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2

Une fois dans ma chambre, Alex et moi ouvrons rapidement mon ordinateur portable et allons sur le site Web de Diva du design pour voir l’endroit le plus près où les auditions auront lieu. Tout comme Barry avait dit, la ronde finale se déroulera à Salinas lors d’un grand événement de rodéo. (Le reste du monde semble penser que toute la Californie est comme Los Angeles et qu’il y a des vedettes prestigieuses partout, mais le rodéo est super important ici en Californie du Nord.) Salinas est à seulement 45 minutes de ma ville natale, donc je devrais pouvoir convaincre mes parents de me laisser participer aux auditions. Du moins, je l’espère.

Les rondes préliminaires se dérouleront partout à travers le pays. Des ados de New York à la Californie en passant par le Texas auront la chance de participer. On dirait qu’ils vont tenir les auditions californiennes dans deux endroits : San Francisco et Los Angeles. Les deux premières rondes vont réduire le nombre de concurrents à 40 au total, et tous se rassembleront à Salinas pour la ronde finale. Puis, les 15 meilleurs designers iront à New York pour poursuivre la compétition et participer à l’émission.

Je me laisse tomber au sol et commence à sortir tous mes cahiers à dessins de mes tiroirs de bureau. Alex approche le chevalet où j’ai épinglé des échantillons et des exemples de modèles. Ma chambre ressemble à un temple dédié à tout ce qui touche la mode. Je me sens subitement submergée. Je n’ai aucune idée par où commencer ou quoi faire en ce moment.

Heureusement, Alex semble encore avoir tous ses esprits. Elle se rassoit devant mon portable, où le site Web Diva du design est encore ouvert.

— Allez ! dit-elle. Tu attends quoi ?

Je contourne mes dessins sur le plancher et m’assois sur mon lit. Il y a quelques secondes, j’étais prête à exploser d’excitation en pensant à cette occasion, et maintenant, j’ai juste envie de vomir. Qu’est-ce qui cloche chez moi ?

Mes peurs doivent paraître sur mon visage, parce qu’Alex me regarde et lance :

— Tu sais quoi ? Nous allons tout imprimer, comme ça, nous pourrons tout relire étape par étape.

Je hoche la tête et me sens idiote. Parle ! m’intime mon cerveau.

— Excellent ! réponds-je d’un ton un peu trop enjoué.

— Ça sera mieux ainsi de toute façon, souligne Alex.

Elle va chercher la feuille dans l’imprimante et lit les règlements en hochant la tête.

— Ç’a l’air pas mal simple, conclut-elle. La première étape du processus d’audition est de créer trois ensembles originaux…

— Trois ensembles ? l’interromps-je. Je ne peux pas créer trois nouveaux ensembles en seulement deux semaines !

Mes mains tremblent et je sens mon cerveau entrer en mode panique.

— Chloé, détends-toi, me commande Alex. Il n’y a rien de bien extraordinaire. Les instructions expliquent les autres étapes et…

Je couvre mes oreilles et ferme mes yeux pour bloquer Alex. Je sais que je dois ressembler à l’un des élèves de maternelle de ma mère, mais je m’en fous. Mon plancher est recouvert de toutes mes créations des dernières années ; des années d’énergie et de rêves. Une occasion comme celle-ci est tout ce dont j’ai toujours rêvé, mais maintenant qu’elle est là, j’agis comme une enfant. J’ai trop peur pour m’en faire.

— D’accord, je m’en vais, indique Alex.

Elle parle fort pour qu’il soit impossible de l’ignorer.

— Je vais laisser ça sur le lit pour que tu puisses l’examiner. Le reste t’appartient.

Lorsque j’ouvre enfin mes yeux, Alex est partie. Les règlements imprimés sont à sa place. Je saisis la feuille et la mets sur mon bureau. Je ne suis pas encore tout à fait prête à lire les règlements. Mais les meilleures amies ont un sixième sens, parce que sur mon bureau se trouve une note d’Alex. Elle ne comporte que quatre mots : Tu peux y arriver !


