Paris, février
Dominic Knight jeta un coup d’œil par la vitre de la voiture et fit un demi-sourire. Même par une journée grise d’hiver, même avec la pagaille dans sa tête, Paris lui donnait l’impression que la vie valait la peine d’être vécue. Parmi toutes les grandes villes du monde, seule celle-ci offrait des plaisirs avec un sens pratique discret : suave, cultivée, fortement animée, audacieuse, avide de gagner de l’argent ou de le dépenser. Tout ce qui pouvait vous faire lever le matin ou vous garder éveillé la nuit.
Dans cette ville, il y avait bien peu de règles.
Malheureusement, même l’idée de plaisir fit tout à coup remonter à la surface plusieurs souvenirs traîtres, douloureux, figés dans le temps, magnifiques, et une pure sensation de manque lui noua l’estomac. Émettant un soupir presque inaudible, Dominic se laissa glisser un peu plus sur son siège, le visage sombre et sa mauvaise humeur revenue. Merde, combien de temps allait durer ce supplice ?
Étant un amateur quand il s’agissait de personnaliser ses émotions, il n’en avait aucune idée.
Ce qui caractérisait assez bien toute sa relation avec Katherine Hart. Fraîchement diplômée du mit, elle avait signé un contrat à titre de consultante en technologies de l’information avec les Entreprises Knight et, en seulement deux semaines, avait complètement bouleversé la vie de Dominic. Avant Katherine, ses relations avec les femmes s’étaient réduites à un modèle bien établi : tu rencontres une femme, tu la désires, tu la baises, puis tu la congédies poliment.
Parfaitement normal.
Puis, tu baises quelqu’un comme Katherine de manière plus ou moins continue pendant une semaine. C’est sept jours complets.
Absolument anormal.
Tu quittes cette femme.
Retour à la normale.
Mais tu ne peux pas la sortir de ta tête. Ne peux pas manger. Ne peux pas dormir. L’alcool devient subitement ton meilleur ami.
C’est à ce moment que la situation devient folle.
C’est à ce moment que la normalité disparaît complètement.
Là où le foutu quotient de souffrance atteint une hauteur stratosphérique.
— Tu penses trop, marmonna-t-il. Arrête de penser. Agis.
Et le fait de s’en foutre était toujours un plan de match utile.
Épuisé de débattre en lui-même de cette question, il sortit son téléphone cellulaire de la poche de son t-shirt, se redressa sur le siège arrière de la Mercedes noire et fit défiler sa liste de contacts. Mais il hésita une fraction de seconde de plus parce qu’il savait que cet appel pourrait rouvrir des portes qu’il valait mieux laisser fermées. Une rapide inspiration, un dernier moment de doute… puis, il appuya sur le nom.
Quand son contact à Londres décrocha, Dominic dit :
— C’est Nick. Tu as une minute ?
— Bon Dieu, que veux-tu ? fit une voix avec un accent je-
sais-tout de Brooklyn.
— Ta femme, mais elle n’arrête pas de refuser, répondit Dominic avec un petit sourire dans la voix.
— C’est parce que tes antécédents avec les femmes sont merdiques. Où es-tu ?
— Je me dirige vers Paris à partir de l’aéroport. J’arrive de Hong Kong. J’ai besoin d’un service.
— Puisque je t’en dois au moins une vingtaine, dis-moi.
Dominic avait présenté Justin Parducci à son épouse, ce qui suffisait pour qu’il consente à l’aider. Mais les transactions d’affaires que Dominic avait transférées dans la division des investissements de Justin chez cx Capital avaient rapporté une fortune à ce dernier.
— Ce que je vais te dire est strictement confidentiel, l’avertit Dominic. Je n’ai absolument rien à voir dans ça.
— Merde, as-tu tué quelqu’un ?
— Si c’était le cas, je ne t’appellerais pas.
— Parlant de ça, comment va Max ?
— Il se complaît dans la vie familiale à Hong Kong, en ce moment.
— Qui l’aurait cru ! s’exclama Justin en sifflant doucement.
— Tu peux bien parler. J’ai entendu dire que vous attendiez un autre enfant. Tu tiens Amanda occupée.
— Elle en veut quatre. Je n’ai aucune idée pourquoi, mais…
— Tu es prêt à lui prêter main-forte, répondit Dominic sur un ton comique.
— Je suis plus que prêt. Soit dit en passant, merci de l’avoir emmenée à la réception de mariage de George. Au risque de paraître trop sentimental, nous sommes incroyablement heureux.
