image

La première fois de
Sarah-Jeanne

Marie Gray

La première fois de
Sarah-Jeanne

ROMAN

image

Guy Saint-Jean Éditeur

4490, rue Garand

Laval (Québec) Canada H7L 5Z6

450 663-1777

info@saint-jeanediteur.com

saint-jeanediteur.com

• • • • • • • • • • • • • • • • •

Données de catalogage avant publication disponibles à Bibliothèque et Archives nationales du Québec et à Bibliothèque et Archives Canada

• • • • • • • • • • • • • • • • •

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada ainsi que celle de la SODEC pour nos activités d’édition. Nous remercions le Conseil des arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.

image

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC

© Guy Saint-Jean Éditeur inc., 2009, pour l’édition originale.

© Guy Saint-Jean Éditeur inc., 2018, pour cette nouvelle édition.

Révision: Johanne Hamel

Correction d’épreuves: Audrey Faille

Conception graphique: Christiane Séguin

Photo de la page couverture: © Depositphotos/EpicStockMedia

Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2018

ISBN: 978-2-89758-576-1

ISBN EPUB: 978-2-89758-577-8

ISBN PDF: 978-2-89758-578-5

Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Toute reproduction ou exploitation d’un extrait du fichier EPUB ou PDF de ce livre autre qu’un téléchargement légal constitue une infraction au droit d’auteur et est passible de poursuites pénales ou civiles pouvant entraîner des pénalités ou le paiement de dommages et intérêts.

Imprimé au Canada

1re impression, septembre 2018

image

Guy Saint-Jean Éditeur est membre de
l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL).

Je dédie ce livre à tous ceux que j’aime
et, surtout, à toi… Oui, oui, toi qui tiens
ce livre et t’apprêtes à le lire. Qui que
tu sois, où que tu sois.
Merci d’être là

Marie

TABLE DES MATIÈRES

PrologueLe jour J…

Chapitre 1Une nouvelle vie

Chapitre 2Mélodie

Chapitre 3L’annonce

Chapitre 4L’audition

Chapitre 5ZigZog

Chapitre 6Un gros nuage

Chapitre 7La nouvelle Sarah-Jeanne

Chapitre 8Questions et décisions

Chapitre 9Le party d’Halloween

Chapitre 10Un réveil brutal

Chapitre 11L’histoire de Julianne

Chapitre 12Un simple «incident»?

Chapitre 13Frédérick

Chapitre 14La vie reprend son cours

Chapitre 15Existence

Chapitre 16Frédérick (bis)

Chapitre 17Complicité

Chapitre 18De surprise en surprise

Chapitre 19Sweet Sixteen

Chapitre 20La guerre

Chapitre 21Les cachotteries de Mélo

Chapitre 22Whoaaa!

Chapitre 23La dernière chanson…

Épilogue

Remerciements

PROLOGUE

Le jour J…

Eh oui! J’en suis là, à attendre le jour J. Moi, Sarah-Jeanne Marchand, je l’attends, je l’espère. Quand exactement arrivera-t-il? Je n’en sais absolument rien, mais je sens que ce sera très bientôt. Le jour où nous serons enfin seuls. Tout seuls chez lui. Ma mère ne m’attendra pas, nous aurons tout notre temps…

Nous savons tous les deux que ce moment important est imminent; nous l’espérons et l’anticipons depuis plusieurs semaines. Des semaines qui nous ont paru interminables, mais qui, en même temps, étaient tellement remplies de toutes sortes d’émotions qu’elles sont passées à la vitesse de l’éclair. De toute manière, cette attente était nécessaire, question de bien faire les choses. LA chose. Car oui, bien sûr, il est question de ça. Cette fameuse chose qui fera enfin de moi, indiscutablement et pour le reste de ma vie, une femme…

Après tous les événements des derniers mois, j’ai pourtant l’impression de ne plus être une petite fille ni même une ado, réellement. Mais ça, et avec lui, ce sera véritablement l’étape ultime, la vraie de vraie de vraie preuve que j’arrive à l’âge adulte.

«Ta première fois, tu vas t’en rappeler toute ta vie. Organise-toi donc pour que ce soit un bon souvenir…»

Cette phrase de ma grande sœur Nadia me trotte inlassablement dans la tête, comme une chanson dont on n’arrive pas à se débarrasser. Cette toute petite phrase a pris, au fil du temps, une signification bien différente de ce qu’elle était au début, et pour plusieurs raisons, mais surtout parce que maintenant, après tout ce qui s’est passé, je la comprends. Totalement.

