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Vivre avec
une douleur
chronique

Atténuer la douleur
pour une meilleure qualité de vie

Dr Michel Lorrain

médecin et massothérapeute

Vivre avec
une douleur
chronique

Atténuer la douleur
pour une meilleure qualité de vie

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Lorrain, Michel, 1944-, auteur

Vivre avec la douleur chronique : atténuer la douleur pour une meilleure qualité de vie / Dr Michel Lorrain.

Comprend des références bibliographiques.

ISBN 978-2-89571-300-5

1. Douleur chronique - Traitement. I. Titre.

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Révision : Sébastien Finance et Laurent Frotey

Infographie : Marie-Eve Guillot

Photo de lousineau, Photo Laplante

Éditeurs :

Les Éditions Véritas Québec

2555, ave Havre-des-Îles

Suite 315

Laval, Québec

H7W 4R4

450-687-3826

Sites Web : www.editionsveritasquebec.com

© Copyright : Michel Lorrain (2018)

Dépôt légal :

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives Canada

ISBN :

978-2-89571-300-5 version imprimée

978-2-89571-301-2 version numérique

PRÉFACE

C’est avec plaisir que l’Association québécoise de la douleur chronique (AQDC) voulons souligner l’engagement du Dr Michel Lorrain par ce livre. Il se dévoile personnellement, y apporte certaines pistes de réflexion et suggère simplement des avenues possibles pour le soulagement de la douleur chronique.

La douleur chronique coûte des sommes phénoménales à notre société, tant au niveau des soins que des pertes de ressources importantes dans le milieu du travail et sociétales. Elle touche la personne souffrante dans toutes les sphères d’activités de sa vie quotidienne, tant du point de vue physique, que du point de vue émotionnel et psychologique. Nous ne pouvons passer sous silence qu’avec le vieillissement de la population, on prévoit une augmentation du nombre de personnes affectées par la douleur chronique. Et comment traduire leur sentiment d’impuissance et la grande solitude qui en résulte.

Les personnes souffrantes bénéficient de ressources leur permettant de mieux comprendre le phénomène de la douleur dont :

Des associations comme la nôtre se sont formées pour leur donner de l’information;

Des réseaux fournissent différentes ressources matérielles, du support humain, des groupes de partage;

Les proches aidants jouent aussi un rôle de premier plan.

Dans le livre « Vivre avec une douleur chronique », le docteur Lorrain nous raconte comment il a appris à vivre avec sa maladie; il a protégé ses capacités restantes et développé de nouvelles habiletés. Il a découvert des ressources insoupçonnées jusque-là. Sans le savoir, il agissait sur les mécanismes internes de modulation de la douleur. La participation de la personne souffrante est un mécanisme qui entraîne un soulagement concret et bénéfique, afin de gérer autrement sa douleur chronique.

Je vous suggère de lire ce livre qui vous fera découvrir des approches simples, innovatrices et intéressantes dans le soulagement de la personne vivant avec la douleur chronique.

Au nom de l’Association québécoise de la douleur chronique (AQDC), je vous souhaite d’y puiser des solutions à votre portée. Bonne lecture,

Céline Charbonneau

Présidente

INTRODUCTION

Pourquoi écrire un autre livre sur la douleur alors qu’il y en a tant d’autres sur le marché. Il y aura des répétitions, certes; ce n’est pas inutile de rafraîchir sa mémoire, c’est une faculté qui oublie ! Impossible de tout retenir; les rappels consolident les acquis et font leur chemin en douce. Et qui plus est, mon approche personnelle dans la recherche de solutions innovatrices à un problème nouveau ou récurrent, peut éveiller la curiosité de nombreux lecteurs.

Je vous propose des façons intéressantes de vivre avec une douleur chronique à partir de mon expérience comme médecin de famille, massothérapeute et personne atteinte d’une spondylite ankylosante. Je compte puiser dans le mode de vie les ressources nécessaires pour contrecarrer les effets fâcheux de la douleur chronique.

