Si vous soupirez pour Kai, ce livre est pour vous.
Tout spécialement pour mes deux meilleures amies
et premières admiratrices de Kaidan,
Courtney Fetchko et Kelley Vitollo (Nyrae Dawn).
Des poires et des oranges
« I keep a sinister smile and a hold of my heart.
You want to get inside, then you can
get in line, but not this time. »
(Hero/Heroine, par Boys Like Girls)
Conquérir Anna est un travail d’équilibriste. De bien des manières, elle est comme les autres filles — elle rit et rougit, elle est flattée quand je flirte avec elle —, mais seulement jusqu’à un certain point. Au contraire des autres filles que j’ai connues, Anna est une « vieille âme ». Elle est comme une vieille dame correcte dans un corps jeune et attirant. Elle peut être une petite vieille pudibonde et dire des trucs du genre : « Tu ne penses pas que tu pourrais être un gentleman et… peut-être porter des caleçons quand tu es au lit ? » ou « Ce sera vraiment un voyage pénible, si tu dévisages toutes les filles avec ton regard de velours chaque fois qu’on s’arrête. »
Je dois reconnaître que j’aime la choquer. Ainsi suis-je resté immobile, ce matin-là, nu, pour qu’elle voie exactement ce qui s’offrait à elle. Mais merde, je ne m’attendais pas à ce qu’elle pousse un cri de banshee. De plus, voilà le problème : je ne suis pas le seul à être choquant. En effet, elle continue de me laisser pantois avec des déclarations nonchalantes telles que « je peux sentir les grossesses » ou « je peux ressentir la souffrance des gens ».
Quelle est la puissance de cette fille, exactement ? Car elle peut littéralement faire des trucs d’ange. Et son vaudou angélique a d’autres pouvoirs, en plus, comme celui de me faire ouvrir la bouche pour en dire vraiment trop. Elle est tellement désintéressée et attentive aux autres que pendant de brefs moments, je me sens… Je ne sais comment l’expliquer… mais je ne me sens pas moi-même.
Je suis censé la faire tomber amoureuse de moi, je suis censé lui rappeler que je suis un mauvais garçon, avant de créer des moments d’aise et de sincérité. Eh bien, c’est exactement ce qui se passe, sauf que je ne crée aucun moment, je les ressens. C’est elle qui utilise ses capacités sur moi.
Cette fille est dangereuse.
Elle possède tout à la fois les talents d’une mamie qui prépare des biscuits, d’une psychologue de renommée internationale et d’un succube séduisant. Et le plus incroyable, c’est qu’elle ne se doute aucunement de l’effet qu’elle a sur moi. Il n’y a que deux jours que nous sommes ensemble, et je suis déchiré entre vouloir la donner en pâture aux lions et la garder juste pour moi.
Voilà qu’elle me pose des questions sur les autres filles, sur mes motivations quand je travaille. Elle va trop loin. Elle présume que je suis un pauvre crétin qui se sent mal à cause de ce qu’il fait.
Ce n’est pas le cas.
Néanmoins, je n’ai aucun intérêt à proclamer que je suis un salaud sans cœur. Cependant, c’est une bonne chose qu’elle parle sans arrêt, car dans nos moments de silence, la seule chose à laquelle je peux penser, c’est de coucher avec elle : l’entraîner derrière un panneau routier géant, ou la soulever pour la mettre sur mes cuisses pendant que je conduis.
Mais alors que je suis en train de conduire, elle dit quelque chose qui me met des bâtons dans les roues :
— … je tiens à toi.
Ses paroles résonnent en moi et me remplissent d’un sentiment de terreur.
— Ne dis pas une chose pareille, rétorqué-je sèchement.
Je tremble intérieurement. Mais c’est ce que je voulais, non ? Que ses sentiments s’intensifient. Ce n’est cependant pas comme je pensais que ce serait, c’est bien plus compliqué, car maintenant je ressens des choses que je n’avais pas anticipées, comme de la culpabilité, et je ne peux comprendre pourquoi.
— Tu ne devrais pas dire une chose pareille, que tu tiens à moi. Tu me connais à peine.
Elle est trop bête, trop franche, trop confiante, en train de m’observer avec ses yeux de faon. Bordel, elle doit connaître le danger constant dans lequel elle passera le reste de sa vie. Elle doit comprendre comment je respire et vis ce danger tous les jours. Elle doit perdre sa virginité et convaincre les ducs qu’elle est des nôtres, car si elle n’embrasse pas sa vie en tant que Neph, les ducs y mettront un terme.
— Tout comme tu me connais à peine, et pourtant nous voici. Tu as proposé qu’on fasse ce voyage, tu as répondu à chacune de mes questions. Tu ne m’as pas forcée à faire quoi que ce soit et tu ne m’as pas dénoncée à ton père. Et je suis contente d’être ici avec toi.
Non. Ce sont des sentiments stupides. Et je ne laisserai pas ces paroles chaleureuses comme des biscuits aux brisures de chocolat m’adoucir. Les mains serrées sur le volant, je la regarde.
Mon Dieu qu’elle est insistante, avec ses questions incessantes, insatisfaite par des demi-réponses, cherchant ce qu’elle souhaite entendre, qu’au fond, je suis un « gentil garçon ».
— Pourquoi tiens-tu tellement à me convaincre que tu es mauvais ? me demande-t-elle.
Tout comme cette humaine, Patti, Anna ne sera satisfaite par rien d’autre que la vérité. C’est donc ce que je lui donne.