— Heureux d’entendre ça, dit Dominic en faisant un effort pour garder une voix neutre, la situation nihiliste de sa propre vie, oppressante.
— C’est encore mieux de vivre le rêve, fit joyeusement remarquer Justin, inconscient des nuances dans le ton de Dominic. Je commence à considérer Londres comme mon foyer maintenant que j’ai une femme et un enfant et un autre qui s’en vient. Et toi ? Tu es à Paris pour longtemps ou seulement de passage ?
— Je n’ai pas décidé.
Cette fois, Justin remarqua son ton — la réponse brusque ne ressemblait pas au ton réservé habituel de Nick. Non pas qu’il allait demander une explication à un homme comme Dominic Knight dont la vie privée était une chasse gardée.
— Alors, que puis-je faire pour toi ?
Dominic lui expliqua ce dont il avait besoin : quelqu’un qui pourrait proposer à Katherine Hart un contrat à titre de consultante ; quelqu’un en technologies de l’information qui était responsable de son propre budget et de l’embauche. Quelqu’un qui saurait se taire.
— Tu connais quelqu’un comme ça ?
— Les technologies de l’information sont hors de mon domaine. Laisse-moi réfléchir…
— Demande autour de toi si nécessaire, puis rappelle-moi.
— Attends, attends… Je pense que Bill pourrait faire l’affaire. Discret, indifférent à l’instinct grégaire, accommodant. Il est au bureau de cx Capital Singapour, vice-président à la sécurité maintenant, et c’était auparavant le gourou en chef de la technologie. Il serait heureux de m’aider pour des services rendus dans le passé.
— Parfait, répondit Dominic. Je me charge de toutes les dépenses : nourriture, logement, transport, salaire, fleurs… elle devrait avoir des nouvelles fleurs dans sa suite tous les jours. Demande à ton gars chez cx Capital de m’envoyer les factures par ton entremise. Et Mlle Hart devra être bien rémunérée — pas bien selon tes critères, mais bien selon les miens, précisa-t-il. De toute façon, compte tenu des récents scandales à la succursale de Singapour de cx Capital, je serais porté à croire qu’ils cherchent quelqu’un qui possède ses aptitudes. Quant à un prétexte plausible, demande à ton gars…
— Bill McCormick, intervint Justin. On peut se fier à lui comme à un scout.
— Il vaut mieux. Demande à McCormick de dire à Mlle Hart qu’il a entendu parler d’elle par les banquiers de Sander Global qui pleuraient dans leurs verres au Racket Club.
Dominic poursuivit en racontant sa querelle à propos des 20 millions de dollars avec la banque. Comment l’argent avait été siphonné à partir de l’usine de Bucarest, déplacé par maints détours au moyen de virements télégraphiques secrets avant d’atteindre finalement la banque de Singapour. Grâce à son expertise, Kate avait retrouvé l’argent ; et à la suite de son explication aux banquiers ainsi que des menaces plus directes de Dominic, l’argent avait été remis.
— McCormick n’a qu’à fixer son prix pour sa collaboration et tu me diras le montant. Mais son baratin doit être convaincant et j’insiste là-dessus. Si Mlle Hart découvre que j’ai quoi que ce soit à voir avec ça, je vais moi-même t’arracher les couilles.
— OK, OK, c’est compris. Cette poupée doit vraiment sortir de l’ordinaire.
Comme les femmes ne constituaient pas un sujet personnel pour Nick, il était abordable.
— Elle n’est pas seulement une poupée. Elle est brillante ; une des meilleures comptables judiciaires dans son domaine. Je veux qu’elle fasse de l’argent.
— Comme tu veux, répondit Justin d’un ton mielleux en se disant que la dame avait également été assez brillante pour se faire désirer. Pourquoi n’accepte-t-elle pas de l’argent de toi ?
— Aucune idée.
— Tu perds ton doigté, Nick ?
— Ouais, de même qu’à peu près tout le reste.
Merde. Si ce n’était pas là un puits sans fond de détresse… Et à propos d’une foutue femme.
— Je m’en occupe tout de suite, fit immédiatement Justin en songeant qu’il devait appeler Max, l’ex-agent du MI-6, aide de camp, aristocrate et combinard, pour obtenir l’histoire de cette fille qui avait fait en sorte que Nick voie dorénavant les femmes comme autre chose qu’un divertissement.
