ROMAN
Guy Saint-Jean Éditeur
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Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC
Publié initialement en mai 2013 chez Clermont Éditeur, inc.
© Guy Saint-Jean Éditeur inc. 2018, pour cette nouvelle édition.
Conception graphique de la couverture et mise en page: Olivier Lasser
Photo de la page couverture: depositphotos / Veneratio
Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2018
ISBN: 978-2-89758-513-6
ISBN EPUB: 978-2-89758-514-3
ISBN PDF: 978-2-89758-515-0
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Toute reproduction ou exploitation d’un extrait du fichier EPUB ou PDF de ce livre autre qu’un téléchargement légal constitue une infraction au droit d’auteur et est passible de poursuites pénales ou civiles pouvant entraîner des pénalités ou le paiement de dommages et intérêts.
Imprimé et relié au Canada
1re impression, mai 2018
Guy Saint-Jean Éditeur est membre de |
Au banquet de la vie, nous ne pouvons prendre
tout ce qui a été déposé sur la table;
ce serait trop facile de croire que le parcours
d’une vie est basé sur tout ce qu’il y a
de plus beau et de plus alléchant.
CHAPITRE 1Béatrice
CHAPITRE 2Violette
CHAPITRE 3Une sortie pour mademoiselle Guindon
CHAPITRE 4Révélations troublantes
CHAPITRE 5Rendez-vous sous un ciel étoilé
CHAPITRE 6La fête de l’Éternel
CHAPITRE 7L’enveloppe rose
CHAPITRE 8L’attente
CHAPITRE 9À contre-courant
CHAPITRE 10Saint-Célestin
CHAPITRE 11L’emprunt
CHAPITRE 12Bouleversement
CHAPITRE 13Les années ont passé
CHAPITRE 14Retour à Saint-Pie
CHAPITRE 15Une invitation
CHAPITRE 16Cher Journal
CHAPITRE 17Abréaction
CHAPITRE 18Propriété à vendre
REMERCIEMENTS
Saint-Pie, juin 1966
— Bonjour madame! Comment allez-vous, en cette belle journée? lui demande l’inconnu qui s’avance vers la nouvelle résidente de Saint-Pie.
— Salut.
— Je vous dérange? demande gentiment Pierre Côté, tandis qu’il manie le rotoculteur dans le petit espace ensoleillé où sera aménagé son potager.
Béatrice Guindon, 39 ans, ne fait pas plus de conciliabules que jadis lorsqu’elle demeurait chez ses parents Marie-Blanche et Eugène Guindon dans la municipalité de Saint-Célestin en Mauricie. Une femme ni belle ni laide, aux allures cavalières, affichant un regard rébarbatif sous un galurin de paille élargie d’où pendouillent quelques franges brunes sur son front ruisselant. Elle est vêtue d’une jupe de coton noire et d’un chandail rouge vin aux manches retournées, ce dernier dissimulé sous un grand tablier en jute noué d’une cordelette et retenu sur sa poitrine par deux épingles à chapeaux en strass, datant des années folles.
— Je suis Pierre Côté, dit-il en présentant la main, espérant que la jeune femme veuille bien accepter sa poignée de nouveau voisin.
— Ça m’en fait une belle jambe! répond la trentenaire, sans daigner lui jeter un regard, en plongeant une guenille noircie dans le seau destiné à récurer les vitres souillées de sa maison de la rue Notre-Dame.
Lorsqu’elle s’apprête à lui tourner le dos, l’homme, choqué de l’impolitesse de la femme, reprend d’une voix insistante:
— Oups! Je vois que vous n’avez pas beaucoup de jasette, madame, reprend son interlocuteur en épongeant son front ruisselant d’un vieux mouchoir de coton défraîchi.
— …
— Êtes-vous native de Saint-Pie? interroge Pierre, lui faisant un léger sourire en espérant poursuivre la conversation.
— Pas pantoute… je viens de la Mauricie. Saint-Célestin, si vous voulez savoir… Vous ne devez pas me connaître, je viens juste d’emménager à Saint-Pie. Je n’y étais jamais venue auparavant. Et je me demande, si je retournerai pas dans mon patelin, tellement c’est morbide, ici.
— Ah bon! Mais pourquoi avoir choisi cette habitation qui tombe en ruine, madame? Il y a d’autres maisons en meilleur état que celle-ci! Il y en a une à vendre sur la rue Bistodeau… je crois qu’elle a été construite en 1959. Vous pourriez vendre celle-ci pour vous installer plus confortablement. Vous allez passer votre vie à faire des réparations, ce qui vous amènera au fil du temps à ne plus aimer votre maison. Elle va vous avoir coûté bien cher, d’ici quelques années.
