ÉDUQUER
pour rendre heureux
Guide pratique des parents et des enseignants
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ÉDUQUER
pour rendre heureux
Guide pratique des parents et des enseignants
Les Éditions du CRAM 1030 Cherrier, bureau 205, www.editionscram.com |
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Dépôt légal — 1e trimestre 2018
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ISBN epub 978-2-89721-152-3ISBN mobi 978-2-89721-153-0ISBN pdf interactif 978-2-89721-151-6
Catalogage avant publication de Bibliothèque et
Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Portelance, Colette, 1943-, auteur
Éduquer pour rendre heureux: guide pratique des parents et
enseignants / Colette Portelance.
(Psychologie)
Édition originale: 1998.
Comprend des références bibliographiques.
Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).
ISBN 978-2-89721-150-9 (couverture souple)
ISBN 978-2-89721-151-6 (PDF)
ISBN 978-2-89721-152-3 (EPUB)
ISBN 978-2-89721-153-0 (MOBI)
1. Bonheur chez l’enfant. 2. Enfants – Psychologie. 3. Enfants –
BF723.H37P67 2018 |
649’.1 |
C2017-942684-2 |
Imprimé au Canada
Dédicace
À mes enfants,
À mes petits-enfants,
À tous mes étudiants, d’hier,
d’aujourd’hui, de demain.
À tous les parents et enseignants qui veulent
«éduquer pour rendre heureux».
[ Introduction ]
Ce livre n’est pas un ouvrage théorique ni scientifique. Il est le résultat de l’expérience de nombreux parents et de nombreux enseignants que j’ai rencontrés au cours de ma carrière, et surtout le résultat de mon expérience personnelle d’éduquée et d’éducatrice auprès de mes quatre enfants, auprès des adolescents auxquels j’ai enseigné pendant dix-neuf ans et auprès des adultes en tant que formatrice de spécialistes de la relation d’aide et des relations humaines au Centre de relation d’aide de Montréal depuis 1985 et à l’École Internationale de Formation à l’ANDC depuis 1996.
Conçu spécialement pour les éducateurs, cet ouvrage, qui se veut surtout un guide pratique, s’adresse particulièrement aux parents et aux enseignants. Il n’est pas centré sur le savoir et l’acquisition de connaissances, mais sur le «savoir-faire» et le «savoir-être».
Bien que l’approche éducative proposée dans ces pages est fondée sur le respect profond de la nature de l’éduqué et de ce qui fait son unicité, elle donne à l’éducateur et à la relation éducative la place fondamentale et primordiale qui leur revient dans le processus d’évolution de la personne humaine, de la société et de l’humanité.
Si les théories éducatives existantes tiennent de plus en plus compte de l’éduqué, elles ne donnent pas toujours les résultats escomptés au niveau de ses apprentissages et de sa réalisation parce qu’elles se concentrent surtout sur la transmission de connaissances au détriment de la personne sur laquelle repose le succès de l’éducation: l’éducateur. Pourtant, des auteurs connus comme Jung, Lozanov, Kris-namurti, ont démontré son influence indéniable sur le développement de l’éduqué: «La véritable éducation commence par celle de l’éducateur (…), écrivait Krisnamurti dans son livre De l’éducation. Son enseignement est à l’image de ce qu’il est.»
Les parents et les enseignants éduquent avec ce qu’ils sont beaucoup plus qu’avec ce qu’ils savent. D’ailleurs si la personne de l’éducateur ne faisait aucune différence pour l’éduqué, on pourrait la remplacer par un robot, ce qui serait la meilleure manière de déshumaniser l’acte éducatif. Nul ne peut nier à quel point la relation éducative est importante dans le processus évolutif d’un être humain. Pour vous en convaincre, reportez-vous à votre expérience personnelle en tant qu’enfant, qu’adolescent voire jeune adulte. Que vous reste-t-il de plus important de ces années de formation? Quels sont les éducateurs scolaires et parentaux de qui vous gardez les meilleurs souvenirs et pourquoi? Quels sont ceux qui vous ont le plus apporté et que vous ont-ils apporté? Quels sont ceux dont l’influence a été la plus bénéfique sur ce que vous êtes devenus? Prenez bien le temps de répondre à ces questions avant de poursuivre votre lecture.
Quand je m’arrête à faire la rétrospective de l’éducation que j’ai reçue comme enfant, écolière et étudiante, des personnes bien précises me reviennent à l’esprit. Par leur respect, leur écoute, leur confiance, ces personnes ont contribué à faire fleurir en moi ce qu’il y avait de meilleur. J’ai aujourd’hui une grande reconnaissance envers ces éducateurs qui ont cru en moi et qui ont accordé de l’importance à ce que j’étais. Avec eux, je me suis sentie un être humain et non un objet à remplir de connaissances. Leur passion pour ce qu’ils faisaient a éveillé la mienne. Ces maîtres ont su mettre leurs connaissances au service de l’humain. Par leur approche éducative, ils m’ont donné le goût d’apprendre et les clés de ma réalisation. Grâce à eux, je sais aujourd’hui qu’éduquer une personne, ce n’est pas la façonner, la modeler à l’image de nos introjections, la fabriquer comme un objet ou se limiter à des savoirs uniquement pour savoir.