— Aussitôt que tout sera réglé, je te rappelle. Une question comme ça : que fait-on si elle dit non à McCormick ?
— Il n’est pas idiot, n’est-ce pas ? Assure-toi qu’il lui fait une offre qu’elle ne pourra pas refuser. Et tiens-moi au courant, ajouta rapidement Dominic. Quotidiennement.
Deux jours plus tard, le téléphone de Kate sonna. Elle était au lit, son appartement de Boston assombri par les rideaux tirés, le film de samouraï qu’elle regardait d’humeur plus sombre encore, et quand elle tira son téléphone cellulaire de sous sa boîte de beignets et une pile d’enveloppes de hamburgers au fromage, elle dut plisser les yeux pour voir l’écran. Département de la comptabilité du mit ? Vraiment ? Avait-elle envie d’être polie alors qu’elle avait sombré dans l’apitoiement sur soi-même depuis son départ de Hong Kong ?
La raison prévalut. Elle décrocha. Le chef de département lui-même appelait pour lui offrir un travail. Il avait été embauché par un banquier qui s’intéressait à ses talents de comptable judiciaire. Pouvait-elle venir à Singapour et avoir un entretien avec lui ? Ou accepter un appel ?
Elle allait prendre l’appel même si elle fut immédiatement soupçonneuse. En manipulateur qu’il était, Dominic était probablement dans le coup.
Mais quand elle parla à William McCormick, il semblait honnête. Il avait entendu parler d’elle par les banquiers de Sander Global à Singapour, des amis à lui. Évidemment, ils avaient été fâchés d’avoir rédigé un chèque de 20 millions de dollars, mais son expertise les avait impressionnés. Et cx Capital Singapour avait besoin d’une personne qui puisse effectuer une vérification de sécurité approfondie de leurs principaux comptes d’investissement. Les surveillants de leur système informatique leur avaient dit que tout allait bien, mais après le scandale survenu deux semaines plus tôt, alors que leur accès à leurs comptes avait été bloqué pendant une journée entière, ils désiraient avoir une deuxième opinion en particulier sur les possibles incursions dans leurs fonds monétaires.
Après lui avoir posé quelques questions, Kate était pratiquement certaine que William McCormick n’avait jamais rencontré Dominic et ne le connaissait pas autrement que par ce qu’il avait entendu à son sujet de la part de ses amis chez Sander Global.
Il mentionna que les deux banquiers de Sander Global impliqués dans le scandale avaient maintenant passé avec succès un test de sécurité.
Si McCormick espérait entendre des potins, il s’adressait à la mauvaise personne. Kate lui expliqua que la majeure partie de la conversation avec les banquiers de Singapour s’était déroulée en mandarin et qu’elle n’avait rien compris. Et franchement, comme elle ignorait ce que Dominic avait dit aux deux hommes pour les menacer, elle n’aurait pas pu lui en parler de toute façon.
William McCormick poursuivit en lui offrant un salaire considérable pour le projet. Il dit également qu’il lui enverrait par courriel un billet d’avion en première classe, si elle souhaitait accepter le contrat.
— Puis-je y réfléchir cette nuit ?
— Certainement.
— Je vous rappelle demain, termina-t-elle poliment.
Après avoir raccroché, elle se laissa retomber sur ses oreillers, fixa le plafond, puis soupesa, digéra et passa en revue chaque mot de leur conversation en essayant de décider s’il y avait une quelconque possibilité que Dominic ait trempé dans l’affaire.
Elle décida finalement que ce n’était probablement pas le cas. Et ayant vu de quelle façon fonctionnait Sander Global, si cx Capital avait recours à un système de sécurité si inefficace, ils avaient besoin d’elle.
Écartant les couvertures, elle sortit du lit où elle s’était installée depuis son retour de Hong Kong, se complaisant dans la mélancolie. Même si elle savait que c’était incroyablement stupide de pleurer sa relation avec quelqu’un comme Dominic Knight qui pouvait avoir n’importe quelle femme qu’il voulait et le faisait probablement. Cet appel, c’était peut-être le destin qui lui disait qu’il était temps d’oublier un salaud éhonté, sans cœur, malheureusement trop séduisant et sexuellement talentueux. À classer sous la rubrique extrêmement sexy, mais non disponible. Les femmes lui passaient à travers les mains à vitesse grand V.
Et c’est ainsi qu’il aimait ça.