— Je ne l’ai pas acheté cette maison, c’est ma marraine qui me l’a léguée à sa mort. Puis, à part de ça, c’est quoi toutes ces questions? Je trouve que vous êtes bien écornifleux! On ne se connaît même pas puis vous n’arrêtez pas de me poser des questions! C’est quoi l’affaire, coudon? Laissez-moi tranquille, j’ai bien de l’ouvrage à faire, ici dehors. Je désire pas finir entre chien et loup, vous comprenez?
— Désolé. Heu… je voulais seulement jaser avec vous en tant que «voisin». Je désirais tout simplement vous souhaiter la bienvenue à Saint-Pie, est-ce mal? Ici, dans notre petit village, tous les habitants sont gentils et s’entraident; que ce soit pour rénover une galerie, un cabanon, restaurer un terrain ou refaire une toiture de maison.
Saint-Pie est un petit village du Québec, situé dans la municipalité régionale du comté des Maskoutains, dans le territoire administratif de la Montérégie dont les gentilés portent le nom de Saint-Piens et Saint-Piennes. Elle est reconnue pour son industrie du meuble et ses terres agricoles. Fréquemment, elle est surnommée La capitale du meuble du Québec et elle est assise au pied du mont Yamaska (montagne de Saint-Paul), le long de la rivière Noire.
— Comme ça, vous êtes la filleule de Rolland et Olivette Cusson? Je les ai bien connus, vos parrains. Ils étaient bien gentils, vous savez. Un couple charmant qui aimait rendre service à tous les gens de la paroisse, beau temps mauvais temps, ils étaient toujours audevant de leur prochain.
— Bien oui! Pensez-vous que ça m’intéresse, tout ce que vous me dites là, vous là? s’impatiente Béatrice Guindon en frottant un pain de savon Bon Ami sur un linge grisonnant. Olivette c’était la sœur de ma mère… Nolin, son nom de fille. Avant de partir, ma tante avait écrit une lettre à ma mère pour lui dire que son bercail me reviendrait à sa mort. Puis, c’est ça qui est arrivé, je viens de déménager dans sa maison. Même si elle est toute délabrée, elle ne coûte rien. Je serais bien folle de ne pas en profiter. Il y a de l’eau, de l’électricité, du gazon et elle est quand même bien située. C’est ça que je voulais, rester au centre-ville. Tout est à portée de main, ça fait que je n’ai pas grand couraillage à faire. Si leur maison avait été implantée dans un rang de campagne, je l’aurais mise en vente sur-le-champ.
En s’appuyant sur le manche de son râteau, Pierre se risque à poursuivre la conversation avec une douceur incomparable:
— Vos parrains étaient des gens dépareillés, madame. Dommage qu’ils soient décédés presque en même temps. Ils me manquent vraiment. Ils étaient comme mes seconds parents. Des gens aimables, avec le cœur sur la main, comme on dit, parfois.
— Vous les avez si bien connus? Moi, je les connaissais à peine.
— Certain, que je les aie bien connus! J’ai passé mon enfance auprès d’eux! Votre tante Olivette avait un cœur tendre et votre oncle Rolland l’aimait sans bon sens! Un homme si amoureux que la journée où il s’est présenté au salon mortuaire, en s’agenouillant sur le prie-Dieu pour regarder dormir votre marraine, il s’est effondré et ne s’est jamais relevé, le pauvre. La paroisse Saint-Pie fut bouleversée… Ils y étaient connus dans le coin comme des gens serviables et très croyants. Cela a fait un bien grand vide, sur la rue Notre-Dame. Tout le village était en deuil.
— Bien coudon! Au moins, il y en avait qui s’aimait, dans notre famille. Mais vous n’ignorez pas comme moi que dans un couple, toute médaille a son envers comme on dit. Ils doivent avoir eu des hauts et des bas comme tout le monde, ce n’était pas des saints, quand même! Personne n’échappe aux chicanes de couple. Des duos parfaits, ça n’existe pas, rétorque la trentenaire d’un regard malicieux, les mains apposées sur ses hanches délicates.
— Je n’en doute pas. Mais comme je connaissais bien vos parrains, c’est assuré que leurs âmes sont montées directement au paradis, sans même être interrogées par saint Pierre, à savoir s’ils auraient dû faire un tour au purgatoire pour exaucer leurs petits péchés avant de franchir la grande porte du Ciel.
— Ah! C’est vous qui le dites. De toute façon, dans mon livre à moi, saint Pierre n’est pas à la porte du Ciel à ne rien faire… il sépare les saints des damnés.
— Vos parents sont décédés, madame? demande à nouveau l’homme au regard d’un vert céladon et aux cheveux noirs foisonnants, venu s’installer tout près de Béatrice, cette dernière tenant un chiffon propre pour assécher les carreaux de la fenêtre.