— Simplement parce qu’il te serait salutaire d’éprouver une bonne dose de peur à mon égard, pour que tu ne puisses pas dire que je ne t’avais pas prévenue. Je ne suis pas comme les garçons de ton école. Pense à l’attrait que tu ressens pour les drogues. C’est ce que je ressens pour le sexe.
À ces mots, à mesure qu’elle comprend, son visage se décompose. Oui, tu saisis bien. Nous vivons tous les deux avec une bête insatiable en nous.
— Alors, tu commences à comprendre ? Permets-moi d’être encore plus précis. J’ai besoin de parler cinq minutes à une fille pour savoir ce que je dois dire et faire pour l’attirer dans mon lit. Et toi compris, quoique je doive reconnaître que je n’étais pas au mieux de ma forme hier soir. Avec certaines, il s’agit tout simplement d’être attentif et de les flatter. Avec d’autres, il faut plus de temps et d’énergie. Eh bien, je fais absolument tout ce qui est nécessaire pour qu’elles se donnent à moi. Après quoi, je m’arrange pour qu’elles ne puissent plus jamais être avec un autre homme sans penser à moi. Je connais tous les secrets du corps, des choses que la plupart ignorent sur elles-mêmes. Et quand je les quitte, quand je les entends me supplier de rester, je sais qu’elles sont fichues.
C’est mon héritage, je n’ai aucun regret.
Tandis qu’Anna me regarde les yeux écarquillés, des accès de peur grise fusent dans son aura. Voilà, elle comprend.
— Il était temps, dis-je.
À mesure que nous avançons, le Nouveau-Mexique suscite de nouvelles contemplations admiratives par la fenêtre ainsi que de nouvelles questions sur la hiérarchie des démons et des Neph. C’est insensé tout ce qu’elle ignore, mais elle veut apprendre, même si les détails l’attristent jusqu’aux larmes. Avec un peu de chance, cette connaissance lui permettra de commencer à voir les sombres esprits chuchoteurs, qu’elle devrait maintenant être capable de voir depuis des années. C’est sans doute son innocence qui l’empêche de les distinguer, mais elle doit savoir ce qu’ils préparent afin de pouvoir rester en sécurité quand je ne serai plus avec elle.
Quand nous nous arrêtons pour la deuxième nuit, je suis surpris qu’Anna nous permette de partager de nouveau une chambre. Les possibilités coquines me viennent immédiatement à l’esprit, mais je dois modérer mes transports. Je ne perdrai pas de nouveau la tête.
Je me trouve sur le balcon du deuxième étage, les bras croisés, pendant qu’Anna parle à sa mère au téléphone. Eh oui, j’utilise mes pouvoirs pour écouter à travers la vitre. J’ai écouté toutes leurs conversations en Géorgie aussi, et elles le savaient. Tant pis si elles ne sont pas contentes.
Tout de même, sois prudente et reste sur tes gardes, dit Patti.
C’est un bon conseil, sauf qu’Anna ne sait pas ce que c’est d’être « sur ses gardes ». Elle est comme un livre ouvert sans aucune protection.
D’accord, je t’aime, lui répond Anna de sa voix mélodieuse.
Moi aussi.
Ensuite, Anna fait un son de bise que Patti répète et qui les fait rire toutes les deux.
Leur relation me fascine. Elles échangent ces trois mots chaque fois, et chaque fois que je les entends, je ressens un frisson le long de la colonne vertébrale. Comment ça peut être, de savoir que quelqu’un ressent de pareils sentiments et ferait n’importe quoi pour soi, quoi qu’il arrive ? Tout ce que j’ai vu de l’amour est inconstant, les gens n’en prennent pas soin, ils le tiennent pour acquis, en abusent. Mais ces deux-là… Comme elles l’embrassent !
J’écoute toujours lorsqu’Anna sort de la chambre en produisant un léger clic, suivi de ses pas le long du couloir recouvert d’un tapis, du ronronnement de la distributrice. Quelques minutes plus tard, la voici en train d’ouvrir la porte coulissante pour se retrouver derrière moi. Je me demande si elle va me toucher, j’attends en désirant qu’elle le fasse. Au lieu de cela, elle vient se placer à côté de moi et appuie une bouteille d’eau froide contre mon bras. Elle en a acheté une pour moi, évidemment toujours pleine de considération.
— Merci.
Nos bras se touchent, ce qui provoque un accès de chaleur en moi. Je pense à l’embrasser de nouveau, ici même, à la faible lueur du crépuscule, mais je sais qu’il n’est pas encore temps. Son aura est pleine d’incertitude, elle est à la fois contente et nerveuse, mais pas lascive, tandis que nous nous appuyons tous les deux contre la balustrade.
Elle est mignonne avec sa queue de cheval, qui était bien haute ce matin et qui maintenant tombe lâchement comme si elle en avait assez de tous ces déplacements. Je voudrais y passer les doigts, les laisser glisser lourdement sur mes mains, peut-être même la tirer un bon coup pour la faire haleter.
Merde. Mauvais Kai.
Anna tressaille soudain avant de renifler. Pendant un instant, je me demande si elle n’est pas capable de lire les pensées, car elle me laisse pour retourner dans la chambre d’hôtel. J’écoute tandis qu’elle se dirige dans la salle de bains. On dirait qu’elle touche à mes produits de toilette. Peut-être a-t-elle besoin de m’emprunter un rasoir pour ses jambes. Ha !
Tout en souriant, je rentre, mais ce que je vois dans la salle de bains me fait rire sans que je le veuille : Anna Whitt, en train de renifler mon déodorant.