Dans les bras de celui qui est devenu mon amoureux, mon ami, mon confident, celui avec qui j’ai déjà vécu plusieurs «premières fois» de toutes sortes de choses, je serai bien. Ses lèvres si douces dans mon cou et ses mains qui se baladeront tendrement sur mon corps, amoureusement, ses doigts qui me donneront mille caresses partout. Ouf! Je veux être bien. Ses mains, ses lèvres, je les veux là, sur chaque parcelle de mon corps et sur mon cœur aussi, même si elles y sont déjà. Car je sais enfin que Nadia avait raison et que j’ai bien fait d’attendre le bon moment, avec la bonne personne, au bon endroit, pour faire cet acte qui est, en quelque sorte, le couronnement de tout ce que nous venons de vivre ensemble. Oui, je me souviendrai de ce moment toute ma vie…

Il me déshabillera, caressera mes seins à travers mon soutien-gorge et mon cœur s’emballera, comme chaque fois qu’il s’approche de moi. Des frissons de plaisir et d’anticipation et, avouons-le, une certaine nervosité aussi, me parcourront sans relâche et je sentirai une bosse bien dure gonfler le devant de son pantalon. Je me sentirai belle, désirée…, mais serai-je à la hauteur de ses attentes? Sera-t-il déçu? Je suis si inexpérimentée. Mais il me rassurera. La chaleur de son étreinte me dira que tout va bien se passer, que je n’ai rien à craindre, qu’il fera tout pour que ce moment soit mémorable et doux. Nous avons tout prévu, tout préparé. Je l’aime, et je sais qu’il m’aime aussi.

Comme une litanie, la phrase de ma sœur me revient en tête…

Quand Nadia s’était mise à me parler de cette fameuse «première fois», je ne comprenais pas trop pourquoi elle en faisait tout un plat. J’étais curieuse. À l’époque, tout ça était encore bien mystérieux pour moi. Je n’avais que quatorze ans et je me croyais totalement amoureuse de Justin, qui en avait presque seize. Je savais que Justin voulait qu’on «aille plus loin», mais tout ça était encore très flou dans ma tête. Je me contentais très bien de nos caresses du moment et je n’étais absolument pas pressée de voir ce qui venait après! J’étais donc tiraillée entre cette constatation et le fait, bien réel, que je ne voulais pas qu’il se désintéresse de moi ou me trouve «immature», ce fameux mot si détestable. Je ne savais pas trop comment réagir. Bien sûr, les caresses que nous nous échangions étaient, hmmm! très, TRÈS agréables. J’adorais sentir son corps chaud contre le mien, et nos baisers insistants me rendaient tout à l’envers, j’en avais les jambes molles. Il y en a eu beaucoup, en fait, des «premières fois», des moments d’intimité que je n’aurais voulu vivre qu’avec lui, durant ces semaines. Mais de là à… faire l’amour?? Whoaaa! Ce que nous faisions me suffisait bien pour le moment, et j’espérais naïvement qu’il en allait de même pour Justin…

Nadia, de quatre ans mon aînée et qui, à l’époque, habitait encore chez nous, avait accueilli mes confidences avec joie, jouant son rôle de «connaissante» avec un plaisir évident. Depuis qu’elle était devenue une ado, elle avait pris ses distances avec moi et il y avait longtemps qu’elle ne s’était pas attardée à mes interrogations de petite fille. Mais là, le sujet l’intéressait! Elle avait donc poursuivi sur sa lancée: «Tu sais, la première fois, ça peut être magique. Extraordinaire. Mais ça peut aussi être très, très décevant, ou même carrément l’enfer, si tu le veux pas vraiment. Si t’es pas sûre, attends. S’il t’aime vraiment, il va comprendre. Sinon, c’est pas le bon. Et puis… vous avez des condoms?»

Cette dernière recommandation m’avait fait l’effet d’une douche froide. Des condoms? Euh… bien sûr, oui. Mais, quand même, ouache! Oui, je savais bien qu’il fallait faire très attention, se protéger et tout le reste. J’avais bien entendu les leçons et tous les avertissements d’usage qui n’avaient réussi, sur le coup, qu’à me convaincre que Justin et moi avions tout notre temps avant d’aller plus loin. Infections, grossesse, etc. Très romantique, tout ça! Et l’amour, là-dedans? Pour Justin et moi, justement, il s’agissait d’amour. Et puis, je lui faisais confiance…

«Oui, mais la confiance, c’est pas très efficace comme moyen de contraception!» Aïe, aïe, aïe. Comme c’était compliqué tout ça! Déjà, ce n’était pas facile de s’imaginer tout ce qui serait possiblement agréable, il fallait en plus penser à tout ce qui pouvait aller de travers!

J’avais cependant un problème, et du genre majeur. J’allais déménager bientôt et je voulais vraiment que Justin continue, malgré la distance, à m’aimer. Ce serait compliqué, mais il y avait sûrement moyen de poursuivre notre relation, non? J’aimais Justin à la folie. Et si nous faisions l’amour, si je lui offrais ce cadeau qui lui ferait plaisir, ne verrait-il pas à quel point je l’aimais et combien je tenais à lui? J’étais de plus en plus mêlée. Et puis, cette fameuse phrase de ma sœur, je n’étais pas si sûre de bien la comprendre. Qu’est-ce qui pourrait, au juste, aller de travers?