— Pas t’encore… Puis quand ils sortiront de leur maison de Saint-Célestin les deux pieds devant, je ne veux pas que personne ne m’apprenne cette excellente nouvelle. Dans ma tête à moi, ils sont déjà morts ces deux-là. Ça fait deux semaines que j’ai transbahuté mes guenilles à Saint-Pie puis c’est écrit dans le ciel que je ne retournerai jamais dans mon patelin, même si je trouve cette ville bien plate. J’y ai laissé trop de mauvais souvenirs… C’est ici que je vais finir mes jours. De toute façon, ils ont laissé la ferme familiale, ils ne restent plus là. Ils sont déménagés en ville. Avec la petite chambre qu’ils m’offraient, j’aimais bien mieux déménager dans cette vieille maison, c’est pas mal plus grand même si ce n’est pas parfait.
Par contre, si Béatrice espère loger dans cette propriété si fragile, elle devra engager un homme à tout faire pour entreprendre de gros travaux de restauration, sinon elle sera obligée de partir à la recherche d’un nouveau domicile.
La maison des Cusson a été érigée en 1914 et n’a subi aucune réfection depuis 52 ans. Cette demeure fatiguée porte des couleurs sombres comme un gris noirci par les mauvais vents d’hiver et un blanc jauni par un soleil insistant. Une toiture de tôle bleu foncé jette son ombre sur la véranda parcourant l’entièreté de la fondation, cette grande galerie assise sur des blocs de ciment aux coins saccagés par l’usure. Par contre, l’intérieur est à en couper le souffle! Les murs et plafonds ont conservé leur authenticité avec leurs lattes de pin naturel qui attendent d’être recouvertes d’un nouveau vernis. Aussi, le parquet étalé en larges planches de bois est imprégné de nœuds magnifiques.
Au rez-de-chaussée se trouvent un salon, une cuisine et une minuscule salle de bain dissimulée sous l’escalier. Cette dernière est pourvue d’un vieux cabinet et d’un simple lavabo considérablement usés. Dans la cuisine, des panneaux d’armoire en chêne repeints en vert et, malgré la restauration récente de la robinetterie, l’ancienne pompe à eau est restée ancrée sur le comptoir stratifié orangé. Le mobilier de la pièce est composé d’une table ronde en chêne accompagnée de quatre chaises imposantes aux pattes de lion. Le tout complété d’un bas de vaisselier en pin country et d’un bahut primitif aux vieilles couleurs blanchâtres, pourvu d’un tiroir et d’une porte striée. Une imposante cuisinière au gaz trône à côté du réfrigérateur modèle Trophy de marque Roy de 1950. Dans l’intime salon aux tentures de dentelle ivoire, une causeuse de style victorien est accompagnée d’une table centrale en noyer massif, soutenue de pattes cabrioles se terminant en pied de sabot. Un téléviseur poussiéreux coiffé «d’oreilles de lapin» a été déposé sur une bonnetière en érable décorée de lattes gris-bleu. À l’étage, il y a deux chambres à coucher et une salle de bain restreinte. La chambre de Béatrice est meublée d’un lit banal et à regarder la décrépitude du matelas, on peut deviner qu’il a été paillé comme jadis au XIXe siècle. Suspendu à la lucarne, un voile blanc laisse pénétrer des rayons dorés pour ranimer une désolante violette africaine flétrie reposant sur le rebord d’une étroite étagère. Une table de nuit en pin rouge d’origine accompagne fièrement un éminent coffre brun aux poignées en fonte placé au pied du lit, fermé à clef. La salle de bain aménagée à droite du palier ne comprend qu’un cabinet, une baignoire sur pattes arrondies et un modeste lavabo face à une dérisoire armoire encastrée, surmontée d’une glace fendillée.
— Est-ce que vous êtes au courant du grand malheur qui est arrivé ici à Saint-Pie en 1907, madame Guindon? Une catastrophe épouvantable! Un désastre émotionnel pour les habitants.
— Quoi? Qu’est-ce qui s’est passé de si grave?
— Une grosse débâcle ma petite dame… Tout a commencé en 1902 pour s’échelonner sur cinq ans.
— Ah ouin? Comment ça? insiste Béatrice, intéressée.
— Savez-vous où est situé le terrain vacant à l’autre bout de la rue Notre-Dame?
— Bien certain, il y a une rivière devant. Je suis allée m’y baigner à quelques reprises.
— Exactement, elle se nomme la rivière Noire. En 1900, c’était le principal quartier du village de Saint-Pie.
— Eh bien! s’exclame Béatrice en enlevant son chapeau de paille, collé à sa coiffure moite.
— La majorité des commerces étaient implantés là: hôtels, boutique de forge, moulin… L’église et les écoles se trouvaient en haut du village. Il y avait plusieurs rues dans le Bas-du-Village, en ce temps-là.
— Elles ont disparu, elles aussi?
— Oh oui! La rue du Pont, Dusseault, des Allonges, Cartier, de la Rivière…
— Comment connaissez-vous toute cette histoire? Vous n’étiez même pas encore né dans ce temps-là!
Vous avez eu deux vies, coudon?