À titre de médecin, j’ai eu l’occasion de traiter des patients aux prises avec des problèmes musculosquelettiques multiples, des tendinites, des bursites, des lombalgies, bref diverses affections responsables de douleurs chroniques. Les personnes sévèrement atteintes étaient dirigées en orthopédie pour des infiltrations de cortisone ou des traitements chirurgicaux. D’autres étaient orientés en rééducation physique.

J’ai prodigué des soins à des malades atteints d’arthrite, de fibromyalgie, de migraines, d’arthrose sévère de la colonne et de douleurs post-opératoires. Mes interventions se limitaient la plupart du temps à prescrire des antidouleurs et des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Des confrères rhumatologues prenaient en charge les cas les plus sérieux. Je faisais appel à la physiothérapie pour la réadaptation de certaines incapacités musculosquelettiques. Il va s’en dire que ma formation médicale était insuffisante pour répondre aux problèmes physiques, psychologiques et comportementaux des patients souffrant de douleurs chroniques.

J’ai vécu les tourments d’une douleur invalidante pendant de nombreuses années. J’ai connu des moments difficiles. C’est à l’âge de 20 ans environ que j’ai appris que je souffrais d’une spondylite ankylosante. Il me fallait vivre avec cette tare qui me privait de capacités physiques essentielles à la pleine jouissance de ma vie. J’avais plusieurs deuils à faire. J’excellais dans les sports. Je n’étais pas préparé à une telle réalité. J’étais inquiet. Je pressentais un avenir sombre. J’ai dû réapprendre à vivre autrement.

Mon parcours de vie a pris une tangente heureuse grâce à mon choix professionnel. Les études de médecine m’épargnaient les contraintes d’une carrière exigeante du point de vue physique. J’aurais été incapable de m’exposer à des postures inconfortables ou de fournir des efforts pour pousser, tirer ou soulever des charges lourdes. J’ai dû chercher des activités physiques adaptées à ma condition. J’ai découvert un intérêt insoupçonné pour les arts. Ces pôles d’attraction m’ont grandement aidé à vivre avec ma maladie. J’ignorais cependant par quels mécanismes physiologiques j’atténuais l’intensité de mes douleurs.

C’est en découvrant les bienfaits du massage que je me suis intéressé aux pouvoirs thérapeutiques du toucher. J’avais 60 ans. J’ai suivi avec ma conjointe une formation de plus de 1 300 heures en massothérapie. C’est grâce à elle si je me suis retrouvé sur les bancs de l’école. Elle m’a beaucoup encouragé à suivre des cours dans cette discipline. Une forme intéressante d’aide, dont le but visé était de me soustraire le plus possible à la douleur.

J’ai abandonné après quelques années la pratique de la massothérapie en clinique privée pour me consacrer au soulagement de la douleur. J’avais compris que le massage avait des effets bénéfiques bien au-delà de la relaxation. J’ai fait de nombreuses lectures en neurophysiologie de la douleur et en neuroplasticité du cerveau. J’ai constaté qu’on pouvait agir sur les mécanismes internes de modulation de la douleur. La neuroplasticité du cerveau m’a appris que l’apprentissage assidu de nouvelles activités pouvait faire compétition aux réseaux nerveux de la douleur.

Ces découvertes m’ont fait comprendre comment j’avais réussi à diminuer ma consommation de médicaments pour réduire ma douleur et comment j’en étais arrivé à vivre confortablement avec elle. C’est cette expérience que je veux vous partager.

Nous allons nous attarder sur les actions que vous pouvez faire entre deux visites chez le médecin ou le thérapeute. Vous êtes souvent laissés à vous-même avec des flacons de pilules contre la douleur. Malgré la souffrance, nous allons voir comment vous pouvez améliorer votre bien-être. Il est possible non seulement d’atténuer votre douleur, mais aussi de contrecarrer ses effets pervers. La douleur chronique est accompagnée de limitations fonctionnelles qui perturbent toutes les sphères de la vie quotidienne.