Il ne me fallut que quelques mois pour enfin y voir plus clair. Tout ce qui se passa par la suite me montra de façon très éloquente que les choses ne sont pas toujours aussi simples qu’elles en ont l’air et que j’avais encore bien des choses à apprendre. Et ça, la Vie s’en est très bien chargée…

CHAPITRE 1

Une nouvelle vie

La rentrée scolaire s’annonçait pénible cette année. Nous venions d’emménager, la semaine précédente, dans notre nouvelle maison, à plus de deux cents kilomètres de ce que je devais déjà appeler mon ancienne vie. Ma mère s’était fait offrir un poste alléchant ici et Michel, mon beau-père, n’avait eu aucun mal à trouver, lui aussi, un meilleur emploi. Nadia, quant à elle, avait choisi d’aller vivre en résidence à l’université où elle allait étudier, à quelque deux heures de route. Elle venait de s’installer là-bas, mais elle me manquait déjà terriblement. Même si je ne passais pas beaucoup de temps avec elle, nos occupations étant plutôt différentes, son absence faisait un bouleversement de plus. Et je trouvais qu’il y en avait suffisamment comme ça!

Quand ma mère m’avait annoncé ce changement, je l’avais assez difficilement encaissé même si je savais que ça arriverait un jour ou l’autre… J’avais fini par me faire à l’idée, tant bien que mal. Il y avait si longtemps qu’elle espérait ce transfert; je savais avec quelle impatience elle avait attendu cette occasion. Depuis la mort de mon père, en fait.

Je n’ai pas vraiment connu mon père. Il est décédé dans un accident de voiture alors que j’avais à peine deux ans. Nadia a quelques souvenirs de lui, mais ils sont de plus en plus vagues… et elle n’arrive pas à être certaine s’il s’agit réellement de souvenirs ou si ce ne sont que des images émanant de toutes les photos que ma mère conserve si précieusement. Ma mère voulait quitter cette maison, ce quartier qui nous avait vues naître. Elle semblait bien guérie – surtout depuis Michel, qu’elle avait rencontré cinq ans plus tard –, mais ce changement, cette nouvelle vie qu’elle pouvait commencer ailleurs avec lui, signifiait, enfin, qu’elle pouvait définitivement tourner la page.

Donc, pour moi, pour nous, tout était nouveau. Je n’avais même pas eu le temps d’explorer les alentours avant la rentrée scolaire, encore moins de me faire des amis. À peine quelques jours pour installer ma nouvelle chambre, aider ma mère et Michel à tout placer dans les autres pièces et voilà, la rentrée. Nouvelle ville, nouvelle école, rien de familier. Rien du tout.

Je m’éveillai, ce premier matin-là, remplie de bonnes intentions et bien décidée à passer une belle journée malgré l’angoisse qui me donnait des crampes. J’avais passé la nuit précédente – la semaine entière, en fait! – à essayer d’imaginer comment les choses se passeraient. Ma mère et Nadia, qui m’avait téléphoné la veille pour me souhaiter bonne chance, disaient toutes les deux que le plus difficile serait la première semaine. On verrait bien. J’espérais qu’elles avaient raison et je me disais que je pouvais bien attendre une semaine avant de m’énerver. Une semaine, ça pouvait passer vite ou à une lenteur infernale… «Ça, ça dépend de toi! avait dit Nadia. Si tu restes dans ton coin et que tu longes les murs, c’est sûr que ça va être long et pénible…, mais c’est pas vraiment ton genre, hein, sœurette?» C’est vrai. Je ne suis pas de nature timide ou réservée. Mais quand même, n’aurais-je pas pu connaître au moins une personne à cette nouvelle école? Une seule? Je m’accrochai au conseil de Nadia. Elle avait souvent raison. Je savais bien qu’elle jouait à la grande sœur rassurante, car c’était souvent son rôle! Elle avait cette façon de me faire sentir son affection, sa bienveillance. Malgré la distance qui allait nous séparer désormais, je savais que je resterais sa petite sœur, qu’elle veillerait sur moi de loin. Et comme je savais qu’elle commençait une toute nouvelle vie aussi remplie d’inconnus que le serait la mienne, je décidai d’être courageuse. Si elle y arrivait, j’y arriverais aussi!

Pour me donner une contenance en me rendant à mon arrêt d’autobus scolaire – ça aussi, c’était nouveau, avant je pouvais marcher jusqu’à l’école –, je tentai de me mettre de bonne humeur avec mes chansons préférées. Chaque refrain s’écoulant de mes écouteurs me donnait du courage. Tant mieux, car voir la foule qui attendait l’autobus, au moins une vingtaine de gars et de filles de tous les genres, faisait voleter une centaine de papillons dans mon ventre.

J’aperçus un petit talus gazonné et agréablement désert et je choisis de m’y installer en espérant que l’autobus ne tarderait pas trop. Je me demandai vaguement si je ne devrais pas mettre la musique de côté et tenter de me joindre à une conversation, mais je n’en eus pas le courage. Demain, peut-être. Une chose à la fois! Faudrait pas exagérer! Je préférai plutôt me livrer à un petit exercice d’observation, le regard bien en sécurité derrière mes lunettes fumées.