— Ho! Ho! Vous avez raison… je suis né en 1926. Monsieur et madame Cusson, les parents de votre parrain l’avaient en mémoire eux… Votre oncle ne pouvait pas avoir souvenance de cette débâcle, il n’était pas de ce monde en 1902. Tout leur a été raconté par leurs parents. Si vous alliez faire un petit tour à la bibliothèque, vous y trouveriez des livres sur l’histoire de Saint-Pie. Ce serait une bonne chose de vous renseigner sur l’histoire du patrimoine… de tous ceux qui y ont vécu avant nous.
— Peut-être que j’irai, un de ces jours. Là, j’ai pas le temps pantoute de chercher dans les livres.
— Vous avez tout votre temps! Il y avait un ruisseau, un étang, la Baie aux tortues, puis trois îles. C’est ce qui donnait tout un cachet à la rivière et les gens de l’époque le répétaient souvent.
— C’est désolant… bien de valeur pour ces pauvres gens.
— Oui, bien de valeur… À cause du défrichement des terres, les crues printanières ont bloqué les entrées du pont couvert pendant des jours, ce qui a changé complètement l’image du village. La rivière Noire s’est déchaînée le 3 mars 1902; puis le 29 mars 1905, une seconde débandade a emporté le pont de la Compagnie de Saint-Pie.
— Mon Dieu! C’est épouvantable, ce que vous me dites là, vous! s’écrie la femme en reculant, tout en apposant ses mains sur ses joues.
— Oui madame! Le moulin Godefroy Grisé et d’autres demeures ont été détruits complètement. Ce fut le début de la fin du quartier. Pour comble de malheur, en 1907, il y a eu une troisième débâcle. Elle a fait disparaître le moulin Bouchard situé de l’autre côté de la rivière, le pont ferroviaire et le nouveau pont de la Compagnie de Saint-Pie qui avait été reconstruit à neuf, et d’autres maisons. C’est à ce moment que des maisons ont été déménagées dans le haut du village. Le 1er mai, le Conseil municipal a décidé de fermer les rues du Bas-du-Village où s’était développée la paroisse.
— Toute une histoire! Il n’y aura plus jamais rien qui va se bâtir là?
— Non madame! Ce grand terrain est destiné à servir de deuxième lit à la rivière pour qu’elle y dépose ses gros morceaux de glace au printemps…, répond le nouveau voisin, à la tignasse sombre.
— Ils ont tout perdu, ces pauvres gens?
— Oui… un déchirement total pour eux! Est-ce que vous ensemencez un jardin cet été, madame? Je pourrais vous donner des plants de tomates roses. J’en ai tant semé au printemps, ma cave ressemble à une serre, souffrance!
— Je ne dis pas non… Je viens juste de déménager dans mon giron puis les cannes de tabac que j’avais ramassées pour planter mes graines, elles sont vides, vous comprenez? se plaint Béatrice en allumant une cigarette. Tous les printemps, je sème mes tomates et mes concombres. Je n’ai pas eu le temps pantoute avec les préparatifs de mon déménagement.
— Vous fumez? remarque Pierre, surpris.
— Bien certain! Vous ne fumez pas comme tout le monde, vous?
— Oui, je fume des du Maurier.
— Moi, c’est des Export ’A’.
— J’ai remarqué le paquet vert… Vous avez la couenne dure… Elles sont fortes ces cigarettes-là! Moi, j’aurais de la difficulté avec cette marque, sans bout filtre…
— Mais moi, quand j’ai envie d’une cigarette, je ne fume pas une cigarette de fifi…
— Attendez, vous… Vous me traitez…
— Si vous êtes une petite nature, ce n’est pas de ma faute, hein? le nargue Béatrice, mi-sourire au coin des lèvres.
— Ho! Ho! Nous ne pouvons pas deviner le caractère d’une personne par la marque de cigarette qu’elle fume, quand même! Ce serait trop facile, ne croyez-vous pas?
— Ouin… Puis là, ça va faire la madame, OK! Je m’appelle Béatrice Guindon: mademoiselle Béatrice Guindon.
— Oh! D’accord… Vous n’avez jamais été mariée Béatrice?
— J’ai dit «mademoiselle» Guindon… Êtes-vous sourd?
— Oh! Pardonnez-moi. Vous n’avez jamais été mariée, mademoiselle Béatrice? interroge Pierre en laissant échapper de sa bouche un voile opaque qui montait déjà vers le ciel comme un serpentin.
— Est-ce que j’ai l’air d’une femme qui voudrait gâcher son existence auprès d’un homme, monsieur Côté? S’unir par les liens du mariage, c’est juste de se mettre dans la misère! On est bien mieux tout seul dans nos affaires. On a pas de comptes à rendre à personne. Croyez-moi: la vie est plus simple sans être toujours obligée de préparer les repas à midi et les soupers à cinq heures parce que monsieur veut manger à l’heure. C’est de l’esclavage, être mariée. Oui, de l’esclavage, monsieur! Je ne comprends pas le monde. C’est comme s’attacher à l’autre pour s’empêcher de faire ce que l’on veut quand ça nous tente. La femme mariée reste pas dans une maison, elle reste en prison!
