Deux journées complètes se sont écoulées depuis la foire d’artisanat et j’ai sorti de ma tête toutes (OK, presque toutes) les pensées de Jake afin de me concentrer sur ma création pour la prochaine ronde d’auditions. J’ai libéré une section de mon plancher pour l’utiliser comme espace de travail et j’y ai étalé toutes les pierres et clous que Jake m’a donnés. Ils sont encore plus cool que je ne l’avais réalisé au départ. J’ai un excellent assortiment de clous dorés en forme de pyramides, de pics, ronds et à facettes avec lequel travailler. J’ai regroupé dans une autre pile toutes mes trouvailles pour les boucles d’oreille, bracelets et colliers, des choses comme les fermoirs, les crochets et les tiges pour boucle d’oreille.
Si quelqu’un entrait et voyait ce bazar, il serait sûrement déboussolé, mais pour moi, c’est complètement organisé. J’ai mon propre système et il fonctionne pour moi. Lorsque j’étais plus jeune, ma mère a essayé de m’aider à ranger, et je n’ai rien trouvé pendant des jours après ça. Heureusement elle me comprend maintenant et me permet de maintenir ma chambre en mode « chaos organisé », comme elle aime dire.
Le plan pour cette semaine est de manger, dormir, aller à l’école, créer. Rincer et répéter. Au moins, faire des bijoux me stresse moins que de créer des vêtements. C’est peut-être parce que ça fait travailler une autre partie de mon cerveau, ou parce que les motifs sont répétitifs. Je ne sais pas tout à fait pourquoi, mais ce processus me calme.
Je sors délicatement la chaîne à perlage que j’ai commandé en ligne et commence à enfiler quelques-uns des clous plus grands. Puis, je prends la petite enveloppe qui contient les pierres les plus précieuses de ma collection de fournitures – des cristaux Swarovski. Après avoir trouvé le plan pour ma création finale, j’ai acheté un ensemble de pierres claires en tailles variées afin d’ajouter de l’éclat à mon collier. J’enfile les cristaux entre les pierres de Jake pour créer un motif.
Je place le mannequin devant ma fenêtre et tiens le collier contre le décolleté de la robe. Le soleil brille sur les cristaux et les clous métalliques sont l’accent parfait pour ma robe neutre. L’image des clous en contraste avec le fond blanc et net donne exactement l’effet que je recherchais. Il élève la robe de chic quotidien à un vêtement élégant et formel. Je poursuis avec le motif d’enfilage, mais ensuite arrête et l’inspecte de nouveau. C’est presque réussi, mais il manque quelque chose.
J’ajoute quelques pierres plus grandes et crée un collier pendentif, mais aussitôt que je le mets devant la robe, je vois que ça ne marche pas. Avec tous ces tons dorés on dirait presque une médaille olympique ; ce n’est définitivement pas ce que je visais. J’ai peut-être besoin d’une pause. Ça me fera sûrement du bien de vider mon cerveau.
Je dépose le collier, heureuse de ce que j’ai accompli jusque-là. En fait, tout a été plus rapidement que je ne l’aurais pensé. Mon estomac choisit ce moment pour gargouiller bruyamment, comme si pour me rappeler que je n’ai pas mangé depuis midi et qu’il est maintenant dix-huit heures. Je souris en remerciant silencieusement mes parents de ne pas m’avoir dérangé pendant que je travaillais et je me dirige vers la cuisine.
— Eh bien ! Regardez qui est sorti de la grotte de la mode, dit mon père avec un grand sourire lorsque j’entre dans la pièce. Je crois que c’est notre fille… du moins ça lui ressemble.
Il fait tout un spectacle de me regarder en plissant les yeux et en me regardant de haut en bas comme s’il ne m’avais pas vu depuis des années.
— Qu’en penses-tu ? demande-t-il en se retournant vers ma mère.
— Mmh, dit Maman.
Elle met son doigt sur son menton comme si elle réfléchissait profondément et fait semblant de m’étudier attentivement. Parfois ces deux-là sont incroyablement ridicules ensemble.
— Eh bien, ça ressemble à notre fille, mais elle a cette expression étrange sur son visage. Comment appellerais-tu ça ?
C’est comme une partie de ping-pong, et maintenant c’est au tour de mon père.
— Euh, je crois qu’ils appellent ça le bonheur, dit-il sans hésiter.
Ma mère secoue la tête et sourit.