Quand finalement elle m’entend, elle sursaute, pousse un cri et lâche le déodorant, qui se fracasse dans le lavabo. Tout dans cette scène m’amuse, car, ouais, la voilà en train de toucher et de sentir mes affaires. Je ne peux m’empêcher de rire.
— Bon, d’accord, ça doit paraître vraiment mal, dit-elle en rangeant maladroitement mes affaires. Je voulais seulement savoir quel parfum tu portes.
Ah, je vois. Les événements prennent une tournure intéressante. Elle a saisi mon odeur.
Tout en croisant les bras, j’entre dans la salle de bains en essayant de cacher à quel point tout cela m’amuse.
— Je n’ai pas mis de parfum, ces derniers temps.
— Ah, dit-elle en se raclant la gorge. N’en parlons plus.
— Qu’est-ce que tu sens, au juste ?
Quand nous étions plus jeunes, Ginger m’avait dit ce que mes phéromones sentaient, et c’est ce qu’Anna a détecté. Cela signifie qu’elle a déployé ses sens sans le savoir. Je m’avance alors davantage en voulant qu’elle me regarde, mais elle refuse de le faire. Ce n’est pas grave. À en juger par son mélange d’anxiété, d’excitation, de confusion et de désir, je lui fais beaucoup d’effet.
— Je ne sais pas exactement. Comme les agrumes et la forêt, quelque chose du genre… des feuilles et de la sève. Je ne peux l’expliquer.
Ginger, la vache, m’avait dit que je sentais le kumquat aigre et la terre. Mais je pense que ça l’amusait simplement de dire « kumquat ».
— Des agrumes ? Comme du citron ?
— Plutôt de l’orange et un peu de lime.
Sa description me plaît bien plus que celle de Gin. Je me dégage ensuite les cheveux des yeux. Les choses sont sur le point de devenir sérieuses.
— Ce que tu sens, Anna, ce sont mes phéromones.
Elle est saisie d’un accès de rire nerveux et aigu, comme si elle ne me croyait pas.
— Ah, d’accord, je vois…
Elle essaie maintenant de sortir de la salle de bains, mais je me déplace pour l’en empêcher. Nous n’avons pas encore terminé.
— D’habitude, les gens ne peuvent pas sentir les phéromones. Tu dois utiliser ton odorat supérieur sans t’en apercevoir. Il paraît que certains Neph perdent la maîtrise de leurs facultés quand ils ressentent des émotions violentes. Par exemple, la peur, la stupeur ou… le désir.
De l’embarras se manifeste maintenant chez elle, mais une trace de rouge borde toujours le bas de son aura tandis qu’elle bafouille une excuse nulle à propos de ses facultés. Elle est bien trop adorable pour être prisonnière dans une salle de bains en compagnie de quelqu’un comme moi.
— Aimerais-tu savoir quelle senteur tu dégages ?
Ses yeux s’écarquillent, alors qu’elle parcourt la salle de bains du regard.
— Euh, pas vraiment, non. Je crois qu’il vaut mieux que j’y aille.
Je ne pense pas.
— Tu sens la poire, avec un soupçon de freesia.
— Ouah, d’accord.
Elle se racle la gorge tandis que son aura palpite de désir. Je crois que je vais juste… Elle se serre contre le lavabo pour passer à côté de moi en se faufilant, comme si le fait de me toucher allait déclencher une bombe. Je lève les mains, cela m’amuse bien trop.
La voilà maintenant qui se jette dans la chambre et qui enfile ses chaussures de sport. Si elle pense pouvoir m’échapper, elle devrait reconsidérer, car je ne la laisserai pas sortir de cet hôtel sans moi. Et elle peut bien le nier autant qu’elle le souhaite, il y aura davantage de baisers ce soir.
— Tu sors ?
— Ouais. Je vais courir.
Pas toute seule, en tout cas.
— Est-ce que tu accepterais que je t’accompagne ?
— À une seule condition.
Ces paroles me font froncer les sourcils.
— Apprends-moi à cacher mes couleurs.
Bon, ce n’est pas exactement ce que j’avais en tête, mais très bien. Nous nous occupons des capacités maintenant, et nous nous embrasserons plus tard.
Tandis qu’elle escalade les rochers devant moi, je regarde le derrière d’Anna, content de porter un grand short. Il faut que je me calme avant que nous soyons là-haut. Une fois qu’elle atteint le sommet et s’assied, ce qui cache avec succès toute vue sur son postérieur, c’est un peu plus facile. Je me laisse encore un instant avant de me placer à côté d’elle et de m’allonger, m’étirant sur la surface chaude et rocailleuse, le regard vers le ciel.
Et j’essaie de ne pas penser au sexe.
L’aventure d’hier soir ne m’a pas suffi. Même avec tout ce que j’ai révélé à Anna aujourd’hui, je pense bien qu’elle n’est pas encore prête à coucher avec moi. Peut-être que je m’y prends mal, peut-être devrais-je faire comme si j’étais amoureux d’elle. C’est ça qu’elle préférerait ? Peut-être que si…
Mais qu’est-elle donc en train de faire maintenant ? Je m’immobilise complètement tandis que sa main touche mes jointures avec hésitation et que ses doigts, chauds, doux et petits, se glissent entre les miens.
Elle me tient la main.
Pourquoi donc mon cœur bat-il si violemment ? Et pourquoi ai-je l’impression que nous allons absolument trop vite et trop lentement à la fois ? J’examine le ciel, à la recherche de sombres chuchoteurs, déployant mes facultés sur un large rayon, mais il n’y a aucun signe de ces esprits.