Il y avait évidemment des jeunes de tous les genres. Eh oui! Même si je me sentais dans un tout nouvel univers, je dus admettre que ceux et celles qui attendaient l’autobus avec moi ressemblaient en tous points aux jeunes de mon ancienne école: mêmes styles, mêmes groupes, mêmes cliques. Aucun extraterrestre à l’horizon. Cette idée me fit sourire et j’entrepris mon examen. Ici, trois filles très jolies, toutes bien maquillées, un peu trop «poupounes» à mon goût, jupettes assorties et décolletés bronzés bien en évidence. Là, une fille et deux gars, du genre plutôt sportif, casquettes sur la tête et écouteurs sur les oreilles. Plus loin, une fille à l’air timide, et surtout encore très endormie, se tenait à l’écart. Je me disais que je pourrais peut-être aller la voir, mais au moment où je passais cette réflexion, elle fit un signe de la main à un couple qui approchait. Deux autres garçons partageaient une cigarette assez loin de moi; l’un d’eux parlait beaucoup trop fort à mon goût pour un petit matin de fin d’été et l’autre avait le visage entièrement couvert d’une acné spectaculaire.

Je vis finalement l’autobus arriver au moment où je me disais que je ferais sans doute la connaissance de quelques-uns d’entre eux d’ici les prochains jours. Je montai avec le troupeau, tentai de m’asseoir à plusieurs reprises et me fis bousculer et pousser de la hanche et du sac à dos. Je finis par atterrir à côté d’une fille bizarroïde qui tentait, c’est du moins ce que je pensais à cet instant, de se donner un air gothique, mais qui ne parvenait qu’à avoir l’air morbide et étrange.

D’une pâleur de mois de janvier, son visage témoignait d’un été passé à l’intérieur. Elle était vêtue de noir des pieds à la tête, mais c’était tout ce qu’elle semblait avoir adopté de l’esthétique gothique: elle portait une blouse de style poche de patates et un jean si ample qu’il devait appartenir à son père. Ses cheveux étaient teints en noir presque bleu, mais plusieurs mèches, d’un brun souris terne, semblaient avoir été «oubliées», intentionnellement ou pas. Elle avait sérieusement besoin d’une retouche et d’une manucure: ses ongles, rongés jusqu’à la peau, arboraient des restes de vernis noir écaillé. Sur son visage, pas la moindre trace de maquillage, ce qui accentuait ses cernes profonds. Je réalisai qu’elle aurait pu être jolie. Vraiment très jolie, en fait, mais elle semblait se donner beaucoup de mal pour ne pas l’être. Pour ça, au moins, l’effet était des plus réussis. Elle faisait vraiment peur à voir…

J’entendis quelques ricanements de la part des filles à jupettes et des commentaires hyper intelligents des gars à casquettes:

— Hey! Julianne, tu t’en vas où, de même? L’Halloween, c’est juste dans deux mois!

— Hey! le vampire, attention, le soleil va te faire crever!

Autres ricanements et autres remarques des plus insignifiantes… ça m’énerve tellement, ce genre de conneries! Pourquoi ne peuvent-ils pas seulement la laisser être weird tranquille? La fille ne semblait pas perturbée le moins du monde, comme si, en fait, elle ne les entendait même pas. Tant mieux pour elle! Dans une forme de solidarité, je tentai d’entamer la conversation:

— Salut. Moi, c’est Sarah-Jeanne.

— Grmblmm…

— Quoi? J’ai pas compris…

— J’ai dit «ouain, pis?»

— Eh boy! OK, c’est beau… j’ai rien dit.

Et je remis mes écouteurs en place, me disant que j’aurais dû la fermer au lieu d’essayer d’être gentille. Ouf! Quel début!

La journée se passa à peu près sans anicroche. Rien à signaler de spécial, ni de bon ni de mauvais. Un-peu-beaucoup perdue dans cette immense école, je m’étais ramassée au mauvais local deux fois, mais je n’étais pas en retard, alors pas de problème. Aucun souci apparent, du moins. Je pense que je réussis mon petit numéro de fille en contrôle, mais en dedans, dans mes tripes, c’était autre chose. Ah! l’orgueil, ça nous pousse, n’est-ce pas? Je mangeai seule, ce que je déteste, mais qui était quand même prévisible.