Le but de l’éducation n’est pas de faire de l’éduqué un être parfait et performant qui prend sa valeur dans le regard des autres et dans ses connaissances, mais plutôt, et surtout, de le rendre heureux, c’est-à-dire bien avec lui-même et avec les autres, et capable de sortir grandi des obstacles qu’il rencontre sur son parcours de vie. Cela s’apprend grâce à ce que transmet l’éducateur par son souci constant de cohérence entre ce qu’il est, ce qu’il pense, ce qu’il vit, ce qu’il dit et ce qu’il fait.
Certains parents croient que si leur enfant est meilleur que les autres, il réussira mieux sa vie. Si réussir sa vie signifie être supérieur aux autres par le biais de l’apparence, de la connaissance et de la seule réussite professionnelle et financière, peut-être atteindront-ils leur objectif. Mais à quoi servent le savoir et le succès professionnel si la vie affective est sacrifiée? À quoi sert à une personne la réussite sociale et financière si, sur les plans intérieur, personnel et relationnel, elle n’est pas heureuse?
Nous ne sommes pleinement satisfaits et heureux que lorsque nous avons le sentiment profond de suivre notre voie intérieure et de nous accomplir sur les plans affectif, relationnel, professionnel et spirituel sans contourner les obstacles de la vie et sans nier la souffrance.
Pour atteindre cet état intérieur de sérénité et de paix qui ne se mesure pas scientifiquement, mais qui se manifeste chez l’éduqué par le sentiment de satisfaction intérieure, il m’importe de centrer mes propos non sur le savoir, mais surtout sur le savoir-faire et sur le savoir-être. C’est pourquoi je considère qu’éduquer une personne humaine c’est principalement lui apprendre:
-à être elle-même;
-à être en relation avec les autres;
-à être créatrice de sa vie et de ses rêves.
Si l’éducation est aussi «la mise en œuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement de l’être humain» (Robert), il importe ici de se demander par quels moyens un éducateur peut apprendre à l’éduqué à être lui-même, à être en relation avec les autres et à être créateur de sa vie et de ses rêves, et ce, qu’il soit parent, enseignant, éducateur spécialisé, entraîneur sportif ou autre.
Mon but, en écrivant ce livre, est précisément de répondre à cette question en apportant de nombreux exemples. Je proposerai des moyens concrets et pratiques pour améliorer la qualité de l’éducation et pour nourrir la relation éducative afin qu’elle devienne source de liberté, de créativité et de bonheur. Je souhaite aussi promouvoir une forme d’éducation qui puisse servir de fondement à une société plus riche intérieurement où les valeurs humaines et relationnelles y occupent une place de choix.
CHAPITRE 1
[ COMMENT APPRENDRE À L’ÉDUQUÉ À ÊTRE LUI-MÊME? ]
«J’ai peur, j’ai peur», crie en pleurant le petit Georges. Le prenant solidement par la main, son père le tire vers le déclencheur de sa frayeur, le gros chien noir du voisin, et lui dit d’un ton péremptoire: «Arrête de pleurer. Tu n’as aucune raison de t’affoler, ce chien n’est pas méchant. Et puis, regarde ton frère, il est plus jeune que toi et il n’a pas peur, lui.»
À son émotion première par rapport au chien s’ajoutent, dans le cœur de Georges, une crainte de perdre l’amour de son père en plus de sentiments intenses de honte, de culpabilité et d’infériorité. Envahi par son vécu, il refoule instantanément cette souffrance insupportable pour ne plus la ressentir. À cinq ans, il comprend que, pour être conforme aux usages et pour être aimé de son père, il ne doit pas pleurer et, conséquemment, il ne doit pas avoir peur.
Son émotion et l’expression de cette émotion n’ayant pas été reconnues, Georges apprendra, comme des milliers d’enfants, à renier une partie importante de lui-même; il apprendra, pour être accueilli par son entourage, à se fabriquer un personnage «acceptable», qui n’est pas vraiment lui-même.
Qui ne reconnaît pas des bribes de sa propre histoire dans l’expérience de Georges? N’avons-nous pas un jour ou l’autre fait le choix inconscient de trahir notre essence même pour satisfaire de façon compensatoire notre besoin vital d’amour? N’avons-nous pas développé une façon d’être, d’agir et de réagir qui ne correspondait pas à ce que nous étions fondamentalement pour ne pas être rejetés, disqualifiés ou abandonnés par ceux de qui notre vie dépendait?
Loin de moi l’idée d’accuser les éducateurs qui, eux aussi, ont souffert de ce tiraillement intérieur, de cette lutte entre la personne encore si fragile de l’enfant qu’ils ont été et le personnage qui se présentait comme leur seule bouée de sauvetage psychique pour être aimés. Comment pouvaient-ils enseigner à leurs enfants à être eux-mêmes alors qu’ils ne l’avaient pas appris?
Pour répondre à cette question qui fait l’objet du présent chapitre, je montrerai, après avoir exploré le sens de «être soi-même», les caractéristiques et les conséquences d’une éducation qui «fabrique» des personnages et les caractéristiques et les conséquences d’une éducation qui cultive l’épanouissement de la personne. Le rôle et l’importance de l’éducateur dans ces deux types d’éducation y seront clairement démontrés.
Être soi-même
Après avoir connu deux échecs amoureux très éprouvants, Karl était plutôt réticent à vivre une autre expérience amoureuse. La peur de souffrir encore l’empêchait de céder à ses attirances pour certaines femmes. Il réussit à contenir ses élans jusqu’à ce qu’il rencontre Karine qui, par sa transparence, son ouverture, son respect profond de l’autre, réussit à faire fondre assez de résistances en lui pour qu’il consente, malgré la peur, à ouvrir son cœur, une fois encore, à l’amour. Animé par le désir de réaliser son rêve de bâtir une relation amoureuse satisfaisante, et doutant de sa capacité d’y arriver, il me demanda un jour: «Dis-moi comment faire pour que ma relation avec Karine ne se termine pas comme les deux autres?»