Je me permets ensuite de ressentir sa main dans la mienne, cela même si Kaidan Rowe ne tient pas la main des filles. Ce geste est d’une telle simplicité, si charmant, qu’il remue quelque chose tout au fond de moi. J’envisage un instant de la retirer, mais décide de la laisser, me disant que ce n’est qu’un jeu et qu’il n’y a rien de grave dans le fait que deux mains se touchent.
Nous restons allongés là un peu plus longtemps, main dans la main, en bavardant. Elle est toute attention tandis que je lui explique comment je visualise le fait de cacher mon aura, et son enthousiasme m’absorbe. Je me trouve ainsi à vouloir qu’elle apprenne, à vouloir lui venir en aide. Une heure passe en un rien de temps. Je suis à la fois sidéré et soulagé par la vitesse à laquelle elle apprend. Quand on pense à toutes les autres choses que je peux lui enseigner.
Cette pensée envoie un accès de désir droit dans l’entrejambe, et je dois changer de position.
« Merde. Concentre-toi. »
Nous n’avons pas fini de travailler sur son aura.
En réalité, cacher ses émotions est bien plus difficile. Je dois donc déterminer comment elle les déguise sous la contrainte. Je dois lui faire perdre son sang-froid. Évidemment, le désir est la première chose qui me vient en tête, alors je laisse mes instincts prendre le dessus.
— Tu sais, Anna, pour que ce soit clair, mon opinion de toi ne changera pas, si jamais tu te décides à faire ce que mon père attend de toi.
« Je t’en prie, change d’avis, la supplié-je en silence. Laisse-moi te former et avoir ton corps, ne serait-ce qu’une fois. »
Peut-être qu’alors ce désir ridicule que j’éprouve pour elle se dissipera.
Je lui touche la cheville, laissant mes doigts et ma paume remonter sur la douceur de son mollet. Mais elle se fige à mon toucher, tente de ne pas se laisser affecter. Je peux voir la concentration sur son visage quand sa petite gorge se contracte pour avaler. J’observe sa poitrine se soulever par les halètements, tandis que mes doigts s’arrêtent au pli derrière son genou et caressent cette douce crevasse. Les paroles affluent de ma bouche, un besoin insatiable augmente en moi comme s’il était vivant.
— En ce moment, ici, il n’y a que toi et moi, Anna. Je t’ai sentie prendre vie, lorsque nous nous sommes embrassés, et je sais que cela t’effraie. Je sais que tu as peur de libérer l’autre côté de ta nature.
C’est seulement une fois que je les ai prononcées que je comprends comme ces paroles sont justes. Elle a les yeux écarquillés.
— Mais tu ne dois pas t’en faire, je saurai m’en occuper.
Je le sais et je le veux. La dresser ne m’intéresse pas. Ensemble, nous pourrions être explosifs, incontrôlables, nous nourrissant de la respiration l’un de l’autre. Désirer, prendre, consommer. Mon Dieu, ce serait si bon.
Mes doigts montent davantage pour ensuite prendre à pleine main le muscle de sa cuisse. Je veux aller plus loin, mais soudain, elle me serre fermement le poignet pour m’arrêter.
J’examine son aura autour d’elle pour y chercher désespérément une note de rouge. Je me penche vers elle pour lui dévorer la bouche dès que son désir se manifestera, mais cela n’arrive pas et j’éprouve une vive déception. C’est un coup de pied dans les couilles, physiquement. Mais mentalement, je suis déchiré entre le fait d’être fier des capacités qu’elle vient d’acquérir et le violent désir de revoir ses couleurs. Car j’ai besoin de savoir ce qu’elle ressent.
— Non, répond-elle.
Le fait que sa voix puisse être simultanément si douce et si ferme m’émerveille. Puis, nous nous regardons dans les yeux. En elle, tant de choses sont en ébullition. Sa longue queue de cheval blonde pend paresseusement sur l’une de ses épaules, avec les mèches de cheveux fous qui s’en échappent. Ces cheveux, cette manière qu’elle a de toujours les attacher sont comme le symbole de sa beauté sauvage qui demeure captive. Or, je veux la libérer, je veux qu’Anna craque entre mes mains.
« Ce n’est que du désir », me dis-je.
Pourtant, séduire Anna finit par devenir une sensation différente, quelque chose d’inconnu et d’extrêmement dangereux.
« Parce que c’est une Neph, me raisonné-je.
Parce qu’elle est ta conquête la plus difficile à ce jour.
Parce que son vaudou angélique te trouble l’esprit. »
Oui, toutes ces raisons.
Je m’écarte et plie un genou pour cacher ma réaction corporelle à l’épreuve du désir. Elle observe mon visage avec attention, m’examinant minutieusement.
— Désolé, je sais que c’était un coup vache, mais c’était le seul moyen. Certaines personnes sont plus performantes sous pression. Maintenant, si ça ne te dérange pas, il vaut mieux que je fasse quelques pas.
Ouais, j’ai besoin de m’éloigner d’elle. D’un bond, je descends des rochers pour ensuite faire les cent pas tout en respirant l’air nocturne. Puis, une fois mon corps bien maîtrisé, je retrouve Anna, qui m’attend patiemment au sommet du rocher. D’étranges sentiments me remuent l’estomac quand je la vois, et je voudrais me poignarder d’être si faible.
Je la rejoins pour l’aider à redescendre.
— Viens, lui dis-je.
Sans hésitation, elle prend ma main, et nous rentrons à l’hôtel sans mot dire.