Au dessert, je sentis, à ma grande horreur et à mon grand désespoir, une boule se loger douloureusement dans ma gorge. Ah non! je n’allais quand même pas me mettre à pleurer comme un bébé! Le coup de cafard frappa. Je ne voulais pas être là. Je voulais mon ancienne vie, dans mon ancienne école, avec mes anciens amis. Là, tout de suite. Je voulais Stefany, mon amie de toujours, je voulais Justin, même si je savais qu’il m’avait probablement déjà oubliée, je voulais tout ravoir exactement comme avant. Je me levai précipitamment avant le déluge et sortis prendre l’air. Dehors, il restait encore assez de chaleur d’été pour me faire du bien. Je respirai avidement ce bon air, espérant avaler un peu de calme en même temps…

Peut-être est-ce la couleur du ciel ou encore la voix de Nadia me disant «Une semaine, Saja, donne-toi une semaine» qui me réconforta, toujours est-il que je me calmai avant même de verser ma première larme. «Saja: 1, l’école: 0», me dis-je. Et je pouffai. Un petit rire niaiseux, nerveux sans doute, mais un rire quand même. Cela me fit du bien. Je respirai profondément. Je l’apprivoiserais, cette école, tout doucement, mais j’y arriverais… Je repensai à ma réflexion sur les extraterrestres et me dis que cette école ressemblait bien, en fait, à mon ancienne. En mille fois plus grand et avec dix mille fois plus de monde, mais ce n’était, après tout, qu’une école. Je fis de mon mieux pour rester de bonne humeur et me donner du courage. Je savais bien que ce dont j’avais surtout besoin, c’était du temps…

Une autre journée passa, avec comme seul compagnon dans l’autobus un amateur de rap qui, trop absorbé par la musique que ses écouteurs crachaient à un volume presque ridicule, ne me jeta pas le moindre regard. Je ne me trompai qu’une seule fois de local, je dînai seule encore, avalant un spaghetti insipide mais sans boule dans la gorge cette fois, et retournai chez moi sans encombre.

Quand arriva le troisième jour, j’étais déjà plus à l’aise, mais il me tardait de rencontrer quelqu’un d’intéressant. J’avais bien sûr fait la connaissance de plusieurs personnes, mais aucune avec qui ça avait particulièrement cliqué. Et là, enfin, je rencontrai Mélodie. Ça arriva le midi alors que j’avais presque décidé, en dernier recours, de me joindre à quelques filles avec qui j’avais brièvement parlé durant mon cours de français. Elles étaient bien gentilles, mais ne semblaient pas s’intéresser spécialement à moi.

Mélodie faisait la queue devant moi à la cafétéria et soupirait d’impatience. Je la reconnaissais vaguement; elle était dans quelques-uns de mes cours. Jolie. Pétillante. De petites mèches roses dans ses cheveux blonds. Elle se retourna et m’adressa la parole:

— Si on est chanceuses, on pourra avoir notre repas à temps pour souper! Salut, moi, c’est Mélodie. T’es nouvelle, ici, hein? T’allais à quelle école, avant?

Nous avons bavardé en attendant notre repas. Puis, elle m’a invitée à manger avec elle et ses amis. Quel bonheur! Première lueur d’espoir dans la noirceur de cette nouvelle vie… Cet après-midi-là, je ne me perdis pas une seule fois. Et je passai le reste de la journée avec un grand, un très grand sourire sur le visage.

CHAPITRE 2

Mélodie

Je pus me rendre compte assez vite que Mélodie respirait la joie de vivre; elle était toujours radieuse. Ce fut avec un plaisir non contenu que je la retrouvai, le lendemain, dans mon cours de français. Tout portait à croire que nous pourrions devenir de bonnes amies. Elle était réellement sympathique et drôle: tant ses petites grimaces ironiques dans le dos du professeur de français, qui roulait ses «r» de façon exagérée, que son regard exaspéré quand quelqu’un posait une question idiote, me faisaient immanquablement pouffer de rire.

Elle décida d’être mon guide, mon ange gardien. Je dînai encore avec elle et ses amis et elle entreprit de me faire faire la grande tournée de l’école. Elle avait bien remarqué mon petit air désemparé aux changements de classe. Nous aimions les mêmes choses: musique, passe-temps, sports, émissions de télé, romans, tout! J’avais peine à croire à ma chance. Et en plus, Mélodie habitait assez près de chez moi, ce qui était en soi une forme de miracle. Sur plus de deux mille élèves, elle aurait très bien pu vivre à l’autre bout du monde! Je devins vite convaincue que Mélodie, avec son prénom tout en notes de musique, devait faire partie de mon destin…

En effet, la musique représentait, pour moi, bien plus qu’un loisir, bien plus que des chansons à la mode, bien plus que tout. C’était ma passion. Je chantais depuis que j’étais sortie du ventre de ma mère – c’est du moins ce qu’affirmait celle qui m’avait mise au monde –, je chantais partout, toujours, parfois dans ma tête, en silence, parfois à tue-tête dans ma chambre. Clairement, c’est en chantant que je gagnerais ma vie, et je la gagnerais très bien, puisque je serais, un jour, une chanteuse mondialement connue, adulée de millions de personnes. Mon band serait le meilleur, le plus déterminant de mon époque, une légende! Voilà, je m’emballais encore, comme chaque fois qu’il était question de musique et de chanter. Mais ce rêve si puissant faisait partie intégrante de chaque fibre de mon être. Une certitude.