La douleur chronique est un phénomène complexe qui nécessite souvent plusieurs approches thérapeutiques. La participation active de la personne souffrante est essentielle au contrôle efficace de ses composantes.

Vous n’avez pas le choix, vous devez continuer à vivre avec une douleur chronique. Que le diagnostic soit précisé ou non, la suite des événements vous appartient. Comment voulez-vous vivre votre vie ? Comme une victime ? Ou comme quelqu’un qui croit que la vie ne s’arrête pas là. Vous pouvez expérimenter des activités intéressantes et valorisantes pour la rendre meilleure. Beaucoup de gens y sont parvenus. Vous pouvez y arriver vous aussi, croyez-moi.

La douleur change au cours de la journée et selon les circonstances. Pourquoi ne pas faire en sorte qu’elle soit moins intense ? On peut agir sur les facteurs qui l’aggravent ou l’atténuent. Le journal de la douleur est un outil très utile pour en traquer les causes et déterminer les traitements efficaces.

La médecine des sens présente des avantages non négligeables dans le vécu quotidien de la personne souffrante. Les sens sont d’excellents systèmes d’alarmes pour prévenir l’individu d’un danger quelconque. Ils procurent aussi d’agréables sensations qui atténuent temporairement la douleur.

Beaucoup d’activités d’apprentissage mobilisent de nombreux neurotransmetteurs responsables de la diminution de la douleur. Elles favorisent le développement de réseaux nerveux compétitifs à celui de la douleur chronique. Un moyen très efficace de la soulager à moyen et long terme.

Nous allons aussi nous arrêter sur quelques modalités thérapeutiques particulières dans le soulagement de la douleur. Les médicaments font partie de l’arsenal thérapeutique de base. Il est important pour la personne souffrante de bien se familiariser avec les recommandations du pharmacien pour un maximum d’effets thérapeutiques. On ne peut passer sous silence le rôle de l’alimentation dans l’inflammation. Les recherches à ce sujet sont éloquentes. Le conditionnement physique joue un rôle de premier plan dans le soulagement de la douleur et dans la prévention de l’ankylose. C’est la pierre angulaire de tout traitement. Nous conclurons ce chapitre en parlant du rôle de la relaxation et de la méditation dans le traitement des composantes psychologiques et comportementales de la douleur.

Il ne faut pas mésestimer le support des associations, des cliniques de la douleur et des proches aidants qui entourent les personnes souffrantes. Ce sont des ressources inestimables.

Dans ce livre, je ne parlerai pas des différentes maladies responsables de la douleur chronique comme l’arthrite, la fibromyalgie, les douleurs post-opératoires, etc. La douleur chronique est considérée aujourd’hui comme une véritable maladie. Je vais la considérer comme telle, au même titre que les autres maladies. Je ne prêterai pas non plus attention aux douleurs cancéreuses étant donné qu’elles fluctuent selon l’évolution de la maladie et de ses traitements. Certaines recommandations peuvent cependant y trouver des applications.

Commençons notre exploration de la douleur chronique en traçant les caractéristiques de la spondylite ankylosante; cette maladie qui a envahi ma colonne vertébrale pendant près de 50 ans. Je comprends les personnes qui souffrent de douleurs chroniques. J’ai souffert, moi aussi, de l’incapacité de vivre une vie normale, de progresser dans l’action comme tout le monde. Ce boulet m’a obligé à planifier jour après jour des activités de la vie quotidienne. Je suis heureux de vous partager les aléas de mon expérience avec la douleur et les moyens que j’ai mis en œuvre pour l’atténuer afin de me préserver une certaine qualité de vie. Je vous invite à « vivre avec une douleur chronique ».

Une mise en garde s’impose : ce livre contient des commentaires, des témoignages et des réflexions qui pourraient déplaire ou brusquer certains lecteurs. Prière de vous attarder plus longuement au message plutôt qu’au messager.