— Voyons, mademoiselle Guindon! C’est parce que vous n’avez pas encore trouvé le bon parti… Puis vous êtes toute jeune! Vous avez toute la vie devant vous!
— Oui, j’ai juste 39 ans. Mais je suis bien comme je vis, pas d’achalage! Jamais qu’un homme ne va m’amener au pied de l’autel! J’ai trop regardé mes parents se tirailler. Jamais! Puis vous, je ne vois pas votre femme dans les parages? constate Béatrice en jetant un œil vers la cour arrière de son voisin. Elle est partie faire ses commissions?
— Francine est décédée depuis déjà 15 ans, avoue Pierre en baissant la tête, en signe d’affliction.
— Pauvre vous! Vous ne l’avez pas eue facile! De quoi est-elle morte?
— Elle a été victime d’une méningite. Elle avait juste 27 ans. Le bon Dieu est venu la chercher beaucoup trop jeune. Les enfants avaient encore trop besoin d’elle, elle est partie bien trop vite… C’est comme si la terre avait arrêté de tourner. Nous l’avons cherchée des mois durant, dans la maison…
— Hon! Vous avez combien d’enfants?
— Trois… deux garçons et une fille: Pierre junior, Paul et Pierrette, tous mariés!
— Mon Dieu! Vous n’aviez pas un grand répertoire de noms dans votre caboche quand ils sont nés, ces enfants-là! se moque Béatrice, en le toisant de son regard moqueur. C’est quasiment tous des noms pareils. Cela ne vous aurait pas tenté de changer le «P», pour faire différent? Y a pas juste des prénoms qui commencent par «P» sur la terre!
— Ho! Ho! C’est ma chère femme qui tenait à ce qu’ils portent tous la première lettre de mon prénom. Je trouvais que c’était une idée particulière. Oui… j’aimais son idée.
— Bien coudon! constate Béatrice en s’éloignant pour aller nettoyer les carreaux de fenêtre sur la façade de sa maison. Je vais laver les fenêtres d’en avant asteure. Salut.
— Vous partez déjà? remarque Pierre, déçu.
— Je n’ai pas le choix si je veux finir mon récurage! J’ai de l’ouvrage, vous savez! Je n’ai pas juste ça à faire que de parler avec vous! On s’est présentés et c’est bien correct comme ça. Asteure, je vais continuer mon travail, si vous voulez bien.
— Je pourrais vous donner un coup de main? J’ai terminé de retourner ma terre dans mon jardin, lui offre le nouveau voisin en la talonnant, après avoir apposé son râteau sur la porte de la clôture dissociant les deux terrains.
— Non, merci. Je suis assez grande pour voir à mes besognes. Vous voyez la barrière qui sépare nos deux terrains, à votre droite?
— Oui? répond Pierre en regardant la claire-voie mitoyenne située à quelques pieds de lui.
— C’est cela… elle n’est pas là pour rien, hein! Ça veut dire: tes bebelles… puis dans ta cour!
— Ho! Ho! Je sens que nous allons bien nous entendre tous les deux. Vous me faites bien rire, vous êtes charmante!
— Vous pouvez toujours continuer à sentir monsieur Côté, c’est juste ça qui va vous passer en dessous du nez, «rien», parce que moi je ne suis pas une voisineuse, vous comprenez? J’ai été élevée sur une terre, puis nos voisins étaient bien loin de notre ferme. On ne parlait presque jamais à personne dans notre rang. De toute façon, on aurait pas pu, mon père était un sauvage de la pire espèce. Il était pas parlable. Cela fait que l’on ne visitait pas souvent l’entourage. J’espère que vous avez compris mon message.
— D’accord! Alors, je vous souhaite un bel après-midi, «mademoiselle» Guindon, lâche Pierre, déçu en s’en retournant chez lui.
— C’est ça… à vous aussi une bonne fin de journée. Salut.
Pierre se retourne et ose lui demander:
— Une dernière question, si vous me permettez?
— Ah! Vous êtes quasiment achalant, vous! Posez-la, votre question, qu’on en finisse.
— Vous avez des frères et sœurs qui demeurent toujours en Mauricie?
— J’ai une sœur, ma jumelle.
— Ah oui? Comment se prénomme-t-elle?
— Violette… puis si ça ne tenait qu’à moi, si j’avais pu parler à ma naissance j’aurais imploré mes parents de l’appeler «pimbêche» parce que le nom de Violette ne lui va pas pantoute!
— Pourquoi donc?