Sa question me laissa d’abord perplexe. J’aurais voulu donner à ce jeune amoureux la clé magique de la réussite d’une vie de couple, mais je me sentais impuissante à la trouver. «De nombreux facteurs ont contribué à assurer la réussite de ma vie amoureuse, lui ai-je répondu, mais je ne sais trop ce qui pourrait nourrir la tienne. Toutefois, ai-je ajouté, je suis certaine d’une chose que je considère très importante. Je vais t’en faire part. Il est fondamental que tu sois toi-même avec Karine, que tu n’essaies pas de répondre à l’idéal qu’une femme peut se faire d’un homme et que tu la voies aussi telle qu’elle est, sans l’idéaliser. Ne tente pas, ai-je poursuivi, d’être ce que tu crois que tu devrais être ou encore ce que tu crois qu’elle voudrait que tu sois, pour lui plaire. Si tu te fabriques un personnage pour être aimé d’elle, tu ne seras jamais sûr de son amour pour toi et ton attachement sera empoisonné par l’insécurité. Ce que tu gagneras à être toi-même n’a pas de prix puisque tu auras la conviction profonde, si elle reste en relation avec toi, qu’elle t’aime vraiment pour ce que tu es. Et cela contribuera à développer l’amour de toi-même et te donnera un sentiment profond de liberté intérieure.»
Cet événement s’est passé il y a quelques années. Au moment où j’écris ces pages, Karl vit toujours une relation amoureuse avec Karine.
Combien de personnes sont incapables de relations amoureuses et affectives satisfaisantes parce qu’elles cherchent toute leur vie l’homme idéal ou la femme idéale; en un mot, l’être parfait qui ne les forcera jamais à faire face à leur propre imperfection, à leurs propres faiblesses, à leurs propres limites.
Dans sa quête d’amour sans problème, l’homme tente de fuir la partie de lui-même qu’il n’accepte pas et qu’il n’aime pas, cette partie que Jung appelle «l’ombre» et qui le constitue autant que son côté «lumière». Le refoulement de la partie qu’il n’accepte pas fait naître en l’être humain ce que Jung a nommé la «persona», et Winnicott le «faux self», c’est-à-dire le personnage.
L’être humain se fabrique une image parce qu’il est convaincu, consciemment ou non, que certains éléments de sa personne ne seront pas aimés s’il se montre tel qu’il est. Il est séquestré par la honte.
Amener à la lumière les parties de soi qui sont cachées, c’est s’ouvrir à l’apprivoisement de l’être dans sa globalité; c’est commencer un cheminement qui mène vers l’unification de ses contradictions; c’est harmoniser en soi la nuit et le jour, c’est-à-dire la douceur et la colère, l’amour et le ressentiment, la générosité et la possessivité, la paix et le trouble, comme l’a si bien montré Jung, le maître de l’inconscient collectif et des archétypes. Seule la poursuite de cette route conduit vers la vérité, vers cette vérité bien personnelle qui n’a rien d’absolu puisqu’elle est le résultat d’une démarche qui a pour but de devenir soi-même et d’être vrai.
Par la narration de l’expérience de Karl, qui rejoint celle de la plupart d’entre nous, j’ai voulu montrer vers quelle direction peut nous attirer notre grand besoin d’être aimé. Ce besoin peut nourrir ou détruire l’amour de soi. Il peut nous pousser à nous trahir par la négation de notre vulnérabilité ou contribuer à nous construire par l’acceptation et l’expression de ce que nous sommes véritablement.
Voilà où se situe le principal carrefour de l’éducation: elle peut mener l’enfant vers sa vérité, son essence, l’unification harmonieuse de toutes ses facettes, tant les lumineuses que les ombrageuses, ou créer une scission intérieure entre ce qu’il est et ce qu’il devrait supposément être. Elle peut le rendre heureux ou perpétuellement insatisfait.
On comprendra pourquoi j’accorde autant d’importance à l’éducateur. Le chemin qu’il choisit de prendre lui-même aura une influence certaine sur les éduqués. C’est une grande responsabilité, j’en conviens, mais elle lui donne une importance prioritaire dans le processus éducatif. Quoi qu’on dise, l’éducateur sera toujours l’âme de l’éducation. Quand donc lui donnerons-nous sa véritable place? Quand donc lui donnerons-nous les moyens de se préparer aux véritables exigences de sa mission et lui permettre de l’accomplir sans l’emprisonner dans des contraintes de performance qui ont un effet destructeur, autant sur lui-même que sur les édu-qués? Quand lui procurerons-nous les moyens psychologiques et pédagogiques d’actualiser les belles théories de façon à ce qu’il puisse accorder réellement la priorité à la personne à qui il s’adresse et qu’il puisse lui apprendre à être heureuse en étant pleinement elle-même? Mais pour y arriver, voyons ce que signifie «être soi-même».
Que veut dire «être soi-même»?
Être vrai ou être soi-même, c’est apprivoiser notre vérité profonde, c’est-à-dire nos besoins, nos désirs, nos émotions agréables et désagréables, nos sentiments, nos opinions, nos valeurs, nos croyances, pour agir en accord avec ce qui nous constitue plutôt que de prendre nos points de référence à l’extérieur de nous et d’agir en fonction des valeurs, des jugements, des critiques et du regard des autres.