CHAPITRE 1

Un lourd fardeau à porter

Les souvenirs entourant le début de ma maladie restent vagues dans mon esprit. Je crois que c’est au début de la vingtaine qu’on m’a diagnostiqué une spondylite ankylosante. Je revois encore le rhumatologue jeter un dernier coup d’œil à mes résultats de laboratoire et aux radiographies de ma colonne lombaire et mes articulations sacro-iliaques. « Vous avez, jeune homme, une arthrite inflammatoire qui s’attaque à la colonne; je vais vous prescrire des anti-inflammatoires et des antidouleurs. » Je devais avoir l’air hébété : je n’ai pas posé de questions. Je sentais que mon avenir s’annonçait nébuleux. J’ai hésité un bon moment avant de consulter un livre de médecine interne, une véritable encyclopédie des maladies avec leurs manifestations cliniques. J’anticipais de mauvaises nouvelles. Je devais être au début de mes études de médecine.

En fouillant dans ma mémoire, je me souviens d’un événement qui m’a conduit à l’hôpital une année ou deux avant ma consultation en rhumatologie. Alors que je portais le ballon lors d’une joute de football, un adversaire m’a plaqué au sol. On m’a transporté en ambulance à l’hôpital. Après avoir évalué ma condition, on m’a donné une injection d’analgésique pour soulager la douleur; puis, je suis sorti de l’hôpital avec une prescription d’antidouleurs. C’était le début de la fin pour les sports de contact.

Je ne pouvais plus jouer au hockey sans ressentir une douleur atroce au bas du dos. Je me tenais tranquille pendant plusieurs jours. Je n’arrivais pas à trouver de postures confortables pour atténuer ma douleur. Mon médecin de famille m’a référé en orthopédie. On m’a prescrit de la physiothérapie. Certains de mes traitements avaient lieu en fin de matinée. Ils consistaient essentiellement en des tractions vertébrales avec un système de poulies attachées à mon bassin. Dès que les aiguilles de l’horloge pointaient midi, le technicien s’empressait de me libérer de mon carcan avant d’aller dîner. Imaginez le rebond dans ma colonne quand les ressorts retrouvaient leur position originale. Un vrai calvaire ! Personne pour m’aider à me relever. Je souffrais le martyre. Il me fallait 15 à 20 minutes pour me redresser. J’en avais les larmes aux yeux. Je ne pouvais plus endurer cette souffrance plus longtemps. J’ai dû abandonner mes traitements au bout de quelques semaines. J’ai cessé toutes mes activités physiques. J’avais moins de douleur; en tout cas, elles étaient plus tolérables. J’avais perdu espoir qu’on trouve une solution à mon problème.

Même si je ne pratiquais plus de sports, mes douleurs réapparaissaient sans raison après une posture prolongée. J’avais de la difficulté à me lever de ma chaise ou de mon fauteuil. Mes nuits de sommeil étaient fragmentées par des réveils fréquents et une insomnie matinale. Je me sentais constamment fatigué; mes études en souffraient. Je déclinais toute invitation à des activités potentiellement douloureuses. Ça me rendait malheureux. J’étais jeune et handicapé. Un mal mystérieux chamboulait mon existence. Dès que mon esprit s’emballait pour une activité de plein air, mon corps en souffrance me rappelait à l’ordre. Je n’en pouvais plus. Il me fallait faire quelque chose.

C’est à ce moment-là qu’un ami m’a conseillé de consulter un spécialiste en rhumatologie. Cela avait du sens. Je n’avais pas subi de traumatisme pour expliquer cette douleur chronique. Je n’ai pas hésité à le consulter. Il m’a longuement questionné et examiné avec attention. Il a mesuré l’expansion de ma cage thoracique en inspiration maximale, puis en expiration forcée. Il a ensuite évalué ma flexion antérieure du tronc. Je ne pouvais plus toucher mes orteils avec le bout des doigts. Il a colligé toutes ces informations dans mon dossier et m’a prescrit des examens de laboratoire et des examens radiologiques. Les résultats se sont avérés positifs pour une sacro-iliite, premier signe d’une spondylite ankylosante. Il s’agit d’une inflammation de l’articulation sacroiliaque qui se situe entre le sacrum et les os iliaques et qui forment le bassin. Vous connaissez la suite.

