CODY GRANT
Le premier
fantochromique
Tome IV
JESSICA BRIDEAU
CODY GRANT
Le premier
fantochromique
Tome IV
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Brideau, Jessica, 1997-, auteur
Cody Grant : le premier fantochromique. Tome IV / Jessica Brideau.
Public cible : Pour les jeunes.
ISBN 978-2-89571-283-1
I. Titre.
PS8603.R524C624 2018jC843’.6C2017-942342-8
PS9603.R524C624 2018
Révision : Sébastien Finance
Infographie : Marie-Eve Guillot
Photo de l’auteure : Jean-Robert Pinet, Studio Fotogenik
Éditeurs : |
Les Éditions Véritas Québec |
Site Web : www.editionsveritasquebec.com |
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© Copyright : Jessica Brideau (2018) |
|
Dépôt légal : |
Bibliothèque et Archives nationales du Québec |
ISBN : |
978-2-89571-283-1 version imprimée |
DÉCOUVRIR LA COLLECTION
Étrange et fascinant, le monde de Cody Grant
Amis ou ennemis, ces drôles de fantômes ?
Je vis dans une minuscule ville portant l’étrange nom de Macmon, avec ma mère Mary et mon père Girard. Ce ne sont pas vraiment mes parents, puisqu’ils m’ont adopté… Mes origines demeurent nébuleuses. Déjà que mon nom, Cody Grant, me rend un peu marginal. Je suis un solitaire et, malgré mon allure de guerrier Viking, j’ai peur, je reste constamment sur mes gardes, je crains cet ennemi qui a dévasté presque tout mon village.
Ces fantômes auront-ils raison de moi, l’adolescent né avec un œil vert et un œil bleu ? Pourquoi ? Je cherche la réponse depuis 16 ans… Plus je veux savoir et plus ma vie déraille.
Cody Grant pourra-t-il changer le cours de sa destinée ?
Comment déterminer où se trouvent ses vrais amis ?
Lorsque j’ai découvert que ma vie entière était basée sur des mensonges, parce que mon père avait toujours menti sur mes origines, ma vie a pris un autre sens. Ma plus grande frustration, en tant que CODY GRANT surnommé le monstre de Macmon par toute l’école, demeurait d’avoir un œil bleu et un œil vert, évidemment car ce fait ne pouvait être nié. Cependant, mes dons exceptionnels me semblaient bien plus spectaculaires, comme celui de pouvoir passer à travers les murs sans effort.
À l’aube de mes dix-sept ans, il devenait urgent pour moi de trouver des réponses car mon père me prédisait que je mourrai d’ici trois mois, sans son aide. Voulait-il seulement me garder sous sa tutelle par ce chantage ? Comment le savoir…
Suis-je vraiment en danger de mort ? Avec mes alliés Kelly et Trey, je vais enquêter plus à fond. Est-ce que je suis seul au monde dans cette situation ?… Il y a quelqu’un d’autre qui connaît ce secret, et elle s’appelle Julie.
Mon père disparu, tous les soupçons pèsent sur moi !
Un jour, mon père m’avait dit que, sans lui, j’allais mourir d’ici trois mois. Quelle ironie qu’il soit mort en premier. Alors selon ses prédictions, je suis condamné ? J’ai vu la mort de près, déjà – j’ai été mordu par un zombie. Je ne sais pas pourquoi ça ne m’a pas transformé, mais il n’en reste pas moins que ma morsure ne guérit pas, et que je transporte cet étrange virus avec moi.
Pourquoi suis-je encore vivant ? Est-ce que je suis devenu une menace pour l’humanité ? C’est peut-être lié, mais je me sens changé; quelque chose en moi... un nouveau don, peut-être… Découvrir la vérité, décoder les mensonges, devient facile pour moi, même un peu trop. Je me rends compte que les choses n’ont jamais été aussi simple que je l’avais cru.
Entre amis et ennemis, la barrière est mince. Qui est de mon côté ?
Girard est peut-être mort, mais les emmerdes, pour moi, ne font que commencer.
La dernière chose dont je me souviens est que je fêtais la fin de cette histoire avec Alex. Il y avait aussi Julie, Kelly et David, même si, étrangement, ils semblaient absents de mon souvenir. Par la suite, j’étais seul, je marchais dehors… J’avais vu un autocollant en forme de fantôme dans la vitre d’un van… Réal…
Je me réveillai en sursaut tout en poussant un cri, ne sachant plus ce qui se passait. J’avais dû faire un mauvais rêve, ou quelque chose du genre… Oui, c’était sûrement ça. Je reposai ma tête sur mon oreiller, me frottant vigoureusement le visage pour mieux me réveiller. Je regardais le plafond gris métallique au-dessus de ma tête, pensant à mon rêve. C’est fou comme il avait l’air réel…
— Cody ? dit une voix à côté de moi.
Je tournai la tête à droite et vis, assise sur un autre lit tout au bout de la pièce qui ne devait pas faire plus de trois mètres de long, Kelly, qui me regardait nerveusement.
Sans répondre, je recommençai à fixer le plafond gris. J’avais une drôle d’impression… Qu’est-ce que Kelly faisait là, dans ma chambre ? Et depuis quand y a-t-il deux lits dans ma chambre ? Et il me semble me rappeler que le plafond y est blanc…
— Où est-ce que je suis ? demandai-je.
— Si tu trouves la réponse, n’oublie pas de nous le laisser savoir, répondit Alex.
Je tournai encore une fois la tête en direction de sa voix, et je le vis, au-dessus du lit de Kelly. C’étaient des lits superposés. Il était couché sur le ventre, le bras pendant dans le vide, près de la tête de Kelly. Il avait le teint blême et de grandes poches sous les yeux. Ça faisait bizarre de le voir si abattu.
Je me mis assis dans mon lit, regardant alternativement Kelly et Alex, quand ma tête buta contre un pied en chaussette grise. Je levai la tête et croisai les yeux de David, qui resta impassible.
— Qu’est-ce qui se passe ? demandai-je encore, mon cœur commençant à battre beaucoup plus vite. Où est-ce qu’on est ?
— Ça n’a plus d’importance, maintenant que tu es réveillé, dit David en sautant en bas de son lit pour venir s’assoir à côté de moi. Tu vas tous nous faire sortir de là, pas vrai ?
— David ! le coupa Kelly. Je te l’ai déjà dit; ce n’est pas si simple, enfin ! Regarde, là !