Lissant sa chemise de nuit à l’effigie de Roadrunner qui était complètement fripée après des jours au lit, elle marcha jusqu’à la pile de bagages et de contenants de bouffe rapide qui parsemaient son appartement, s’arrêta à l’une des fenêtres, écarta les rideaux et cligna des yeux comme si elle venait d’émerger d’une grotte. Un soleil éclatant, le monde extérieur toujours intact. Une rue vide à cette heure du jour, la neige fondante accumulée le long du trottoir, sale et grise ; de la neige de ville, contrairement à la neige sur le lac.
Elle pouvait retourner à la maison. Nana l’attendait.
Mais il vaudrait mieux qu’elle fasse quelque chose plutôt que de retourner chez sa grand-mère et de rester déprimée, mais dans un environnement différent. Elle avait pensé vérifier si certains des emplois qui lui avaient été offerts étaient encore disponibles, mais n’avait fait qu’y penser. À la place, elle était restée au lit, enveloppée dans une obscurité triste, à regarder des films tristes, à enfoncer un clou après l’autre dans le cercueil de son sentiment d’impuissance et de désespoir. Elle souhaitait atteindre le moment où elle pourrait enterrer son immense tristesse et poursuivre sa vie.
Mâchouillant sa lèvre inférieure, elle passa de nouveau en revue sa conversation avec William McCormick, analysa et disséqua chacune de ses répliques. Des réponses simples, non compliquées, sans hésitation quand le nom de Dominic avait surgi. Si elle avait à parier, elle dirait qu’il ne connaissait vraiment pas le salaud de milliardaire égoïste.
Mais sa rancœur personnelle mise à part, l’idée de travailler pour elle-même était attrayante.
Elle aimait son indépendance — les questions liées à Dominic Knight représentant bien sûr une exception… mais, dans ce cas, la situation avait surtout à voir avec des séances de sexe incroyables. Dans le monde réel, elle n’aimait pas l’autorité, préférait travailler seule, était par elle-même très motivée.
On lui offrait donc une expérience de travail incommensurable.
Mais même si en son for intérieur elle avait des doutes sur le fait que Dominic n’ait pas été tout à fait absent de l’équation, elle ne pouvait réprimer son excitation. Il s’agissait là d’une magnifique occasion et de ce qui semblait être un contrat fabuleux. Qui plus est, avec le salaire de Dominic et celui de McCormick, elle allait se trouver en sécurité financière pour au moins trois ans.
Elle sourit tout à coup, se sentant quelque peu emballée, même légèrement inspirée, pour la première fois depuis qu’elle était revenue chez elle. Elle adorait se mesurer à de possibles pirates, épluchant les couches de fraudes potentielles, pénétrant dans les eaux sombres où le marché noir exerçait ses activités.
Alors, pourquoi pas ? Il n’y avait réellement aucun aspect négatif.
Et c’était un jeu qu’elle adorait.
Oups, mauvaise formulation — l’idée de jouer des jeux provoqua un torrent de souvenirs lascifs. Sérieusement, c’était là une autre raison pour elle de réintégrer le travail. Elle avait besoin d’une myriade de distractions. La masturbation, c’était bien, mais c’était loin de suffire.
Elle s’éloigna de la fenêtre et téléphona aussitôt à sa grand-mère.
— Devine quoi, Nana ?
— Ça doit être bien. Tu sembles joyeuse.
— Ça l’est. On vient tout juste de m’offrir un contrat alléchant. Plein d’argent, un bel hôtel, un billet d’avion en première classe et même ma nourriture ; tout ça fait partie du contrat.
Le fait que Katie n’ait pas été au bord des larmes représentait la meilleure nouvelle.
— Raconte-moi tous les détails, mon ange.
— cx Capital, une banque dont le site Internet a été récemment bloqué par des pirates. Aussitôt que je le désire. Singapour. Et ils ont besoin de moi…
— En tant que dépanneuse, termina sa grand-mère.
— C’est exactement ça, renchérit Kate en éclatant de rire. Le docteur Seuss et moi à la rescousse.
Elle avait tellement adoré ces livres pendant son enfance qu’elle les avait tous mémorisés avant même d’atteindre
quatre ans.
— Je vais arrêter te voir avant de partir.
— Super. Toutefois, je dois t’avertir que tu risques de devoir supporter de prendre un café avec mes compagnes de bridge. Je leur ai dit comment tu étais devenue une grande voyageuse.
— Je vois que tu ne rates pas une occasion de mettre en colère Jan Vogel.