— Ça va faire les questions, le voisin! Je ne peux pas vous parler d’elle parce que je vais m’enrager. On ne peut pas se sentir, ça fait 39 ans! Ce n’est pas aujourd’hui qu’on va se coller ensemble comme dans le temps qu’on était dans le ventre de notre mère. C’est une péteuse de broue ma sœur… Une vraie… j’aime mieux me retenir parce que si je babille d’elle, je vais filer mal toute la journée, saint citron! Je ne reste plus dans la même ville qu’elle et c’est très bien ainsi. On n’aurait jamais dû naître dans la même maison, nous deux.
— Pourtant, on dit des jumelles qu’elles sont indissociables!
— Pas nous deux! On n’a aucune affinité ni aucune complicité, saint citron!
— C’est dommage… Oui, bien dommage.
Dimanche 17 juillet 1966
Sur le parvis de l’église Saint-Pie de la rue Notre-Dame, tous les fidèles paroissiens se sont rassemblés en attendant de franchir le seuil du lieu saint pour entendre le prône du prélat de la circonscription ecclésiastique de Saint-Pie, Georges-Édouard Brosseau, accompagné de son vicaire, Roland Bibeau.
Dix heures
Installé à l’arrière de l’édifice religieux, Pierre Côté toise les ouailles du curé Brosseau qui entrent à la queue leu leu dans le sanctuaire en humectant leurs doigts dans l’eau miraculeuse du bénitier. Sous la surveillance de leurs parents, de jeunes enfants sont déjà près de l’autel en train de glisser des sous noirs dans la petite fente de la statuette de l’ange qui incline la tête en guise de remerciement à chaque offrande reçue.
Pierre porte un costume gris pâle et une chemise blanche. Contrairement aux jours de semaine, le dimanche, sa tignasse noire est coiffée à la perfection et sa barbe rasée de près lui donne une allure plus jeune. Vu qu’il ne peut conserver son chapeau dans le culte chrétien, il est de rigueur d’avoir une belle tête pour la liturgie du jour du Seigneur.
L’ébauche de la construction de l’église Saint-Pie remonte au début des années 1830. Le père Crevier avait constaté qu’il était inéluctable d’ériger des côtés adjacents à sa petite chapelle vu que les familles de la paroisse proliféraient à vue d’œil. Le 30 septembre 1854, assisté de Michel Godard, vicaire de Saint-Césaire, le prélat satisfait, bénissait le sanctuaire. Une église de style gothique où au sol, la forme de l’église est une croix latine.
L’abbaye est bondée et une chaleur écrasante gêne les fidèles agenouillés sur les prie-Dieu. À la droite de Pierre Côté, dans le banc adjacent, on peut voir les doyens de la municipalité, Edgar et Florentine Thibodeau, tenant dans la main le livre Prions en Église qu’ils agitent de gauche à droite devant leur visage humecté de gouttelettes translucides. Et tout près, ses voisins de la rue Notre-Dame, les Roy, qui viennent tout juste de le saluer, sont en train de parcourir le feuillet paroissial. Aussi, une dame vêtue de ses plus beaux atours coiffe un canotier lilas à rebord léger et porte une ravissante robe de cotonnade d’un blanc immaculé. «Wow! Quelle belle femme!» s’exclame Pierre, qui ne cesse de la toiser avec insistance.
À la sortie de l’église, sous un ciel voilé, il devance quelques paroissiens pour se rendre près de cette déesse libérant une fragrance de lavande.
— Bonjour madame… Souffrance! Je ne vous avais pas reconnue, mademoiselle Guindon! Vous êtes vraiment ravissante, ce matin! s’écrie Pierre, dans le but d’admirer la silhouette de la dame, méconnaissable.
— Ah bonjour! Est-ce que nous avons déjà eu l’occasion de nous rencontrer, monsieur? Votre visage m’est étranger…
— Voyons! Je suis votre voisin de la rue Notre-Dame! Nous avons jasé dans votre cour arrière il y a de cela trois semaines! Vous ne vous en souvenez pas? Vous étiez en train de laver les fenêtres de votre maison.
— Oh! Hi! Je comprends maintenant… Vous voulez me dire que vous avez fait un brin de causette avec ma jumelle Béatrice? Moi, c’est Violette Guindon. Je demeure sur la rue Roy.
— Je suis renversé! confie ce dernier en ébouriffant sa chevelure noire.
— Pourquoi? Quel est votre nom, monsieur?
— Pierre Côté, mademoiselle Guindon… le voisin de votre sœur Béatrice.
— Ah bon! Je suis enchantée, monsieur Côté, répond la charmante dame, en lui présentant une main drapée d’un gant satiné.
— C’est hallucinant!
— Qu’est-ce qui est si hallucinant, monsieur Côté?
— Vous êtes deux sœurs identiques, par contre…
— Ne soyez pas mal à l’aise, monsieur, le rassure Violette en faisant un sourire enjôleur. Nous nous ressemblons beaucoup en effet, sauf que Béatrice est un tantinet rebelle et ne court pas les boutiques pour se procurer de nouveaux vêtements tendance, ou de nouveaux parfums.