Kelly me pointa du doigt, sans rien dire de plus. David grogna.
— Quoi ? demandai-je sans trop comprendre.
— Tes poignets.
Je baissai les yeux vers mes poignets et, là, je remarquai que j’avais, dans chacun d’eux, une sorte de gros bracelet épais et brillant d’une lueur bleutée. Je remarquai aussi que ma peau, tout autour, était blanche comme un drap, et qu’elle me chatouillait comme si des fourmis se promenaient en dessous.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Tu me donnes mal à la tête, avec tes questions, marmonna Alex. On n’en sait pas plus que toi, OK ?
— Tout ce que je sais, intervint Kelly, c’est que je me suis réveillée ici il y a plus ou moins dix minutes, comme David et Alex. Quand je t’ai vu, tu avais déjà ça aux poignets. Ce que je sais aussi, c’est que cette porte (elle pointa une porte en fer à sa droite) est verrouillée et qu’on est enfermés comme dans une prison. J’en viens donc à la conclusion que ces bracelets sont là pour t’empêcher d’utiliser ton don.
Il y eut un silence de mort, pendant lequel j’essayais de digérer l’information. Mais ça n’avait aucun sens… Tout était fini, pourtant. Tout était oublié. Aujourd’hui, j’étais censé revoir Trey, retourner à la maison avec ma mère, aller à l’école…
Je baissai encore une fois les yeux vers les menottes, et j’essayai de retirer celle de gauche avec ma main droite. Elles étaient bien serrées, presque collées à ma peau. Je cherchai quelque part un endroit pour les ouvrir, mais voyant qu’il n’y en avait aucun, j’essayai de tirer dessus. Rien ne marchait. J’avais gardé mon don pour la fin; celui de traverser la matière. Normalement, là, elles auraient dû tomber au sol, puisque c’était comme si mon poignet n’existait plus. Au lieu de quoi, elles se mirent à briller d’une lueur bleue encore plus forte, et j’eus soudain un vertige, une envie de vomir, puis un grand mal de tête. Ça, ce n’était pas normal du tout.
David, qui était assis juste à côté de moi, leva les mains comme pour me retenir, de peur que je tombe dans les pommes. Kelly se leva et fit deux pas vers moi, et Alex leva mollement la tête, toujours couché dans son lit.
— C’est bon, je vais bien, marmonnai-je en me prenant la tête à deux mains.
— Non… Regarde-moi, dit Kelly.
Je levai les yeux vers elle tout en prenant de grandes inspirations pour tenter de faire passer cette envie de vomir, mais le regard horrifié qu’elle me lança me noua encore plus l’estomac.
— Quoi ? demandai-je.
— T’es yeux… Ils sont bleus… Tous les deux !
Mes mains retombèrent sur mes genoux. David se retourna vivement vers moi, l’air tout aussi horrifié que Kelly.
— Ben merde, dit-il, des yeux ronds comme des billes. Je vais être obligé de te trouver un autre surnom.
En temps normal, j’ai un œil vert et un œil bleu, mais ça m’arrive, parfois, qu’ils changent de couleur. Qu’ils deviennent verts tous les deux. Le vert le plus intense qui puisse exister. Mais qu’ils soient bleus tous les deux… C’était du jamais vu. Enfin, moi, je ne l’avais jamais vu, mais je n’ai pas vraiment pour habitude de me regarder dans un miroir à longueur de journée. Ce qui semblait bizarre, surtout, c’était que le vert de mon œil – ou de mes yeux, dépendamment – est lié au fait que j’ai le don de traverser la matière. Le bleu, c’est plutôt ce qui reste de normal en moi, en quelque sorte. Moi, du moins, je le croyais. Donc, si mes yeux devenaient bleus tous les deux, est-ce que ça voulait dire que mon don avait disparu ?
Je sentais la panique monter en moi. J’avais rêvé de ça pendant toute ma vie, mais là, c’était le plus mauvais moment, alors que nous étions apparemment retenus prisonniers dans une cellule. Je cherchai des yeux un miroir, espérant voir que ça allait passer, que mon œil allait redevenir vert et que je pourrais tous nous faire sortir d’ici, mais cette pièce n’avait aucun meuble autre que les quatre lits. Soudain, un autre problème me vint en tête. Pourquoi quatre lits ? Pourquoi pas cinq ?
— Où est Julie ?
Cette fois, personne ne me répondit.
— Où est-ce qu’elle est ? demandai-je encore, me levant de mon lit et regardant tout autour de moi comme si elle était cachée dans un coin. Mais qu’est-ce qui se passe, ici ?
— Je suis désolée, vraiment, Cody, mais je n’en ai aucune idée, dit Kelly.
Je me retournai vers elle, lui lançant un regard noir, mais une larme coula le long de sa joue, qu’elle s’empressa d’essuyer du coin de sa manche.
— Je n’ai aucune idée de ce qui se passe, je n’en ai vraiment aucune idée, dit-elle d’une voix cassée.
Je me tournai vers David, cherchant de meilleures réponses, mais il se contenta de secouer la tête et de fixer son regard vers le sol.
— Alex, dis-je en m’avançant vers lui, qui était maintenant assis dans son lit, la tête appuyée contre le mur. Tu sais toujours tout, toi ! Tu dois bien savoir quelque chose !
— La dernière chose dont je me souviens, c’est que j’étais en train de pisser, dit-il en haussant les épaules. Puis j’ai senti une piqure dans mon cou… Je me suis réveillé ici. C’est tout.
— Même chose pour moi, dit David. Sauf que je n’étais pas en train de pisser… Je parlais avec une fille, elle était assez mignonne…
J’ignorai la suite, regardant tout autour de la pièce à la recherche d’indices, n’importe quoi qui pourrait m’aider à comprendre où on était, pourquoi on était là… et qu’est-ce qui se passait.
La meilleure façon de décrire cette pièce était d’imaginer une petite boite en métal carrée, où on y aurait ajouté des lits et une porte sur le côté. Il n’y avait rien de plus, sauf un interrupteur près de la porte pour allumer et fermer la lumière qui venait du plafonnier, ainsi qu’une bouche d’aération qui semblait être au-dessus de la tête d’Alex.
— Elle est verrouillée, dit celui-ci en devinant ce à quoi je pensais. Pas moyen de l’ouvrir, j’ai essayé. J’avais abandonné à peine deux ou trois secondes avant que tu ne te réveilles.