Je ne saurais trop insister sur le bien-être et la liberté que procure l’authenticité. Il suffit de nous arrêter quelques instants et de faire l’exercice suivant pour nous en convaincre.
Prenez le temps de vous détendre. Chassez de votre esprit toute préoccupation et prêtez attention à votre respiration sans la changer.
Laissez maintenant monter l’image d’une personne en présence de laquelle vous vous sentez détendu, avec qui vous ne déployez pas d’effort et avec qui vous vous sentez adéquat et libre d’être ce que vous êtes. En sa présence, vous n’avez pas peur d’être jugé et vous avez toujours le sentiment d’être correct. Soyez attentif aux réactions de votre corps et à ce que vous ressentez quand vous pensez à cette personne. Prenez bien le temps de percevoir ce qui se passe en vous avant de passer à l’étape suivante.
Pensez maintenant à une personne en présence de laquelle vous vous sentez inconfortable. Chaque fois que vous la rencontrez, vous vivez un certain malaise; vous n’êtes pas dégagé, vous perdez votre spontanéité et vous n’êtes plus entièrement vous-même. Prenez le temps de bien ressentir ce que vous éprouvez et essayez de mettre des mots sur ce que vous vivez.
Voyez maintenant en quoi vous n’êtes pas entièrement vous-même avec cette personne.
•Quelle image voulez-vous donner de ce que vous êtes?
•Quelles émotions lui cachez-vous?
•Quelles peurs vous privent de votre liberté d’être naturel? Avez-vous peur d’être jugé, rejeté, blessé?
•Quel besoin vous pousse à agir comme vous le faites avec cette personne? Avez-vous besoin de plaire, d’être aimé, d’être reconnu ou besoin de vous protéger?
•Par quel moyen indirect vous occupez-vous de votre besoin? Par le refoulement? Par la fuite? Par la critique? Par le jugement?
•Que pouvez-vous faire pour trouver votre liberté d’être vous-même en présence de cette personne? Exprimer honnêtement votre vécu, votre opinion ou votre besoin ou prendre une distance consciente?
Cet exercice peut vous faire voir que certaines de vos relations sont insatisfaisantes parce que vous ne vous donnez pas le droit d’être vous-même par peur de ne pas être accepté. Vous pouvez alors vous demander comment l’éducation a contribué à fabriquer, dans certaines situations et avec certaines personnes, des personnages plutôt qu’à faire éclore la personne réelle que vous êtes.
Éduquer pour fabriquer des personnages
Il existe un grand danger à traiter ici des erreurs de certaines pratiques éducatives. Certains lecteurs peuvent s’en servir pour se «victimiser» et rendre leurs éducateurs responsables de leurs problèmes et de leurs souffrances. Ces personnes risquent d’oublier que leurs parents et leurs enseignants ont eux aussi développé, pour se défendre contre l’envahissement de leur douleur intérieure et pour être aimés, une façon d’être qui soit acceptable.
Rien ne sert de blâmer nos éducateurs pour apprendre à être soi et pour faire évoluer l’éducation. Mon but n’est pas d’accuser et de reprocher leur action à ces personnes qui ont donné le meilleur d’elles-mêmes pour participer à notre éducation. Étant moi-même mère de quatre enfants, et ayant été enseignante au secondaire pendant dix-neuf ans, je sais que ma bonne volonté et tous les efforts que j’ai déployés pour apporter le maximum à mes enfants et à mes élèves n’ont pas fait de moi une éducatrice parfaite.
Bien que j’aie contribué à faire naître le plus possible la vraie personnalité de mes enfants et des adolescents à qui j’ai enseigné, j’ai, à certains moments, encouragé bien involontairement la formation de certaines facettes de leurs personnages. Reconnaître aujourd’hui mes erreurs aussi bien que mes forces, c’est donner la victoire à la personne sur le personnage, c’est favoriser l’accueil de mon côté «ombre» et me donner la liberté d’être entièrement ce que je suis, et ce, sans jugement ni culpabilité.
Je souhaite par conséquent que cette partie du livre favorise l’accueil de soi chez chacun de mes lecteurs, cet accueil nécessaire pour apprendre à être de plus en plus fidèle à sa vérité profonde et pour apprendre aux éduqués à être eux-mêmes. Aussi est-il important de ne pas nous arrêter uniquement à trouver ce qui, dans l’approche de nos éducateurs, a contribué à susciter en nous la culpabilité, l’humiliation, la honte d’être nous-mêmes, mais de chercher aujourd’hui à trouver les moyens de composer avec ce vécu pour le rendre créateur. Il est aussi fondamental que nous prenions conscience de notre façon d’éduquer nos enfants et nos élèves, et de reconnaître que, sans le vouloir, nous avons parfois manqué de respect à leur nature véritable. Comme nous avons tendance à voir plus facilement les faiblesses de nos parents et de nos enseignants que les nôtres, il est souhaitable de nous observer, sans nous blâmer, pour ne pas répéter avec nos enfants ce qui nous a fait souffrir dans le passé. Cette auto-observation sans jugement sur nous-mêmes nous permettra notamment de nous libérer du regard des autres pour trouver notre propre voie.