Il m’a fallu plusieurs semaines avant d’ouvrir la bible de la médecine, à la page 1900 pour y lire les informations suivantes :

La spondylite ankylosante est une maladie inflammatoire qui touche principalement la colonne vertébrale. On pense que les facteurs génétiques sont déterminants dans cette maladie. L’un de mes oncles, du côté maternel, en était affecté. Bref, il s’agit d’une maladie auto-immune. Mon système immunitaire développe des anticorps contre mes propres tissus. Il s’attaque entre autres aux ligaments qui relient les vertèbres entre eux. Ces derniers se calcifient pour donner des ponts osseux entre les vertèbres avec comme conséquence une rigidité progressive de la colonne. Je me voyais déambuler, sans souplesse, comme un robot. C’est dur à digérer lorsqu’on a 20 ans et que l’on pratique de nombreux sports…

Les manifestations cliniques n’étaient pas réjouissantes. Voici ce que disait mon gros livre de médecine à la page 1994 : « Le symptôme initial est généralement une douleur sourde, à début insidieux, ressentie profondément dans la région lombaire ou fessière, s’accompagnant d’une raideur matinale lombaire pouvant durer plusieurs heures, et qui s’améliore avec l’activité pour réapparaître dans les périodes d’inactivité. En quelques mois, la douleur a tendance à devenir persistante et bilatérale. Il est fréquent de noter une exacerbation nocturne qui oblige le patient à se lever et à se déplacer ». J’ai près de 74 ans et il m’arrive encore d’avoir mal au dos. Des douleurs chroniques d’intensité variable du rachis lombaire au rachis cervical. Occasionnellement, des douleurs aux hanches et aux épaules. Heureusement qu’elles ont diminué; cependant, il persiste toujours des raideurs articulaires.

Il est opportun à ce stade de clarifier quelques signes qui distinguent l’arthrite de l’arthrose : la douleur de l’arthrite apparaît au repos pour diminuer avec l’activité physique, tandis que c’est le contraire avec l’arthrose : elle se manifeste par des douleurs lors d’activités physiques pour diminuer avec le repos. On associe souvent l’arthrose à la dégénérescence du cartilage articulaire.

Quelques précisions au sujet de la réaction inflammatoire : lorsqu’il y a une stimulation assez intense (dans ce cas-ci, une agression tissulaire par mes anticorps) pour être dommageable pour l’organisme (nuisible pour la santé), il y a le déclenchement d’une réaction inflammatoire. C’est l’ensemble des mécanismes locaux de défense immunitaire et de réparation tissulaire.

Dans mon cas, l’attaque des tissus sains (les ligaments entre les vertèbres) par les anticorps provoque une lésion ou une blessure de ces tissus. Un signal est envoyé au cerveau. Une alarme est déclenchée, c’est la douleur. Le système de défense de l’organisme envoie toutes sortes de substances chimiques sur les lieux de la lésion pour la circonscrire et commencer la réparation. Ces médiateurs chimiques irritent les terminaisons nerveuses responsables d’avertir le cerveau d’un danger quelconque. Il y a une hypersensibilité à la douleur.

Prenons l’exemple d’une réaction inflammatoire en périphérie. Imaginons que vous avez un corps étranger dans le doigt. La blessure envoie au cerveau un signal d’alarme pour le prévenir d’une agression à votre doigt. La douleur apparaît aussitôt. Le cerveau vous prévient de réagir promptement. Il faudra le retirer pour éviter une infection. Entre temps, le système immunitaire s’est manifesté : il a envoyé des médiateurs chimiques pour dilater les vaisseaux sanguins afin d’apporter de l’oxygène et des nutriments au site de la lésion. Cette vasodilatation est responsable de la rougeur et de la chaleur au site du corps étranger. Ce sont les substances chimiques qui sont responsables de la douleur. Elles irritent les terminaisons nerveuses libres. L’enflure au site de la lésion est due au bris des cellules et à l’écoulement sanguin à l’endroit de la blessure. Un peu compliqué tout ça, je l’avoue. Mais ô combien important dans la compréhension du comportement de la douleur.