— Cela va sans dire, dit Nana en pouffant de rire. Quand il s’agit de se vanter, personne ne vient à la cheville de Jan de toute façon. Elle me dépasse de loin parce que je suis polie, alors je m’attends à ce que tu lui racontes une bonne histoire.
L’histoire que Kate avait à raconter ferait dresser les cheveux sur la tête de Jan Vogel, mais ce n’était pas pour consommation publique.
— J’ai pu voir comment vivaient les gens riches et célèbres. Je pourrais décrire la maison de Dominic Knight à Hong Kong. Et son avion privé. Et la flotte de Mercedes à sa disposition.
C’était bien que Katie puisse parler de Dominic Knight sans devoir ravaler ses larmes. Un véritable pas en avant, en fait.
— Ça semble emballant, dit Nana. Mais vraiment, j’aimerais te mettre en valeur. Tu sais ça. Alors, parle de ce que tu
veux.
— C’était un autre monde, Nana. Tu ne croirais pas en un tel luxe, les innombrables serviteurs, les superbes décors, la nourriture divine et les vins dispendieux. Et ils tiennent tout ça pour acquis.
— Je suis heureuse que tu aies pu voir ça, commenta gentiment Nana. La plupart des gens ne le peuvent pas. En tout cas, les gens que nous connaissons.
— Tu as raison, fit Kate en soupirant. C’était sans aucun doute une occasion à ne pas rater.
— Peut-être que ton travail à Singapour sera tout aussi emballant. On ne sait jamais.
— C’est possible, répliqua Kate poliment, alors que ça ne pourrait l’être sans Dominic. Je vais appeler le banquier et lui dire que j’accepte l’emploi, et je t’aviserai quand j’irai te voir.
— N’importe quand, mon ange. Leon et moi allons t’attendre. Est-ce que je t’ai dit qu’il avait pris une dizaine de kilos ? Il ressemble au poney que tu as toujours voulu.
— Celui que grand-père ne voulait pas dans son garage, dit Kate en riant.
— Il arrivait que ton grand-père ne te donne pas tout ce que tu voulais, fit Nana d’un ton comique.
— Seulement cette fois-là, Nana.
La voix de Kate se fit tremblante et des larmes troublèrent sa vue. Son grand-père avait été un homme gentil, généreux, doté de solides convictions et qui l’adorait. Qui la mettait au défi de toujours tout essayer. Son père Noël et son sergent instructeur tout à la fois.
— Je pense qu’il s’épargnait le fait d’avoir à nettoyer une stalle de poney. À cet âge, il l’aurait fait une fois ou deux, puis ce serait devenu son travail. C’était un homme à l’esprit pratique. Maintenant, nous ferions mieux de changer de sujet, sinon nous allons nous mettre à pleurer toutes les deux.
— Tu as raison, fit brusquement Kate. Nana, laisse-moi appeler ce McCormick, puis je vais réserver mon vol pour le Minnesota.
Kate appela M. McCormick, accepta son offre, s’occupa de ses réservations d’avion et expédia à Nana un texto lui précisant les détails. Puis, elle commanda une pizza et visionna la fin du film de samouraï tragique pendant qu’elle attendait l’arrivée de la nourriture — une raison de plus pour retourner au travail. Ses récentes habitudes en matière de nourriture étaient épouvantables. Si elle continuait à paresser au lit et à se faire livrer des aliments, elle pèserait bientôt 100 kilos.
Quand le film prit fin, Kate décida soudainement d’appeler Meg, sa colocataire, qui travaillait sur un site de fouilles de dinosaures, pour lui dire qu’elle allait arrêter à Missoula pendant un jour ou deux en route pour Singapour.
Elle en était venue à la conclusion qu’il était temps de voir si un autre homme pouvait enflammer sa libido. Après trois jours de chagrin sans relâche, elle était prête à essayer n’importe quoi pour guérir sa peine d’amour. Et qui de mieux que Meg pour la remettre en selle.
La reine du sexe pour le plaisir, laissez votre cœur à la porte, les prénoms suffiront.
Meg émit de petits cris de joie perçants quand Kate lui apprit qu’elle allait lui rendre visite.
— Vraiment ? Tu viens me voir ? Ce que j’ai hâte !