Agir en fonction du regard des autres
À certains moments et dans certaines circonstances, n’avons-nous pas appris aux jeunes, bien inconsciemment, qu’il n’est pas bien d’être authentique et surtout qu’il faut agir en fonction du regard des autres?
Je ne peux exprimer à quel point la peur du jugement a emprisonné ma vie. Centrée sur ce que les autres pouvaient penser de moi, j’étais incapable d’identifier mes émotions, mes besoins et mes valeurs, et j’agissais selon les critères de mon entourage pour ne pas être rejetée. Enfant, il ne me venait pas à l’esprit de me demander ce que je voulais. J’agissais parfois aveuglément, guidée par le regard des autres.
Une image que j’ai reçue de mon institutrice quand j’étais petite fille m’a profondément marquée. Elle représentait l’œil de Dieu, cet œil perçant qui voit tout, qui juge tout, qui punit le mal. J’étais coincée. J’ai grandi dans la peur d’être vue, d’être fautive, dans la peur du péché, de l’enfer, de la condamnation pour mes fautes. Je suis consciente du fait que ces peurs trouveront une résonance plus grande dans les générations des baby-boomers dont je suis, et chez les personnes qui les ont précédés que chez les plus jeunes. Toutefois, ces derniers ne sont pas moins limités par une éducation qui, dans bien des cas encore, a donné beaucoup plus d’importance aux autres qu’à eux-mêmes.
À ce moment précoce de mon existence, une introjection s’est ancrée en moi: «tu dois être parfaite», ce qui signifiait, dans l’interprétation que j’en ai faite, «tu ne dois pas céder à la colère, à l’orgueil, à la paresse, à l’égoïsme, à la haine, au ressentiment; tu ne dois pas avoir de besoins; tu dois répondre à l’idéal qu’on attend de toi». Ces valeurs éducatives et religieuses que mon père avait reçues de sa famille m’ont été transmises avec amour et fermeté. À cette époque, l’idée de les contester ne m’a jamais effleuré l’esprit. J’étais plutôt hantée par le sentiment d’être une mauvaise fille parce que je n’arrivais pas à m’élever au degré de perfection que je croyais nécessaire d’atteindre pour être adéquate. J’étais aussi effrayée à l’idée qu’un manquement à ce programme risquait d’être inexcusable. Mon véritable enfer sur Terre était la peur de perdre ma réputation. Je devais la garder à tout prix pour ne pas être jugée, abandonnée et rejetée du monde extérieur. Mon avenir en dépendait.
Je reconnais que mes peurs ont alimenté mon imaginaire et que les conséquences me paraissaient colossales.
L’éducation que j’ai reçue était en grande partie imprégnée de valeurs religieuses intégrées dans les cellules de mon peuple depuis des générations. Aussi m’était-il impossible de les déloger facilement. J’ai connu une religion punitive plus qu’une religion d’amour, le message d’origine du Dieu amour ayant été déformé trop souvent au profit du pouvoir et de la peur.
Cela dit, je m’en voudrais de ne pas aborder mon éducation avec discernement. S’il y a eu ces moments de malaises à la source de ma peur du jugement et de mon emprisonnement intérieur, ce n’est pas parce que j’avais des parents et des éducateurs inadéquats. Ils m’ont transmis ce qu’ils avaient reçu avec honnêteté et avec la conviction que c’était juste. Aussi ai-je profité, en contrepartie, d’une éducation fondée sur la droiture, la générosité, l’amour, l’ouverture du cœur et de l’esprit, l’habitude à se remettre en question. S’il y a eu des événements marquants sur le plan de la souffrance, il y a eu aussi des moments intenses de bonheur. Ceux-ci ont nourri mon cœur et m’ont propulsée en cultivant ce que j’avais de meilleur en moi. Étant de nature très vulnérable, j’ai été autant influencée par le pire que par le meilleur.
Si j’avais, aujourd’hui, à choisir mes parents, sans hésiter un seul instant, je choisirais les mêmes, tels qu’ils étaient. La vie m’a donné, par eux, le soutien et les difficultés dont j’avais besoin pour me réaliser.
En dépit de ma peur et grâce à leur ouverture, j’ai pu, petit à petit, construire mes valeurs et discerner ce qui me convenait de ce qui m’enlevait ma liberté intérieure. J’ai réussi sans contestation, sans affrontement, à remplacer la religion fondée sur la peur et le péché par des valeurs spirituelles qui naissent de mon expérience personnelle de la foi. Bien que la peur du jugement ne soit pas disparue, elle n’a plus sur moi le pouvoir que je lui donnais parce que ma démarche de libération m’a amenée à être de plus en plus fidèle à ce que je suis. Je sais aujourd’hui que je ne suis pas parfaite, mais je sais aussi que je ne suis pas une «mauvaise fille», même si je ressens parfois de la colère, de la peur et du ressentiment et que j’ai encore besoin d’amour.
J’ai compris que l’intensité de la peur du regard des autres et de leur jugement est proportionnelle au jugement que je porte sur moi-même et à celui que je porte sur les autres.
Le chemin qui me mène chaque jour vers l’authenticité me rend plus libre d’être ce que je suis, ce qui me permet d’être une éducatrice plus respectueuse de la nature humaine. Loin de moi l’idée de laisser croire au lecteur que je suis arrivée au bout de ma route. Je ne veux surtout pas susciter de l’idéalisation. Je suis toujours en route, comme vous, vers le cœur de mon être. Mon travail d’éducatrice, par le biais de la formation à la relation d’aide que je dispense au Centre de relation d’aide de Montréal, est une de mes meilleures voies d’apprentissage. J’aide les autres à se donner la liberté d’être eux-mêmes tout en travaillant constamment à me la donner de plus en plus moi-même. Ma satisfaction en écrivant ces pages est de constater le chemin que j’ai parcouru. Je suis loin de cette époque où la honte m’écrasait et annihilait mon essence même.