C’est d’ailleurs le lendemain de notre rencontre que je le confiai à Mélodie. Je m’entendais si bien avec elle que je voulais voir tout de suite quelle serait sa réaction. Si elle me trouvait ridicule, prétentieuse, ou semblait prendre cette passion à la légère, peut-être, après tout, n’étions-nous pas faites pour nous entendre aussi bien que je le croyais. Il me semblait important qu’elle le sache, dès le début… C’était une façon, pour moi, de voir si je pouvais la considérer comme une «vraie» amie, une éventuelle best.

La seule autre à qui j’en avais déjà parlé, c’est Stefany, autrefois. Mais Stefany n’était plus là, elle ne répondait plus à mes messages, ne suivait plus mes publications sur Instagram ni ailleurs, ne retournait aucun de mes appels, ne donnait plus signe de vie… comme si elle avait disparu de la surface de la Terre durant l’été, depuis le jour où elle avait su que je déménageais.

J’avais tout essayé pour lui faire comprendre qu’on pourrait rester amies, mais elle m’en voulait… Comme si c’était ma faute! Comme si j’avais voulu partir à plus de deux cents kilomètres et quitter tous mes amis, et quitter Justin! J’avais mal à cause de cette «rupture». Stefany et moi étions amies depuis toujours: nous nous étions connues avant même d’aller à l’école, puisque nous fréquentions la même garderie. Nous avions fait tant de choses ensemble, partagé tant de joies, de peines, de rêves! J’avais passé avec elle toutes mes années du primaire. J’étais là quand elle avait eu la varicelle, et elle, quand je m’étais cassé la jambe en ski. C’est moi la première à qui elle avait confié vouloir un jour devenir vétérinaire, et c’est avec elle que j’avais projeté partir en voyage en Europe. Nous avions campé ensemble, gardé des enfants ensemble, tant parlé ensemble… Tout ça était maintenant terminé et par sa faute. J’étais convaincue que nous aurions pu continuer à nous voir, passer des fins de semaine chez l’une et chez l’autre. Mais elle en avait décidé autrement. J’étais blessée, fâchée. Je n’arrivais pas à comprendre son attitude, encore moins à l’accepter. Surtout quand j’avais su qu’à peine deux semaines après mon départ, Justin m’avait déjà remplacée, j’aurais bien aimé avoir Stefany à mes côtés, ou même par texto, Facetime ou au téléphone, pour me consoler. Croyait-elle que tout ça me faisait plaisir?

J’avais tout essayé, et je ne pouvais plus faire grand-chose. Mélodie était donc arrivée dans ma vie comme une bouée de sauvetage. Tout à coup, l’avenir me semblait moins morose. Elle avait toujours le mot pour me faire rire, me faisait connaître un tas d’autres élèves et tout ce qu’il y avait d’intéressant dans notre voisinage. Nous avions même décidé d’étudier ensemble, certains soirs, ce qui était nettement moins pénible que toute seule!

Au fil des jours, Mélodie et moi échangions davantage de réflexions sur toutes sortes de choses. Sa réaction devant mon rêve avait été extraordinaire: «Tu chantes? Pour de vrai!!! Ah! si tu savais comme je t’envie! J’ai déjà voulu chanter Frère Jacques à mon petit frère, mais je fausse tellement qu’il s’est mis à pleurer! Alors, t’imagines… J’aimerais TELLEMENT t’entendre chanter!!!» J’avais plus souvent entendu des commentaires du genre «ben oui, moi aussi, je chante!» accompagnés d’un regard moqueur; ou alors, la plupart des filles pensaient que je voulais juste me rendre intéressante. J’étais donc réticente à en parler, du moins, ici, dans cette nouvelle école. Quand je lui avais dit que j’aimerais bien, moi, être aussi bolée qu’elle en math, elle m’avait répondu: «C’est bien la première fois que quelqu’un me dit ça sans sous-entendre que je suis un peu bizarre… ou sans me demander des réponses d’examen!» et je sus alors que je pouvais être tout à fait moi-même avec elle. Et c’est exactement ce que je voulais, ce que nous voulions toutes les deux.

Au fil des jours et des semaines, Mélodie me dressait le portrait de quelques-unes des principales cliques de l’école: ceux et celles qu’il valait mieux éviter, avec en tête de liste le trio à jupettes, ceux et celles qu’il était bon d’avoir de notre côté – certaines filles bien placées au journal de l’école, entre autres – et enfin tous les autres comme les sportifs excessifs, les intellos et les exclus comme Julianne dont on ne savait trop que penser.

À propos d’elle, Mélodie était perplexe. Elle m’avait expliqué que Julianne était arrivée à l’école au début de l’année précédente. Une petite nouvelle, comme moi. Elle était alors une tout autre fille, appartenant même, à cette époque, à la clique des jupettes. Mélo ne la connaissait pas beaucoup, car elle était plus vieille que nous, mais elle avait entendu dire qu’elle avait un autre point en commun avec moi: elle chantait. Et, paraissait-il, très bien. Mélo croyait même qu’elle avait chanté, du moins quelque temps, avec ZigZog, le band de Sébastien Beaudry. Ce Sébastien qui, selon Mélo, n’avait presque rien d’humain tant il était beau, talentueux, sexy et tout le reste. Ses yeux brillaient et elle avait les pommettes rouges en m’en parlant. Je compris plus tard pourquoi et lui donnai raison.