Je suis soulagé qu’elle ait appris à cacher ses émotions, car c’est un pas de plus dans sa formation. Maintenant, tout ce qui me reste à faire, c’est de la baiser jusqu’à ce qu’elle ait perdu toute innocence, de la remettre à son père démoniaque et de découvrir ce que lui veut cette bonne sœur. Je pourrai alors la livrer au monde en parfaite conscience, et ne plus jamais la revoir.
Au milieu de ma douche, il devient parfaitement évident que je ne peux passer une journée entière sans m’assouvir avec une autre personne volontaire. Il n’y a pas d’autre solution. Ce soir, j’ai fait bien attention de ne pas succomber à la bête, mais elle est toujours là, sous la surface, affamée pour sa prochaine ration, peu importe mes tentatives de la modérer. C’est un fait que j’ai toujours accepté, mais pour la toute première fois, j’éprouve du ressentiment à l’égard de ce désir insatiable.
Ce que je désire vraiment, c’est d’aller dans la chambre pour y réclamer ma place directement entre les ravissantes jambes d’Anna. Mais je sais que pour elle, il n’en est pas question, pas pour le moment. Or, je n’ai pas de temps pour une longue séduction, je n’arrive pas à me concentrer. Je recommence à éprouver cette douleur à l’abdomen, un tiraillement dense. J’ai besoin de sexe immédiatement.
Comme je sors de la salle de bains vêtu d’un short cargo, le regard d’Anna vacille sur ma poitrine nue. J’observe son aura avant de me souvenir qu’elle peut maintenant la cacher. Toutefois, ses yeux en disent assez long. Elle aime ce qu’elle voit. Si seulement elle pouvait passer à l’action.
Pour finir de m’habiller, je prends un tee-shirt dans mon sac. Il est temps d’y aller. Soudain nerveux, ce qui est ridicule, je me racle la gorge. Je ne peux absolument pas me soucier de ce qu’elle pense. Quel idiot je fais !
— Bon, eh bien, je… je sors un moment.
À ces mots, tout son corps s’affaisse de déception, et j’ai l’impression qu’elle vient de me donner un coup de pied en pleine poitrine.
— Ne sors pas, me dit-elle.
Nouveau coup de pied. Mais d’où cela provient-il donc ?
C’est ce que je suis, et je refuse qu’elle me culpabilise. Au lieu de cela, l’ire s’élève en moi. Me sentant davantage chez moi dans son embrassade piquante, je m’en saisis. C’est ici que je veux vraiment être, nos membres emmêlés, mais je sais que ça n’arrivera pas, ce qui me met en colère.
— Je dois travailler, Anna, que ce soit ailleurs ou ici.
« Dis-moi de rester, petite Ann, fais-moi signe du doigt de venir jusqu’à toi. »
— Ça ne te tuerait pas de prendre une soirée de congé, me répond-elle cependant en levant dédaigneusement son petit menton.
Ça, c’est le coup de pied numéro trois, et la colère est maintenant remplacée par un puissant flot de furie.
— C’est ce que tu penses ?
Je m’efforce de me calmer, mais sa maîtrise de soi, le fait qu’elle me juge et son manque de compréhension me donnent envie de la secouer. Les paroles m’échappent comme du venin.
— C’est ce que pense la petite poupée qui n’a jamais travaillé de sa vie ?
Si elle n’est pas conforme à sa nature, moi, oui. Elle ignore qu’une fois que l’on s’est abandonné à la bête, on ne peut plus reculer. Il faut la nourrir.
Elle continue pourtant de me provoquer, continue de parler de choses qu’elle ne comprend pas, d’essayer de me faire sentir mal à cause de ce que je suis.
— Ce n’est pas comme si les démons surveillaient tous tes agissements, ajoute-t-elle.
Elle est incapable de voir les démons, les chuchoteurs. Elle ne connaît pas leur réseau ni la vitesse à laquelle je peux être découvert en train de « ne pas travailler », puis dénoncé. Elle ne sait pas ce que c’est de vivre avec la peur de les voir se montrer à tout moment, mais je suis trop enragé pour lui expliquer tout cela.
— Ne me pousse pas à bout, Anna, dois-je la prévenir en essayant de me maîtriser. Tu ne sais pas de quoi tu parles.
Jamais personne ne m’a fait me sentir ainsi. Je vois qu’elle est agitée, elle aussi, avec son visage rose et l’intensité de son regard. Il faut que je m’en aille.
— Tu peux te passer de sexe pour une nuit, me crie-t-elle cependant, comme je me tourne pour sortir.
À ces mots, la rage m’éblouit comme un éclair de lumière blanche, et mon corps réagit. Ses paroles suivantes sont noyées quand le besoin de détruire quelque chose s’empare de moi. Je donne un coup violent dans la lampe qui se trouve près de moi. Elle va se fracasser contre le mur avec un crac satisfaisant qui résonne dans mes oreilles. Avec dureté, je tends le doigt vers Anna, qui doit comprendre et arrêter de me provoquer.
— Tu ne comprends rien !
Un débordement d’émotions me laisse à bout de souffle. Blême, elle me regarde comme si j’avais donné un coup de pied à un chaton. C’en est trop. Je baisse le bras. Je me tire.
— Et ne m’attends pas, cette fois-ci.
En faisant irruption dans le couloir, j’écrase presque un couple de vieillards que je laisse terrorisés tandis que je m’engage dans l’escalier pour descendre au rez-de-chaussée. L’hôtel a un bar qui sautille de toute sa piste de danse.