— Abandonné ? répétai-je en écho. Peux-tu essayer à nouveau, allons ?
— Je ne peux pas ! répéta-t-il, exaspéré. Il y a un cadenas ! Et de toute façon, personne ici n’est assez petit pour y passer. Kelly, peut-être, mais ça m’étonnerait. Et puis ça n’avancerait à rien si toi, David et moi, on restait toujours coincés ici !
J’ignorai son commentaire et me retournai vers la porte, devant moi. Je posai mes mains dessus, essayant de la traverser. Le bout de mes doigts disparut de l’autre côté de la porte, mais plus j’y enfonçais ma main, plus je ressentais une brulure. Arrivée près de mon poignet, la douleur devint insupportable et je ne pus m’empêcher de retirer vivement mes mains de la porte. J’avais à nouveau cette sensation de vertige, envie de vomir, mal de tête. Je dus me retenir à la porte pour ne pas m’écraser au sol.
Je me sentais trembler de rage devant mon impuissance. Clairement, les personnes qui nous avaient enfermés ici savaient qui j’étais et ce que j’étais capable de faire avec mon don. Avant !
— C’est toi le plus fort, ici, David, dis-je en me tournant vers lui, qui était resté assis sur le lit. Détruis-moi ces bracelets.
Je lui tendis mes poignets, et il leva timidement une main comme pour voir la texture.
— Je ne suis pas super fort, dit-il en grimaçant. Ça prendrait des pinces, ou quelque chose dans le genre.
— Essaie par pitié ! criai-je sans pouvoir m’en empêcher. Merde, débarrasse-moi de ça !
Toujours en grimaçant, David prit mon poignet droit à deux mains et essaya d’y faire passer ses doigts en dessous. Ses ongles me raclaient douloureusement la peau, mais je ne dis rien; je préférais encore me faire amputer des deux mains que de garder ces menottes. Quelques éraflures n’avaient pas d’importance.
— Je n’y arrive pas, dit-il au bout de quelques minutes d’efforts.
— Très bien, marmonnai-je tout en prenant de grandes inspirations. Essayons autre chose… Écrase-les.
Je m’agenouillai devant lui et mis les poignets au sol, devant ses pieds.
— Non, ne fais pas ça ! s’écria Kelly derrière moi. Il va te casser les poignets !
— Et alors ? m’écriai-je en me retournant vers elle. Si c’est ce qu’il faut pour me débarrasser de ça et retrouver mon don, je vais le faire ! C’est le seul moyen de sortir d’ici…
— On ne va pas rester éternellement ici, avec ou sans bracelets, dit Alex dans son coin. S’ils nous ont transportés ici, c’est pour une raison. Je te parie ce que tu veux que quelqu’un va venir, d’ici quelques minutes, pour tout nous expliquer.
— Et si tu te trompes ? dis-je en me levant pour le défier.
— Regarde cette porte, dit-il en soupirant. Est-ce que tu vois une trappe ?
— Quel est le rapport avec une trappe ?
— Bah, il faut bien qu’on mange ! D’où elle va venir, la bouffe, selon toi ? Quelqu’un va franchir cette porte, c’est obligé. À moins qu’ils aient pour intention de nous laisser crever de faim.
— Ils n’ont pas intérêt, dit David.
Je me retournai vers lui, le dévisageant avec dégoût. Comment pouvaient-ils penser à manger dans une situation pareille ?
— Comment vous faites pour être aussi calmes ? demandai-je.
— On a eu dix minutes de plus pour appréhender la situation, dit Kelly. Alex a raison; quelqu’un va venir, c’est obligé. On ne peut rien faire de plus qu’attendre. Et d’ailleurs, quand on y pense, c’est assez drôle parce que, il y a deux mois, tu ne faisais que répéter que ton don était le plus inutile qui soit. Et maintenant, tu es prêt à te faire écraser les poignets pour le récupérer ?
— Il y a deux mois, je n’étais pas retenu prisonnier sans savoir pourquoi et par qui ! m’écriai-je. Je veux sortir d’ici, il faut que je sorte d’ici tout de suite !
— Tu ne serais pas un peu claustro, toi ? dit David en riant.
J’étais à bout de patience. Les mauvaises habitudes reprenaient le dessus. De toute façon, j’avais beau essayer, je n’arrivais pas à me faire à l’idée que David était censé être un gentil.
Je m’étais élancé vers lui, poussant un cri de rage, lui enfonçant mon poing dans le nez aussi fort que je le pouvais. J’avais fermé les yeux, swinguant mes poings un peu partout. J’avais grandement besoin de me défouler, et ça me faisait du bien. Ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti une envie aussi grande de me défouler. J’avais l’impression d’être retombé quelques mois en arrière, dans le temps où David était le méchant. Dans le temps où la violence n’était en fait que de la légitime défense.
Je reçus un coup à la tempe plus fort que les autres, qui me fit un peu perdre la notion des choses. J’ouvris les yeux et vis, devant moi, David, le nez en sang et les poings en l’air, prêt à se défendre, Kelly, entre nous deux, les bras tendus comme pour essayer de nous séparer, et Alex, me tirant par le bras pour me forcer à reculer.
— Tu vas te calmer, oui ? s’écria Kelly, le visage rouge. On est tous dans le même bateau, au cas où tu n’aurais pas remarqué ! Tu n’es pas seul ! Et on n’y peut rien, à ce qui arrive !
J’étais trop à bout de nerfs pour répondre, mais, au bout de cinq longues secondes à peser le pour et le contre, je me décidai à abandonner la partie. Je me détendis et laissai sortir un grand soupir, dans un effort réel pour me calmer. Kelly baissa lentement ses bras, David détendit ses poings en reculant de quelques pas, et Alex lâcha mon bras après m’avoir donné une petite tape sur l’épaule.
— Crois-moi, t’es pas seul là-dedans, répéta Alex d’un ton beaucoup plus calme et sincère que Kelly. Moi aussi, j’aimerais bien frapper dans quelque chose, mais je préfère les punching-balls… Dommage que ton anniversaire soit déjà passé, ce serait une excellente idée de cadeau !
Alex me fit un grand sourire, une façon de dire : « Tu es censé rire, là ! », mais je n’en fis rien. Le sourire d’Alex fondit comme une glace au soleil, mais il ne se découragea pas pour autant. Il me donna une poussée dans le dos, me forçant à avancer jusqu’au lit, où il me força à m’assoir. Je me laissai faire sans protester. Maintenant, je me sentais complètement vide.