— J’ai l’impression que tu as beaucoup de plaisir là-bas, dit Kate. Je n’ai pas vraiment à faire de détour pour arrêter à Missoula en me rendant à Singapour et je n’ai aucun plaisir ici, alors j’ai pensé que…
— Hé, qu’est-ce que c’est que cette voix qui semble annoncer la mort de quelqu’un ? OH, merde, ne me dis pas…
— Non, non, Nana va bien. Mais — Kate soupira — dis-moi qu’on ne peut pas mourir d’avoir le cœur brisé.
— Oh, mon Dieu ! Tu n’as pas fait ça ! Oh, bon Dieu, dit Meg comme si elle avait le don de télépathie. Tu l’as vraiment fait. Tu as couché avec le milliardaire.
— On peut dire ça — un soupir grincheux, cette fois —, ouais. Maintenant, je n’arrête pas de pleurer.
— Écoute-moi, ma chérie, dit Meg du ton de quelqu’un qui parle pour votre bien. Je vais être brutalement franche. Premièrement, tu n’es pas Cendrillon. Deuxièmement, si tu l’étais, Dominic Knight n’est vraiment pas du genre princier. Troisièmement, ce qui a pu se passer n’avait rien à voir avec l’amour et, quatrièmement — et le plus important —, même si tu crois que ton cœur est brisé, personne ne meurt jamais de ça. Tu comprends ?
Un long silence.
— Fais-moi confiance, OK ? Je le sais. Tu te souviens de Johnny Dare ? Je m’en suis sortie.
— En moins d’une journée, souligna Kate d’un ton sarcastique.
— Alors, le pire est passé pour toi. Je vais te remettre en forme. Je dois te dire que les hommes d’ici sont des exemples de premier choix de testostérone à haut rendement. Ils chassent, pêchent, domptent des chevaux et, je ne sais pas, fendent probablement du bois quand ils ont du temps à perdre.
La phrase provoqua un petit rire réticent chez Kate.
— Alors, si j’ai un poêle à bois, tu es en train de me dire qu’ils peuvent m’aider ?
— Ils peuvent t’aider de tout plein de meilleures façons encore. C’est garanti.
— Tu as raison, répondit Kate d’un ton un peu brusque, comme si elle croyait vraiment à l’assurance de Meg. Pourquoi entretenir des idées noires ?
— Hé, je ne prétends pas que Dominic Knight n’est pas renversant. Je l’ai suffisamment vu dans les tabloïds, toujours une poupée Barbie à son bras. Mais tu sais qu’il ne fait que des courses sans jamais acheter. Et, parlant de faire des courses — Kate reconnut immédiatement la soudaine animation dans sa voix, ayant connu Meg depuis qu’elles étaient compagnes de dortoir pendant leur première année d’université —, tu pourras faire quelques emplettes aussi. Je vais inviter à une fête tous les superbes amis baraqués de Luke. Tu pourras les examiner et faire ton
choix. Quand viens-tu ?
— Probablement vendredi.
— Parfait. J’en aurai une file toute prête. Tu choisiras ton mâle préféré pour une nuit, tu auras du plaisir, et tu oublieras les milliardaires qui ont un symbole de dollar à la place du cœur. Sérieusement, ma chérie, il faut avoir l’esprit pratique, en ce qui concerne les hommes qui possèdent la moitié du monde.
— Je sais. J’essaie vraiment.
— Bien, fit Meg d’une voix chaleureuse, comme un enseignant louangeant un étudiant lent qui a finalement trouvé la bonne réponse à deux et deux font quatre. Maintenant, tu as des préférences pour ton retour au sexe ? Grand, musclé, noir, blond, yeux bleus ; donne-moi un indice.
— Blond, c’est bien.
Quelqu’un qui ne lui rappellerait pas Dominic, quelqu’un qui ne déclencherait pas le moindre souvenir d’un grand salaud aux cheveux noirs.
— D’accord pour un blond. Bon Dieu, je suis tellement heureuse que tu viennes ! Nous allons faire toute une fête !
« Après 10 verres, peut-être », pensa Kate.
— Je suis impatiente d’assister à cette fête, plaisanta Kate.
Mais elle savait qu’une fois à Missoula, elle serait au moins occupée. Meg était une personne volontaire, une personnalité égocentrique qui ne restait pas en place.
— Et merci, ajouta-t-elle poliment. Je me sens mieux, maintenant.
Alors qu’elle ignorait si elle s’était jamais sentie mieux.
— J’aurai tout un tas d’étalons n’attendant que toi, répliqua Meg, débordante de joie. Que des blonds. Et, si j’ose dire, il est drôlement temps.