3

Lorsque je me réveille le lendemain matin, je ressens une douleur lancinante dans ma tête, probablement parce que je me suis tournée et retournée toute la nuit. Je ne crois pas avoir fermé les yeux plus de cinq minutes à la fois. Ça n’a pas vraiment été une nuit reposante.

Quel genre de personne voit l’occasion de toute une vie devant elle et se met à paniquer ? Chloé la craintive. Mmh… ça sonne quand même bien. Je vois déjà une étiquette avec un logo : deux « C » entrelacés avec un lion recroquevillé au centre. Beurk. Ce n’est pas vraiment ce que j’aimerais avoir comme logo personnel.

Je gémis et me force à sortir de mon lit chaud et douillet pour aller à mon placard. Choisir mon ensemble du jour me remonte toujours le moral. J’étudie tous mes shorts, hauts et chaussures en cherchant quelque chose qui dégage de la confiance. Si j’ai l’air confiante de l’extérieur, ça me rendra peut-être confiante à l’intérieur aussi ? Une fille peut toujours rêver.

Je prends enfin une paire de shorts en soie de couleur vive et une blouse à col avec manches longues. J’ai créé les deux l’été passé. Je les agence à mes sandales à plateforme avec les talons compensés en liège. La couleur vive semble faire effet et lorsque j’arrive à l’école, le lion en manque de courage n’est plus qu’un chaton un peu peureux. C’est du progrès.

Je prends mes livres dans mon casier et jette un coup d’œil au corridor bondé en cherchant Alex. Je veux m’excuser d’avoir été une bizarroïde sans colonne la veille. Je ne la vois nulle part, mais ce que je vois me noue l’estomac. Ma rivale principale toujours parfaitement habillée, Nina LeFleur, se dirige vers moi avec sa troupe de suiveuses. Argh. Je déteste Nina. Pas parce que ses tenues sont spectaculaires, mais parce qu’elle vole toujours mes idées et fait semblant que ce sont les siennes.

Tout a commencé lorsque nous avions cinq ans. Il est difficile d’imaginer que Nina et moi avons déjà été amies à cette époque. Mais un jour, lorsqu’elle était chez moi, elle a copié la robe en ruban adhésif que j’avais fait pour ma Barbie. Puis, elle a dit à tout le monde dans le voisinage que c’était son idée.

Ça n’aurait pas été si grave si une telle chose s’était passée juste une fois, nous n’avions que cinq ans après tout. Je pouvais le lui pardonner. Mais ça n’a pas été juste cette fois-là. Nina a recommencé lorsque nous étions en sixième année. Elle avait vu mes patrons pour une blouse rose scintillante et en a fait une version identique. Puis, elle a porté la sienne la même journée que j’ai porté la mienne. Tout le monde nous avait appelées Rosélicieux, comme dans le livre d’enfant.

Mais le pire de tout était quand nous étions en première année du secondaire. Je créais une robe dont j’étais incroyablement fière pour le défilé de mode de l’école. J’y avais travaillé si fort et j’avais très hâte de la présenter. Vous avez deviné qui d’autre travaillait sur le défilé de mode de l’école ? Eh oui, Nina. Un jour, mes patrons ont disparu, comme ça, et la bobine de ma machine à coudre, celle qui fournit le dessous du point lorsqu’on fait de la couture, a disparu aussi. La création de Nina, qui ressemblait étonnamment à celle sur laquelle j’avais travaillé, avait fini par gagner.

Aujourd’hui, comme tous les autres jours, Nina est entourée d’une grande foule de groupies. Toutes les suiveuses de Nina sont blondes comme elle. Comme c’est le cas pour elle, cette couleur sort tout droit d’une boîte. Leurs tenues sont assez belles, mais il manque toujours un petit quelque chose. C’est comme si Nina leur avait donné un manuel leur disant exactement ce qu’elles devraient porter pour ne jamais lui voler la vedette.

— Après l’école. Toi. Moi. Chez Mimi.

Le visage d’Alex s’illumine.

Bon, heureusement qu’il y a Nina, reconnaît-elle. Peut-être que l’avoir dans les alentours n’est pas si mauvais que ça après tout.