— Au cas où t’aimerais le savoir, dit Alex au bout de quelques secondes de silence, tes yeux sont revedenus normaux, autant qu’ils puissent l’être.
Accompagnant ses mots d’une autre tape sur l’épaule, il s’assit à ma gauche, et Kelly vint se placer à ma droite. S’il devait y avoir trente bons centimètres entre Alex et moi, Kelly ne me laissa aucun espace, allant presque jusqu’à s’assoir sur mes genoux. Elle enroula ses doigts autour des miens, et j’eus soudainement envie de la repousser violemment pour mettre le plus de distance possible entre nous. Une partie de moi disait : « Fais-le, elle ne mérite que ça ! », mais l’autre partie, la partie complètement dépassée par les évènements, me disait de ne rien faire du tout. Absolument rien. Il fallait que je reste là, assis, à fixer mes genoux d’un regard vide, à attendre. Rien de plus. C’était probablement là qu’Alex, Kelly et David en étaient rendus, avant que je ne me réveille.
David, qui était resté seul dans son coin, monta l’échelle à côté du lit pour se coucher sur celui d’au-dessus, et Alex monta sur celui au-dessus de Kelly et moi. J’aurais préféré qu’il reste avec moi, pour que je ne sois pas obligé de rester seul avec Kelly. Elle, pourtant, semblait penser le contraire, car elle me serra les doigts encore plus forts, comme pour me faire comprendre que je n’étais pas seul. Ça avait sur moi l’effet contraire.
Nous restâmes dans cette position, complètement immobiles, sauf quand on avait envie de se gratter le bras ou qu’on avait envie de bâiller, pendant dix longues minutes. Ce ne fut qu’après ces minutes étranges que quelqu’un cogna à la porte.
Trois coups, clairs et distincts contre le métal, me firent sursauter. Kelly lâcha ma main, David se redressa dans son lit, et Alex releva vivement la tête.
— Je compte jusqu’à trois et je vais entrer, dit une voix grave, que je reconnus aussitôt comme étant celle du gars qui m’avait attrapé par-derrière et m’avait piqué dans le cou, pour qu’ensuite je me réveille ici. Vous allez tous reculer au fond de la pièce. Si vous n’obéissez pas, vous allez tous le regretter. Un !
Je croisai le regard de Kelly, qui semblait tout aussi dépassée que moi. David, devant moi, avait sauté en bas du lit, mais il ne semblait pas savoir ce qu’il fallait faire, car il restait là, sans bouger, à fixer la porte.
— Deux !
— On obéit, dit Alex qui avait atterri près de David et qui reculait vers le fond de la pièce. On pourra mieux voir après ce qu’il conviendra de faire.
Jugeant que ça avait du sens, je me levai et le rejoignis au fond de la pièce. Kelly et David nous rejoignirent au même moment que le « Trois ! » se fit entendre. Encore quelques secondes d’attente, puis la porte s’ouvrit vers l’intérieur, nous permettant enfin de voir nos ravisseurs. Celui à la voix grave, c’était un grand noir musclé, à la carrure d’un champion de boxe. Il était facilement plus grand que David et, à sa vue, je sus aussitôt que je n’aurais aucune chance, surtout qu’il tenait entre ses mains un pistolet. Il était orienté vers le plancher, mais il avait le pouce sur le cran de sureté et l’index sur la gâchette, prêt à s’en servir en cas de problème. Je sentis mes jambes trembler malgré moi.
Il nous regarda tour à tour, s’attardant plus longuement sur moi, sans rien dire.
— Tout est bon, dit-il au bout de quelques longues secondes qui me parurent des années.
À ces mots, deux autres gars entrèrent dans la pièce. L’un d’eux était armé, tout comme le grand noir, mais il était beaucoup moins intimidant en taille. Le dernier à entrer, ce fut Réal, que je reconnus aussitôt à sa coupe de cheveux bizarre, moitié longue, moitié courte, et à son étiquette disant « Bonjour, je suis Réal ! » sur la poitrine. Lui aussi, il nous dévisageait, calculant probablement quelles seraient les chances qu’on se décide à tenter une évasion. Il finit probablement par juger que les chances étaient minimes, car il finit par nous montrer un très grand sourire, puis il leva ses mains, comme pour nous prouver que lui, au moins, n’avait pas de pistolet.
— Tout d’abord, j’aimerais m’excuser pour la peur que j’ai dû vous faire, mais je crois bien que c’était inévitable. J’avais besoin de vous parler. Vous connaissez des choses dont nous avons besoin. Mais je suis sûr que vous pourrez nous pardonner le dérangement, car nous aussi, nous connaissons des choses que vous aimeriez savoir, j’en suis sûr. Dès que ce sera fini, nous vous reconduirons chez vous, c’est promis. Mais pour l’instant, j’imagine que vous n’êtes pas prêts à parler. Vous préféreriez peut-être diner, pour commencer ? Vous aimez les pâtés au poulet ?
Personne ne lui répondit. Nous étions tous bouche bée. Malgré le silence glacial qui s’était infiltré dans la pièce, Réal ne s’arrêtait pas de sourire.
— Vous n’avez pas faim ? finit-il par demander. Commençons par autre chose, alors ! Ça vous dit, une petite visite guidée ? On finira par la cafétéria.
— J’aimerais bien savoir où on est, demandai-je d’une voix que je n’espérais pas trop tremblante.
Le grand noir braqua son regard sur moi et releva légèrement son pistolet. Je ne pus m’empêcher de déglutir avec difficulté. Avec ses deux gardes du corps armés, j’avais quelques difficultés à croire que Réal nous avait amenés ici simplement pour parler, mais je préférais jouer le jeu et éviter de me prendre une balle.
— Nous ne sommes pas trop loin de chez vous, dit vaguement Réal, sans jamais s’arrêter de sourire. Vous me suivez pour la visite ? Reste avec moi, Jim, dit-il au plus petit des gardes du corps. Rowe, tu fermes la marche.
Réal sortit de la pièce, suivi du dénommé Jim, qui, tout en marchant, rangea son pistolet dans sa ceinture de pantalon.
— Sortez ! s’écria Rowe, le grand noir, en levant un peu plus son pistolet.
Kelly m’agrippa le bras tout en sursautant, mais elle fut la première à s’exécuter. Je la suivis, puisque de toute façon elle me tenait toujours, et Alex et David s’avancèrent derrière nous.
— Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie, chuchota Kelly à mon oreille.
— Tu n’es pas la seule, lui répondis-je.
C’était la vérité, mais j’étais tout de même content de quitter cette pièce. Sitôt dehors, je me retournai pour voir la porte. La seconde d’après, Rowe ferma la porte, m’empêchant de regarder. Tout au long de ce mur, il y avait quatre autres portes en fer, identiques à la nôtre. Peut-être que Julie était enfermée derrière l’une d’entre elles. Peut-être aussi qu’elle n’était pas là du tout, mais j’en doutais.
Rowe me poussa dans le dos, me forçant à avancer avec les autres, et j’obéis sans rechigner. Loin devant nous, Réal commentait la visite guidée, comme si nous n’avions rien à craindre de ses gardes armés. Nous n’avions fait que quelques pas qu’il s’arrêtait déjà devant les premières portes du corridor. Ici, au moins, les murs n’étaient pas en fer; ils étaient d’un petit bleu pâle.
— Les toilettes, dit Réal en pointant deux portes, visiblement une pour les femmes et l’autre pour les hommes. Si vous avez envie.
Personne ne bougea. Réal continua son chemin dans le long corridor. Un peu plus loin, nous arrivâmes à une grande pièce spacieuse et sans porte, que Réal nomma « l’aire de détente ». L’intérieur ressemblait à un grand salon, où deux gars et une fille regardaient Le Seigneur des anneaux à la télévision dans un coin, une fille était sur son téléphone, quatre gars jouaient au babyfoot dans un autre coin, d’autres s’occupaient sur des ordinateurs portables. Un autre regardait dans un journal et prenait des notes en même temps dans un cahier. Il posa bruyamment son stylo sur la table et s’écria :
— J’en ai trouvé un !
Tout le monde dans la pièce leva la tête vers lui. Ils tournèrent ensuite la tête vers Réal, qui, comme tous les autres, fixait celui qui avait crié.
— Attendez-moi ici, dit-il avant de rejoindre le gars.
Il regarda ses notes, puis le journal en silence.
— Qu’est-ce qu’il fait, selon toi ? me souffla Alex.
— Il prépare son prochain enlèvement, j’imagine, grognai-je.
— Taisez-vous, dit Rowe derrière nous.
— C’est bon, vas-y, dit Réal. Je te donne une semaine. Regroupe ton équipe et prends ce dont t’as besoin.
— Merci, dit l’autre avant de se lever, de rassembler ses affaires et de partir à toutes jambes devant nous sans même nous accorder un regard.
Réal revint vers nous et tous les autres recommencèrent à faire ce qu’ils faisaient avant l’interruption, la mine grave.
— On continue la visite ? demanda Réal, toujours avec son grand sourire, comme si de rien n’était.
— C’était quoi ou qui, ce qu’il a trouvé ? demandai-je.
Rowe me donna une tape douloureuse dans le dos, comme à chaque fois que j’ouvrais la bouche.
— Arrête un peu, Rowe, dit Réal en le fusillant du regard. Il s’est trouvé du boulot, dit-il en revenant à moi.
— Quel genre ? demandai-je sans comprendre.
Cette fois, ce fut Jim, l’autre garde du corps, qui me fusilla du regard.
— Il pose beaucoup de questions, celui-là.
— Il n’a pas beaucoup de réponses, tu veux dire, m’énervai-je.
— Il est pardonné, dit Réal en se retournant pour continuer son chemin.
Mystérieusement, Réal sembla oublier de répondre à la question. Profitant du fait que Réal ne regardait plus, Rowe me frappa encore dans le dos, me forçant à avancer plus vite. Décidément, il ne m’aimait pas, et moi non plus, je ne l’aimais pas.
Nous continuâmes la visite en parcourant le long corridor, tournant parfois des coins. Réal nous présenta beaucoup de portes closes comme étant des chambres ou des bureaux, et encore d’autres salles de bain. Apparemment, des gens vivaient ici, même si je n’arrivais toujours pas à déterminer quel genre d’endroit cela pouvait être. Un peu plus loin, il y avait une porte en fer, identique à celle qui nous tenait prisonniers vingt minutes plus tôt, mais Réal, soutenu par Rowe et Jim, refusa de l’ouvrir pour nous montrer l’intérieur. Il ne nous donna que le nom de la pièce : « salle d’armes ». J’étais bien curieux de savoir quel genre d’armes il pouvait y avoir, mais je jugeai préférable de ne pas poser de questions là-dessus. Juste à côté, il y avait deux portes battantes, donnant sur la pièce nommée « hôpital ». Apparemment, les gens d’ici préféraient se soigner eux-mêmes plutôt que d’aller dans un vrai hôpital. Là encore, il ne nous fit pas visiter. Il donna pour excuse que nous n’étions pas là pour visiter des malades, et que de toute façon, le plus mal en point de la bande n’avait qu’un doigt fracturé. Mais le regard entendu de Jim et Rowe derrière son dos me laissait deviner qu’il y avait plus; quelque chose qu’il ne voulait réellement pas que nous voyions. Par exemple le fait qu’ils avaient installé un « hôpital » à côté d’une salle d’armes.
Enfin, Réal finit sa visite avec la salle qu’il nomma, de toute évidence : « cafétéria ». La salle était à peine plus grande que l’aire de détente, où deux longues tables y étaient installées avec une dizaine de chaises autour de chacune. De l’autre côté de la pièce, il y avait un frigidaire, un four, un microonde et tout ce qu’il faut pour cuisiner. Il y avait une distributrice de boissons, une autre pour les friandises et le chocolat, et une autre de style bar à café. Il y avait aussi des armoires sans portes où on pouvait voir une belle collection de vaisselle. Visiblement, ici, on ne mourrait pas de faim.
— Je vais vous préparer des pâtés, dit Réal avec son éternel sourire. Choisissez-vous une place, en attendant. Rowe, Jim, restez avec eux. Et tâchez de rester gentils, ce sont mes invités !
Réal partit vers le fond de la pièce en direction des fourneaux et, pendant qu’il ne regardait pas, Jim et Rowe éclatèrent d’un rire silencieux.