Tentons une métaphore pour mieux concevoir ce qui se passe. Imaginons un début d’incendie (l’agresseur). La fumée déclenche une alarme. Quelqu’un prend en charge la situation : il désigne une personne pour alerter les pompiers et une autre pour évacuer les gens, etc. Les pompiers éteignent le feu afin de limiter les dégâts. Puis, on fait venir des entrepreneurs (système immunitaire) pour commencer les réparations.

Fermons cette parenthèse et revenons aux révélations de mon gros livre de médecine. Plus je lisais et plus je me reconnaissais dans la description des symptômes.

Les signes physiques n’ont pas tardé à se manifester. J’ai commencé à perdre de la mobilité au niveau de la région lombaire avec des limitations en flexion, en extension, et en flexion latérale. Il m’était impossible de gonfler la cage thoracique en inspiration profonde. Tout ça s’est compliqué avec une contracture musculaire en réaction à la douleur et à l’inflammation. De chaque côté de la colonne, mes muscles devenaient de plus en plus durs et tendus. J’avais l’impression qu’ils emprisonnaient ma colonne.

Impossible de soulever, de pousser ou de tirer une charge lourde. Je devais m’assoir le dos, droit. Je perdais graduellement la lordose lombaire, cette courbure qui fait un creux au bas du dos. J’arrivais à compenser mes limitations fonctionnelles en fléchissant les hanches. Tout ça s’est fait graduellement. En perdant la lordose lombaire, mon dos s’est mis à se courber vers l’avant. La cyphose dorsale s’accentuait. Je rapetissais. J’ai perdu au moins cinq centimètres en hauteur. Je réalisais à quel point j’étais chanceux de poursuivre des études. Je n’aurais pas été capable de travailler physiquement.

J’ai eu la chance d’avoir de bons amis qui ont pris soin de moi. On n’a jamais hésité à m’aider pour quelques travaux exigeants. Ils m’ont accepté tel que j’étais. Ils m’ont permis de vivre sans gêne mon handicap. Je pouvais leur demander de l’aide; jamais ils ne m’ont fait sentir que je les dérangeais. Je leur serai toujours reconnaissant. Ce sont ces gestes gratuits qui m’ont aidé à supporter ma maladie.

Je redoutais une atteinte de la colonne cervicale. La maladie ne m’a pas épargné. Mes anticorps l’ont envahie sans crier gare. Je sentais mon cou devenir de plus en plus raide. Je ne voulais pas ankyloser, la tête inclinée vers l’avant. J’ai fait énormément d’exercices pour maintenir une posture fonctionnelle et préserver l’amplitude de mes mouvements. J’ai courbé quelque peu; je crois avoir évité le pire, soit la tête inclinée vers le sol. Je me souviens de la première fois où j’ai vu un patient affecté de ce handicap. Il avait la tête inclinée à 90 degrés. J’ai ressenti un véritable choc. J’entrevoyais toutes les difficultés liées à cette ankylose en flexion. Impossible de relever la tête, incapacité totale de conduire mon auto, risque de fracture de la colonne cervicale avec toutes les séquelles que cela pouvait entraîner sur la moelle épinière.

Je me revois encore, le dos au mur, à pousser sur mon menton pour relever la tête et faire des exercices d’extension au sol. Mes efforts ont porté fruit. Mon cou est incliné vers l’avant certes, mais pas de façon dramatique. De plus j’ai suffisamment de mobilité au rachis cervical pour tourner la tête et regarder dans les rétroviseurs de mon auto. Avec une petite rotation des hanches j’arrive à voir mes angles morts. Avec le temps, on développe des mécanismes de compensation.

Malgré cela, je n’ai pas trouvé de réconfort dans ma bible médicale : « ». Rien de rassurant. Une épée de Damoclès sur ma tête. Un danger constant me guette.