccupations malsaines, obsédantes, des préjugés qui coincent le processus de la vie et du bonheur au quotidien. Le personnage enlève le superflu, il devient l’homme et la femme, tout simplement.
En empruntant l’analogie du personnage aux multiples masques, je constate que ma vie professionnelle a été une scène sur laquelle je me suis engagé et où j’ai évolué dans plusieurs rôles. Certains étaient choisis et d’autres imprévus ; enfin, il y en aura même que je vivrai sans en connaître toujours le pourquoi et le comment. J’emprunterai tel ou tel masque pour tel ou tel rôle. En quittant cette étape de ma vie qu’est le troisième âge, j’arrive avec une liberté nouvelle, une prise en main de ma vie dans le sens d’un « agir essentiel » qui se dégage des protections et des défenses liées à des responsabilités pour lesquelles j’ai la capacité de faire un choix plus éclairé.
L’ego créateur, c’est aussi un amour-propre, un centre égotique empreint d’un élan qui trouve son inspiration dans les potentialités inhérentes à lui-même, dans ce que l’individu souhaite vivre ou réaliser. De fait, c’est le bon gardien, la bonne gardienne, debout à l’entrée du jardin. Il marche à mes côtés empruntant les petits sentiers intérieurs, savourant une source d’eau, un parterre de fleurs, un coin d’ombre. L’avatar qui était devenu le gardien géant, redevient le gardien simple, bienveillant pour soi et pour les autres, pour tout dire simplement, je deviens moi-même.
Par conséquent, il est important d’avoir un ego créateur, de le maintenir, de le nourrir positivement, c’est-à-dire de poursuivre son développement, qu’il soit social, personnel, spirituel ou intellectuel. Le jardinier viendra librement prendre soin de son jardin, il ne se contentera pas de demeurer à la porte.
En termes plus simples, au quotidien, l’ego réducteur est le personnage qui a un placard contenant de nombreux masques et un long manteau protecteur dont il se revêt pour se protéger, se défendre, faire semblant, disparaître ou paraître, trouvant toujours difficile d’être simplement lui-même.
Depuis ma thèse de doctorat en 1990, je n’ai pas cessé de m’interroger sur la façon dont l’ego (créateur ou destructeur) se développe de l’enfance à la vieillesse, sur la construction de la personnalité, sur le passage de la fluidité et de la transparence de l’enfance à la rigidité de l’adulte et de là, à la docilité de la personne âgée.
Se peut-il que chaque acte, chaque événement, chaque phénomène, voire chaque expérience soit l’actualisation d’un ensemble complexe implicite de potentialités, ponctué par des pauses, des haltes, des arrêts et des morts-résurrections ? Cette progression-processus implique le passé, le présent et le futur. Le passé n’est plus, bien qu’il soit compris dans le présent, le futur n’est pas, même s’il est impliqué dans le présent.
Les témoignages qui suivent mettent en lumière la part de l’ego au sein même de la personnalité.
« Je ne fais pas ce que je souhaiterais faire ; j’aimerais laisser vivre la vraie personne qui est là, au fond de moi, et je n’y arrive pas. Parfois, cette vraie personne m’échappe, elle m’est étrangère. Je veux être fidèle à mon cœur, à mon ressenti, mais j’ai peur. Je n’ai pas confiance en moi et n’ai pas une belle image de moi. La source est introuvable. J’ai peur de ce que les autres vont dire ou penser de moi s’ils me voient comme je me vois. Pour bien paraître, je ne montre pas ma vraie personne. Je me mens à moi-même la plupart du temps. »
La liste pourrait être longue et contenir autant de scénarios que l’ego peut engendrer lorsqu’il règne en roi et maître, tenant fermé l’accès au jardin intérieur. L’ego est un moi dénaturé, un géant avatar me protégeant, me défendant de supposées menaces. L’ego, c’est mon histoire faite de manques, de blessures et de souffrances, c’est la réalité apparente, le manteau couvrant ma personne ; l’ego n’est pas ma vraie personne. Le gardien, rappelons-le, c’est le moi trop large, trop imposant, trop grand. Il est si grand, qu’il en perd toute souplesse, son regard continuellement aux aguets, comme le guetteur dans une tour.