Sans attendre que Rowe me pousse dans le dos, j’avançai vers l’autre côté de la pièce, où il y avait les tables, entraînant Kelly qui était toujours agrippée à mon bras. David et Alex nous suivirent, mais au final, Alex prit les devants et ce fut lui qui choisit la place; tout au fond de la pièce, près du mur du fond. J’aimais bien cette place où il y avait une fenêtre. Pour la première fois, je pus voir à quoi ressemblait le paysage, et je fus soulagé de reconnaitre les sapins et les arbres aux feuilles jaunes et orange. J’espérais que ça voulait dire que, comme Réal l’avait expliqué, nous n’étions pas trop loin de chez nous. Pourtant, les arbres et les sapins étaient bien la seule chose que je voyais. C’était à croire que nous étions dans une petite forêt. Je ne pouvais faire rien de plus que de deviner la région où nous étions par l’espèce des arbres.
Il y avait des tas de choses que j’avais envie de dire, mais la présence des gardes du corps m’en empêchait et, à voir l’air tendu d’Alex, qui s’était assis en face de moi, c’était la même chose pour lui. Nerveux, je mis mes mains sur la table, prêt à entortiller mes doigts pour bien le montrer, mais le bruit sec qui se fit entendre me stoppa. J’en avais presque oublié ces bracelets, qui pourtant me donnaient cette désagréable impression d’avoir des fourmis sous la peau.
Réal nous a enlevés de force pour nous emmener ici, il me menotte pour que je ne me sauve pas, et ensuite il dit que nous sommes ses invités, qu’il ne veut que parler et qu’il nous ramènera chez nous après ? S’il dit vrai, c’est que ce Réal est complètement timbré, lui qui pourtant semble être le chef, ici. Ce serait une explication plausible suite aux rires de Jim et de Rowe…
— Faut voir le bon côté des choses, dit Alex au bout de quelques longues secondes dans le silence. Je vais manquer mon avion.
— T’appelles ça le « bon côté des choses » ? dis-je pour rire, sans vraiment me trouver drôle.
— Je n’avais pas vraiment envie de partir… Mais il est sûr que j’aurais préféré être là-bas plutôt qu’ici…
— Tu ne te plais pas, avec nous ? dit Jim qui s’était assis à côté d’Alex, en se penchant un peu vers lui.
— Pas vraiment, non… Sans vouloir vous offenser.
Jim et Rowe éclatèrent encore une fois de rire, et cette fois, je ne pus m’empêcher de sourire aussi. Réal arriva au même moment, quatre assiettes en équilibre précaire dans les mains. En nous voyant tous rire, il afficha lui aussi d’un grand sourire, ignorant visiblement que Jim et Rowe riaient d’Alex et moi, et vice versa. Réal déposa une assiette devant chacun de nous, puis nous donna des fourchettes, mais seul David attaqua son pâté. Je n’avais pas la tête à manger pour l’instant, même si je dois avouer que mon morceau de pâté avait l’air très bon. Apparemment, c’était la même chose pour Kelly et Alex.
— On pourrait passer tout de suite à ce que tu veux savoir de nous ? demandai-je en levant la tête vers Réal. J’ai un peu hâte de partir d’ici.
Le sourire de Réal disparut de moitié, mais il acquiesça tout de même de la tête.
— Si vous ne voulez pas manger. On parlera dans mon bureau.
— Très bien, allons-y.
David prit une dernière bouchée de son pâté, puis repoussa son assiette comme pour montrer qu’il avait fini de manger, mais Réal restait là, debout derrière, en faisant la moue.
— C’était du réchauffé, ces pâtés, dit-il en soupirant. Si vous ne les mangez pas, ce sera du gaspillage.
— Vous n’aurez qu’à les donner à quelqu’un d’autre, dis-je en me levant. Moi, je n’ai pas l’intention de rester longtemps.
— Très bien, soupira-t-il encore. Vous pouvez me suivre.
Réal partit en direction de la sortie, vers le corridor, et je le suivis sans me faire prier, encore une fois suivi de tous les autres. Dans le corridor, nous croisâmes un groupe de quatre personnes se dirigeant vers la cafétéria. L’une d’entre elles laissa échapper un « Je meurs de faim, j’espère qu’il reste encore du pâté », mais Réal répondit aussitôt que non, avec un regard appuyé. C’était particulièrement louche et, du coup, j’étais bien content de ne pas en avoir mangé.
En peu de temps, nous arrivâmes à la porte que Réal avait nommée un peu plus tôt le bureau. Il l’ouvrit, entra, et nous le suivîmes à l’intérieur. Je fus l’un des derniers à entrer dans la pièce, et au moment où mon pied franchit la porte, une alarme se fit entendre, me faisant sursauter. Je regardai partout pour chercher l’origine de l’alarme et je vis Réal, une étrange machine clignotante de lumière rouge dans les mains. Il appuya sur un bouton et les lumières ainsi que le bruit s’arrêtèrent aussitôt.
— N’y faites pas attention, ce n’est rien, dit Réal et déposant l’objet dans un tiroir du bureau.
La surprise passée, je regardai plutôt le décor dans la pièce. Outre le bureau au fond, il y avait une chaise d’un côté et deux fauteuils de l’autre. Cette pièce avait tout d’un bureau de directeur d’école. Réal alla s’assoir dans la chaise du fond, Jim et Rowe allèrent se poster de chaque côté de la porte, et Alex, Kelly, David et moi, nous restâmes là, au milieu de la pièce, sans trop savoir quoi faire.
— Essayez-vous, dit Réal en désignant les fauteuils.
Il n’y avait que deux fauteuils alors que nous étions quatre, et Alex, Kelly et moi nous dévisageâmes, nous demandant silencieusement qui allait les prendre. David, par contre, alla directement s’assoir sans se soucier de nous, ce qui fit sourire Réal.
— Commençons par ce que moi, je veux savoir, dit-il.
— Je ne répondrai à rien tant que vous, vous ne nous aurez pas dit ce que nous, nous voulons savoir, répliquai-je sur le même ton.
Alex laissa échapper un rire, ce qui me donna une vague de courage pour la première fois de cette étrange journée.
— Si c’est ce que tu penses…, marmonna Réal en riant. Première question. Qu’est-ce qui t’a fait ce trou dans le bras ?
Au sourire que Réal faisait, j’avais cette étrange impression qu’il connaissait déjà la réponse, mais je préférais tenir ma promesse et ne pas répondre, me contentant de lui envoyer autant de haine que possible dans un simple regard.
— C’est un zombie qui l’a mordu après qu’il ait tué son père, dit David.
Je me retournai vivement vers lui, et David me lança un regard traumatisé.