— Oh, alors je ne crois pas que ce soit elle, dit-elle.
Je lève les yeux au ciel. Si j’avais eu un oreiller avec moi, je l’aurais lancé sur eux.
— Vous êtes tellement fatigants, dis-je en riant.
Mon père fait semblant d’essuyer de la sueur sur son front.
— Fiou, dit-il. Alors ça veut dire qu’on fait bien ça.
Ma mère rit et je secoue la tête en pensant à leurs sottises.
— En tous cas, dis-je d’une voix traînante en m’installant à table avec eux. Je meurs de faim.
Le souper a l’air délicieux. La table est garnie de tous mes mets préférés : du spaghetti, des boulettes de dinde, et la sauce rouge spéciale de ma mère. Mon père a même fait du pain à l’ail et parsemé trois sortes de fromage sur le dessus ; c’est sa spécialité.
Je commence immédiatement. Toute cette création m’a rendue affamée.
— C’est tellement bon ! dis-je entre deux bouchées. Merci beaucoup.
— Tu travaillais si fort là-haut et nous voulons faire notre part en assurant que ton niveau d’énergie reste élevé, répond Maman.
J’ai vraiment aimé faire toutes mes créations, mais je ne m’étais pas rendue compte d’à quel point j’avais besoin de me détendre jusqu’à ce moment. Je travaille virtuellement sans arrêt depuis les dernières semaines, ce qui est ce dont j’ai besoin pour la compétition, mais prendre une pause me montre que je dois en prendre plus souvent. Si je me rends jusqu’à New York, le processus sera encore plus intense. Je devrai me souvenir de prendre du temps pour Chloé pour éviter de m’effondrer. Une chance que Maman sera là pour garder un œil sur moi.
— Alors, quand aurons-nous la chance de voir ton dernier merveilleux morceau ? demande Papa.
— Lorsque je l’aurai terminé, dis-je en souriant. Je veux que vous voyiez le portrait complet.
— Peux-tu nous donner des indices ? demande Maman. Les curieux ont besoin de savoir.
Je leur parle de ce que j’ai fait jusque-là et de mon arrangement de clous et de cristaux.
— Cela semble vraiment beau, dit Maman lorsque j’ai terminé. J’ai très hâte de le voir.
— Merci, lui dis-je. Je l’aime beaucoup jusque-là, mais il n’est pas tout à fait prêt. On dirait qu’il manque quelque chose, mais je ne suis pas certaine de ce que c’est.
— Tu sais, dit mon père d’un ton songeur, tu devrais jeter un coup d’œil aux anciens albums photos que nous avons quelque part. Je ne suis pas certain d’où ils sont, mais si ma mémoire est bonne, il me semble que beaucoup des vieux uniformes de clown de rodéo de ton grand-papa avaient des broderies perlées assez complexes et cool. Ça pourrait peut-être te donner des idées.
Je réfléchis à certains des ensembles que j’ai vus sur les photos de Grand-papa. Papa a raison. Je me souviens que les ensembles avaient beaucoup d’embellissements. Avant sa mort, nous avions été à une cérémonie en son honneur et je me souviens d’une chemise avec des broderies perlées que j’avais aimée. Je ne me souviens pas exactement de ce à quoi elle ressemblait, mais j’adore l’idée de Papa. Surtout que la troisième et dernière ronde d’auditions comprendra le rodéo d’une certaine manière. Ça pourrait peut-être me donner une longueur d’avance, si je me rends jusque-là.
Papa interprète mon silence comme un désaccord.
— Ce n’était qu’une idée, dit-il. Tu n’es pas obligée.
— Non, non, je réfléchissais, c’est tout. C’est brillant comme idée ! lui dis-je.
Je débarque de ma chaise et fais le tour de la table pour l’embrasser sur la joue.
— Merci, lui dis-je avec gratitude.
Papa me fait un grand sourire et je cours jusqu’au salon. Après avoir fouillé sur quelques étagères, je trouve enfin les albums et commence à les feuilleter. Chaque fois que je vois quelque chose qui pourrait servir, j’en fais un petit dessin et j’écris des notes au sujet des couleurs. Lorsque j’arrive au troisième album, je vois enfin exactement ce dont j’ai besoin. Si je la réussis, cette création me fera passer à la prochaine ronde sans aucun doute.
Mesure deux fois, mais ne coupe qu’une, sinon tu seras coupée à ton tour.