Mélo me raconta aussi qu’au moment où l’année scolaire se terminait, Julianne avait changé du tout au tout. Du jour au lendemain. Elle l’avait croisée au tout début des vacances et c’était déjà une autre fille. Personne ne semblait savoir ce qui s’était passé pour provoquer ce changement, et ce mystère me fascina au plus haut point. Certaines rumeurs circulaient à propos d’un petit ami qui lui aurait fait du mal, mais sans plus de détails. Je me disais que si c’était le cas, le petit ami en question était vraiment un salaud… ou alors cette Julianne était vraiment fragile!

Mélodie semblait mieux renseignée sur les jupettes, même si son attitude face à elles était pour le moins hargneuse. Je fus étonnée du ton presque méchant qu’elle employa pour me les décrire. C’était tout à fait contraire à sa nature gentille et généreuse:

— Alissia, Annie-Jade et Alex, le trio d’enfer. Je les appelle les AAA à cause de leur prénom, mais aussi et surtout pour Aguicheuses Aucunement Anonymes. Je n’ai jamais eu la chance d’ajouter de J quelque part pour Julianne, mais comme elle avait l’air un peu moins pire que les trois autres, je lui donnais le bénéfice du doute… Si tu savais combien elles m’énervent, ces trois-là, depuis le début du secondaire!!! Tiens-toi loin d’elles, Saja, ça vaut mieux. Alex, surtout. Si par malheur t’es intéressée par quelqu’un, un gars, je veux dire, fais tout ce qu’il faut pour éviter qu’elles l’apprennent! Elles ont beau en être à leur dernière année de secondaire, elles n’hésiteraient pas à tout faire pour te le piquer en se rendant plus… disons, «intéressantes», si tu vois ce que je veux dire. Même si elles n’ont aucun intérêt envers le gars. Ça les amuse, je pense. Elles se croient tellement hot et sexy! On dirait que leur seule préoccupation, c’est de mener le plus grand nombre de gars par le bout du nez ou plutôt par le bout d’un autre organe… Je serais pas étonnée que la moitié des gars de l’école y aient goûté, à ces trois-là. Et j’exagère si peu…

Je décidai d’éviter de les juger, me disant que Mélo avait sans doute eu une ou plusieurs mauvaises expériences avec les fameuses AAA; j’étais certaine que le portrait presque caricatural qu’elle m’en faisait était exagéré, mais je garderais toutefois mes distances, ce qui ne serait pas trop difficile. Je ne les voyais que le matin et le soir, dans l’autobus, et elles ne semblaient pas me manifester le moindre intérêt. C’était donc parfait. Je continuai de me «tremper» dans ma nouvelle vie du mieux que je le pouvais. Le cours de musique était évidemment mon préféré, mais grâce à Mélo, je réussis même à apprécier les cours de chimie et de math, ce qui n’est pas peu dire. J’appréciais de plus en plus ce nouvel environnement, cette école, les profs et tout le reste, et j’y voyais de plus en plus de potentiel. Bref, je m’intégrais aussi doucement que je l’avais espéré et je m’amusais.

J’eus même le choc de rencontrer ou plutôt de voir, à une certaine distance, le fameux Sébastien Beaudry, le demi-dieu en personne. Je marchais avec Mélodie vers nos autobus respectifs lorsqu’elle s’arrêta net, me prit le bras et me dit:

— Essaie de continuer à respirer normalement.

— Quoi? Qu’est-ce qui se passe?

Et là, je le vis. Il était là, dans le stationnement, les fesses appuyées nonchalamment sur une voiture, les mains dans les poches, les jambes croisées. Apparemment, il venait chercher l’une ou l’autre des jupettes. Je trébuchai presque dans mes lacets. Un rêve. J’enregistrai tout, et tout semblait se passer lentement, comme dans un film au ralenti. La brise qui soulevait ses longues mèches blondes. La carrure de ses épaules. Son t-shirt blanc qui faisait si bien ressortir ses bras un peu musclés et bien bronzés. Ses lunettes fumées qui lui donnaient l’air d’une rock star, comme dans les magazines. Était-il possible qu’un tel spécimen de la race masculine soit si beau? De toute évidence, puisqu’il se tenait là, bien vivant. Mais, en bonne petite fille bien lucide, je retombai bien vite sur Terre et me dis que ce genre de gars là ne remarquerait jamais ma présence, même si nous étions seuls sur une île déserte. Hmmmm! Une île déserte avec lui…, ça donnait lieu à des scénarios bien intéressants!

Une des jupettes se précipita dans ses bras, interrompant du coup ma rêverie insensée.