Pourquoi le nourrisson, l’enfant, l’adolescent et l’adulte, dans leur cheminement de vie, progressent-ils vers le bonheur, l’épanouissement, et leur réalisation, alors que d’autres se sentent arrêtés en cours de route, vivant la déprime, la culpabilité, le ressentiment, le découragement ? Ces derniers semblent prisonniers de conditions et de déterminismes culturels, géographiques et familiaux qui ont en quelque sorte freiné ou bloqué toute évolution, les empêchant de se réaliser en répondant à leurs besoins psychiques, tels que développés par la docteure Colette Portelance8.
Parce que j’aime l’humanité en marche autour de moi, j’aspire naturellement à accompagner les êtres qui sont placés sur mon chemin ; je m’accompagne pour mieux accompagner, je prends soin de moi pour vivre l’empathie, la compassion, l’attention et la présence. Chacun vit à sa manière ; essayons de respecter la subjectivité de chacun, et non pas des règles, des normes dictées de l’extérieur. Plus je côtoie l’humain, plus je prends conscience de la présence du mal et de la souffrance au cœur de la vie, comme la nature vivant ses saisons par un processus de croissance, mort, vie. Nous ne sommes pas immunisés contre ce processus.
Lorsque je vis mon quotidien avec son fardeau ou sa légèreté, partagé entre un élan créateur et le simple goût de ne rien faire, j’essaye de m’observer ainsi que le monde autour de moi ; puis je tente d’entrer dans ma journée avec un goût de vivre, me fixant comme objectif un petit bonheur à atteindre, nourrissant le sentiment que j’aimerais avancer un peu plus dans mon cheminement.
J’invite donc mes lecteurs et lectrices à se laisser conduire par les forces de l’être en eux, pour goûter la vie et la regarder se déployer au sein de leur personnalité, en posant leurs pas dans les coins d’ombres et de lumière de leur jardin intérieur.
Pour ce faire, apprenons à apprivoiser ce chemin, si court pour certains ou si long pour d’autres ; posons les pas sur le chemin le moins fréquenté. Ce chemin le moins fréquenté, c’est le temps présent qui seul, grâce à ma présence, ma volonté, mon agir, peut réinterpréter mon passé et s’en démarquer par le nouveau à vivre et à venir. Votre chemin mène à votre jardin intérieur, ce lieu de plénitude.
Mon hypothèse de travail se résume à ceci :
Le bonheur de vivre pour l’homme et la femme d’aujourd’hui se réalise par l’accueil de ce qui est : tribulations, souffrances, joies, espérances, désespérances, amitiés, amours, besoins, reconnaissance et contemplation dans une attitude d’ouverture et de lâcher-prise, de confiance en la Vie, ici et maintenant. Alors les forces obscures de l’ego abandonnent leur emprise causant déchirures, éparpillement, agitation, afin que j’arrive à marcher vers mon jardin intérieur laissant le soleil de la vie réchauffer l’enfant intérieur qui a confiance dans l’Amour qui le porte déjà, toujours et partout.
Relire et revoir son enfance, son adolescence et sa vie adulte en cours, n’est-ce pas un devoir de mémoire, la mémoire de son histoire pour pouvoir se la raconter, se l’approprier ?
Ce regard nouveau posé sur l’ego, n’est-ce pas également un travail qui me rapproche de mes semblables en humanité ?
Enfin, n’est-ce pas un acte de libération, qui fait de l’homme et de la femme des êtres debout, laissant place à la transcendance et à une alliance avec Dieu ?
1 Le mot ego provient du latin et signifie « moi ». On prononce égo (forme qui est aussi celle que suggère la réforme de l’orthographe), mais afin de respecter sa graphie première, nous utiliserons la forme ego tout au long de cet ouvrage (Note de l’éditeur).
2 Personnalité et relations humaines, mouvement fondé en France dans les années 80 par André Rochais.
3 Scott Peck, Le chemin le moins fréquenté, Paris, Éditions J’ai Lu, 1990.
4 (Source Internet) : Michel Désert, Le psychologue.org, le 1er janvier 2016.
5 Une expression si chère à André de Peretti, pédagogue, psychosociologue et écrivain français, né en 1916.
6 Jean Monbourquette, De l’estime de soi à l’estime du Soi, Montréal, Novalis, 2009.
7 L’avatar, qui signifiait originalement chacune des réincarnations de Vishnou, signifie maintenant, entre autres définitions et au sens figuré, la métamorphose, ou la transformation d’un objet ou d’un individu.
8 À savoir, les besoins d’amour, de sécurité, d’écoute, de reconnaissance, d’affirmation, de liberté et de créativité. Colette Portelance, Relation d’aide et amour de soi, Montréal, Éditions du CRAM, 2005.