Ah, bordel de merde. Les gens sont en train de faire un quadrille sur de la musique country. Mon regard s’arrête néanmoins sur une femme qui semble s’ennuyer à l’extrémité du bar bondé. Elle est en train de siroter une margarita. Début trentaine, elle est vêtue d’un tailleur gris, les cheveux noirs sur les épaules. Il n’y a pas de temps à perdre. Je me glisse à côté d’elle en attendant d’attirer l’attention du serveur. Comme je sens qu’elle m’observe, je regarde de son côté. Elle détourne rapidement les yeux, mais son aura pétille d’orange et de rouge. Mon regard se pose ensuite sur le décolleté de son chemisier, avant de vérifier son annulaire. Aucun anneau. Est-elle divorcée ? Elle a une manucure et prend soin d’elle-même.
Nonchalamment, je lui fais un signe de tête.
— Hallo2.
Elle sourit et repousse avec confiance ses cheveux de son épaule.
— Londres ?
Je hoche la tête tout en la dévisageant, mais elle détourne de nouveau le regard. Son langage corporel affirme qu’elle n’est pas intéressée, mais son aura dit le contraire. J’espère qu’elle ne se fera pas désirer.
— Je m’appelle Kaidan.
— Céleste, et je suis bien trop vieille pour toi, me répond-elle comme si ça allait mettre un terme à mon intérêt.
Sa franchise me fait rire, et je lui tends la main, qu’elle observe un instant avant de la serrer, pour ensuite se concentrer de nouveau sur son cocktail.
Comme le serveur vient finalement jusqu’à moi, je lui tends ma fausse carte d’identité avant de commander.
— Jack avec des glaçons.
Je sens Céleste se requinquer à mesure qu’elle entend cet échange. Avec un peu de chance, elle croit que j’ai 21 ans.
— Céleste, tu permets que je m’asseye ? lui demandé-je en faisant un geste vers le tabouret libre à côté d’elle.
— C’est un pays libre, fais comme tu veux.
Tandis que je m’assieds, elle remue machinalement sa margarita. Il me semble que Céleste est un peu blasée, mais je peux m’y adapter. Je peux m’adapter à n’importe quoi.
— Tu restes à cet hôtel ?
— Colloque sur l’immobilier. Et toi ?
— Je ne suis ici que pour cette nuit. Je vais à L.A.
Mais soudain, un accès de douleur m’aiguillonne.
« Continue de la faire parler. »
— Et qu’est-ce qui t’attend à L.A. ? me demande-t-elle après avoir pris une grande gorgée de son verre.
— Mon groupe, dis-je en mentant.
— Laisse-moi deviner, répond-elle, sarcastique. Tu es le chanteur.
Ça me fait rire, et j’avale d’un coup la moitié de mon verre en savourant la brûlure de l’alcool avant de le reposer et de la regarder de nouveau.
— Batteur.
— Hum.
Un éclair rouge se profile dans son aura. Comme elle termine sa margarita, je lui en commande une autre.
— Ce n’était pas nécessaire.
— Je sais.
La voilà maintenant en train de siroter son cocktail. Comme elle lèche un peu de sel sur le bord de son verre, je regarde sa langue, la bête grognant en moi.
— Kaidan, quel âge as-tu ?
Je ne comprendrai jamais pourquoi les femmes sont si obsédées par l’âge. Mais je deviens sérieux et la regarde dans les yeux.
— Je suis assez vieux pour te donner plus de plaisir que tu ne l’aurais jamais cru possible.
Ses yeux s’écarquillent légèrement tandis que son aura s’embrase de rouge avant de redevenir grise de méfiance.
— Voilà de bien grandes paroles.
— C’est une bonne chose que je sois capable d’être à leur hauteur, rétorqué-je en riant, avant d’avaler le reste de mon verre et de le reposer brutalement.
— Écoute, tu perds ton temps avec moi. Cette fille, là-bas, n’a d’yeux que pour toi, me dit-elle en faisant un signe de tête vers l’autre côté de la piste de danse. Tu devrais peut-être aller lui parler.
Je ne regarde même pas dans la direction qu’elle indique, car je me suis déjà trop investi. J’aime les défis.
— Je préfère les femmes aux filles, lui précisé-je sans la regarder en faisant signe au serveur, qui me verse un nouveau verre qu’il fait glisser jusqu’à moi.
La musique devient plus forte et plus clinquante en quelque sorte, ce qui remplit les gens d’enthousiasme. Je dirige mon ouïe jusqu’à notre chambre, mais je n’y trouve que le silence, puis un bruit de couverture quand Anna se tourne dans son lit. Sa respiration est lente, régulière. Dort-elle donc déjà ? N’est-elle pas contrariée par mon accès de colère ? N’est-elle donc pas le moindrement curieuse de savoir ce que je suis en train de faire ?
À côté de moi, tout en remuant la tête, Céleste laisse échapper un petit rire.
— Sais-tu combien de temps s’est passé depuis la dernière fois ?
— Aucune idée, mais je serai heureux d’y remédier.
De nouveau, elle remue la tête comme si je me vantais.
— Pourquoi ?
— Parce que tu es attirante.
Elle me regarde avec suspicion.
— Comme je te disais, tu perds ton temps.
— En fait, je ne pense pas.
Nous sirotons nos verres en silence, mais après quelque temps, elle soupire.
— Tu n’as pas l’intention d’abandonner, n’est-ce pas ?
— Non, Céleste, aucunement, lui dis-je en me tournant vers elle.