— Ah bon! C’est elle cette semaine, dit Mélodie.

— Quoi? Qu’est-ce que tu veux dire?

— Oh rien! C’est pas important. Allez, viens, on va manquer notre autobus!

Eh oui! La Terre appelle Saja. Je tentai de me débarrasser de cette image d’île déserte et de beau blond et j’y parvins…, mais seulement plusieurs jours plus tard. Et les choses se passèrent assez bien un certain temps.

Mais un jour, tout se bouscula.

CHAPITRE 3

L’annonce

C’était après la deuxième période de cours, et les concepts de démocratie dans les pays industrialisés, d’économie nationale et de processus d’élections m’avaient assommée. Je me dirigeais lentement vers mon casier en tentant de digérer toutes ces notions encore obscures quand Mélodie arriva en courant, me prit par la main et m’entraîna, me propulsa presque, jusqu’au grand babillard à côté du local du journal de l’école. Avant que je puisse même lui demander ce qui se passait, elle me planta le nez devant une annonce imprimée sur papier bleu fluo, épinglée en plein centre. En grosses lettres noires, on pouvait y lire:

«Chanteuse avec expérience recherchée, band sérieux, 2 pratiques par semaine. Spectacles prévus. Doit aussi pouvoir chanter des harmonies et être disponible le soir. Sébastien, 450-222-0598.» Suivait une liste de chansons, toutes plus excitantes les unes que les autres.

Ma gorge se serra. Mes paumes devinrent moites. Dans mes oreilles, un bourdonnement accompagnait des coups de tambour assourdissants. J’avais du mal à avaler ma salive. Du coton dans la bouche. Est-ce que c’était l’occasion rêvée? Était-il possible que cette annonce me permette de m’approcher de mon rêve? J’avais bien déjà chanté avec quelques groupes avant, mais nous étions tous très jeunes, le talent n’était pas toujours des plus convaincants. Pour me calmer, je me dis qu’il devait s’agir, encore une fois, de la même chose: un petit band de garage qui n’arrive pas à jouer une chanson au complet sans s’enfarger dans ses propres fausses notes.

De peine et de misère, quand même, je réussis à articuler quelques mots:

— Ouais, j’sais pas… peut-être.

Mélodie me fit pivoter brusquement et me força à la regarder droit dans les yeux.

— As-tu au moins réalisé de quel Sébastien il s’agit? Sébastien Beaudry. LE seul et unique… C’est sûr que c’est lui.

Et là, j’arrêtai carrément de respirer. OK, j’avais beau n’être qu’une «petite nouvelle», je savais TRÈS bien qui était Sébastien Beaudry. Comment oublier cette créature de rêve, ce phénomène de la nature? Celui qui n’avait presque rien d’humain? Celui qui m’avait fait arrêter de respirer avant de me faire presque hyperventiler? Curieusement, je n’avais pas envisagé qu’il pouvait s’agir de lui. Comme je pouvais être lente, des fois! Mélo me ramena, une fois de plus, à la réalité:

— C’est lui. Sébastien Beaudry, répéta-t-elle, comme si je ne l’avais pas entendue.

Je savais très bien qu’il avait un band et qu’il était guitariste, mais elle ne m’avait pas dit qu’ils cherchaient une chanteuse. Ce groupe-là était apparemment du solide. Elle m’avait raconté qu’ils jouaient ensemble depuis plus de deux ans. Deux ans!

Ce jour-là, pendant que je me battais avec mon cœur pour qu’il reprenne un rythme plus ou moins normal, Mélo se rappela avoir entendu dire qu’ils avaient fait une pause durant l’été, supposément parce qu’ils n’avaient pas de chanteuse. On disait même qu’ils travaillaient maintenant sur leurs propres compositions en attendant, et qu’un agent était intéressé par eux si toutefois ils arrivaient à trouver la personne qu’il leur fallait pour compléter le groupe. J’avais déjà entendu de telles histoires et je savais très bien que les VRAIS bands sérieux étaient rares… Je faillis répliquer que «l’agent» en question devait n’être que l’oncle de l’un des gars qui n’y connaissait probablement strictement rien en musique, mais cette fois, je choisis de me taire.

Mélo continua à me dire ce qu’elle savait d’eux. À dix-sept ans, Sébas était le plus jeune du band. Elle prétendait que le batteur était au cégep; il devait donc avoir au moins dix-sept ans, lui aussi. Quant au bassiste, il était le plus vieux et, à sa connaissance, il travaillait déjà à temps plein en informatique. Mais tout ce verbiage de Mélo n’avait aucune importance. Mon cerveau avait bloqué sur l’image de Sébastien, et il ne m’en fallait pas davantage pour me garder dans un état de fébrilité presque extrême. Mélodie avait déjà vu un spectacle du band avec une autre chanteuse et, selon elle, Sébastien jouait comme un dieu; elle n’avait absolument pas besoin de spécifier qu’il en avait aussi l’air, puisque j’avais très bien pu m’en rendre compte.