Je me souviens d’un événement de mon enfance qui me fait sourire aujourd’hui et qui pourtant m’a fait souffrir d’une culpabilité sans fond. C’était le carême, ce temps de l’année où il ne fallait surtout pas manger de gâteries. Ce jour-là, il faisait un temps radieux. C’était le printemps, et je m’étais rendue à pied au village pour ma leçon de piano. J’avais environ une dizaine d’années. Quand j’ai quitté mon professeur, vers le milieu de l’après-midi, une envie très forte me prit de m’acheter une sucette à saveur d’orange, appelée Pop-sicle. Déchirée entre mon désir et ma culpabilité, j’ai longtemps hésité avant de céder à mon envie et, malgré ma honte, d’oser me présenter au restaurant pour demander, d’une voix à peine audible, la friandise que je voulais. J’étais convaincue que la serveuse me jugeait et j’avais très peur qu’elle mette mon père au courant de ma mauvaise action. Aujourd’hui, en écrivant cet événement, je me rends compte de mon courage. Je suis même surprise de constater que mon désir a eu raison de ma peur, de ma culpabilité et de ma honte. Il n’en reste pas moins que, sur le chemin du retour, chaque fois que je rencontrais une personne sur le trottoir, je m’empressais de mettre mon Popsicle sous mon aisselle pour le cacher du regard extérieur.
Aussi drôle que me paraisse maintenant cette anecdote, elle n’en représente pas moins le pouvoir que j’avais donné au regard des autres. Ce pouvoir m’empêchait non seulement d’agir en toute liberté, mais d’être librement ce que j’étais. Quand je suis devenue mère à mon tour, j’ai éduqué mes deux aînés en donnant moi aussi, à certains moments, le pouvoir à ma peur du jugement et au regard des autres, et ce, tant que je n’ai pas fait de travail sur moi-même pour transformer mon fonctionnement parfois insatisfaisant en une approche plus personnelle de l’éducation.
Ce phénomène de répétition se produit fréquemment d’une génération à l’autre. Parce que nous avons intégré les modèles éducatifs que nous avons connus, nous les reproduisons à notre insu. Ce qui assure l’évolution des approches éducatives dans la famille, à l’école et dans la société, c’est la remise en question qui en résulte du fait que nous nous rendons compte que notre fonctionnement répétitif ne donne pas les résultats que nous souhaitons tant chez les éduqués que dans le type de relation que nous voudrions.
Un grand nombre de parents et d’enseignants que j’ai rencontrés dans le cadre de mon travail m’ont exprimé leur impuissance. Parfois désespérés, ils cherchaient des solutions miracles, des trucs, des méthodes pour améliorer leur approche auprès des jeunes. Ils attendaient, pour la plupart, que je leur donne une clé pour résoudre leurs problèmes. Ils me cédaient leur pouvoir comme j’ai longtemps cédé le mien. Ils avaient du mal à trouver en eux les réponses qu’ils cherchaient parce qu’ils ne se faisaient pas confiance.
J’ai toujours beaucoup d’admiration pour les éducateurs qui se remettent en question. C’est le premier pas essentiel vers le changement. La remise en question permet de franchir une autre étape pour améliorer la qualité de leur rôle auprès des éduqués, celle d’apprendre à trouver des moyens différents et efficace d’éduquer pour rendre heureux.
Ce qu’ont d’abord et avant tout à découvrir les parents et les enseignants, ce ne sont pas seulement des méthodes. Je les encourage d’abord et avant tout à travailler à se connaître, à apprivoiser leur vérité profonde, à développer l’amour d’eux-mêmes de façon à ce qu’ils fassent confiance à leurs propres forces, à leurs propres valeurs, à leurs propres besoins, à leurs propres ressources. Mon but est de leur apprendre à accorder plus d’importance à leur ressenti qu’à l’opinion des autres; en un mot, de leur apprendre à se connaître, à reconnaître leur valeur et à assumer leur différence. Ils peuvent ainsi, parmi les méthodes d’éducation enseignées, choisir celles qui correspondent le plus à ce qu’ils sont plutôt que d’essayer d’appliquer sans succès des approches qui réussissent à d’autres personnes, mais pas à eux parce qu’elles ne leur conviennent pas.
Pour qu’une approche éducative soit efficace, elle doit découler de la personne même de l’éducateur, de ses ressources profondes, de ses valeurs, de ses croyances. À cette condition seulement, elle peut contribuer à donner aux enfants l’entière liberté d’être vrais et elle peut leur apprendre à se soustraire au pouvoir accordé au regard extérieur; par conséquent, elle les rendra heureux.
La poursuite de votre lecture vous permettra de comprendre ce qu’est une approche éducative qui découle de la personne de l’éducateur. Vous verrez qu’elle passe, entre autres, par une atténuation de la tendance à mentir ou à ménager les autres pour dissiper la honte d’être soi et la peur de déplaire ou de blesser.