— Rebelle, vous dites? Malgré le respect que je lui dois, j’irais plus pour le mot «sauvageonne». Elle est un peu dure d’approche, vous comprenez? J’ai eu toutes les misères à l’approcher pour me présenter à elle. Malgré ma ténacité, elle me repoussait tout le temps.
— Hi! Hi! Ma sœur n’est pas méchante pour autant… Dommage qu’elle ait coupé tous les liens dès notre prime jeunesse à Saint-Célestin où nous aurions pu nous amuser et jouir d’une enfance heureuse en s’aimant comme tous les petits enfants de la terre le font.
— Que s’est-il passé pour que vous ne vous adressiez plus la parole? Des jumelles sont inséparables, non? demande Pierre qui soutenait le bras de Violette, en descendant les marches du parvis de l’église.
— En effet, j’en suis consciente, monsieur Côté, mais… ma jeune sœur comme on dit… je dis ma jeune sœur, car elle est venue au monde après moi…
— Vous êtes donc l’aînée?
— De si peu, cher monsieur! Seulement six minutes. Pourtant, j’ai toujours été présente pour elle, pour l’aider et la comprendre, malheureusement, elle n’a jamais accepté de me côtoyer comme une «vraie sœur». Nous étions comme deux étrangères, et rien de tout cela n’a changé depuis.
— Mais, que faites-vous à Saint-Pie? Vous voulez prendre le risque de lui faire une visite sur la rue Notre-Dame, bientôt? Ce serait le moment idéal pour faire la paix, non?
— Oh non! Jamais! J’ai loué une petite maison sur la rue Roy tout près d’ici et je ne tiens pas du tout à la rencontrer. Tout est terminé entre nous!
— Dommage… Je connais la rue Roy. Elle est située à l’angle de Notre-Dame… Mais, pourquoi Saint-Pie, alors que la terre est si vaste?
— Pour vivre dans la béatitude… Même si on ne se voit plus… seulement le réconfort d’être près d’elle me donne l’envie d’exister, vous comprenez? Nous avons coupé tous les ponts, mais nous sommes nées de la même mère et du même père… Je crois que même si je ne désire pas la revoir, il y a comme un aimant de collé sur mon cœur et ça m’apaise.
— Je vous comprends… Je pourrais lui glisser un petit mot pour lui apprendre que vous êtes venue vous installer dans la paroisse? Peut-être ira-t-elle vous rendre visite, un de ces jours?
— Ce n’est pas nécessaire monsieur Côté… Béatrice m’a reniée avant même que nous ne sortions du sein de notre mère. Alors, sans être impolie, je vous demanderais de vous occuper…
— … de mes oignons? dit-il en souriant.
— Désolé, monsieur Côté, ce qui s’est passé autrefois à Saint-Célestin ne regarde que ma jumelle et moi. C’est triste…
— Mais dans un si petit village comme Saint-Pie, vous allez sûrement vous croiser un jour, non? Que ce soit à l’église ou dans les magasins ou bien chez le coiffeur…
— Oh non! Je ne compte pas là-dessus, monsieur! Quant aux boutiques, Béatrice s’est toujours habillée sobrement. Par contre, elle est si minutieuse quand elle lessive ses vêtements que lorsqu’elle les porte malgré qu’ils datent du temps de Mathusalem, on croirait qu’elle vient tout juste de les déballer d’un papier de soie, tellement ils sont impeccablement conservés. En tout cas, c’était comme cela à la maison de Saint-Célestin… Pour la croiser chez la coiffeuse… il n’y a aucune chance. Elle coupe et coiffe ses cheveux elle-même depuis son jeune âge.
— Eh bien! À l’épicerie, alors?
— Ah peut-être! Mais je ne le souhaite pas vraiment. Elle deviendrait mauvaise, je crois. Je désire sentir sa présence près de moi, oui; mais je n’aspire aucunement à la rencontrer sur ma route.
— Que s’est-il passé de si horrible, mademoiselle Violette? demande Pierre, en lui offrant une cigarette.
— Non merci, je ne fume pas. Écoutez, je vous trouve vraiment sympathique, Pierre… même séduisant; mais les faits révolus de notre jeunesse nous appartiennent. Si vous voulez bien, nous allons les laisser dormir. Je crois que c’est mieux ainsi. Il y a tant d’autres sujets de conversation agréables sur lesquels échanger, sans que nous parlions de ma sœur.
— J’ai saisi le sens de vos paroles, mademoiselle. Je vous souhaite une excellente journée… qui sait? Peut-être nous croiserons-nous la semaine prochaine? suggère discrètement Pierre, en lui offrant à nouveau le bras, avant de la quitter.
— Ah! Ce serait avec grand plaisir! Pourquoi ne ferions-nous pas un petit brin de causette devant un bon café, monsieur Côté?