— Ne réponds pas ! sifflai-je.
— Où est-ce qu’ils sont ? demanda Réal, soudain sérieux.
— Ils sont tous à Wa…
Je me précipitai vers David pour lui cacher la bouche de mes mains, et il se laissa faire. Je sentis mon cœur battre plus fort quand je réalisai que Réal avait vraiment mis quelque chose dans le pâté; quelque chose qui nous forçait à obéir et répondre à toutes ces questions.
— Réponds-moi, où est-ce qu’ils sont ? reprit Réal, penché par-dessus son bureau.
Là, David commença à se débattre, essayant de se débarrasser de mes mains qui lui cachaient la bouche. C’était de plus en plus difficile de le retenir.
— Arrête, David ! m’énervai-je.
Mais il continuait de se débattre, même encore plus fort qu’avant. Finalement, il me prit par le collet et me fit basculer par-dessus le fauteuil pour que j’atterrisse dos sur le sol à ses pieds.
— Ils sont…
Le temps que je parvienne à me redresser, Alex s’était planté devant David, les mains sur son accoudoir. Je ne voyais de lui que son dos, mais j’imaginais assez bien son visage crispé, à quelques centimètres de celui de David.
— Ne réponds rien à ce qu’il te demande ! s’écria Alex. N’écoute même pas ce qu’il dit ! Bouche-toi les oreilles et ferme les yeux !
Cette fois, David obéit, recroquevillé dans son fauteuil. C’était bizarre; moi-même, je lui avais dit de ne pas répondre, d’arrêter, mais il n’avait pas écouté. J’aurais pu croire que ce n’était que Réal qui pouvait faire ça, sauf que là, il obéit à Alex… Même qu’il avait l’air plutôt stupide, roulé en boule dans son fauteuil, les mains sur les oreilles et les yeux à demi clos… J’imagine donc qu’Alex l’a hypnotisé. C’est le genre de chose qu’il sait faire… Depuis hier soir.
Alex se retourna et me tendit sa main pour m’aider à me relever. Une fois sur pied, je me retournai pour regarder Réal, qui semblait avoir apprécié le spectacle.
— Dois-je en déduire que vous ne me direz pas où ils sont ? dit-il d’un air détaché, bien qu’il ne puisse s’empêcher de dévisager Alex.
— Qu’est-ce que vous en ferez, de toute façon ? demandai-je. Développer un genre de super virus, ou un truc dans le genre ?
— Non, bien sûr que non, répondit Réal en laissant échapper un rire. On va tous les tuer !
J’échangeai un regard avec Alex. Nous nous posions tous les deux la même question; est-ce qu’il faudrait lui dire où ils sont ? Tuer les zombies, ce ne serait pas une mauvaise chose, après tout. Mais qu’est-ce qui nous dit que c’était vraiment ce qu’il comptait faire ? Il venait tout de même de se passer quelque chose de vraiment étrange avec David, que j’arrive à peine à décrire…
— Ce que vous devriez faire, dit Alex en s’approchant du bureau pour fusiller Réal du regard, c’est nous laisser partir d’ici.
— Pas tout de suite, désolé, répondit Réal avec un petit sourire aimable.
Alex recula à nouveau pour se mettre à côté de moi, fronçant les sourcils et penchant la tête sur le côté. Sans même lui demander, je savais très bien ce qui le troublait, et ça me troublait aussi. Alex avait essayé d’hypnotiser Réal, mais, visiblement, ça n’avait pas d’effet sur lui. Mais s’il peut le faire sur David, alors, logiquement, il devrait pouvoir le faire sur tout le monde… Alors, pourquoi pas lui ?
— Quoi, vous ne croyez tout de même pas que je n’avais pas prévu le coup ? s’étonna Réal.
Sur ses mots, Réal ouvrit un tiroir de son bureau et en ressortit une petite fiole d‘un produit blanc comme du lait.
— Tout le monde ici a remplacé le lait de son café ce matin par ceci, dit-il en secouant légèrement la fiole. Ça ressemble à du lait, même que ça goûte le lait… Mais ça ne contient absolument aucun calcium… Une invention de notre petit savant fou pour résoudre votre problème. Ainsi, aucun de vous (il désigna David, Kelly et Alex en les pointant avec la fiole) ne peut nous forcer à faire quoi que ce soit. Et toi (cette fois, ce fut moi qu’il pointa) tu ne peux pas entrer dans notre tête, voir nos souvenirs et tout ça. C’est aussi cette même personne qui t’a fait ces bracelets. Il s’est fait appeler le bijoutier pendant des semaines à cause de toi…
— Des semaines ? répétai-je.
Il avait dit tellement de choses que seule la dernière information se fixa dans ma tête.
— Je t’avais remarqué depuis la « disparition » de ton père adoptif. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre, et j’ai aussitôt demandé à ce qu’il fasse quelque chose pour quand on aurait enfin réussi à te capturer… Je veux dire, à te parler.
J’essayais de répondre par une réplique cinglante, mais rien ne franchit mes lèvres. Alors, comme ça, Alex n’était pas le seul à m’espionner…
— Sauf que vous vous êtes trompés, dit Kelly, profitant de mon silence pour parler. Vous avez dit que Cody peut entrer dans notre tête, voir nos souvenirs… C’est faux !
Réal nous regarda tour à tour, Kelly et moi, avec un petit sourire. Je détestais déjà Réal avant, mais là, il atteignait un autre niveau. Il fallait que je me concentre de toutes mes forces pour ne pas succomber à l’envie de lui sauter dessus, parce que je savais que si je le faisais, Jim et Rowe, derrière nous, ne se gêneraient pas pour me le faire payer cher.
— Bien sûr, ce ne sont que des suppositions, dit Réal en haussant les épaules. Il y a des tas de choses qu’il te serait potentiellement possible de faire, mais jusqu’à présent, je n’ai eu la preuve que pour une seule chose; traverser la matière.
Mais Réal continuait de me regarder avec une lueur brillante dans ses yeux. Ma réaction par rapport à celle de Kelly m’avait démasqué.
— Bon, tout ce que je veux, c’est savoir où sont les zombies, dit Réal en poussant un soupir de lassitude. Après, je vous laisse tranquille. Je vous le promets; la seule chose que je veux faire, c’est les tuer, et racheter mes erreurs passées.
— Quelles erreurs ? demandai-je.