Mentir ou ménager les autres pour dissiper la honte et la peur
Quand elle entend la sonnerie du téléphone, Julie court pour aller répondre. Elle est arrêtée dans son élan par sa mère qui lui dit: «Si c’est tante Germaine, dis-lui que je ne suis pas là.» La petite ne comprend pas: on l’a sévèrement punie la veille pour avoir menti et voilà que, maintenant, la personne qui lui a fait promettre de toujours dire la vérité lui demande de mentir. Confuse et déchirée, elle décroche le récepteur et dit: «Maman dit qu’elle n’est pas là.»
Qu’est-ce qui motive l’intervention de la mère de Julie? Pourquoi ment-elle à tante Germaine?
Le mensonge est très souvent un moyen inconscient de se défendre contre la peur et la honte. On ment pour ne pas blesser, pour ne pas déplaire, pour ne pas susciter de conflits ou pour échapper au jugement de l’autre et au rejet.
Nous mentons parfois aux enfants pour les empêcher de souffrir, pour ne pas montrer une facette de nous-mêmes que nous n’acceptons pas, ce qui est humain et compréhensible. Cependant, nous semons ainsi dans leur cœur l’insécurité, le doute, le manque de confiance. Tous ces sentiments sont fréquemment à l’origine de comportements réactionnels de la part des jeunes et se traduisent, pour certains, par l’insolence et le manque de respect de l’autorité et, pour d’autres, par le retrait et le repli sur soi. Ces derniers ne permettent à leurs éducateurs aucun accès à leur monde intérieur.
Les enfants ont besoin de la vérité, quel que soit leur âge. Lorsque nous leur mentons ou que nous les ménageons pour les empêcher de souffrir à court terme, nous les faisons souffrir davantage à long terme. La vérité c’est que nous nous protégeons nous-mêmes contre la douleur qui nous envahit quand ils ont de la peine et qu’ils ont mal. Nous ne leur faisons pas confiance.
Certains enfants grandissent non seulement en doutant de nous, mais avec le sentiment que, si nous les ménageons, c’est qu’ils n’ont pas la force d’affronter les épreuves de la vie. D’autres cherchent alors à fuir la souffrance et à se faire prendre en charge dans les moments difficiles. Ils ne sont pas équipés intérieurement pour surmonter les obstacles de la vie parce qu’ils ne se font pas confiance.
Le mensonge et le ménagement en éducation témoignent davantage d’un manque de courage ou d’un manque d’acceptation de soi que d’un manquement à la morale. Celui qui nie, tait ou transforme la vérité n’est pas un monstre. Quand la mère se cache pour ne pas que son enfant la voie partir, elle n’est ni méchante ni malhonnête. Elle est même convaincue que son action est juste. En réalité, elle n’est pas consciente qu’en protégeant son enfant contre la souffrance de l’absence, elle se protège elle-même. Ainsi en est-il du père qui cache sa vulnérabilité pour montrer qu’il est solide et qu’on peut s’appuyer sur lui. Au cours de son parcours éducatif, il a intégré une croyance qui influence son comportement. Il croit fermement que l’expression de la vulnérabilité est un signe de faiblesse. Aussi dira-t-il qu’il n’a pas peur alors qu’il est effrayé, qu’il n’est pas blessé alors qu’il est atteint au plus profond de lui-même, qu’il ne ressent aucune infériorité alors qu’il ne se sent jamais à la hauteur, qu’il n’a pas mal alors qu’il crève de douleur.
Combien d’éducateurs, mis, un jour ou l’autre, devant les mensonges des éduqués, se demandent comment encourager les jeunes à dire la vérité? Ils ne sont généralement pas conscients qu’ils transmettent eux-mêmes ce moyen de défense parce qu’ils ont honte de leurs côtés négatifs et peur de blesser.
Le problème est délicat à résoudre parce qu’il suppose que ceux qui font œuvre d’éducation accueillent non seulement la peur et la partie d’eux-mêmes qu’ils cachent parce qu’ils en ont honte, mais qu’ils accueillent aussi, sans se juger, leurs moyens de se protéger contre ces émotions désagréables, c’est-à-dire le mensonge ou le ménagement.
Il est tout à fait normal de ne pas vouloir être un déclencheur de souffrance pour les gens que nous aimons. Il est tout à fait normal de cacher, au moyen du mensonge, du ménagement ou du personnage, les facettes de notre personnalité qui ont été rejetées, ridiculisées, jugées ou sévèrement critiquées lorsque nous étions enfants. Cette attitude n’est ni condamnable, ni incorrecte, ni malhonnête. Elle est le résultat de l’éducation que nous avons reçue et de celle que nos parents et nos grands-parents ont héritée de leurs aïeuls pour ne pas blesser les autres.
Il ne sera possible de transmettre un autre héritage aux générations futures que si nous prenons conscience des jugements que nous portons sur nous-mêmes et que si nous accueillons nos ménagements, nos mensonges, nos personnages comme des portes d’entrée vers notre vérité profonde. Ainsi serons-nous mieux outillés devant les mensonges de nos enfants et de nos élèves parce que nous saurons qu’ils cachent des peurs et une honte d’être ce qu’ils sont. Au lieu de lutter contre leurs mensonges et de les réprimander sans discernement, nous nous remettrons en question nous-mêmes. Nous leur montrerons les conséquences de ces comportements et nous tenterons, par le dialogue, de percer le mystère qu’ils dissimulent. Notre but sera alors de leur apprendre, par cette voie, à se connaître et à être authentiques. Ils se donneront ainsi la liberté d’agir dans le respect fidèle de ce qu’ils sont plutôt que de mentir et de ménager pour être aimé, pour ne pas blesser ou de faire comme les autres pour être acceptés.