— Si j’ai bien compris, vous m’invitez chez vous dimanche prochain?
— Mais non, mais non! Nous pourrions nous rendre au restaurant après la messe si vous voulez, pour siroter ce café.
— Bien sûr! approuva l’homme fier comme un paon.
— Une ultime recommandation, monsieur Côté, reprend la courtisane au regard cristallin.
— Oui, mademoiselle Guindon?
— Ne dévoilez pas à ma sœur Béatrice que j’ai emménagé ici à Saint-Pie, OK? Jamais!
— Ne craignez rien, je ne lui soufflerai pas un mot de notre rencontre. Est-ce que vous avez ensemencé un petit jardinet sur la rue Roy?
— Pourquoi est-ce important de savoir si je possède un jardin? l’interroge Violette, d’un ton agréable.
— Seulement pour m’informer, mademoiselle…
— Hi! Hi! Si j’avais voulu un potager pour m’occuper de mes tomates et mes concombres, je n’irais pas me les procurer au marché.
— Ho! Ho! Dimanche prochain, je vous apporterai des tomates roses de mon potager.
— Hum! Une délicieuse salade avec des fruits frais.
— Des fruits?
— Une tomate s’avère être un fruit, monsieur Côté!
— Hein? Depuis quand?
— Mais oui, voyons! s’exclame la femme surprise. Lorsque vient le temps de cuisiner mon ketchup aux fruits, j’y incorpore des pommes, des pêches et des tomates!
— Eh bien! Quand j’ai aidé votre sœur Béatrice à mettre en terre les plants de tomates dont je lui ai fait don, elle ne m’a pas glissé que la tomate est un fruit!
— Quand nous restions sur la ferme de mes vieux, en Mauricie, Béatrice était considérée comme une fermière née. Moi j’étais plutôt du genre «fille de la ville». Ma jumelle a cultivé la terre du rang Pellerin jusqu’au temps que nos parents la vendent. Moi, je travaillais dans une buanderie à temps partiel au centre-ville. Je crois bien qu’elle n’a jamais été informée que la tomate est un fruit.
— Vous voulez dire… que vous êtes demeurée chez vos parents jusqu’au temps de venir vous installer ici à Saint-Pie?
— Nos parents avaient besoin de nous, monsieur Côté. Notre père était draveur sur la Saint-Maurice. Nous avions un champ de culture, des vaches laitières, une porcherie, des moutons, des oiseaux de basse-cour et des chevaux à nous occuper. Il y avait beaucoup de travail pour Béatrice et ma mère, monsieur Côté!
— Votre père n’a tout de même pas enjambé les billots de bois jusqu’à 60 ans? s’écrie Pierre en se déplaçant sur le trottoir bétonné, pour laisser le passage à un couple d’aînés.
— Il n’a pas eu le choix de s’arrêter lorsqu’un accident est survenu dans les années 40. Au printemps dernier, ils ont pris la décision de vendre la terre agricole pour s’acheter un petit bungalow dans le centre-ville de Saint-Célestin, sur la rue Marquis. Donc, ils ont pris congé de Béatrice qui s’activait tous les jours sur le pacage.
— Et vous?
— J’étais devenue comme on dit «assez dégourdie» pour vivre en ville toute seule, hi! Hi! rétorque en souriant gentiment la jolie femme au teint de pêche et aux lèvres colorées de gloss corail.
— C’est un fait. Vous souhaitez travailler dans le coin?
— Je l’espère! Je vais visiter cette petite paroisse pour me trouver un emploi dès le printemps prochain. Pour l’instant, je possède l’argent pour payer le loyer de ma maison.
— Et votre père, que lui est-il arrivé de si grave?
— Là, je ne dis plus rien… Je ne désirais pas vous raconter mon passé et voilà que je viens de vous dévoiler un chapitre de ma vie. Je vous souhaite un agréable dimanche, malgré ce ciel couvert et ces petits oiseaux qui ont commencé à gazouiller leur triste sérénade.
— Quelle sérénade? s’informe Pierre, en levant les yeux vers les feuillus d’où l’écho des passereaux se distingue à répétition.
— Leurs chants ne sont pas aussi mélodieux que lorsqu’ils s’expriment sous un soleil doré. Présentement, ils nous informent qu’il va pleuvoir. Même, nous annonceraient-ils un vilain orage et de forts vents mauvais?
— Vous me paraissez une femme bien romantique, mademoiselle Guindon, glisse Pierre en la laissant passer devant lui, en guise de politesse.
— En effet… romanesque et…
— Oui?
— Alors, je prends congé et pas un mot à ma sœur Béatrice au sujet de notre rencontre. Elle m’arracherait les yeux si elle découvrait que je l’ai suivie jusqu’ici à Saint-Pie.
Fin octobre
Les végétaux perdent leurs feuillages cuivrés. Le sol transi les héberge pour se caparaçonner et ainsi se protéger des vents frisquets de l’automne.