Elle tapote ensuite le bar tout en regardant sa main.
— Je n’ai pas de préservatif.
À ces mots, mes entrailles bondissent, mais mon visage demeure calme et confiant.
— Moi, j’en ai.
Elle lève alors le visage, et nous nous regardons tandis que la bête griffe le sol d’anticipation.
— Bon, d’accord, dit-elle en essayant d’avoir l’air de s’ennuyer, comme si ça ne lui faisait aucun effet, mais son aura montre le contraire de manière éblouissante. Allons dans ma chambre…
À ces mots, je ferme presque les yeux et soupire de soulagement. Ces 40 minutes ont été les plus longues de ma vie. Je loue l’audace des femmes plus âgées qui savent exactement ce qu’elles veulent. Je jette un peu d’argent sur le bar et me penche vers elle, mon visage à quelques centimètres du sien.
— Super, Céleste. Tu es un ange.
Mais le mot « ange » me reste sur la langue. Le soulagement que je ressentais se dissipe soudain, et je maudis Anna tandis que la culpabilité reprend brutalement place dans ma conscience. L’espace d’un instant, j’imagine même dire à cette femme que j’ai changé d’idée. J’imagine comment ce serait de ne pas tenir compte de cette douleur lancinante et de remonter dans ma chambre pour être près d’Anna.
Mais c’est une chose à laquelle il est complètement stupide et inutile de penser, une chose que je n’ai absolument aucune raison de faire. Je place donc la main sur le bas du dos de Céleste et la conduis hors du bar. Je veux ce que je veux, et je l’aurai.
2. N.d.T.: Prononciation britannique de « hello ».
Vendu
« I’m starting to want you, more than I want to…
I just want to make you go away, but you taste like sugar. » (Like Sugar, par Matchbox Twenty)
Anna ne bouge pas quand je me glisse dans la chambre, au cœur de la nuit, et que je prends une autre douche. Son sommeil profond est un signe de sa nature trop confiante. Elle n’est jamais sur ses gardes, elle n’est jamais à l’écoute, elle est complètement inconsciente de ce qui l’entoure, ce qui est enrageant. Je ne veux pas avoir à me soucier de sa sécurité une fois que ce voyage sera terminé. Je ne veux pas même avoir à penser à elle.
Pourtant, quand je m’endors, elle remplit mes rêves.
On commence à danser un quadrille ensemble sur cette horrible musique clinquante, et nous sommes tous les deux passablement bons. Mais c’est un de ces rêves qui sont tellement bizarres qu’on souhaiterait les avoir oubliés. Dans ce rêve, Céleste s’interpose entre nous quand nous dansons, ce qui met Anna en colère. Elle se glisse alors jusqu’au serveur, qu’elle se met à embrasser pour me rendre jaloux. Je me réveille tôt, troublé et frustré, seulement pour m’apercevoir que je m’y suis pris complètement de travers.
En effet, j’ai essayé d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Or, je n’aide pas ma cause en permettant qu’Anna sache que je couche avec d’autres femmes. La jalousie permet souvent de pousser les filles dans la direction que l’on veut qu’elles suivent, mais Anna, non. Elle ne se donnera pas pour m’empêcher d’aller avec une autre. Je fais donc le vœu d’être plus gentil pour le reste du voyage. Le soir, quand je m’en irai travailler, je ferai semblant de faire autre chose. Quel idiot j’ai été !
Après cette révélation, lors du petit déjeuner, je me sens joyeux, enjoué, surtout quand je m’aperçois qu’il y a longtemps qu’Anna m’a pardonné mon moment de destruction à la Hulk avec la lampe. Je flirte avec elle, je la taquine, lui donne toute mon attention. Je l’observe rougir et j’écoute son rire. Je suis déterminé à obtenir ce corps, même si ce doit être la dernière chose que j’accomplirai. Je la laisse même conduire.
Comme je ne m’attendais pas à ce qu’elle ait le pied aussi lourd, naturellement son besoin de vitesse me séduit. Pour me distraire, je joue sans cesse à des jeux sur mon téléphone.
— Est-ce que ça te dérange, si on s’arrête un instant ?
Je lève alors le regard sur la petite réserve amérindienne qui pique mon intérêt.
— Pas du tout.
Le Nouveau-Mexique est torride, d’une chaleur sèche qui me rappelle le cap occidental de l’Afrique du Sud. Cette réserve, avec son atmosphère d’antan, me donne un sentiment d’aise factice. Anna, elle, est dans son élément, voletant comme un papillon et souriant à tout le monde.
Je la regarde examiner des bijoux, et en particulier passer beaucoup de temps à regarder un collier en turquoise. C’est le bijou parfait pour elle, en forme de cœur. Elle le retourne, le soulève, le caresse presque, avant de regarder le prix et de le reposer rapidement, pour finalement s’éloigner. La curiosité m’attire à ses côtés. Il est évident qu’elle l’adore. Alors, pourquoi ne l’achète-t-elle pas ? C’est à cet instant que je me souviens de leurs problèmes financiers, à sa mère et à elle, qui sont du jamais vu pour un Neph. Apercevant le prix, je me sens indigné pour Anna. Elle devrait pouvoir avoir tout ce qu’elle veut.
— As-tu vu quelque chose qui te plaît ?
Je pense que je la surprends, car elle sursaute un peu et s’éloigne encore davantage du collier.
— Ouais, tous ces bijoux sont tellement beaux, n’est-ce pas ?
Un sentiment étrange lutte en moi. Elle ne reconnaîtra pas qu’elle aime le collier, comme si elle avait honte de le convoiter.