Faire comme les autres
J’en étais à mes premières années d’enseignement au secondaire quand l’événement qui suit s’est produit. C’était lors d’une journée pédagogique. Dans mon souvenir, j’étais en réunion avec le personnel de l’école lorsqu’un de nos étudiants s’infiltra dans l’établissement pour insulter certains de ses professeurs. Il était ivre. Ce jeune était aussi un de mes élèves. C’était un adolescent très perturbé par sa vie familiale, qui s’adonnait régulièrement à l’alcool et à la drogue. Dans le milieu où j’enseignais, il était considéré comme un cas difficile. Je me souviens qu’au début de l’année, il me faisait peur. J’étais jeune moi-même et je doutais de ma capacité à me faire respecter de lui, le respect étant la condition indispensable pour pouvoir lui apporter et lui apprendre quelque chose. Après quelques semaines de cours, j’ai tout de même réussi à lui inspirer confiance. Il m’avait choisie comme confidente et j’étais sensible à ses difficultés.
Ce jour-là, lorsqu’il imposa sa présence au beau milieu de l’après-midi, un enseignant proposa d’appeler la police. Il fut appuyé par tous les autres. Au fond de moi, je n’étais pas d’accord, mais je n’ai pas réagi. Par manque de confiance en moi, j’ai suivi les autres et je n’ai pas empêché l’enseignant en question de requérir les services de la police. J’avais peur de m’affirmer, peur d’être jugée et ridiculisée. Je me suis tue.
Quand les deux policiers l’ont pris de force pour le faire sortir de l’école, l’étudiant se tourna vers moi et me regarda droit dans les yeux sans dire un mot. À ce moment précis, j’eus le sentiment profond de l’avoir trahi. Je ne l’ai jamais revu, mais chaque fois que je pense à lui, je revois ses grands yeux bruns poser leur regard sur moi et j’ai honte. Ce jour-là, pour suivre mes collègues, je me suis trahie moi-même. Je n’ai pas eu le courage d’agir dans le respect de ce que je ressentais.
Combien de fois dans ma vie ai-je agi pour faire comme les autres? Combien de fois n’ai-je pas donné ma véritable opinion par peur d’être jugée ou rejetée? Combien de fois n’ai-je pas suivi mes sentiments? Combien de fois n’ai-je pas été moi-même par manque de confiance en moi?
Éduqués dans la perspective de donner plus d’importance au monde extérieur qu’à leur vérité profonde, de nombreux enfants se laissent influencer par les autres parce qu’ils n’ont pas appris à donner de la valeur à ce qu’ils pensent et à ce qu’ils ressentent.
Ces jeunes trouvent leur valorisation dans le fait d’être comme les autres plutôt que dans celui d’être fidèles à eux-mêmes. Leurs besoins, leurs émotions n’ayant pas été écoutés, ils grandissent à l’ombre d’eux-mêmes. L’éducateur qui n’apprend pas à l’enfant à être lui-même forme des adultes qui ne sont pas heureux parce que, généralement, il ne l’est pas vraiment lui-même. Les conséquences d’une telle éducation sont souvent beaucoup plus lourdes qu’on ne peut le croire.
Conséquences d’une éducation qui forme des personnages
Les enfants dont les principaux éducateurs n’accueillent pas l’expression de leur vérité profonde se construisent un personnage qui trahit leur nature véritable. Ils se perdent de vue et vivent plus ou moins loin d’eux-mêmes. Ces enfants grandissent en faisant davantage confiance à ce qui vient de l’extérieur qu’à leurs perceptions intérieures. Ils deviennent des adultes sans pouvoir sur eux-mêmes. On reconnaît chez ces adultes au moins trois types de personnes.
1.Il y a d’abord les éternels insatisfaits, ceux qui ont toujours le sentiment de n’être pas acceptés et d’être incompris parce qu’ils ne s’acceptent pas eux-mêmes. Ces personnes ont beaucoup de peine à faire des choix et à prendre des décisions parce qu’elles ne savent pas ce qu’elles veulent. Aussi, elles se placent en victimes des gens et des circonstances et ont tendance à critiquer tout ce qui les dérange. Elles sont très difficiles à satisfaire parce qu’elles attendent trop des autres et de la vie et ne participent pas à leur propre cheminement.
2.À l’opposé des insatisfaits se trouvent les hyper défen-sifs, ceux qui réagissent contre l’émotion honteuse et le besoin honteux par la négation totale de leurs faiblesses, ceux qui se défendent contre leur vérité profonde en s’affirmant péremptoirement, en prenant le pouvoir, en luttant pour avoir raison, en présentant leur opinion comme la vérité. Ceux-là affichent une fausse force, une fausse grandeur pour masquer leur sentiment inconscient et souffrant de petitesse intérieure.
3.J’appelle ceux du troisième groupe les vénérables, ceux qui présentent une façade de bonté, de magnanimité et d’amour. Ces personnes sont en fait de fins manipulateurs qui flattent et distribuent la bienveillance autour d’eux en enfonçant des lames de trahison par-derrière. Inconscientes de leur profond sentiment d’infériorité, de leur grand besoin d’amour et de reconnaissance et, surtout, de leur ressentiment, elles donnent d’une main ce qu’elles aimeraient recevoir tout en punissant de l’autre parce qu’elles n’ont pas reçu ce qu’elles attendaient.