Réal ne répondit pas, se contentant de secouer la tête et de baisser les yeux vers une pile de papiers sur le bureau. Pour la première fois, il avait l’air triste, et ça faisait assez bizarre. Normalement, je ne lui aurais pas donné plus de vingt-cinq ou trente ans, mais là, présentement, il donnait l’impression d’en avoir cinquante.
Encore une fois, j’échangeai un regard avec Alex, toujours avec la même question qui flottait dans les airs. Est-ce qu’il faudrait tout lui dire ? Je baissais les yeux vers David, toujours roulé en boule dans son fauteuil. J’avais presque de la pitié pour lui.
— Wasilla, laissai-je échapper.
Je levai cette fois les yeux vers Réal. Il avait complètement perdu son air triste. Maintenant, il souriait à pleines dents.
— J’en ai trouvé un ! s’écria-t-il en se levant de sa chaise. Aujourd’hui est une journée fructueuse, vous ne trouvez pas ? dit-il en souriant à Jim et Rowe. Allez-y.
Je me retournai pour les regarder, m’attendant à les voir quitter la pièce, mais au lieu de ça, ils ressortirent leur pistolet et nous pointèrent avec leur canon. Aucun de nous n’eut le temps de réagir. Rowe me toucha à l’épaule, mais je ne ressentis aucune douleur. Je tournai la tête pour regarder; ce n’était pas une balle, mais une fléchette. La seconde d’après, je sombrais dans l’inconscience.
Je me réveillai en sursaut, sans comprendre ce qui se passait. J’entendais quelqu’un près de moi gémir et jurer à la fois. Il me fallut quelques secondes avant de reconnaitre la voix d’Alex. En regardant plus attentivement autour de moi, je remarquai que nous étions de retour dans notre petite prison. Rejoignant Alex dans ses jurons, je me mis en position assise dans le lit et étouffai une exclamation de douleur. Je tirai sur le col de mon chandail pour découvrir mon épaule, où il y avait un pansement. Je me rappelais vaguement de Rowe me tirant une fléchette dans l’épaule…
— L’épaule, toi ? dit Alex en levant les yeux vers moi. T’as de la chance !
— Quoi ? marmonnai-je.
Je levai la tête vers lui et vis qu’il se tenait le pied droit à deux mains. Je remarquai, du même coup, qu’il n’avait pas menti quand il avait dit qu’il lui manquait deux orteils.
— Comme si je n’avais pas le pied assez détruit comme ça ! s’écria-t-il. Mais je l’ai cherché, j’imagine…
Il baissa les yeux vers son pied et remit le pansement qu’il avait retiré et laissé sur le lit à côté de lui.
— Comment, tu l’as cherché ? demandai-je.
— Eh bien, t’as été touché le premier. Après, Rowe m’a visé. Donc, j’ai essayé de me défendre… Je lui ai envoyé un coup de poing dans le cou. Il était tellement grand, de toute façon, je n’ai pu viser plus haut… Mais j’étais tellement près de lui qu’il n’arrivait plus à me pointer avec le canon… Alors, il a visé mon pied.
Il finit son discours avec une grimace tout en remettant précautionneusement son soulier.
— Et donc, Réal a menti, soupirai-je tout en m’adossant au mur au fond de mon lit. Il n’a jamais eu l’intention de nous laisser partir d’ici.
Un son étrange me fit lever les yeux vers le plafond; David était couché dans le lit au-dessus et il ronflait. Je venais seulement de le remarquer.
— Je ne parierais pas là-dessus, à ta place, dit Alex en se couchant sur le dos dans son lit. En fait, quand Rowe t’a tiré dessus, il a carrément explosé. Apparemment, quand il avait dit « Allez-y », il voulait vraiment dire « Partez », mais ils ne l’ont pas compris… Il n’arrêtait plus de crier, mais ça n’a pas empêché Rowe de nous tirer dessus…
— Et ça n’a pas empêché Réal de nous ramener ici !
Alex haussa les épaules tout en fixant le plafond au-dessus de lui. Il laissa passer plusieurs secondes avant de répondre.
— Il est difficile à comprendre, ce gars… Mais je ne crois pas qu’il soit vraiment méchant.
— Tu crois ? Il nous a donné à manger du pâté empoisonné !
Alex laissa échapper un petit rire.
— J’aurais peut-être dû en manger, de ce pâté. J’ai faim, et j’imagine qu’on n’aura rien avant demain. Au cas où t’aimerais savoir, il est présentement trois heures du matin. J’ai regardé sur la montre de Kelly, dit-il en pointant le lit en dessous de lui, où Kelly dormait paisiblement, roulée en boule.
Il marqua une pause avant de continuer :
— Est-ce que c’est vrai ? Tu n’avais même pas dit à Kelly que tu pouvais entrer dans la tête des gens ?
— J’avais eu l’intention de le faire, l’autre jour, à Wasilla… Mais finalement, je n’en ai pas vraiment eu la possibilité.
Alex hocha la tête, sans rien dire. Il comprenait bien ce que je voulais dire; même s’il n’était pas présent à ce moment-là, il devait facilement s’imaginer ce que c’était que de se faire attaquer par quelques centaines de zombies.
— On devrait peut-être dormir, s’il est trois heures du matin, comme tu dis, dis-je en me couchant sur le lit.
Je fis une grimace tout en changeant de position; j’avais momentanément oublié ma blessure à l’épaule. Pourtant, Alex, devant moi, s’était mis assis, le regard vague.
— Non, dit-il lentement. Je crois que je viens d’avoir une idée.
— Quel genre ?
Sans répondre, un grand sourire apparut sur le visage d’Alex. Il me dévisagea un instant, puis regarda mes bracelets.
— Tu peux toujours utiliser ton don, pas vrai ? demanda-t-il d’un air énergique.
— Pas vraiment, non, répondis-je en fronçant les sourcils.
— Non, je veux dire… Il est toujours là, mais ce ne sont que tes poignets qui ne peuvent pas traverser la porte. Mais est-ce qu’il te serait possible de faire en sorte que moi, je puisse traverser la porte ?
Je me redressai dans mon lit, méditant sur la question. J’avais beau chercher, je ne trouvais pas de raison au pourquoi ça ne fonctionnerait pas.
— Ça vaut le coup d’essayer, dis-je sans pouvoir m’empêcher de sourire. Viens là !
Je me levai et approchai de la porte, puis j’attendis Alex. Il fit une grimace quand il fut debout, mais s’avança tout de même jusqu’à moi.