— Je… je peux t’en offrir un ?
À ces mots, son cou et ses joues deviennent roses.
— Oh, non, je n’ai besoin de rien, mais merci.
C’est déconcertant. Elle préférerait probablement mourir que de me demander de le lui acheter. Pourtant, elle le veut vraiment.
Holà. Je cligne des yeux, car je dois désespérément étudier les raisons derrière ce sentiment.
« Les filles aiment les cadeaux.
Cela lui fera penser que je me soucie d’elle.
Cette petite pierre précieuse pourrait m’aider à coucher avec elle. »
Ce sont bien mes seules raisons. N’est-ce pas ? En effet.
Vendu.
Mais pas devant elle, car je ne pense pas qu’elle me permettrait de l’acheter, et je ne veux pas provoquer une scène. Je l’envoie donc se rafraîchir dans la voiture pendant que je nous achète à boire. Le vieux type taillé au couteau me fait un signe de tête avec un air entendu quand je lui présente le collier et les boissons.
— Pour ton amoureuse, me dit-il de sa voix rugueuse et sèche.
À ces mots, j’ai l’estomac qui se renverse et je laisse échapper un rire sec.
— Non, rien du genre.
De nouveau, un signe de tête avec un autre air entendu, mais cette fois accompagné d’un sourire ironique. Je voudrais dire à ce vieil imbécile de retirer ses damnées paroles. Maintenant, je me sens nerveux. Je paye donc pour sortir aussi vite que possible, dans l’espoir qu’Anna n’était pas en train d’écouter.
Quand je remonte dans la voiture et lui tends sa boisson, elle ne se doute de rien. Puis, quand elle démarre en bavardant joyeusement, j’ai la tête qui bourdonne de pensées. J’ai envie de sourire sans raison valable en pensant à ce stupide collier que j’ai dans ma poche. Je voudrais me frapper en plein visage pour me rappeler que tout cela fait partie de mon plan, que je n’ai pas à y prendre tant de plaisir, que le plaisir viendra quand enfin elle sera nue.
— Est-ce que le Grand Canyon est sur notre chemin ? J’ai toujours voulu le voir.
Ce serait formidable. Sur mon téléphone, je consulte un plan de la région, mais cette recherche me déçoit. Nous n’avons pas le temps.
— Ce n’est pas tout à fait sur notre route, ça demanderait un détour de plus d’une heure. Mais voici ce que je te propose. Pourquoi ne pas y passer sur le chemin du retour, quand on ne sera plus pressés par le temps ?
Cette proposition semble la rendre joyeuse. Moi-même, je suis bien trop joyeux en ce moment, probablement parce que j’ai l’impression de la convaincre peu à peu.
Toutefois, je semble incapable de me débarrasser de cette impression de légèreté, même quand nous parlons de choses sérieuses. Après un moment de silence, Anna laissa échapper un petit rire.
— Qu’est-ce qui te prend ?
— Es-tu sûr qu’un Nephilim ne peut pas avoir d’influence ?
Cette étrange question me rend suspicieux. Les ducs sont assez puissants pour influencer les humains à l’aide de leurs paroles, et même pour provoquer des pensées chez eux. Ils ne peuvent les forcer à faire quoi que ce soit, mais ils peuvent les pousser fortement à le faire. Ce serait incroyable d’avoir cette capacité.
— À ce que je sache, seuls les ducs la possèdent, et tu peux me faire confiance, j’ai essayé, sans résultat.
Mais tout de même, mon assurance lui laisse un air sceptique.
Plus tard, nous nous arrêtons à un dépanneur pour aller au petit coin. Quand je m’approche de la porte pour sortir, j’ai le besoin le plus étrange de tourner sur moi-même, sur un pied. Et je le fais.
Un instant… Je viens tout juste de faire un pas de ballerine, en public.
« Mais qu’est-ce qui me prend ? »
C’est alors que, levant la tête, j’aperçois Anna se jeter dans une allée en perdant presque l’équilibre, tellement elle rit.
Non, ce n’est pas possible, j’en suis abasourdi. Il n’est pas possible qu’elle puisse influencer les gens comme l’un des ducs. N’est-ce pas ? Toutefois, je me souviens qu’elle est différente, qu’elle a deux anges pour parents, pas seulement un. Alors, qui sait quoi d’autre est possible ? Je suis débordant de fierté pour elle, mais aussi de jalousie pure, et tout de même un peu choqué qu’elle ait utilisé cette capacité sur moi.
— Ha, ha, ha, comme c’est drôle, dis-je en sortant du magasin tout en remuant la tête.
Puis, quand elle monte dans la voiture en essayant de ne pas rire, je dois me retenir physiquement de ne pas l’attraper pour lui rendre la monnaie de sa pièce, à la Kaidan.
Cependant, je m’amuse plus que jamais. C’est un sentiment irréfléchi, un sentiment stupide, mais je ne peux m’en débarrasser. Elle commence à me faire rire, et je ne peux m’arrêter. Ensemble, nous rions pour les trucs les plus bêtes, à tel point que j’arrête d’essayer de me rappeler que tout ça fait partie de mon plan. Je me dis plutôt que j’essaie tout simplement de la séduire.
Mais ensuite, je laisse aller toute pensée pour m’abandonner à cet état d’esprit.
Dans ces moments, il se produit une chose que je ne peux expliquer. Tout ce que je sais est que ça semble sain et que je ne peux le retenir. Je ne le veux pas.
Je me permets de le ressentir. Et c’est bon.